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Sentimental/Romanesque
renzo : Dans l'âme d'une baleine
 Publié le 10/06/08  -  15 commentaires  -  7207 caractères  -  188 lectures    Autres textes du même auteur

Un enfant pris par une mère baleine en devient l'âme. Il raconte à sa vraie mère la vie, l'histoire et la blessure infinie de cette mère adoptive des océans. Un regard naïf sur une réalité à part.


Dans l'âme d'une baleine


Mère ne me cherche plus ! Depuis ce matin, je suis l'âme d'une baleine. Peut-être au bout du dernier port de l'Atlantique pourrai-je redevenir homme ?


La vie est étrange à l'intérieur de ces outres à planctons. Il faut souvent manœuvrer un cerveau complexe. Monter le corps à la surface, évacuer l'air des poumons. Respirer. En échange de quoi les baleines sont les reines de la mère. Maman, leur taille dépasse de deux fois la taille de notre immeuble. Leur queue frappe l'eau et c'est un tremblement de mer. Leur souffle n'est pas le vent commun qui me rendait malade en hiver. Non ! C'est un souffle chaud et épais, il s'accorde avec le ciel et fabrique cent arcs-en-ciel successifs. J'aime cette chaleur. Depuis combien de temps n'ai-je pas goûté sans effroi à la douceur d'un élément ?


Et puis, vois-tu, mère, la mémoire où je suis installé est prodigieuse. Toi, tu me racontes la vie de nos parents et aussi loin que tu puisses aller ; je vois seulement les années de jeunesse de grand-père. Dans les limbes de l'esprit des baleines, il y a plusieurs océans, d'autres animaux gigantesques, les bruits violents et caverneux des détachements de continents. Et encore ce bleu qui n'en finit jamais : le Pacifique, l'Atlantique, l'Océan indien que les baleines appellent comme nous la mer jaune.


Un homme peut-il sentir autant de liberté ? Rien que du bleu tout autour et des chants qui vous promènent à la source du son du monde. Que te dire sur ce chant mère ? Ça me rentre par les oreilles, ça descend dans ma bouche et se creuse des passages dans mon cœur et mes entrailles. C'est l'identité de l'animal.


Je ne m'appelle plus. Je suis ce bateau animé de dix tonnes, vif comme un oiseau blanc des côtes. Une communauté à moi tout seul, des baleineaux qui se collent à moi, à nous, une meute de sous-marins pacifiques. Du bleu, toujours du bleu ! Sais-tu mère, savez-vous Terriens, que les baleines ne se perdent que si elles sont seules ? Avons-nous de semblables instruments de navigation ? Des cornes, des cicatrices qui croûtent la peau et qui sont des radars, des sextants, des roses de vent, des boussoles joyeuses.


Mère, maman ! Je sais ta tristesse. Le café dans la cafetière jaune du matin, les gerçures de gel aux vitres de la chambre, sœur qui dort le pouce dans la bouche, père déjà parti travailler. Ta solitude me fait mal, je sais que les mille occupations du matin et du jour t'empêchent de pleurer. Et, vois-tu, il semble que cette autre mère dont je suis le passager impossible ressent ma peine. Son cri, son chant est plus aigu que ceux des autres baleines. Elle vrille, fait de ses nageoires des éventails de détresse. Lorsque nous sommes au fond des eaux, près des failles, lorsque l'eau a remplacé la terre qui n'existe plus, elle fait des arrêts soudains : ma baleine pense, elle regarde les corolles des animaux fabuleux des roches sableuses et me crois-tu maman : elle pleure !


Elle rend l'eau à l'eau. Des sanglots de baleine. Un poème de larmes. Qui ne rêverait pas de voir ce fabuleux poème ? Moi, je le vois et à travers le cristal des pleurs de ma baleine, je te vois maman. Je vois ton après-midi. Le pull que tu tricotes pour papa. Le sourire infini que tu lances à ma sœur. Comme je t'aime maman à cet instant ! À cet instant où la baleine pleure !


Et puis elle s'envole de nouveau. Elle reflue des nappes d'eau qui deviennent des cercles tout autour de nous, tout autour de moi. Et c'est le grand air. L'air des océans. L'air du ciel que seuls les marins connaissent. L'air de Dieu.


De latitude en longitude, nous gagnons le cœur des océans. La troupe forme une escadrille, les baleines les plus âgées sont devant, les plus jeunes sont derrière : elles écoutent le chemin à suivre.


Et l'eau est chaude, comme elle est chaude, maman ! Je n'ai jamais froid dans le cœur d'une baleine. De la tête de l'équipage à sa queue, nous nous tenons chaud, il n'y a aucun espace laissé au froid, à la crainte, à la guerre. Les hommes habitent des continents séparés. Les baleines habitent ensemble.


Mais c'est la nuit. Il n'y a que le reflet de la lune sur l'eau. Le chant de la baleine vieille, elle a peut-être mille ans. Je ne comprends pas toujours le chant des baleines. Je devine que cet ancêtre des baleines raconte une histoire aux autres baleines plus jeunes.

Elle dit que les baleines ont tracé les chemins de la mer. Elle dit que sans elles, il n'y aurait pas de routes pour relier les continents qui se sont détachés les uns des autres.


Elle raconte aussi le voyage du prophète Jonas, sur lui soit la paix. Car les baleines rassurent. Leur foi est simple et claire. Leur monde est monde et il n'y a pas de haine entre elles. L'homme est petit, c'est pour cela qu'il est méchant. La baleine, elle, n'a peur de rien, sauf des hommes.


À l'écart, ma baleine, la baleine dans laquelle je suis le témoin du commencement du monde, ma baleine parle à voix basse. Quand je suspends mon attention au récit de la plus vieille des baleines, je m'aperçois que ma baleine est mélancolique. Oui mère, ma mère a des sentiments. Je le sens au tréfonds de mon esprit, je reconnais des sentiments qui sont les tiens, mère. Comme cette baleine est triste ! Je devine avec mon petit cœur d'homme perdu dans une baleine qu'elle est en deuil. Oui, c'est ça maman ! Ma baleine a perdu quelqu'un. C'est son fils. De tous les muscles de mon âme, j'essaie de comprendre et je redoute moi aussi d'être triste alors que je suis si heureux.


Son baleineau n'est plus, pris dans les filets d'un bateau de pêche. Il y a de cela cinquante ans. Elle ne l'a pas oublié. Elle y pense et le soir, lorsque les baleines se reposent de leur voyage ; elle regrette de l'avoir laissé seul se confronter à l'océan, intrépide, courageux dans sa jeunesse.


Je lui pardonne, pardonne-lui aussi maman ! Elle m'a volé à la terre et à toi. Elle m'a adopté. Les flancs de sa peau se creusent. Elle souffre et cette souffrance me fait souffrir. Un râle long glace le sang des autres mères baleines. Le cri strident qu'elle vient de pousser se répercute et devient le chant de plainte de toutes les mères baleines. Ce chant me fait mal maman !


Une tristesse de baleine est une pluie averse qui n'en finit plus. Le chant doit s'entendre jusqu'au ciel car des nuages se sont assemblés sous la lune. Et les nuages forment des bras tendus vers la mer, la lune se fait mer elle aussi, le ciel a envie de tomber pour réconforter cette plainte douloureuse de mer baleine.


Je me suis levé étourdi sur une plage inconnue. Au loin, je vois la queue de l'animal fabuleux qui s'éloigne. Le long du chemin qu'il a creusé dans la mer, je vois des flocons blancs : je sais, ce sont les boules de cristal formées par les larmes de la mer baleine.


Un dernier chant. Ma baleine me dit adieu. L'adieu d'une baleine, ça me déchire le corps, je tombe à genoux sur ce sable sans odeur. J'ai perdu quelqu'un, un moment à part, quelque chose qui n'arrivera plus, un livre qui se referme, une réalité masquée par des portes, les serrures de ma petitesse.


Tes bras qui m'entourent maintenant sont chauds maman. Sœur s'est endormie, papa lit le journal et moi je regarde la mer.


 
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   Tchollos   
10/6/2008
Très envoutant et très particulier. J'ai beaucoup aimé. Difficile d'expliquer, comme il est difficile d'expliquer un poême, j'imagine. J'aime beaucoup la tendresse et la "profondeur" du récit qui ne se laisse pas dompter facilement. Quelques phrases, surtout au début me semble un peu biscornues, mais je me suis assez vite laisser bercer par leur mélodie et leur rythme. Merci.

   Pattie   
10/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quand j'ai lu le résumé en Centrale de correction, je me suis dit "Ouh là... Le truc bien compliqué, pas crédible, embrouillé... mouof". Et puis j'ai lu le texte, et là, wow ! Avec une idée aussi bizarroïde, faire une nouvelle si émouvante, si construite, c'est quand même fort. Et c'est beau !

   xuanvincent   
10/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Un joli texte, original, dont j'ai apprécié la lecture.

J'ai bien aimé le début, que j'ai trouvé percutant et qui m'a donné envie de lire la suite de l'histoire.

Surtout pour le thème, un narrateur qui se dit être devenu l'âme d'une baleine. Le portrait de la baleine ensuite, entrecoupé des réactions du narrateur homme, m'a intéressée.

Je relève cette phrase, qui m'a plu : "J'ai perdu quelqu'un, un moment à part, quelque chose qui n'arrivera plus, un livre qui se referme, une réalité masquée par des portes, les serrures de ma petitesse. ".

La fin, simple, m'a plu.

   widjet   
10/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Sous ces allures de petite brise marine, ce texte est une petite tornade où soufflent des émotions puissantes et des sentiments profonds. Je ne vais pas tourner autour du pot : c'est très beau.

Grace a une écriture soignée, poétique et d'une émouvante délicatesse, je me suis laissé bercé par cette déclaration d'amour maternelle, d'une pudeur et d'une tristesse aussi intériorisée que profondément émouvante.
Rarement la perte d'un être cher a été évoquée avec autant de dignité et de grâce.

Mes yeux m'ont légèrement piqué (c'est rare), mon esprit critique s'est laissé cueillir et n'a même jamais tiqué aux répétitions (le mot baleine ....mais je ne vois pas trop ce qu'on aurait pu mettre d'autre).

N'ayons pas peur des mots : Dans l'âme d'une baleine est tout simplement ma plus belle surprise depuis des lustres et probablement le plus beau texte que j'ai pu lire ces dernières semaines.

Un auteur séduisant, une sensibilité qui me parle, un authentique talent à n'en pas douter. Je suis ravi. Merci.

Widjet
(pas coulé....mais bien touché)

   belaid63   
10/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Renzo écrit:
"Elle raconte aussi le voyage du prophète Jonas, sur lui soit la paix. Car les baleines rassurent. Leur foi est simple et claire. Leur monde est monde et il n'y a pas de haine entre elles. L'homme est petit, c'est pour cela qu'il est méchant. La baleine, elle, n'a peur de rien, sauf des hommes."
L'homme est petit et c'est pour cela qu'il est méchant, une vérité philosophique et un peu le résumé de ce joli texte, je rejoins les autres commentaires pour dire toute l'émotion que j'ai ressenti à la lecture de ce texte. trés bien et meme un peu plus
merci renzo

   Anonyme   
11/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Oui, c'est une manière douce, sensible et originale d'évoquer la perte d'un être cher. Une belle métaphore. Cependant j'ai relevé une bonne trentaine de répétitions du mot "baleine", parfois 4 à 5 fois sur 3 lignes... Je trouve que ça fait vraiment beaucoup et j'avoue que cela a un peu parasité ma lecture.
Sinon, j'ai bien aimé.

   strega   
11/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Oui, j'ai adoré le style d'écriture. Si léger et si lourd de sens, un peu envoûtant c'est vrai. Un peu beaucoup même. Le thème évidemment est émouvant est touche à peu près tout le monde me semble-t-il. C'est très bien fait, pas du tout pathétique, et ça, (pour ceux qui en doutent encore) j'aime beaucoup.

Sinon, pour la phrase à propos de Jonas et de l'homme méchant. J'emprunterai les paroles du grand Reuno (non, je ne me trompe pas d'orthographe) "les gens, monsieur tout le monde les connais bien. Il est comme eux, voilà pourquoi monsieur tout le monde ne les aime pas..." A bonne entendeur.

Je reviendrai quand même lire avec plaisir les futurs textes. Ne serait-ce que pour ce style si particulier.

   Anonyme   
11/11/2008
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'en sors tout ému. J'ai trouvé ce texte vraiment magnifique.
En Sentimental/romanesque. Mais pourquoi pas en Fantastique/merveilleux ?
Mais peu importe. C'est vraiment superbe. On se sent nous aussi dans l'âme de la baleine. On comprend un peu, on ressent beaucoup.
Avec l'auteur, avec les baleines, avec la baleine, avec l'enfant, la mère, la mer, les nuages, les lecteurs.
C'est vraiment parfait. Enfin je trouve. L'écriture un peu hésitante au début, comme uen découverte de la découverte de cet enfant. Et puis elle reste frêle et simple, mais prend de plus en plus en plus d'ampleur, de poésie.
Pour l'histoire, c'est parfaitement calibré. Un rêve flou et précis, comme les vagues. Entre la première et la dernière phrase, il pourrait ne rien s'être passé.
Alors que… Et puis non, pas alors que ; car peut-être ne s'est-il rien passé ?
C'est ça que j'ai toruvé magique dans cette nouvelle.

   Anonyme   
11/11/2008
Oh, quelle perle que ce texte ! Merci Ululo de l'avoir exhumé, il le mérite vraiment.

Poésie douce-amère, récit onirique, initiation, voyage aux confins de l'imagination débridée... des mots et un style très particuliers en tout cas. On reste étonné, sur cette plage, à la fin de l'histoire. On se demande un peu quel voyage on a fait, et si on n'a pas rêvé tout ça.

Je déplore également quelques répétitions inutiles du mot "baleine", qui alourdissent un tout petit peu certains passages. Mais c'est si peu de choses à côté du reste, à côté de la vastitude des océans, des mémoires qui s'imbriquent jusqu'à l'origine du monde.

Un très beau moment de lecture pour moi, de poésie même.

   Anonyme   
11/11/2008
 a aimé ce texte 
Passionnément
C'est le plus beau texte que j'ai lu depuis cinq semaines que j'ai découvert Oniris. Et pourtant, je n'ai pas chômé.
Merci de l'avoir fait revenir à la surface.

Est-ce une nouvelle?
Est-ce une poésie?
On ne cherche pas, on se laisse emporter par le chant des baleines.

   Menvussa   
12/4/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est complètement surréaliste, poétique et tout simplement beau.

Elle rend l'eau à l'eau. Des sanglots de baleine. Un poème de larmes.

Une leçon d'humilité que nous donne la baleine.

   Selenim   
19/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte délicat porté par une poésie naïve et hypnotique.

Il y a dans ce récit un peu du chant des baleines. Une litanie enivrante, qui laisse le lecteur fasciné comme face au balancement d'un pendule.

L'écriture n'est pourtant pas exempte de défauts : répétitions de mots, redondance des thèmes, vocabulaire limité. Mais il y a une douce alchimie subtile, un truc indécelable, la cannelle dans la tarte aux pommes, le jus de citron dans la blanquette ; cette pincée de rien qui transmute l'eau en océan.

Indéfinissable et primordial.

Selenim

   littlej   
14/5/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Magnifique.

Sans doute une des meilleurs nouvelles que j'ai lu sur Oniris (dans le top 5).

Le fond est d'une originalité, à mon avis, quasi-inégalée sur le site.

Quant au style, oh ! qu'il est beau ce style. Comment exprimer d'une manière si claire, si limpide quelque chose de presque indéfinissable, de tortueux, de bizarre ? Je salue cette prouesse hors-norme.

Véritablement, à plusieurs reprises, je me suis exclamé : "c'est très fort !" Et, véritablement, je ne m'exclame ainsi qu'à la lecture des œuvres de grands maîtres.

C'est très fort.

Toutefois, il y a un manichéisme qui me rebute un peu : les hommes c'est les méchants et les baleines c'est les gentilles, bof bof. Une morale que ne mérite pas la nouvelle. Mais ce n'est pas méchant.

Encore une fois, je reste admiratif.

j

   Anonyme   
28/12/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"et moi je regarde la mer", ainsi renzo finit son texte, un texte d'une grande poésie, un texte très sensible, très visuel. Beaucoup de grâce dans cette écriture, d'amour de la nature dans ce texte. La baleine, symbole de la majesté de la nature. Humaniste est le regard de l'auteur.

Des répétitions oui, mais je ne vois pas comment les éviter. bah on dira que ça fait litanie.

   placebo   
2/1/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un long appel déchirant à sa mère qui m'a profondément ému. Peut-être est-ce ce regard d'enfant, déjà annoncé dans le résumé, sans doute aussi le rôle de la mer... Il se peut que la nuit qui m'entoure joue son rôle :p

Sans m'étendre dessus, on va dire que l'océan, sa profondeur, m'effraie. Être une baleine, c'est n'avoir comme ennemi que l'homme. Mais quel prédateur !

Et la souffrance glacée du quotidien bien décrite... dommage que les sentiments soient ensevelis dessous.

Pas envie de chercher les problèmes dans le style. Pas vu de problème. Bien que l'alternance mère/maman soit bizarre. Encore qu'il y ait une logique due à l'intonation de la phrase :p

Jolie idée. Le corps de baleine, c'est mieux que celui de cafard.
Bonne continuation.
placebo.


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