Ils marchaient depuis des jours dans le désert et Éric tournait en rond jusqu’à la folie. Son esprit vagabondait ailleurs, sans cesse autour des mêmes images. La perte de leur seule demeure – leur vaisseau crashé et son équipage disparu – et la précieuse serre éparpillée aux quatre vents, tout se mélangeait dans un flux continu d'adrénaline et de désespoir. Une fois Marcus et Violette remis du choc de l'impact, il avait fallu se résigner et tourner le dos aux débris. Dire adieu aux reliques d’arbustes et de buissons, vestiges des membres de l'équipage qui avaient succombé au virus végétal. La fratrie était restée indécise quelques instants : certains des monticules avaient été leurs parents… les abandonner ainsi semblait impensable. Et pourtant, les amas de branches et de feuillages émergeaient à peine du sol, bien trop nombreux et déjà à demi ensevelis. Retrouver quiconque relevait de l’exploit, et dans quel but dérisoire ? Un échange de regards tacites leur avait fait baisser les yeux, et ils étaient partis la mort dans l’âme. Le désert leur tendait maintenant les bras. Son sol stérile et son vent brûlant chargé de sable étaient la promesse, peut-être, d'une protection contre les mutations incontrôlables.
Rien d'autre à l'horizon que de rares reliefs de grès ocre. Aucune cité ne venait rompre cette monotonie par ses fortifications et ses toits rouges en paliers ; aucun vaisseau ne sillonnait le ciel d’un bleu profond. Seul point positif, nulle part n'était visible la ligne verte qui marquait la lisière de la Forêt. Éric gardait secrètement l'espoir de trouver un remède. Son sentiment d'urgence se renforçait à chaque fois qu'il posait les yeux sur Marcus. L'aîné, grand et de solide constitution, aurait pu sans sourciller faire barrage au vent chargé de poussière qui harcelait le trio. Mais les racines avaient achevé de recouvrir ses yeux quelques jours auparavant. Alors qu’il comptait jusque-là un œil encore valide, l’effet conjugué du soleil et de l’air extérieur avait eu pour résultat de stimuler la croissance de ses mutations. Les branches noueuses enserraient son visage, auréolant sa tête d'un feuillage dense de mauvais augure. Violette veillait sur lui de son mieux. Elle le tirait par la manche quand il se laissait distancer, tout en cachant sa propre inquiétude sous un enjouement de façade. Éric aurait tant voulu ne pas la laisser porter seule le poids de leur avenir… mais son jeune âge et sa frêle stature ne l’aidaient pas. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était marcher en tête et les abreuver de ses encouragements exagérément optimistes. De délicates fleurs roses avaient éclos à intervalles réguliers dans les cheveux de Violette. Elle les arrachait sans y penser, d'un geste négligent de la main. Éric trouvait de la beauté dans cette coiffe improvisée et vivante. Mais compte tenu de ce que cela signifiait, faire la remarque aurait sans doute été déplacé. Il contemplait en silence cette mutation au charme étrange, comme il surveillait du coin de l’œil les branches croître et manger peu à peu le visage de son frère. La dernière fois qu'Éric avait vu son reflet dans l'un des vitraux qui décorait la serre, une méchante couronne de ronces sans feuilles ni fleurs ceignait son front. À cela il fallait ajouter de longues épines enracinées à même le crâne, qui l'avaient contraint à prendre quelques bonnes habitudes – les trous dans les mains et autres fâcheux incidents étaient si vite arrivés. Pourtant le garçon s'estimait favorisé : il était infecté depuis sa naissance après tout, et n'avait jamais été gêné outre mesure par la mutation lente dont il avait hérité. Il en allait autrement pour son frère. Celui-ci portait de longue date le casque léger caractéristique des membres de l'équipage hautement contagieux. Mais depuis la perte de leur vaisseau, la croissance décuplée des mutations du jeune homme l’avait contraint à retirer cette protection, devenue trop étroite. Sa peau n'avait pas tardé à prendre une texture rugueuse et proche de l'écorce par endroits. De ses oreilles étaient sorties de nouvelles pousses. Impossible de dire ce qu'il percevait encore de son environnement, à présent. Lorsqu'il se tenait immobile, la ressemblance avec le végétal devenait douloureusement frappante.
Une nuit, Éric s'était réveillé en sursaut au milieu d'un cauchemar. Un pressentiment persistant l'avait ensuite empêché de retrouver le sommeil. Du fond de leur abri rocheux, il avait scruté la pénombre que n'éclairait aucun astre. Bien que Violette et Marcus aient semblé dormir paisiblement, l’inquiétude presque prémonitoire qui était devenue au fil des jours une seconde nature ne quittait pas le garçon. Le détail troublant avait fini par lui sauter aux yeux : les bras de Marcus, au lieu d'être détendus le long de son corps, semblaient rigides ; ses mains ancrées dans le sol d'une étrange manière.
– Marcus ? Marcus ! avait murmuré Éric pour ne pas alerter Violette. – Quoi ?...
Le jeune homme avait vaguement relevé la tête, prenant appui sur les coudes.
– Rien... désolé, j'ai cru entendre quelque chose.
Voir les mains de son frère bouger avait suffi à soulager Éric. Devant le silence de ce dernier, si long qu'il en devenait gênant, il avait ajouté : « Tu peux dormir tranquille ». Marcus s’était tourné sur le flanc avec un bras sous la tête en guise d’oreiller. Éric s’apprêtait à faire de même mais il restait troublé. Que la lumière ténue lui ait joué ou non des tours, les mains de Marcus n’avaient plus tout à fait l’aspect qu’on rencontre d’ordinaire chez un humain. Le garçon avait passé le reste de la nuit à ruminer ce constat glaçant. Pourvu que quelque chose se passe enfin, s’était-il dit, pour les mettre sur le chemin de la guérison ou au moins d’âmes secourables.
***
Les mutations finirent par recouvrir entièrement le visage de Marcus. On voyait maintenant sans doute possible les racines serpenter le long de son cou et disparaître dans le col de son habit, avançant leur croissance à un stade dont il avait seul conscience. Conformément à ses habitudes taciturnes, il n’en parlait pas et balayait le sujet d’un signe de tête à chaque fois que Violette l’abordait. Il avait également remis ses gants sans donner d’explication, alors que tous trois avaient décidé d’un commun accord que les porter n’avait plus de sens : isolés loin de tout, avec Marcus privé de casque, ils ne risquaient pas de se contaminer davantage les uns les autres. Prétextant la fatigue de l’insomnie, Éric avait proposé à Violette de veiller à sa place sur Marcus. Il espérait ainsi soulager un temps l’inquiétude de sa sœur. La jeune femme avait accepté à contrecœur et pris la tête de leur petit groupe, non sans jeter de fréquents regards en arrière.
– Tu passes ton temps à te faire du souci pour nous, avait dit Éric. Je suis grand tu sais, tu peux me faire confiance ! – Bien sûr, je sais. Mais tu es si jeune, j’ai de la peine pour toi. Tu ne devrais pas supporter tout ça… Ça va aller ?… Avec lui ?
Violette faisait allusion à l’attitude glaciale de l’aîné envers son benjamin. Elle-même et Marcus avaient embarqué dès leur plus jeune âge sur le vaisseau qui allait devenir leur maison. Ils laissaient derrière eux une cité en plein effondrement, dont les remparts mangés par le lierre et les arbustes seraient bientôt submergés par la forêt dense. Au moins avaient-ils eu leurs parents auprès d’eux. Ceux-ci avaient su les préserver en les entourant de leur présence et de paroles réconfortantes. Leur contamination par le virus avait été un drame, que même l’annonce d’un futur petit frère n’était pas parvenue à atténuer dans l’esprit des deux enfants. Marcus ne voulait d’ailleurs pas en entendre parler. Il entrait dans des colères noires, refusant de voir autre chose que les mutations sournoises qui transformaient jour après jour son père et sa mère. Quand la fin était venue, les enfants endeuillés avaient eu l’autorisation d’entrer dans la serre pour s’y recueillir. Indifférents à la présence discrète des membres de l’équipage désignés pour cueillir les fruits, ils fixaient le renflement du tronc de l’arbre qui avait été leur mère. Tout le monde pensait le nouveau-né perdu. Et pourtant, on l’avait un jour retrouvé blotti dans la cavité ouverte de fraîche date, en pleine santé malgré les épines qui poussaient déjà sur son crâne. Autant dire qu’il avait immédiatement acquis le statut de miracle vivant auprès des autres membres de l’équipage. Contrairement à Violette, au comble de la joie, Marcus était devenu froid et distant. Éric avait vite compris à quoi s’en tenir : une culpabilité diffuse le saisissait à chaque fois qu’il croisait son frère.
Le garçon hocha la tête à l’adresse de sa sœur, un sourire rassurant sur les lèvres. Elle n’avait pas à s’en faire pour lui. Il se laissa distancer jusqu’à être rejoint par son frère à la démarche traînante. Marcus marqua un temps d’arrêt à sa hauteur, comme pour manifester sa surprise, puis haussa les épaules et passa devant lui. Éric cherchait ses mots en vain.
– C’est toi qui restes à la traîne maintenant ?
La voix de Marcus était rauque de n’avoir pas beaucoup servi.
– Je… C’est pour prendre le relais de Violette.
Marcus eut un petit rire, mais ne répondit pas.
– Pourquoi tu as remis tes gants ? demanda timidement Éric. Il toussota, hésita quelques instants et reprit : J’ai vu tes mains. Ce n’est pas rien.
Marcus tourna sa tête vers son frère bien qu’il ne pût le voir.
– J’ai résisté jusqu’ici, je tiendrai bien encore un peu. Et surtout garde ça pour toi ! Vous avez mieux à faire que de soigner une plante verte.
Éric continua à marcher en silence, au rythme de son frère.
– J’espère que tu me pardonneras, reprit ce dernier. J’ai été injuste avec toi.
Pris au dépourvu, Éric rougit et bredouilla quelques mots à peine intelligibles. Marcus sembla ne pas l’entendre et continua :
– J’aimerais faire mieux que ça pour réparer mon erreur, mais ça demanderait des années je crois. Enfin, ça ne t’a pas empêché de devenir…
Le jeune homme fit un geste en direction de son frère, chercha ses mots puis se ravisa. Il n’était pas très doué pour les confidences. Éric sourit pour lui-même, profitant du soulagement immense qui l’avait envahi.
***
Le lendemain, le vent se leva de nouveau et les rafales s’intensifièrent. Marcus et Violette menaçaient de disparaître à la vue d’Éric. Il devait sans cesse s’arrêter, attendant l’un et tremblant de perdre la trace de l’autre. Alors qu’il venait une fois de plus de rattraper Violette, le garçon à bout de souffle et sa sœur décidèrent de faire une halte. Ils formèrent un rempart de sable derrière lequel s’abriter, et s’y blottirent jusqu’à la prochaine accalmie. Leur inquiétude montait d’un cran à chaque instant : Marcus ne les rejoignait toujours pas. La tempête laissa à nouveau place à l’implacable ciel bleu. Une chape de silence s’était posée sur le sable. Violette et Éric bondirent de leur abri, regardant de tous côtés en s’attendant à voir leur frère tapi non loin d’eux. Ce fut Violette qui le repéra la première. Sa silhouette se découpait au loin, trait d’encre de chine contre l’horizon radieux. Parfaitement immobile, les bras légèrement écartés et prolongés par de longues excroissances plongeant dans le sol, Marcus avait pris racine. Violette poussa un cri et se précipita à sa rencontre, Éric sur ses talons.
– N’approchez pas ! criait Marcus. Partez, vite !!!
Violette ne s’arrêta pas même lorsqu’elle vit la masse grouillante de racines achever d’ensevelir le jeune homme. Saisi d’effroi, Éric était resté figé à la lisière du chaos qui s’étendait à toute vitesse autour de son frère : les racines noueuses plongeaient dans le sable, ressortaient plus loin dans un geyser avant de plonger de nouveau, tels des ricochets monstrueux. Le réseau tentaculaire entoura bientôt Violette et devint si dense qu’elle finit par perdre l’équilibre. De nouvelles racines tout juste poussées la retinrent aussitôt au sol, emprisonnant ses jambes et remontant le long de ses bras.
– Éric ! Ne reste pas là ! Va-t-en !!! hurla-t-elle, prenant le relais de son aîné réduit au silence.
Mais Éric était incapable de faire le moindre geste. Sidéré, les yeux exorbités et la mâchoire béante, il contemplait le réseau de racines se resserrer autour de Violette jusqu’à la faire disparaître à son tour. Sa chevelure fleurie fut engloutie dans une masse de feuillage sombre. L’amas grossissant de branches qui avait recouvert Marcus sembla soudain exploser, projetant vers le ciel de nouvelles pousses à la croissance fulgurante. Sous les yeux d’Éric, le phénomène prit la tournure d’une véritable explosion. Le panache de feuillage grandissait et s’étendait par strates autour du tronc central formé par les branches grouillantes. Une racine surgie de terre à quelques mètres d’Éric vint frapper le sol juste à côté de son pied. Il sortit de sa transe dans un violent sursaut et se mit à courir de toutes ses forces.
Quand il fut seul, sans rien d’autre autour de lui que la ligne d’horizon et le ciel au crépuscule, il s’effondra.
***
Ses pensées se mélangeaient en un brouillard dépourvu de sens. Des visages étaient penchés sur lui, leurs regards froids le fixant derrière le verre des casques. Il fut relevé sans ménagement et poussé vers une troupe hagarde. Les femmes et les hommes lui jetaient des regards indifférents puis détournaient la tête, autant que le leur permettaient leurs mutations végétales. Quelques enfants le dévisageaient avec curiosité. Il tenta de parler aux hommes retranchés derrière leurs combinaisons intégrales, peinant d’abord à articuler, mais ceux-ci ne lui accordèrent plus la moindre attention. Il emboîta le pas aux autres au rythme des bousculades de leur escorte. Le brouillard dans son esprit se dissipa au bout de quelques jours. Ses compagnons d’infortune semblaient parler plusieurs dialectes dont il ne comprenait pas un seul mot. À leurs tuniques râpées, décorées de motifs de couleurs vives, il devina leur origine : il n’avait vu d’habits semblables que quand son vaisseau se posait près de villages forestiers, pour pratiquer une forme sommaire de commerce. Son impression fut confirmée par leur attitude détachée face aux mutations qui les rongeaient. Cela semblait pour eux la plus naturelle des choses. Les traces de brûlures qu’ils portaient laissaient présager que leurs villages n’étaient plus que cendres. Si Éric avait compté parmi les plus privilégiés de ce monde, il avait maintenant tout en commun avec ces gens perdus. Il était loin de chez lui pour toujours, et sa maladie allait bientôt devenir le cadet de ses soucis.
Leur destination leur fut révélée en même temps qu’elle apparut à l’horizon : une majestueuse cité aux fortifications discrètes. Elle était encore suffisamment loin de la Forêt pour ne présenter aucun signe de délabrement, aucune barricade caractéristique d’un inévitable déclin. Il aperçut le ballet des vaisseaux biomécaniques, semblables à celui sur lequel il avait passé sa vie. Des vaisseaux géants aux flancs chargés de vivres accostaient aux plates-formes saillant sur les hauteurs, d’autres repartaient affronter la solitude du désert et le danger au-delà. Les plus petits, à peine plus grands que leurs pilotes, arpentaient la cité sur toute sa hauteur en se livrant à d’improbables acrobaties. Éric n’avait jamais vu autant de monde. Les rues comme les toits plats des maisons formaient des paliers chargés de foule, les places et plates-formes croulaient sous les étals des marchés. Il n’eut pas l’occasion de s’approcher davantage de cette splendide vision. L’escorte les détourna vers un étroit canyon entre deux falaises de grès, à quelques distances du mur d’enceinte. Les rares citoyens qu’ils croisèrent le long du chemin défoncé les toisaient depuis leurs fenêtres comme s’ils assistaient à un distrayant spectacle. De mise presque aussi misérable que la petite troupe, ils étaient dépourvus de toute protection contre le virus. Leurs maisons miteuses au ras du sol les plaçaient en première ligne si l’infection venait à se propager dans la cité. La curiosité morbide qui les attirait vers Éric et ses semblables était sans doute motivée par le besoin, conscient ou non, d’appréhender la menace qui pesait sur eux… Quelle ironie. Il y a à peine quelques jours, Éric se serait damné pour que son frère, sa sœur et lui parviennent enfin à une ville comme celle-ci. À présent cela semblait être la pire des idées.
Au fond du canyon les attendait un ensemble de grottes basses, creusées de main d’homme aussi profondément que le permettait le sous-sol. De solides grilles de fer en fermaient l’accès. Ils furent séparés et allèrent rejoindre des prisonniers plus anciens. Les regards vides de ceux-ci ne cillèrent pas quand la grille s’ouvrit, pas plus qu’ils ne bougèrent. Éric ne tarda pas à comprendre pourquoi : les cachots étaient un repère de mutants à différents stades de l’infection, privés peu à peu de leurs facultés. Ses compagnons de cellule se transformaient les uns après les autres, et leurs enveloppes végétales disparaissaient à la faveur de la nuit. L’odeur des bûchers persistait longtemps après. À ce régime, la dernière étincelle de combativité déserta vite les yeux des nouveaux arrivants. Lorsqu’ils ne furent plus qu’une dizaine, résignés à leur sort mais encore valides, on leur permit de sortir. Deux gardes casqués les conduisirent loin de la cité et tous firent halte en silence. Un nuage de poussière apparut bientôt à l’horizon, annonçant la troupe de soldats qui les rejoignit peu après. Ces derniers affrontèrent un instant les gardes du regard. Puis ils baissèrent les yeux en signe de soumission. Leurs corps étaient marqués par les mutations et leurs habits tombaient en lambeaux. De gros réservoirs lestaient leurs dos, reliés au lance-flammes que chacun portait en bandoulière. L’un des gardes s’adressa à un jeune homme trapu dont les épaules étaient constellées de branches épineuses :
– Vous achèverez leur formation. Le matériel supplémentaire a été déposé ce matin à la lisière, au même endroit que d’habitude. – Eh ben, vous les avez recrutés au berceau cette fois ! lança le jeune homme en montrant Éric. Il éclata de rire face au silence de son interlocuteur. N’oubliez pas, reprit-il, retrouvant son sérieux. N’oubliez pas ce que vous m’avez promis. C’est la dernière fois que je pars.
L’homme casqué fit la moue et hocha la tête.
– … Et vous serez tous soignés comme des citoyens. Je n’ai pas oublié… mais faites d’abord en sorte de revenir.
Ces derniers mots parvinrent aux oreilles d’Éric sans allumer de lueur d’espoir en son for intérieur. Il ne croyait plus en la parole de quiconque, pas plus qu’en l’existence d’un remède au virus végétal. Il se contenta de rejoindre en silence la troupe de soldats aux regards durs.
***
À l’étonnement d’Éric, tous les nouveaux arrivants parvinrent à la lisière de la Forêt. Certains semblaient pourtant prêts à s’effondrer à chaque pas, trahis par leurs blessures ou étouffés par les mutations. Ils prirent sur leurs dos les lourds réservoirs de liquide inflammable et apprirent à manier leurs lance-flammes sur le tas. C’est ainsi que débuta leur mission au sein du dixième bataillon au service de la cité. Ils brûlaient sans réfléchir, défrichant méthodiquement la terre pour la rendre au désert. Parfois, certains végétaux animés d’un sursaut d’énergie les attaquaient à distance, projetant vers eux des excroissances à la puissance de harpons. D’autres fois c’était la maladie elle-même qui transformait soudain un camarade en menace à éradiquer. Le temps passa au fil de leur lutte quotidienne contre la Forêt. Celle-ci poussait si vite qu’il devint difficile pour le bataillon de se repérer : le mur végétal se refermait derrière eux au fur et à mesure de leur avancée.
Et comme Éric perdait peu à peu tout repère, il se prit à penser que peut-être, ses pas le ramèneraient un jour à sa famille.
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