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Sentimental/Romanesque
RomyLevant : L'âge de la marée
 Publié le 25/11/10  -  9 commentaires  -  5266 caractères  -  79 lectures    Autres textes du même auteur

Sur le retour...


L'âge de la marée


Errante, ailleurs, puis déroutée par une balise en rien détraquée, ici, sur le littoral Playmobil aminci par les herbes folles. Un gars m’arrête, pas d’ici. Marin le gars, un vrai de vrai. Un tatoué. Tous muscles dehors. La clope au bec. Le bleu marine le couvrant sommairement malgré la belle saison tombée sous les coups de l’automne, débardeur et short boxeur. Des lignes dansantes au contenu multicolore sur ses biceps très hâlés d’avoir pris moult soleil. Face à moi, le colosse, cette petite chose fragile, délaissée par la vie. Bla. Bla. Bla.


L’espérance en berne, trop consciente de la force d’une marée trop avide de me faire accoster. Je l’ai cherché, oui, je l’avoue. Le jalonnement de ma vie menait inéluctablement vers le néant, ce quotidien ouatiné, dorloté par des hommes mûrs, des hommes de pouvoir, jamais assez riches et toujours sans scrupule mais hameçonnés par la fausse écolière au charme indécent, nattée, jupe courte plissée, petite culotte apparente à la moindre pirouette, rouge aux joues, col de cygne et tout le toutim ! Jusqu’à la prochaine prise, d’aspect plus jeune encore, plus encline à pirouetter, plus lascive aussi, de fait. Ah ! Salacité ennemie…


En vrac. Honnête à faire rougir une O.N.G. Sans le sou. Infidèle à mon étoile. Décrochée des vieux mais tellement mieux. J’ai réduit l’allure puis, après l’incident, bifurqué aussi sec de cette vie, euh… très, trop ?… pour suivre la route à marée basse menant à la presqu’île qui m’a vue naître. J’y suis donc revenue franc-bord après avoir perdu neuf années en de profuses divagations stériles. J’y suis entrée, aucune fanfreluche, aucun enfant sauteur, aucune bannière accrochée aux réverbères, aucune fanfare. Ordinairement, on ne quitte pas l’île, sauf…


Le beau marin apatride a stoppé mon errance. Ce jour unique comme les jours peuvent l’être pour les gens épanouis qui ne traînent aucun boulet, aucune douleur évasive pourvue des attributs de l’ancrage - comme le calendrier privilégie la faillite de notre condition - touchait à sa fin. Le jeune gars à découvert me sourit et je lui donne mon sourire comme ça, sans réfléchir ni minauder, sans rien attendre en retour quoi.


L’homme qui a signé mon retour au berceau, le vieux, celui qui m’a hébergée en son vaste chez lui durant trois années poussières (record !) a rencontré une mort paisible dans son spacieux lit. (Une première aussi !) Avec moi, la bien vivante et pas plus surprise ni reposée, à ses côtés. J’ai plié mon mince bagage, laissant le, à jamais, sexagénaire baigner dans l’arrêt cardiaque et sa rutilance désormais amoindrie, enfin… j’ai plié en deux notre histoire, une feuille format A5 composée de grosses marges chargées de rouge, d’éclairs gras, chargés, où j’étais une ligne ponctuée d’infinitésimal, poudrée à blanc. L’enfer, c’est les vieux, je le dis.


Il se prénomme Casper. Il me dit :


- Je suis Casper.


Je lui dis :


- Et moi, Sandrine.


J’aime ces présentations simples. Enfin, des préliminaires sans le petit doigt en l’air et l’orgueil jaillissant d’un phrasé subtil et allusif.


- Je te trouve très belle, continue Casper après avoir balancé sa clope d’une pichenette, par réflexe, du côté opposé à notre mer.

- Tu me plais aussi, je lui dis.


La petite ville riveraine semble vouloir correspondre aux cartes postales jaunies. L’île ne change pas. Le port - enfin la zone naturelle de stationnement - où mouillent trois chalutiers stylise un peu plus la délicate sauvagerie des lieux. Éloigné, béquillé sur le tombolo, « La maison bleue », celui de mon père, pantomime - adopte à l’échelle les mêmes dimensions que l’ensemble. Orgueil ! Quand tu tiens les insulaires ! Une bordée maîtrisée de plain-pied en face de la zone, dont l’habitation de mes parents, celle aux volets bleus avec le panonceau composé mode chalutier accroché au-dessus de la porte accompagné de l’imposé écriteau « Face au large, près de toi », façonné par ma mère, celui-là. Mon père, ce marin. Ma mère, toujours inquiète, même quand il restait à la maison. Le fond du tamis, contenant des souvenirs douloureux qu’il me fallait tasser à coups de pelletées de sable redoublées, apparaît.


Grand mât approche son brun visage du mien, à l’ombre d’un jaune suroît. Nos regards se trouvent. Sondage. Lui, comme un grand Z ratatiné défiant la risée, moi droite comme un petit i engoncée dans un gros pull à col roulé en équilibre sur une salopette large comme un détroit. Nous nous étreignons. Nos deux fronts se trouvent. Cheveux au vent. Cœur battant. Col déroulé, ses mains sur ma gorge. Sa force. Ma légèreté retrouvée. C’est bon. Casper m’embrasse. Envie exaltée de me désaper ici, tout de suite. Pavlov, dégage ! Douceur. Ses lèvres chaudes et moelleuses. Sa langue cernant la mienne. Mon sang afflue au visage car il s’y produit une excitation sans commune mesure du côté de cette bouche que je pensais experte, blasée. Je vacille, ses bras resserrent leur étreinte, ici, plantés sur les bords d’une mer calme appuyée au cabaret de nos oiseaux migrateurs, aux abords de l’écart où je suis née, proche de la maison bleue qui fut le repère de mon père depuis longtemps éloigné de la mer, convaincu que la distance nous oublierait. Pour lui, peut-être.


Près du large, face à toi.


 
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   doianM   
7/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Un coup de foudre au bord de la mer.
Et la femme qui s'évade de son passé.
Avec le récent souvenir d'une mésalliance (question âge ).

Interessante alternance entre le présent et le passé du personnage.
Avec l'attirance vers l'étranger qui se précise avec chaque souvenir.

L'évolution du présent semblerait trop rapide et donne l'ipression que la femme se laisse attirée uniquement par le physique du marin.

Mais ça cadre avec le style du récit.
Et, en fin de compte, ne s'agit-il pas d'un coup de foudre ?.

Bonne continuation

   Anonyme   
8/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Changement de point de vue avec ce qui précède me semble-t-il ? "Face à moi, le colosse, cette petite chose fragile, délaissée par la vie."

Comme la marée, flux et reflux, j'ai eu beaucoup de mal à suivre ces divagations. La construction des phrases m'a rendu la lecture laborieuse et chaotique. Dommage, j'aurais préféré plus de simplicité dans l'expression. Du coup, je n'ai pas accosté.

   Flupke   
12/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,
Texte étrange, déconcertant. Pourtant le style semble mature.
J’ai plié mon mince bagage, laissant le, à jamais, sexagénaire baigné dans l’arrêt cardiaque – cette formulation ne me semble pas très heureuse.
où j’étais une ligne ponctuée d’infinitésimale, - idem

Pourtant il y a de la sensualité et de l’originalité dans cette rencontre improbable, mais je reste sur ma faim. Il me semble que par certains aspects cryptiques, je n’ai pas pu rentrer dans le texte.

   costic   
20/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai aimé la poésie qui se dégage du texte, les phrases courtes, les phrases nominales, percutantes.
Beaucoup aimé cette phrase: près du large face à toi.On se laisse embarquer par cette marée "revenante".
Je n'ai pas compris la métaphore du littoral "playmobil".
J'aime beaucoup la simplicité de la rencontre. Un texte profond et intime dont j'ai aprécié le style.

   widjet   
25/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'aime beaucoup le début. Style sec, percutant.

Présentation "punchy" du gars, ça claque sec. On est dedans. Et puis certaines phrases sont chouettes, joli sens de la formule ("L'espérance en berne", "honnête à faire rougir une ONG", "une salopette large comme un détroit") et vrai poésie se dégage ("infidèle à mon étoile").

Ensuite, c'est plus confus, trop appuyé dans les divagations. Le sens m'échappe, j'ai plus de mal à m'accrocher. Je sens bien qu'il y a une douleur sous jacente derrière un humour à froid et corrosif, ce passé trouble qui renait avec l'apparition de ce marin, cette attraction-répulsion pour le père, ce père au comportement ambigu (incestueux ??? Difficile à dire).

J'aime bien le côté spontanée de la jeune femme, son impulsivité. Elle ne se pose pas de question, elle est directe, entière. Elle (se) donne sans réfléchir.

Un premier texte, un peu nébuleux certes, mais intéressant. Il y a de la désinvolture et de la mélancolie dans ces quelques lignes.

Une griffe à n'en pas douter.

W

   alvinabec   
28/11/2010
Stylistique très travaillée, belle prose poétique.
Trop de phrases nominales pourraient à la longue assécher votre texte juqu'à l'aridité. A vous lire à nouveau...

   littlej   
2/12/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Dérouté d'entrée, moi aussi. J'aime. L'auteur prend des risques.

Excellent style, bel entrain dans le deuxième paragraphe. Je suis entraîné visiblement.

Troisième paragraphe qui suit la même allure. Et paf ! la coupure, quatrième paragraphe, gentillet par rapport aux précédents, et surtout le "quoi" à la fin est terrible.

Malheureusement la suite ne me ramène pas à l'effet particulier du début. Le texte meurt à petit feu, tandis que mon intérêt décroît.

C'est fini.

j

   Anonyme   
2/12/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour, Romylevant,

J'ai bien aimé votre texte. Le parti pris du style sied bien au format court (plus long, la lecture aurait été difficile), à la psychologie de votre personnage et à ce qui lui arrive (le coup de foudre). Elle est très ambiguë, cette jeune femme, capable de s'emberlificoter dans des histoires apparemment bien compliquées puis de juxtaposer les sensations, et selon moi le style traduit très bien ce "récit intérieur", émanation d'un état intérieur.
Je suis très fleur bleue, et la double phrase "face au large, près de toi" vs. "près du large, face à toi" m'a touchée.
Le littoral Playmobil m'a d'abord évoqué l'île de Ré. Mais il n'y a pas de tombolo, par là...
D'autres commentateurs ont relevé des "maladresses" (le "quoi" bizarre et quelques étrangetés de ponctuation) que j'avais notées, mais que je ne pense pas ne pas être dûment mûries. Ma réserve concerne le dernier paragraphe, j'ai un peu moins adhéré, allez savoir pourquoi...
Merci pour cette intéressante lecture,

Misumena

   emi   
6/12/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ce qui m'a accroché, c'est le style : original,inventif, poétique, parfois déroutant, vraiment personnel.
Le personnage de Sandrine est bien campé, celui de Casper fait peut-être la part trop belle aux stéréotypes, mais c'est sans doute la jalousie qui me fait dire cela.


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