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Sentimental/Romanesque
Rainbow : Le mal du pays
 Publié le 14/10/13  -  8 commentaires  -  19872 caractères  -  105 lectures    Autres textes du même auteur

L'on n'est jamais tout à fait chez soi…


Le mal du pays


Je m’étais levé ce matin-là à huit heures, comme chaque jour en fait… Reste que je n’aurais pas dû. J’avais pris un petit déjeuner, thé, deux tartines de pain beurré, puis une cigarette pour conclure. Cela signifiait peu de choses, un matin d’été comme tant d’autres en somme… Cigales crissantes tremblantes joyeuses ; sac et ressac de la Méditerranée, léger comme la fumée qui glissait hors de la théière avec en assortiment de réveil la chaleur fraîche du matin. Une naissance de journée parfaite ; oui, c’était cela qui caracolait sagement dans ma tête.


J’ai écrasé ma cigarette, une Marlboro, dans le cendrier, puis j’ai remporté la vaisselle que j’ai nettoyée dans la cuisine. Un bref coup d’œil sur la pendule délabrée, débris d’héritage, m’apprit que deux heures s’étaient écoulées depuis ma sortie du lit. Au loin, le bruit crachotant du moteur de la bécane de la factrice me prévint de son arrivée. Alors je traversai le garden, comme disent les Anglais, pour aller l’attendre. Mes pas bruissaient sur le gravier, ils me semblaient faire écho au vent et aux cigales… Peut-être divaguais-je, mais je n’en avais pas conscience. Toujours est-il que je me sentais agréablement bien. La factrice arriva. Nous eûmes une banale et courte conversation sur des sujets mondains, les activités d’un tel ou d’un autre dans le village. Malgré le caractère nécessaire de tout ceci, je commençais à sentir l’impatience pointer son nez, puisqu’après tout elle n’était là que pour mon courrier. Ce dernier me fut délivré après tout le baratin social, et si j’avais su… j’aurais fui, ou ne me serais pas levé ; l’impatience n’aurait pas eu son caractère d’avidité futile et dangereuse. Le courrier consistait en une unique lettre, mais d’une banalité qui déjà aurait dû m’effrayer. Je l’ouvris, et trouvai à l’intérieur un papier blanc noirci d’encre par une seule phrase.


« Il est mort »


Au verso un kanji japonais trônait impérieux, et pourtant ô combien triste dans sa calligraphie. J’ai compris.


Il y a… enfin, avait, dans mon village un vieux Japonais, du moins c’est ce qu’il racontait. Les deux Asiatiques l’accompagnant semblaient être des geishas ; elles approuvaient à chaque fois avec force son récit. Elles ne parlaient que peu, l’écoutant souvent ; arrivées avec lui lorsque leur enfance se fanait pour laisser place à des pétales aux teintures plus sérieuses sur les courbes de leurs corps. L’une était de la douceur des cerisiers endormis que la neige berce tendrement en hiver ; l’autre vous faisait toussoter le cœur à coups de battements, beauté amère sucrée d’un vin trop fort dans l’effervescence d’un soir d’été. Nombre de fois leurs corps hantèrent les nuits des hommes du village ; les femmes ne disaient rien mais n’en pensaient pas moins. Regards fournaises torsions aux rares croisements de trottoirs. Les jours de tempêtes beaucoup attendaient au bar. Le Japonais en devenait un véritable pilier, y descendant avec ces deux mignonnes. Invariablement revenaient les habitudes. Un verre de saké, c’était l’art japonais, notamment la littérature qui déboulait sur sa langue. Un deuxième, des femmes dansaient la noyade au fond de son verre ; il fallait alors le remplir encore pour les sauver. Au troisième des bribes de lui-même s’évaporaient langoureusement… en brume alcoolisée ; brouillard commun où chacun se perd lors de ces jours d’orages. Le quatrième marquait la fin de la pudeur jetée à l’augure de la débandade. Il disait avoir soixante-dix ans, né pendant la Seconde Guerre mondiale en mille neuf cent quarante-deux, originaire de l’île d’Okinawa au sud du Japon ; enfant de rien vautré dans tout. Gosse de parents d’un soir égarés dans la même ruelle ; pas une nuit pour que la rencontre soit consommée consumée. Un père de substitution moine dans un temple shintoïste qui l’emmena forcé et amusé vers l’intellect ; puis un bordel pour mère, entre les couleurs dansantes des kimonos et les corps déhanchés au sein des musiques humaines. Le sexe pour le sexe, peut être le sublime ou l’horreur. Elles lui apprirent que ces deux mots n’avaient aucun sens ; qu’ils étaient simplement la vie, et qu’elle-même était, sans raison particulière. Il comprit seulement plus tard ce qu’elles exprimaient… La magnificence est partout, même dans les entrailles, les cœurs les plus purulents et sombres. Il était arrivé dans la région il y a de cela une quinzaine d’années, à Marseille précisément, par un périple qu’il racontait comme un conte. En exagérant et modifiant ses souvenirs à chaque nouveau récit. Certainement que la vérité n’appartenait qu’à lui… un peu aux petites aussi, peut-être ; cela contribuait au personnage. De toute manière, la majorité n’attachait que peu d’importance à ce qu’ils considéraient comme du bavardage en bonne partie ésotérique ; pourtant chacun lui payait régulièrement un verre… Continue à causer mon gars, que ça s’disait. La seule considération de ces gens assis accoudés aux tables, comptoir était les deux jeunes filles dans le dos du vieux. Elles sirotaient leur thé, les yeux perdus dans les reflets de la vapeur. La populace du bar se raccrochait à chaque mimique, lèvres qui tremblent, doigt caressant le bois… Des corps photographiques ; sans raisons. Juste la peau les seins, avec les restes d’érotismes ; puis un semblant de voix, très douce presque éteinte… aux gains de quelques gémissements.

Notre première rencontre eut lieu au bord de mer ; lorsque le temps le permettait, il venait essayer d’attraper des poissons à coups de filet. Je le regardais de la grève ; j’étais venu assister au spectacle de l’écume agonisant au petit trot contre la grève éclairée par les prémices d’un jour mourant. Je fumais ma cigarette en l’observant, jetant son filet sur le sommet des vagues, le ramenant jusqu’à ses mains ; vide. Toujours. Il m’aperçut et me fit signe de la main ; je lui répondis de même, sourire aux lèvres. J’attendis qu’il finisse, et sorte de l’eau. Une fois sur la plage, changé puis séché, je l’abordais :


– Pourquoi venez-vous pêcher ici si souvent alors que vous ne revenez jamais avec aucun poisson ?

– Je ne cherche qu’une espèce précise, le thon rouge, qu’il me répondit avec un sourire malicieux.


C’est ainsi que nous fîmes connaissance.


– Après coup je me rends compte qu’il voulait ce thon surtout pour parler du pays avec lui ; peut-être même qu’il espérait que la bête le ramène à l’archipel. –


Heureusement pour le poisson, on ne le vit jamais dans les mailles serrées du filet. C’est qu’en dehors de cette plage, et du bar, pour siroter un thé, causer des monts et merveilles de nos vies, je devais crapahuter jusqu’au sommet d’une haute colline. D’ailleurs je crois être le seul du village à avoir fait cet effort ; avec la factrice certes, mais elle possédait une mobylette ; la lutte était donc inégale et aucune comparaison possible. C’était en cette fin d’après-midi où le soleil commençait lentement à décliner, rougi par l’effort dans sa tentative d’échapper à l’horizon gravitaire, sous ce ciel bouillonnant de tristesse que j’entrepris encore une fois l’ascension. Discrètement, à l’abri des pins les cigales et tourterelles jetaient à la réalité leur requiem en ré mineur. Les espadrilles noires à mes pieds crissaient sous le gravier ; elles tentaient de s’échapper à chaque pas mal assuré. Cependant que je marchais la sueur glissait sur ma peau pour y laisser des traces humides. C’est ainsi que j’allais pendant une bonne heure au moins… Carbonisé asséché à tous les degrés par les éléments ; le pire restant le vent. Gonflé, tordu, cabossé en tourbillons fragmentés qui prenaient lentement au corps ses réserves d’eau. Les ombres des arbres balayées par les rafales venaient piquer la mienne ; elle-même mâchouillée par l’astre implacable et glouton… Je devenais au contact de la longueur mon propre chewing-gum usagé. Peu après, j’aperçus la fin du chemin ; le sommet.

À mes yeux se présentait une pinède dense dans laquelle je m’enfonçais ; l’air embaumait la sève et l’écorce sèche. Cela m’était agréable ; je fermais les yeux puis inspirais profondément. Après quelques pas, la végétation se faisait plus éparse avant de s’estomper comme un songe, laissant place à une vaste clairière. Se dressait dans le fond, une maison dans le style traditionnel japonais ; du même genre que celles que l’on peut encore voir à Kyoto, encadrées par les ombres anguleuses des pins, vibrantes encore aux notes en sourdine des cigales infatigables. La bâtisse était ceinte d’une rivière circulaire où déambulaient allègrement carpes, truites, et autres poiscailles dans l’eau tiédie par la chaleur. Un chemin contournait la maison, je l’empruntais tout en regardant le paysage… Le même qu’habituellement, et pourtant… il y avait là des traits différents, des coups de pinceaux qui m’étaient inconnus ; un je-ne-savais-quoi d’irréel. Ce petit sentier de terre baladait mes pas jusque derrière la maison, où s’étalait paresseusement un large et profond bassin, très tranquille… sans remous ; des lotus bleus glissaient presque mélancoliquement à sa surface. Un pont en pin d’Oregon permettait de le traverser, menant jusqu’à un temple shintoïste traditionnel à la lisière de la forêt. J’aperçus, paisiblement recroquevillées en une prière les deux mignonnes. Elles portaient chacune un yukata dans des nuances de bleu où se détachaient l’océan, la nuit, ses étoiles ; leurs cheveux se déhanchaient tendrement dans la brise d’un vent sagement retombé dans les rayons du soleil, puis emporté avec lui dans la dernière poignée de minutes égrenées. Leurs têtes s’appuyaient sur le bois du cercueil posé au pied de l’autel, de là s’échappaient mille murmures comme des plaintes, au revoir… reproches, adieux… remerciements. Au-dessus reposait un cadre avec une photographie. On le voyait ce vieux filou de Jap’, assis en tailleur avec une bouteille de saké dans la main droite, puis une cigarette dans l’bec étiré en un sourire à la mort… la vie… Dieu, et toutes les autres grandes balivernes de nos siècles. Délicatement, je frôlai leurs épaules. Elles se retournèrent, presque surprises de ma venue ; puis esquissèrent l’une après l’autre un sourire tendre avant de retourner à leur psalmodie. Je m’agenouillai aussi en prière, mais laissai mes pensées dériver aux souvenirs du macchabée ; il me semblait que c’était là un bien meilleur hommage que toutes les larmes, lamentations, et consécrations de l’âme au divin. Cela dura jusqu’au crépuscule, l’astre jaune devint un désert ocre avant de retourner à la poussière de la terre pour mieux renaître à l’autre versant. Des bougies furent allumées, ainsi que des bâtons d’encens par l’une ; l’autre me conduisit sur la terrasse, me fit m’asseoir face à une table basse en chêne où elle déposa un bol qu’elle remplit de saké ; posa la bouteille à côté avant de rentrer à l’intérieur de la maison. J’allumai une cigarette, et bus d’un trait avant de me resservir pour mieux apprécier le second verre ; je sentis soudainement des odeurs de sucrés, salés, viandes et autres nourritures, et compris qu’elles préparaient le repas. Celui-ci fut servi un peu moins d’une demi-heure plus tard alors que la Lune commençait à briller intensément, cependant qu’une brise froide se levait. Une fois les plats posés, l’une des filles alla chercher des braseros ; je pris soudainement conscience de mon impolitesse puisque je n’avais aidé en rien jusqu’à présent ; je me proposai pour les allumer. Ensuite nous nous installâmes devant le dîner, et l’attaquâmes. Nous mangions en silence ; cela me mettait mal à l’aise… Je désirais me resservir un bol de saké, mais la bouteille était hors de ma portée ; j’allais alors demander à la plus douce d’entre elles de m’en verser, lorsqu’il m’apparut que je ne connaissais pas leurs prénoms. J’entrepris alors de les interroger à ce sujet ; la plus douce des deux se nommait Amaya, et l’autre Azami.

Lorsque la table fut débarrassée, je tentai d’engager la conversation mais toutes deux se contentaient de réponses monosyllabiques. Je les percevais étrangement mal à l’aise ; essayant de me défaire de cette impression j’allumais une énième cigarette. À ce moment Azami se leva, et s’enfonça dans la maison laissant traîner son regard comme à la recherche d’un objet précis. Cela attisa ma curiosité, cependant je demeurais dehors à fumer face à Amaya. Quelques minutes plus tard, Azami se joint de nouveau à nous ; son regard languissait d’une torpeur inconnue auparavant. Dans sa main droite elle tenait une pipe en métal au tuyau à peine plus épais qu’une aiguille, tandis que les doigts de sa main gauche étaient crispés empêchant de voir ce qu’ils contenaient. Délicatement, elle laissa choir sur la table deux minces sachets dont je reconnus le contenu ; il y avait là de l’opium et de la marijuana. Amaya saisit la pipe, la remplissant d’un peu des deux substances ; enfin, elle fit crépiter le bout à l’aide d’un long briquet comme ceux qui servent à allumer les barbecues ; aspira lentement deux longues bouffées puis la tendit à sa compagne. Je restais muet, allumai une autre cigarette, et continuai à boire tranquillement mon saké ; peut-être était-ce l’effet de l’alcool, mais cette scène me fit l’impression des aurores et crépuscules sur les anciennes bandes des cinémas en noir et blanc remises au goût du jour en couleurs… d’une beauté solitaire irréelle, fugace par l’habitude quelque peu honteuse. Ces mignonnes se mirent soudain à rire aux éclats ; c’est tout leur corps qui se déhanchait au rythme de leurs zygomatiques. D’un regard complice, leur hilarité cessa de manière aussi inattendue qu’elle commença. S’adressant à moi en même temps, elles me firent part de leur souhait de me voir rester avec elles ici pour une durée indéterminée ; poussé par je ne sais quelle motivation bizarre j’acceptai immédiatement.


Notre temps s’écoula alors au rythme des flammèches des braseros lors des nuits fraîches d’automne ; des feuilles dorées et ocre quittant avec peine leurs arbres, mortes carbonisées par l’été que nous balayions à tour de rôle dans le jardin ; des réveils tardifs au drapeau du soleil sable hissé au plus haut par les heures dans l’azur. Le temps s’égrenait au gré de nos paresses souveraines, cependant le diktat de mes journées restait l’insomnie. Régulièrement, je m’éveillais au milieu de la nuit sous les coups de deux ou trois heures du matin, jusqu’à la trente et unième heure où le soleil se levait enfin soulageant tous mes maux. Je profitais de ces longues nuits inoccupées pour lire Bukowski, Inoue, Balzac et tant d’autres à la lumière des braseros, chant des saisons scandé par le ressac du saké de la bouteille à mon verre, les yeux voilés par les brumes de mes cigarettes. Au plus profond de ces obscurités je remarquai un jour l’absence du silence des nuits ; celui-ci était remplacé par d’étranges diphtongues aux accents humains. J’entrepris de découvrir l’origine de ce discret tohu-bohu ; le point d’origine semblait se situer au cœur de la maison… À même la chambre des filles ; j’entrouvris la porte coulissante, et zieutai à l’intérieur pris d’une dévorante curiosité exponentielle. Ces demoiselles étaient là, nues, déformées en des cambrures brisées contre l’écume de leur conscience ; leurs corps glissaient, allaient, venaient… Inlassablement, et tous les bruits du monde étaient présents dans cette pièce comme un orage diluvien, mais doux ; toujours très doux. Une pulsion s’empara de moi ; j’ouvris violemment la porte, m’assis puis les regardai fixement. Elles s’arrêtèrent quelques instants, surprises ; puis un sourire traça son esquisse sur leurs lèvres roses, tandis que les autres transpiraient plus abondamment encore ; elles reprirent alors leur symphonie disharmonique jusqu’à l’explosion des diphtongues les plus aiguës. Après cela, chacune prit une pipe posée à côté de leurs futons respectifs, et l’air s’emplit de l’odeur âcre mais agréable de la marijuana ainsi que de celle plus lourde de l’opium ; involontairement, j’avais emporté avec moi le saké que je bus directement à la bouteille, de même je fumai encore une cigarette. Ce tableau se reproduisit souvent, presque toutes les nuits à vrai dire.

Cette année il se produisit une chose peu commune pour une région du Sud comme la nôtre, la neige tomba, dès le mois de décembre de surcroît. Des flocons blancs s’abattirent intensément sur nous durant trois jours, le ciel était d’un gris brumeux, uniforme ; après ces jours, les nuages tenaient toujours leur siège, dansant en rond leur rigodon… allant d’est en ouest, jouant aux mimes découpés et décousus sur les rasoirs de l’horizon. La neige tombait alors par intermittence, mollement, comme un murmure aux frissons de notre peau ; cela dura encore trois jours de plus. Durant tout ce temps, Amaya et Azami continuèrent leur jeu des diphtongues ainsi que celui des songes plein de torpeurs ; de même dans cet état de rêverie elles scrutaient sans cesse le bassin au travers de la fenêtre, assises comme dans l’attente. Un jour cette question m’échappa, malgré ma gêne :


– Qu’attendez-vous donc, mesdemoiselles ? articulèrent mes lèvres sans mon consentement.

– Le héron. Les hérons sont blancs, et toutes les créatures aiment ce qui leur ressemble ; de ce fait, il ne peut que venir.


– À chacun ses idoles ; le thon rouge pour le vieux, le héron pour elles. Peut-être que ces filles souffraient du mal de mer. –


Enfin, le soleil finit par revenir, mais il était dénué de chaleur ; la neige mit donc du temps à fondre, et toujours leurs pupilles guettaient les mouvements de l’horizon… rien ne transparaissait. Au bout du deuxième jour, la neige entama sa fonte ; je décidai d’aller me promener dans la pinède à l’arrière de la maison, profitant des charmes de la neige avant qu’elle ne s’efface aussi tendrement qu’elle était venue. Dehors, le monde s’égouttait, des ruisseaux de soleils plongeaient en fines cascades des arbres, se vautraient à terre avant d’y dodeliner, sommeillant ; cela formait de grandes flaques d’eau où la nature se reflétait, lumineuse. La terre se réveillait de plus d’une semaine de léthargie, bâillant aux symphonies nouvelles des oiseaux timides. Des odeurs de pins frais, de terre et d’herbes humides enivraient mes sens. Je restai là, étourdi, puis fumai une cigarette avant de me décider à rentrer. En m’approchant de la maison, une chose me frappa ; le silence. Ténu en premier lieu, il s’accentuait à chaque pas, traînant dans l’air comme un éclopé qui aurait suivi mes pas ; de vagues doutes sur les raisons de ceci s’immisçaient sous mon crâne. C’est là que sur la terrasse je les trouvai ; Amaya et Azami étendues, leurs pipes encore fumantes des drogues avaient roulé à quelques centimètres de leurs doigts continuant à se consumer. Deux cadavres sur qui la beauté de la vie manifestait encore quelques charmes, avant de se dissiper ; fugace. Des émotions passèrent dans les diverses dilatations de mes pupilles ; cependant aucune ne s’apparentait à la tristesse. Mécaniquement, j’entrepris de m’occuper de l’enterrement. Je les recouvris chacune d’un linceul ; puis creusai dans la terre encore meuble de la neige fondue en cette fin d’après-midi pour creuser deux fosses. Ne connaissant pas la mesure d’un pied, je les fis de six mètres de profondeur ; une de chaque côté du vieux, puis passai le crépuscule et la nuit en prière de souvenirs. Au petit matin, je recouvris les tombes, fis grésiller une cigarette avant de repartir tranquillement vers ma bicoque au bas du village. Avant d’entrer dans la pinède séparant cet ici du monde, je jetai un dernier regard en arrière ; j’entrevis un héron autour du bassin discutant avec un thon rouge, cependant je clignai des yeux et en les rouvrant cette image s’était évaporée. Cela me dépouilla d’un sourire, reprenant ma route ; je rentrais chez moi après tout ce temps d’absence.


 
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   Anonyme   
12/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Un texte étrange que je lis comme une parabole de l'exil (celui du Japonais, puis du narrateur en haut de la colline), du peu d'intérêt d'être : j'ai l'impression que les personnages ne sont là que pour passer le temps en attendant la mort. Je suis assez pour cette idée.
Ce qui me gêne, c'est cette impression que cette histoire au parfum d'irréalité cherche à s'ancrer dans du concret ; ainsi, l'évocation du vieux Japonais et de ses geishas dans la vie du village, pour moi, sonne faux, elle brouille le mouvement du texte et l'empêche d'avoir la fameuse pureté de lignes des estampes.

Je préfère le séjour du narrateur en haut de la colline après la mort de son ami, même si parfois le style me paraît trop chargé, et l'histoire par moments virant au fantasme facile : la drogue, le lesbianisme avec voyeurisme... pour moi, ces aspects parasitent l'allégorie. Et puis, quand je lis : "Des émotions passèrent dans les diverses dilatations de mes pupilles", à mon sens c'est too much ; comment le narrateur peut-il percevoir ses pupilles qui se dilatent ?
Le fait d'avoir ancré au début l'"univers" japonais dans la vie du village français présente un autre sérieux inconvénient à mon avis : j'ai tiqué, à la fin, sur l'enterrement des geishas sans autre forme de procès à côté du vieux, en haut de la colline. Cette scène, si on se rappelle l'existence du village, de ses mesquineries et de ses pesanteurs administratives, me paraît impossible ; on n'enterre pas ses morts dans son jardin. Si vous aviez évité de parler de l'environnement au début, ou si vous étiez resté plus vague dans son évocation, je pense que cette fin serait mieux passée parce que je n'aurais pas eu en tête le contexte où vivait les Japonais...

Au final, je suis mitigée. Je trouve que le texte a des moments poétiques, et d'autres empêtrés dans la réalité.

   Anonyme   
8/10/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Un oxymore maladroit :« la chaleur fraiche du matin »
Un autre juste après : « qui caracolait sagement »
Décidément, vous êtes un spécialiste !

Vous brodez beaucoup dans votre écriture je trouve, trop d'explications et de descriptions finissent par lasser. Je comprends mieux la longueur du texte.
J'ai relevé par-ci par là des lourdeurs dans l'expression : « ...arrivées avec lui lorsque leur enfance se fanait pour laisser place à des pétales aux teintures plus sérieuses sur les courbes de leurs corps. »

Votre écriture me semble forcée, vous cherchez exagérément à produire du beau : « l’autre vous faisait toussoter le cœur à coup de battement, beauté amer sucrée d’un vin trop fort dans l’effervescence d’un soir d’été »

Je continue ma lecture et tombe à nouveau sur une phrase tellement pompeuse qu'elle sombre presque dans le ridicule : « j’étais venu assister au spectacle de l’écume agonisant au petit trop contre la grève éclairée par les prémices d’un jour mourant. »

Désolé, j'arrête ici ma lecture du texte tant votre style m'apparait surjoué, avec un manque flagrant de naturel, de sincérité. Je vous conseille de revenir à plus de simplicité si vous voulez délivrer de véritables émotions, des sentiments qui ne seraient pas encombrées par tout ce fatras littéraire.

   Pimpette   
14/10/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
je n'ai pas été très heureuse à la lecture mais je com un tout petit peu quand même car je sens que l'histoire-tres originale- aurait mérité mieux; Beaucoup mieux!
La trame de l'histoire est excellente...
Avec une meilleure écriture!
Avec une simplification des passages les plus longs....

Pourquoi ne pas la réécrire?
Pimpette qui se mêle peut-être de ce qui ne la regarde pas?

   Anonyme   
14/10/2013
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour Rainbow

Beaucoup trop recherché à mon goût. L'écriture se fige au profit du faire beau et l'histoire disparait. On ne voit plus que les mots et leurs articulations savamment étudiées. Le titre m'avait inspiré mais je n'ai pas trouvé dans le texte de quoi assouvir ma curiosité à son propos.
Je pensais que le thon rouge se prenait en haute mer, pas au filet, ou au filet - si pas harpon - mais en haute mer.
Ca aurait pu être un beau texte chargé de nostalgie, avec de beaux paysages, le tout très exotique mais il y a cet apprêt de la langue où tout est pesé, longuement réfléchi.
Dommage parce qu'en faisant du vrai, du ressenti et en gardant la poésie de certaines phrases, l'histoire aurait pu être belle.
Un peu trop d'insistance au niveau des pupilles, de ce qui se passe dedans.
Bien entendu ceci est mon ressenti et ma lecture. Je n'ai pas aimé le texte. Mais j'aurais pu.

   jpdominici   
14/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Joli texte, bien écrit.
Cela manque peut-être un peu d'action. Mais ce n'était pas le but. Il faut dire que moi, j'écris des nouvelles policières...
mais bravo pour le héron bavardant avec le thon rouge

   senglar   
14/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
bonjour Rainbow,


Ouais... pas bon le saké hein, Rainbow, pour le "Je" du récit... Du moins fait-il voir héron et thon rouge, c'est moins désagréable que les araignées (Pardon Misumena ;-D). Tant qu'à opter pour le delirium autant opter pour le japonais donc :)

Ceci dit le plateau semblait copieux, dommage que les coquilles et autres carapaces de fruits de mer se fussent avérées vides.

Suis cependant resté sur ma soif bien plus que sur ma faim ; peut-être qu'avec un Sancerre et des huîtres au lieu de saké et de sushis ou de côtelettes braisées (le "Je" a allumé un brasero/barbecue, non ? Vais devoir aller vérifier) ?

Pourquoi ai-je l'impression d'être barbouillé ?


En fin de compte j'ai l'impression que le vrai Japonais de l'histoire c'est le "Je" du récit, pas les trois autres. Des comparses qui ne sont qu'un prétexte.

Bon il y a un chouïa de quelque chose qui m'a accroché quand même hein, à contre style dans des paragraphes touffus à la marseillaise pour des héros traditionnellement onomatopiques (En ce sens le texte aurait quand même raté sa cible).


Senglar-Brabant


p s : C'était quoi le kanji ? Z'auriez pu le décrire...

   dowvid   
15/10/2013
Une belle histoire, mais vide. On dirait de l'exotisme pour l'exotisme, point final. Des phrases précieuses et trop remplies. Des trucs impossibles : personne n'a besoin d'argent ni de fournisseurs pour se procurer opium et mari, chez-vous ? Trop de tergiversations qui ne mènent nulle part : la discussion avec la factrice par exemple. Brève et courte, que vous la décrivez, mais qui semble se prolonger avec tout plein de civilités, et le type qui sent l'impatience le prendre. Etc.
Non, décidément, la finale des deux geishas lesbiennes qui le gardent avec elles, et la mort subite des deux filles, un enterrement sans autre préambule, et il retourne à sa petite vie ?
Non, je n'accroche pas.
L'écriture est trop empesée tout le temps. Je n'ai rien contre des phrases alambiquées et longues, au contraire. Mais pas comme ça.
Je ne retrouve pas de sentiments dans ce texte, et qui devrait en receler étant donné l'absence d'action.

   Anonyme   
22/10/2013
 a aimé ce texte 
Pas
désolé,je n'ai pas accrochée,ce style,cette écriture m'a déplu.Je n'ai pas lue jusqu'au bout.
MAIS c'est très bien écrit


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