Ce curieux texte a été retrouvé sur la table de travail de Madame Sarah Stone que le métier peu ordinaire de voyante et de médium tenait à l’écart des habitants de la ville de Providence, Rhode Island, USA. Ces pages furent découvertes par la police qui enquêta sur l’étrange disparition de cette personne à la vie rangée. L’étonnante confession fut analysée par des psychiatres et leurs conclusions aboutirent à un cas typique de paranoïa aiguë. Les enquêteurs eurent une autre image de Mme Stone en interrogeant ses anciens clients et plusieurs autres adeptes de la chiromancie établis en ville. Elle apparaissait plutôt comme une femme instruite, équilibrée, d’une infinie patience qui n’avait d’égale que sa gentillesse. On ne découvrit jamais la cause de cette disparition, Mme Stone n’avait aucun ennemi connu et menait une vie studieuse dans une solitude presque absolue. L’affaire fut classée sans suite le 15 mars 1937, date à laquelle on retrouva les feuilles reproduites ci-dessous.
La conclusion des enquêteurs fut que cette dame, dont la célèbre boule de cristal avait vu les plus grandes personnalités des States dans les années 20 et jusqu’à sa disparition, avait préféré mettre un terme un peu mystérieux à une vie entrée dans ses dernières années. Ayant lu et relu ce texte, je crois pouvoir affirmer aujourd’hui, nonobstant la découverte de quelques détails matériels qui corroborent ce texte, que Sarah Stone n’était ni folle, ni l’auteur d’une quelconque supercherie.
La magicienne a surpris plus d’un sceptique grâce à ses pouvoirs divinatoires et ses capacités de médium. Parmi les nombreux charlatans que compte cette « profession » si peu usitée, elle éclairait les controverses par la précision de ses positions et la justesse des prédictions qu’elle communiqua publiquement.
Je soumets donc à votre appréciation ce manuscrit retrouvé dans un appartement en désordre où une présence invisible, aux dires des policiers, semblait planer…
(Manuscrit trouvé au domicile de Madame Sarah Stone, 56 Virginia Street, Providence. Le texte a été annexé au rapport de police nº 657-451-PC établi par le lieutenant Philip Carter, officier de police appelé par les voisins de la disparue en date du 15 mars 1937).
Je sais par expérience qu’il est difficile de faire admettre à autrui ce qui échappe au monde cartésien !
Mon métier, qui constitue aussi ma passion et ma raison de vivre, m’a souvent donné l’occasion de me trouver devant des gens incrédules qui me rendaient visite pour se moquer ou plastronner devant leurs amis. Ces mêmes personnes ressortaient de mon cabinet inquiètes, étonnées, parfois terrifiées et en tout cas sans aucune envie de plaisanter !
Ceci pour expliquer que tous, nous croyons en une série de choses et en rejetons toute une série d’autres aux oubliettes du scepticisme ou de l’indifférence. Moi aussi, je croyais que mes études m’avaient fait découvrir les arcanes principaux de l’univers, héritière d’Einstein, de Newton et de tous les philosophes et chercheurs de l’histoire humaine. J’ai lu les grimoires les plus secrets, les textes sauvés de la bibliothèque d’Alexandrie, ceux venus du Tibet ainsi que les codex échappés aux flammes de l’Inquisition. Du ténébreux Stances Alchimiques d’Oberik Olsen jusqu’au lugubre Livre d’Eibon, j’ai passé de l’initiation magique à la terreur pure en ouvrant l’ignoble Ghorl Nigral dont la lecture a bouleversé ma vie à jamais.
Oui, je croyais avoir tout vu, tout entendu, mais ce soir j’ai basculé dans un autre monde, revu toute la hiérarchie de mes pouvoirs, douté de moi-même. Cette expérience est sans doute la plus importante de ma vie, tant sur le plan théorique que sur le plan métaphysique. J’affirme en écrivant ces lignes et ce malgré mes soixante-sept ans jouir d’une parfaite santé physique et mentale.
Cela a commencé le soir du 8 mars où comme d’habitude j’avais mangé très tôt afin de bénéficier de toute ma soirée pour lire ou écrire à quelques correspondants. Ce soir-là quelque chose m’attira vers mon salon de consultation, cette pièce que je voulais austère où je recevais mes clients. Contrairement aux autres « voyants » de la ville, je ne recherchais aucunement à influencer les personnes qui me rendaient visite par des effets de décorum lugubre ou pseudo-mystérieux, tentures sombres parsemées d’étoiles, masques africains ou statuettes polynésiennes, vase à encens et autres fariboles utilisées par mes « collègues »…
Seule au centre d’une table d’acajou vernie, ma boule de cristal focalisait immédiatement le regard par sa lumière douce mais brillante, soleil miniature au creux de cette pièce hantée par tant de présences fantomatiques. Il devenait très rare que je m’asseye près d’elle, j’en avais trop vu, trop appris et l’avenir du monde ne m’intéressait plus !
Mais cette fois, ma fidèle amie semblait irradier une lueur différente qui peupla les ténèbres de la pièce d’un brouillard diaphane semblant vivre d’un lent mouvement de rotation qui s’accentua peu à peu pour former une spirale dont le centre était le cristal qui m’observait tel l’œil d’un cyclope monstrueux.
Lentement au cœur de ce sombre maelström irrigué de strates blanchâtres, apparurent des lucioles qui devinrent des points lumineux encore indistincts, puis des lumières plus nettes. Le doute n’était plus permis, j’étais en présence d’étoiles, c’est-à-dire que la vision qui s’offrait à moi était celle de l’infini du cosmos. Ma boule de cristal s’évanouit pour laisser la place aux filaments rouges et mauves d’une gigantesque galaxie composée de myriades d’étoiles. Je restais figée au milieu de cette pièce dont les limites avaient disparu pour laisser la place aux infinis groupes d’astres plus ou moins lumineux qui composent la Voie lactée. J’étais un vaisseau spatial franchissant les abysses de l’éther en quelques instants. Soudain, mon sang se glaça, la PEUR, sentiment que je n’avais plus ressenti depuis longtemps lors d’expériences de médium s’empara de mon âme. Une présence invisible errait dans l’infini, elle avait perçu mon existence et semblait m’appeler. D’abord je ne vis rien, puis un point moins sombre s’immisça entre deux groupes d’étoiles qui se rapprochaient de moi. Enfin je LE vis, un HOMME, oui, un être humain flottant au sein de ce vide sidéral.
Pourquoi avais-je ressenti cette terreur ? Ce corps flottant était incongru, surprenant mais non terrifiant. Ma vision devint plus nette encore et le corps s’approcha de moi ; un visage blême aux traits figés dans un rictus de souffrance, des mains crispées enserrant des objets fantômes, un long manteau noir moulant tel un linceul de nuit cette forme décharnée. Mais la peur ne venait pas de cette apparition, ma peur était liée à ce regard, ces yeux VIVANTS hallucinés de terreur…
Il me voyait, cela était certain ! Cet homme avait capté mon regard et je sus à l’instant où ils se croisèrent que nos sens allaient communiquer par-delà la barrière du temps et de l’espace. Quelque chose en moi se brisa et refusa ce contact ; je me levai et m’enfuit de la pièce, trouvant dans la rassurante lumière du salon un refuge où apaiser mon esprit en feu. Je m’effondrai dans le fauteuil blotti près du feu et surtout à portée de main de la bouteille de cognac qui m’offrit la chaleur que j’avais laissée aux confins de l’espace.
Inutile de préciser que le sommeil ne vint pas, cet homme dont le regard avait trouvé le mien m’obsédait. Qui était-il ? Était-il vivant ou dans un état cataleptique lié à quelle incroyable expérience ?
Le lendemain, je passais la journée à me persuader de la non-existence de cette présence que la logique refusait. J’avais pris la ferme résolution de ne plus regarder dans ma boule de cristal avant bien longtemps, voulant mettre un terme à ces expériences qui m’avaient déjà trop blessé l’esprit.
Le soir du second jour, j’étais confortablement réfugiée près du feu, tasse de thé et gâteau au citron accompagnant ma lecture de Spinoza, mon vieil ami en philosophie, lorsque j’eus la très nette sensation d’une pulsation auprès de moi, tel un cœur invisible brassant l’air.
Malgré une instinctive réticence, j’entrai dans la pièce où me guettait l’œil de cristal que je redoutais ; immédiatement la faible lueur de l’unique lampe éclairant le plafond s’atténua pour disparaître, gobée par une masse de ténèbres tangibles. Comme hier, la noirceur de l’infini triomphant s’agita de spectrales tentacules d’ouates diaphanes qui annoncèrent l’apparition des étoiles, puis des galaxies, puis d’un petit point de forme étrange qui grandit et devint… LUI.
Mon cœur se serra, il était toujours là, perdu dans l’immensité de jais du néant. Telle une marionnette pendue à d’invisibles fils, il bougeait faiblement dans un mouvement semblable à celui d’un alpiniste gravissant une muraille invisible.
J’eus cette fois-ci moins peur et essayai de réfléchir à notre situation, au sens de tout ceci. IL perçut ma présence et je « sentis » son regard sur mon corps. Pendant un court instant, je dus me cramponner au bord de la table où brillait avec malignité la boule de cristal, prête à défaillir devant cette révélation indiscutable : il me voyait comme si nous n’étions séparés que par une paroi de verre ! Ses yeux se fixèrent sur les miens et je crus discerner une certaine surprise suivie d’une joie noyée dans la peur.
L’effort mental que je dus faire pour entrer en communication de pensée avec lui fut terriblement long et éprouvant ; un tel déploiement d’énergie mentale pouvait me tuer ou me laisser folle à jamais. Mais pouvais-je ignorer ce regard qui appelait au secours ?
Enfin, j’ouïs une voix faible qui semblait étonnement proche :
- Pouvez-vous m’entendre ? - Oui, je perçois votre voix, qui êtes-vous ? - Je ne sais plus mon nom ni rien de ce que fut ma vie. Je ne me rappelle que de vagues souvenirs, des images troubles ayant trait à une ville où j’ai dû vivre autrefois. Je n’ai plus la notion du temps. Je peux entendre votre voix, c’est merveilleux, je ne suis plus seul… Il y a un temps que je ne peux définir j’ai perçu votre regard, puis votre visage comme déformé dans un cercle de verre lumineux. J’ai senti votre présence, puis vu votre peur et votre fuite loin de ce disque brillant. - Comment êtes-vous parvenu là ? Êtes-vous sorcier, magicien, nécromant ? Êtes-vous seulement vivant ? Comment respirez-vous ? Avez-vous des sensations ? - Comment vous répondre ? Je ne sais plus rien… Je vivais sur la terre il y a des siècles ou quelques jours, je me souviens d’avoir ouvert un livre très ancien dont le nom contenait le mot « Nigral ». Puis un grand trou noir, puis le néant et mon « réveil » ici dans l’infini et cette chute… car je tombe, j’en suis certain ! Je tombe dans le vide sans limites, croisant des pierres minuscules ou énormes, passant entre des systèmes solaires où tournent des planètes autour d’étoiles géantes, je tombe entouré aussi par d’autres choses que je préfère ne pas décrire… - Comment êtes-vous si sûr de votre état ? Si vous étiez simplement endormi et que nous étions tous les deux en train de violer l’univers du rêve ! - Non, je suis bien vivant, si ce mot a encore un sens pour moi ! Je me souviens de certains visages, des détails de ma vie, puis la lecture de mots interdits, puis une sensation de chute infinie. Ensuite vinrent l’apparition des étoiles, la perception des mondes aux confins de l’univers. Lorsqu’il m’apparut que j’étais bien vivant, j’ai hurlé, oui, hurlé à m’en déchirer la poitrine. Connaissez-vous l’effet de crier de toutes vos forces et de constater que le son de votre voix ne dépasse pas les quelques centimètres qui vous entourent ? Aucun corps solide n’existe plus pour renvoyer l’écho… Je n’avais pas mal, je ne souffrais d’aucune blessure, mon corps répondait comme autrefois. Je suis passé par tous les sentiments humains possibles, désespoir, haine, j’ai même rêvé de me suicider… Ah, ah, mais comment mourir dans mon état ? J’ai essayé de m’étrangler ; peine perdue ! Je flotte dans le néant sans manger, sans boire, je n’ai pas l’espoir de rencontrer un corps solide pour y écraser ce qui reste de ma vie. J’étais prêt à tout pour que finisse ce cauchemar, je pensais que les « choses » que j’avais vues finiraient par me tuer, mais elles semblent m’ignorer superbement. - Quelles « choses » ? Y a-t-il une vie dans l’espace ? - Oui, l’espace entre les galaxies n’est pas aussi vide que nos savants le croient… - Qu’entendez-vous par là ? - « Elles » vivent selon des règles différentes des nôtres, « elles » n’ont pas d’âge. Je ne pourrais vous les décrire tant leurs formes sont vagues, comme vues à travers un verre biseauté. Certaines ressemblent à des algues marines, d’autres sont des polypes monstrueux, parfois elles forment des figures géométriques qu’Euclide n’avait pas imaginées ! Mais le pire, c’est ce qu’elles me disent ! - Ces choses parlent ? - Par télépathie, je perçois parfois leur langage. Elles évoquent des mondes enfouis où elles rencontrèrent les dieux anciens. Elles semblent parfois fuir quelque menace et parfois se regroupent près de moi et assaillent mon esprit.
Je ne pouvais plus communiquer avec lui, ayant atteint les limites de la souffrance physique que m’imposait cet exercice de perception sensorielle. C’est l’esprit en révolution et les yeux brûlants de fatigue que je quittais la pièce où rayonnait la boule de verre. J’entendis nettement son dernier appel en moi « Non, ne partez pas déjà… » et JE N’ÉTAIS PLUS DEVANT MA SPHÈRE DE CRISTAL !
Les jours qui suivirent je fuis littéralement ma maison pour aller me reposer chez un ami. S’il était capable de communiquer avec mon esprit même loin de la boule de cristal, n’allait-il pas envahir ma vie de jour comme de nuit ? Que fallait-il faire pour cet homme, que pouvais-je tenter pour l’aider ?
Certes, mes pouvoirs en magie blanche et noire étaient loin d’être ceux d’une débutante, mais je me trouvais devant un phénomène inimaginable.
Le soir du 13, je m’installais à nouveau en tête-à-tête avec ma vieille complice de cristal. J’avais pensé abandonner le malheureux au sein de son obscurité infinie, mais cette idée était trop lâche ; il devait exister un moyen de lui venir en aide… Je me concentrai et une fois encore les ténèbres envahirent l’étroit local, puis des nuages de points clignotants dessinèrent des galaxies servant d’écrin à une forme humaine suspendue dans le vide, telle l’araignée pendue à son fil.
- Vous êtes revenue ! Je sens à nouveau votre présence mais je ne puis déterminer depuis combien de temps nous nous sommes parlé ! - Cela fait plusieurs jours que je réfléchis aux moyens de vous venir en aide et je crois que j’ai trouvé. Vous m’avez parlé d’un livre ayant le mot « Nigral » dans son titre. Je crois savoir de quoi il s’agit et je peux sans doute vous aider. - J’ignore l’origine de ce mot, mais il me semble chargé de menaces redoutables, méfiez-vous. - Rassurez-vous, mon expérience de la magie et des textes de sorcellerie est grande. Je suis voyante, pour tout vous dire et je suis rentré en contact avec vous via une sphère de cristal. Je connais un homme qui acceptera de me prêter ce livre. Je vais tenter de dessiner un pentagramme et essayer de vous joindre pour vous ramener dans notre monde. - C’est une folie, vous allez échouer, pensez aux « bêtes » qui régulièrement m’encerclent. L’une d’elles m’a « parlé » ; elle prétend me conduire aux limites de l’univers, là où résident les dieux anciens. Elle m’a parlé de Kaleth, la cité des esprits qui recèle les dix secrets de la création du monde, de Yaddith et ses gigantesques citadelles en ruines, d’Yb aux murailles grises. Elles gobent mon esprit et veulent me transformer une chose inhumaine, elles… - Je ne vous abandonnerai pas ; même si les risques sont immenses, je… - Attendez, je ne vous perçois plus… Je ne sais plus si je suis seul à vous parler… Je sens d’autres présences… Me parlent-elles ? Vous parlent-elles par mon intermédiaire ? Les couleurs sont différentes depuis peu… Les étoiles sont noires comme mortes, les « choses » sont plus nombreuses à présent… Je vois une titanesque sphère sombre d’où émane une force incroyable… une gigantesque masse de millions de soleils éteints agglomérés l’un à l’autre dans un ultime trépas… Mais ce n’est pas une étoile morte, cela est VIVANT… C’est un colossal être vivant qui hurle… Seigneur, ayez pitié de moi… Ne partez pas… Restez avec moi…
Les douleurs m’arrachèrent un cri et je retombai brisée dans le fauteuil qui se transforma en corset d’acier. La boule de cristal semblait me narguer d’un clin d’œil moqueur, moi la célèbre voyante victime de ses sortilèges. Je me hissai péniblement hors du fauteuil pour traverser mon appartement comme un zombi avant de m’effondrer sur mon lit. L’obscurité de ma chambre évoquait le néant dans lequel le pauvre hère se débattait. Les quelques lueurs venant de la rue jouaient sur le cristal du lustre qui dessinait des nuées de mondes où dansaient des « choses » informes et menaçantes.
Journée du 14 : je n’ai pas repris contact avec lui, je sais ce qu’il me reste à faire. Je vais allez trouver le bibliothécaire de l’université de la ville. Je sais qu’il possède ce qu’il me faut. Je vais tenter l’impossible, risquer ce que jamais je n’ai eu le courage de faire ; utiliser des invocations blasphématoires réservées aux ultimes expériences en magie noire.
Soirée du 14 : J’ai plongé dans l’horrible livre de Von Prinn, celui qui recèle les antiques secrets d’Égypte et de Babylone. J’y ai trouvé les formules nécessaires mais mon expérience a échoué ; pire, ma boule de cristal a explosé durant cette tentative de rejoindre le malheureux. Durant un bref instant, j’ai été en contact avec lui :
- Ne partez pas, ne m’abandonnez pas dans cet univers… Les bêtes de la nuit reviennent…
Je me suis mise à genoux au centre de la pièce constellée d’éclats de cristal et j’ai pleuré comme une petite fille durant de longs moments.
Journée du 15 : J’ai vu mon dernier être humain vivant à 13 heures. Mon voisin, le brave John, m’a apporté mon pain et de la viande, sans imaginer ce que je prépare. Il m’a demandé si j’étais malade, dit que j’avais les traits tirés. J’ai répondu qu’il s’agissait d’un surcroît de travail nocturne, un peu trop de travail… Je lui ai serré longuement la main et il m’a regardé d’un air bizarre, presque effrayé !
Si le livre de Von Prinn ne marche pas, il me reste l’abjecte solution d’utiliser le Ghorl Nigral, malgré la répulsion que j’éprouve à ouvrir cet abysse d’horreurs !
Je vais donc tenter l’ultime combat, ouvrir la porte qui mène au néant. Je n’ai plus peur. Je n’ai rien à regretter, seule, vieille déjà, presque sans famille et ne fréquentant plus que quelques amis, je n’ai plus à attendre grand-chose de ce monde. Il m’a donné toutes les joies et tous les plaisirs qu’il peut offrir aux mortels et même bien plus. J’ai connu la fortune, la renommée, fréquenté les puissants de ce monde qui souvent sont plus faibles que des enfants ! Je vais essayer de rejoindre l’homme qui tombe dans l’infini, découvrir des merveilles que je n’imagine même pas. Peut-être pourrais-je découvrir l’étoile d’Hali, refuge des entités primordiales. Verrai-je Yuggoth aux sombres tours peuplées d’êtres-plantes ou le nuage de Magellan et ses myriades de soleils…
Ceci termine ma confession ; que mes derniers amis se rassurent, je pars en pleine conscience de mes actes. Je leur lègue tous mes biens, cette confession tenant lieu de testament.
Je répète que tout ceci est l’exacte vérité de ce que j’ai vécu ces derniers jours. Je vais maintenant dessiner le pentagramme de Toth, puis brûler l’immonde livre pour qu’il ne puisse plus jamais frapper de sa malédiction des humains. Je ne sais si je survivrai et surtout OÙ et DANS QUEL ÉTAT, mais ma décision est prise…
(Ici se termine le manuscrit trouvé chez Madame Sarah Stone).
Tel est le manuscrit qui fut trouvé au domicile de Madame Stone, disparue de son domicile. Les voisins avaient appelé la police à la suite de faits étranges qui eurent lieu dans la soirée du 15 mars. Ces personnes prétendirent avoir entendu un long hurlement suivi d’une espèce de détonation provenant de l’appartement. L’officier de police qui rédigea le constat a bien voulu me faire quelques confidences sur cette étonnante affaire. D’après lui, on aurait retrouvé dans le salon de consultation de la vieille femme les morceaux épars de sa célèbre boule de cristal, comme si l’objet avait explosé au centre de la pièce. Il m’a aussi révélé deux autres détails surprenants : dans la cheminée du salon, on a découvert un tas de cendres identifié comme étant ce qu’il restait d’un gros livre relié de cuir. D’autre part, il m’assure que les inspecteurs notèrent la présence d’une large flaque de sang séché : « C’était très curieux, on aurait dit qu’un être humain s’était vidé de son sang à cet endroit », car il s’agissait bien de sang humain, les analyses chimiques réalisées ultérieurement l’ont prouvé. Les inspecteurs ne découvrirent cependant aucune trace de lutte ni rien qui puisse indiquer qu’un meurtre avait eu lieu dans l’appartement…
Il convient d’ajouter pour clore cette extraordinaire affaire un dernier détail curieux qui n’a probablement aucun lien avec la disparition de Madame Stone.
Plusieurs personnes, qui dans la soirée du 15 mars prenaient l’air dans leurs jardins, affirmèrent avoir vu une étoile filante d’une exceptionnelle luminosité dans le ciel : les superstitieux ont fait un vœu !
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