Ça y est on y est arrivé ! Enfin. Éternel rêve humain. Universel. La première machine à remonter le temps est au point, dans le plus grand secret, évidemment. Strictement française. Pour une fois que nous sommes en avance sur les autres… Bon, un peu de technologie russe et chinoise, mais la mise au point c'est Moi ! … l'ingénieur en chef de cette merveille, en toute modestie.
Reste à tester son fonctionnement. Il faut un début à tout, et là ça ne se bouscule pas… Faut dire qu'un aller simple est très possible, pas sûr de revenir ; bracelet de téléportation, pas fous les dirigeants de la French Company, des recherches et un petit bijou qui a coûté des millions… alors vous pensez bien. Être le seul célibataire dans le secret, sans parents, sans enfants, sans amour (Adeline ne m’a toujours pas rappelé), désespéré de la énième défaite du PSG en coupe d'Europe, me donne un profil cobaye idéal. La Company est d'accord, confidentialité oblige, on reste en famille.
Reste la déontologie ; pas question de se balader pour refaire l'Histoire. Imaginez une partie de football où chaque action serait rejouée à l'infini, la balle à gauche, non ça ne va pas, alors on la rejoue cette fois à droite, tout change, on aurait là un match rejoué encore et encore et qui n'aurait plus de sens… Le présent est un fugace laps de temps glissant entre passé et avenir comme un pet sur une toile cirée, il ne passe qu’une fois.
Le reste est une question de bon sens : Allez donc parler naufrage au capitaine du Titanic, il vous rira au nez ; son bateau est le plus grand, le plus beau, totalement insubmersible en plus, et vous, n'êtes qu'un agent d'une puissance étrangère voulant discréditer le fleuron de la marine britannique ! Allez ouste du balai !
Vous parlerais-je d'un Kennedy, au choix, qu'il vous resterait à convaincre, sans finir dans une geôle d'un FBI parano, comme complice d'un complot dont personne n'aurait entendu parler… ?
Essayez un peu d'approcher le carrosse du bon roi Henri IV, son tueur y est parvenu à un moment exact que nul ne reproduira.
Impossible non plus de réserver un TGV à Grouchy pour qu'il arrive à temps à Waterloo !
Bref, on ne va pas y passer la journée, on ne peut changer un événement qui n'a pas eu lieu. Point final.
***********
Alors où aller, et pourquoi ?
Ma famille n'était pas très grande, alors chaque personnage y avait sa place bien ancrée. Ainsi mon arrière-grand-mère occupa le restant de ses jours à chercher la dépouille d'un fils tué à la guerre de 14 pour le rapatrier dans le caveau familial. Il faut dire qu'elle ne devait pas être la seule, et que, vu l'hécatombe, il fut très vite impossible dès le début du conflit de ramener les dépouilles de nos poilus d'où ils venaient. Pour la énième fois de l'Histoire les Huns étaient à cinquante kilomètres de Paris, on avait autre chose à faire.
La mémé finit donc sa vie avec quelques photos sépia dentelées et les yeux humides de souvenirs. Puis vint ma grand-mère qui me parla de son grand frère. « Un dur de dur qui ne se laissait pas faire. » Et puis… plus rien.
Jusqu'au jour où, mettant de l'ordre dans les papiers familiaux d'un tiroir oublié, j'ouvre une boîte et tombe sur des photos, lettres, documents militaires, concernant ce grand-oncle du passé, jusqu'au rapport détaillant ses blessures ! Rien de plus sur son lieu d'inhumation, mais peu importe. Deux clics sur Internet firent plus que des années de recherches de mes aïeules !
Elles n'avaient rien, j'avais tout ; dates et lieux des engagements de son régiment, et bien plus encore, une technologie, qui, si elle fonctionne, me permettrait de le retrouver !
Tout étourdi, j'expose mon projet à mes supérieurs qui s'inclinent devant cet élan patriotique et sentimental. Par contre, un tel voyage dans une zone de conflit représente un danger. J'y vais physiquement, exposé comme tout un chacun, une balle ne ferait pas de différence entre un poilu et un téléporté du 21e siècle. J'assume. C'est trop tentant. On verra bien.
Me voilà seul. Aucun journaliste, si ça ne marche pas, nul besoin de témoins, on aurait l’air fin… Les cadres supérieurs de la Company, eux, sont bien là, nerveux, inquiets. Moi pas. Enfin, pas trop, car mon poignet est ceinturé de technologie, bourré d’électronique dernière génération avec la super puce XV55KZ… Mes doigts fébriles programment un lieu : Bois du village de Marfaux. Épernay, une date : 28 octobre 1918, veille de la mort d’Edmond Maurel, sergent au 3e RMA, j'appuie sur le gros bouton rouge…
un trou noir, une forte nausée, odeur d'humus, de fumée, un corbeau tout là-haut, des arbres, toujours cette nausée, impression d'une longue sortie, d'anesthésie… je m'assoie péniblement, des voix là-bas sur ma droite, de la fumée, des rires, ça parle français, un groupe de soldats…
Merde ! Ça a marché ! Incroyable ! J’y suis ! Je pense tout à coup que j'aurais pu atterrir dans l'autre camp, le gag !
********
Des hommes entourent une sorte de grand chaudron fumant. Je m'approche, prudent. Le vent m'envoie directement l'effluve de la marmite.
– Eh dis donc regardez-moi c't oiseau c'est d'où qui sort !?
Un gros bonhomme hirsute s'approche :
– Bah dis donc comment t'es attifé mon gars ! Tu serais pas un boche par hasard !? – Euh non non m'sieur ! – Dis-le sinon, y a pas un jour sans qu'y en ait qui s'rendent. Y z'en ont marre autant que nous autres… Hein les gars !?
Un autre type blond arrive, bouffarde aux lèvres :
– Mais non. Comment veux-tu qu'un boche arrive de par là ? Réfléchis un peu Dugommier. Qui es-tu mon gars ? – Euuuh je cherche Edmond Maurel. – Le sergent ? Et qu’est c’tu lui veux au sergent ? – Baaah voir comment y va. Et puis lui apporter des nouvelles de sa petite sœur… – Eh bien il en a de la chance Edmond. Des nouvelles comme ça, ici ! Bientôt on pourra inviter la famille. Ça sent la fin les gars ! Tiens viens un peu goûter le rata du Corse ! – J'voudrais pas abuser (en forçant l'accent Titi pour la confiance). – Tu rigoles ou quoi !? Des nouvelles de l'arrière que tu nous donnerais le ventre vide ! Ange, refile-lui une tranche !
Un type très brun approche, sort un couteau effilé d'une main et un saucisson noir de l'autre et m'en coupe de mauvaise grâce une mince tranche.
– C'est de l'âne de chez nous, du vlai. À partager avé les amis, pas avé les zazous parisiens…
C'est vrai que je suis rasé de près. Propre. Heureusement que je n'ai pas débarqué en costard ! Eux, sont plus ou moins sales, puent la sueur, portent quasiment tous la barbe, rougeurs sur la peau, des dents manquent aux moins jeunes. On se regroupe autour de moi. Dans mon enthousiasme je n'ai pas préparé de baratin à leur servir. Leurs mines intéressées me prédisent que j'ai eu tort. Merde, où est donc passé Edmond ?!
– (Le blond) Bon alors, comment ça se passe à Paris ? Je suis instituteur à Levallois et toi ? – Du douzième comme Edmond. Bah ça va. Les gens attendent l'armistice quoi.
Un grand balaise surgi de nulle part s'interpose :
– L'armistice !? Mais qu'est-ce qu'il raconte c't oiseau-là !? C'est Clémenceau qui t'envoie nous la faire ou quoi ? Et puis t’es de quelle unité dis-nous ?!
J'ai l'éclair de mon grand-père Georges en 40…
– Je suis belge. Je n'ai pas pu rentrer quand les Allemands nous ont envahis. – Laisse-le tranquille Chabot, il a pas l'air d'un espion… et puis espionner quoi ? La marmite du Corse ?
Rires. Chabot se rebiffe.
– Depuis quand on laisse les civils traverser les lignes !? Merde, je vais faire le chemin à l'envers moi ! – Ouais (fait une voix derrière), en parlant de marmite, les gars du 111e s'en sont pris une hier pas loin, quarante gars y sont restés ! – Bon, tant mieux, dit l'instituteur à ma rescousse, ça prouve que ça sent la fin. C'est vrai mon garçon qu'il n'y a pas si longtemps on t'aurait collé au poteau pour moins que ça… Débarquer ici comme au théâtre ! – M'étonne pas moi (une autre voix), ma dernière perm y avait des bourgeois partout, des femmes que j'te dis pas, d'la musique, les cafés pleins. Les gens f'saient la grimace en me r'gardant. Tu parles que tout le monde nous oublie après quatre ans ! C'est nous qu'on trouve le temps long. – Quand même (Chabot), les gendarmes ! Ce gars qui arrive comme ça. Nous ont fait assez chier ceux-là ! Je m'en vais dire deux mots à Lefort ! – Y z’en ont marre eux aussi. Et puis qu'est-ce qu'on en a à foutre !? (un autre) – Ah bah tiens v'là l'sergent ! – Sergent, y a un pays à vous en visite…
Mon palpitant s’emballe en reconnaissant tout de suite l'Edmond Maurel des photos de sa mère ! Pas très grand. Fine moustache. Le pas décidé. Le sourcil froncé de curiosité. Le gars à qui on ne la fait pas. Me fait penser au personnage de Conan dans le film de Tavernier. Et la voix… exactement celle du type qui est chez lui et qui fait ce qu'il veut…
– Alors, combien de victimes du Corse aujourd'hui !? Si au moins il nourrissait les boches on aurait gagné la guerre depuis longtemps… Ah oui tiens, un garçon élégant, ça nous change un peu le quotidien. C'est pour moi qu’t’es là ? – Oui. J'ai des choses à vous dire… – Eh bien vas-y garçon, dis-moi. – C'est… privé plutôt. – Ah, si c'est privé alors, on passe au salon.
Il me désigne une petite cabane à l'orée du bois que j'aurais pu remarquer en arrivant. Preuve qu'ils sont cantonnés là depuis un moment. Tout est bien agencé à l'intérieur. Du tout fait avec du rien. Des gens débrouillards. Des survivants.
– C'est étonnant ici. – Oui. On se débrouille. Personne ne regrette les tranchées.
Il se met à tousser. Une forte quinte. Il a du mal à s’arrêter.
– Putain de gaz !
Il me regarde.
– J'en ai vu des choses depuis quatre ans mais ça… Je t'écoute.
Mon cœur va s'éjecter d'une seconde à l'autre…
– J'ai pensé que vous aimeriez avoir des nouvelles d'Yvonne (sa petite sœur, ma grand-mère). Elle va bien.
Ses yeux se voilent. J'ai affaire à un humain.
– Vous l'avez vue récemment ? – Oui. C'était… dimanche dernier. – Ah oui où ça ? – À la maison du Bourget. – La maison du Bourget ?!
Putain la bourde ! Yvonne et son mari n'emménagèrent au Bourget que dans les années 30… ! Je me sens rougir jusqu'aux oreilles.
– Vous êtes sûr que vous me parlez de ma sœur ? – Oui oui. Yvonne Maurel qui a 11 ans. Elle me parle souvent de vous. Elle vous admire.
Il sourit. Je respire.
– Parlez-moi d'elle. – Eh bien… Elle travaille très bien à l'école. Ses parents sont très fiers…
Il se redresse. J'ai dû dire encore une connerie…
Un voyage comme celui-ci se prépare. J'ai déconné. Il sait que je lui mens. Je me rappelle Yvonne me parlant de lui. Il a fait toute la guerre. Simple homme du rang en 14, sergent en 18 ; un dur, respecté de ses hommes, qui a gagné ses galons l'arme au poing sur bien des champs de bataille, corps à corps, blessures… … un tonton pas gâteau du tout et qui n'hésiterait pas à sortir sa baïonnette si je continue de lui bredouiller des bêtises…
– Monsieur, vous ne sortirez pas d'ici avant de me dire qui vous êtes !
Le voilà reparti à tousser. C'est fini. Je suis obligé de tout dire sous peine de m'enfoncer davantage. Après tout je préfère qu'il me prenne pour un dingue que pour un espion, un provocateur, ou je ne sais quoi…
– Bon. Vous n'allez pas croire ce que je vais vous dire, mais je peux vous jurer sur la tête d'Yvonne que c'est la vérité. – Dépêche-toi bonhomme, tu retardes mon souper là… – Yvonne est ma grand-mère. Je viens de… votre futur. – Ah tiens on me l’avait jamais faite celle-là. Et personne n'est venu avant aujourd'hui pour arrêter tout ça !? – Non. Je suis le premier voyageur. J'ai choisi de venir ici par respect pour une vieille dame qui a passé le restant de sa vie à vous pleurer, votre mère, Constance. – Continuez.
Il se lève. Prend une timbale sur une étagère et se sert un liquide jaunâtre d'un vieux flacon. Se rassoit. M'invite d'un geste du menton à continuer.
Je ne peux pas croire qu'il est là à écouter l'inimaginable. Je devrais avoir avec moi des photos modernes, d'avions, de fusées, de télévisions… de tout ce qui pourrait lui prouver ma bonne foi. Au lieu de ça… Je le sens intéressé, je continue.
– Vous allez gagner cette guerre Edmond, mais vous n'y survivrez pas.
Il me regarde. Je vois son expression changer malgré l'obscurité de la cabane. Je réfléchis. Je viens d'annoncer sa mort à quelqu'un qui me menace et qui n'aurait aucun mal à me tuer. Je ne peux plus être un plaisantin. Edmond est intelligent. Qui donc oserait venir lui chercher querelle, et en plus dans un contexte qui lui est si favorable ? Lui soutirer de l'argent ? Il sait que je connais sa famille… rien à espérer de ce côté-là. Reste le fou. Mais quel fou arriverait à franchir les lignes ? Et puis, ai-je l'air d'un fou ?
– Continuez. – Les Allemands n'ont plus les moyens de continuer la guerre. Chez eux, la révolution gronde. Ils vont capituler et proclamer une république. – C'en est fini des guerres alors ? – Non. Il n'y aura pas de « der des der »… Bientôt une plus meurtrière encore éclatera. Et puis il y aura la paix en Europe car les nations s'uniront dans une sorte d’États-Unis européens. – Même avec les Allemands !? – Surtout avec eux. Ils seront une puissance économique majeure avec nous. – Mais alors, à quoi bon tout ça !? – Les guerres précipitent toujours les choses. On renaît de nos cendres. La Convention rêvait d'universaliser la République, elle a échoué, mais après elle, rien n'a plus jamais été comme avant. – États-Unis d'Europe… c'est inouï !? – Ce n'est pas encore fait. Les circonstances économiques ne suivent pas et les exigences nationales ont repris le dessus. Et puis comment réunir un Grec et un Suédois sous le même drapeau ? L'Europe vieillit. Les guerres à présent sont économiques avec des pays lointains. C'est pour ça que nous cherchons d'autres ressources. Mon voyage ici en est une conséquence. – Les gens comme vous se promènent ainsi dans le passé ? – Je suis le premier, Edmond. – Et qu'allez-vous faire ensuite ? – Sûrement pas grand-chose puisque l'on ne peut pas changer ce qui s'est produit. Je ne suis qu'une étape. – Pourquoi m'avoir menti sur Yvonne ? La petite est malade et ne va plus à l’école. – Ils sont tous morts avant d’avoir pu me raconter tout cela. Sachez que je suis né en 1954 et qu’Yvonne est ma grand-mère. Vous êtes donc mon grand-oncle. Elle m'a tant parlé de vous et du chagrin de votre mère que je n'ai pu résister à l'envie de venir vous connaître. – Juste comme ça ? – Juste comme ça. – Pouvez-vous me dire la date de ma mort ? – Je peux mais ne le ferai pas parce que je ne peux rien y changer. – Et si vous le pouviez ? – Je ferais beaucoup mieux Edmond. J'irais dans un passé plus lointain où je tenterais d’approcher deux hommes ; Napoléon Bonaparte et Monsieur de Talleyrand. Je les conjurerais d'abord de se réconcilier, ce qui les amènerait à gouverner ensemble après leur rupture de 1807. Je dirais ensuite à Talleyrand qu'il a bien raison de concentrer ses efforts sur la Prusse. Resterait à convaincre l'Empereur que les frontières de son empire de 1810 seront à leur extension maximale. À lui de répandre l'esprit des Lumières d'une façon plus pacifique et de desserrer l'emprise française petit à petit, tout en gardant une armée forte. Plus de guerres. Faire confiance aux peuples, garder l'esprit de la Révolution pendant qu'il en était encore temps. – Belle leçon d’Histoire ! – J’ai beaucoup lu. – Et bel esprit patriotique ! – Pourquoi pas ? Ce serait universaliser l'esprit de la Révolution, et c’est là que ça vous concerne, vous, comme des millions de soldats de tous bords ; plus de Waterloo donc plus de retour des rois en France, plus de Second Empire donc plus de guerre de 1870, et plus de cette guerre revancharde qui va vous tuer Edmond. – Oui, mais peut-être d'autres que l'on ne peut imaginer !? – Sûrement, mais j'aurais essayé au moins…
Nous rions. On ne refait pas le monde sans arroser ça. Il me sert un verre et puis un autre. Nous trinquons.
– Mais comment allez… comment vas-tu t'y prendre pour retourner en… quelle année au fait ? – 2021.
J’enlève mon bracelet, billet de retour, afin de lui montrer le processus qui me fera revenir d'où je viens. J'entends quelque chose tomber à terre. Mais oui, une pièce d'un euro ! Je lui montre. La monnaie européenne. Plus de francs. La preuve d'un futur, avec l'année 2009 gravée dessus ! Il est impressionné. Intéressé plutôt. Je marque un point. Cette lippe un peu moqueuse qu’il gardait depuis le début s’estompe, il doute. Il sort et nous ramène deux assiettes d'un ragoût que je trouve délicieux…
– Ah oui, que je te montre ça, regarde !
J’ouvre le bracelet et lui montre le mécanisme. Un bouton. Je lui explique. Il semble convaincu. Je suis heureux. Nous parlons encore un peu en buvant. Je lui parle de sa mère, mon arrière-grand-mère, dont j'ai quelques lointains souvenirs. D’Yvonne aussi bien sûr, de sa fille qui sera ma mère… Il sourit. Nous buvons encore, j’ai la tête qui tourne de ce vin trop fort.
– Tu vas t’installer là pour la nuit, tu n’auras pas froid.
Edmond devient flou, je m'endors.
***********
Le chant d'un corbeau. Une odeur de feu de bois et de café. Un mal de tête de nos agapes de la veille… Je sors. On me salue.
– Où est passé Edmond ? – Je ne sais pas. – Où qu’est passé le sergent !?
Personne ne sait. On me donne une tasse d’un café clair et brûlant. La canonnade n'est pas loin. Les hommes sont nerveux. Je ne veux pas partir avant d'avoir salué Edmond. On ne fait plus trop attention à moi. Je ne suis plus un danger, ni même une curiosité. Où est-il donc ? Un obus tombe tout près, au milieu du bois ! J’ai peur. La panique me gagne. Vite, je rentre chercher le bracelet !
Où est ce p***** de bracelet !? Pas sur la table. À quatre pattes je le cherche partout ! Il n’est pas dans ma paillasse. Il n’est nulle part. Dehors, du bruit, des cris. Mes mains tremblent dans la poussière, et toujours pas de bracelet !
**********
La première section du 3e RMA fut bombardée ce 29 octobre 1918. Aucun homme ne survécut. Ils furent tous identifiés grâce à leur plaque d'identité, sauf un civil dont personne n'avait entendu parler, et un sergent qui vint grossir le rang des disparus.
**********
À la French Company on se préoccupa un moment de la disparition du jeune ingénieur avant d’abandonner les recherches ; aucune piste ne menait où que ce soit, et puis on avait d’autres soucis. Les actionnaires exigèrent et obtinrent la démission d’un conseil d’administration incapable de s’expliquer sur un trou de plusieurs millions d’euros. Le bruit d’un projet totalement loufoque circula mais ne fut jamais confirmé. Le gouvernement s’en mêla, ce fut un vrai scandale. Dans la confusion, se trouva un SDF souffreteux, débitant une histoire incompréhensible, dont personne ne parvint à expliquer comment il avait pu entrer dans les locaux de la société. Il fut vite expulsé par des agents de sécurité dont le responsable fut licencié.
Quelques semaines plus tard, des agents de l’entreprise tombèrent gravement malades. Des analyses révélèrent l’existence d’une souche grippale très proche de celle de la grippe espagnole, disparue depuis les années 20. Personne ne put expliquer sa résurgence. Une épidémie se propagea rapidement dans le milieu SDF parisien avec un taux de mortalité proche de 100 %. L’un d’entre eux, inconscient, admis dans une unité de l’hôpital Sainte-Anne dans un état grave, décéda rapidement. Son autopsie montra qu’il pourrait être le patient 0.
Les scientifiques s’arrachèrent les cheveux. Alors qu’un vaccin contre la Covid-19 commençait à donner de vrais espoirs de s’en débarrasser, voici qu’un autre virus aurait muté, pour un début d’épidémie beaucoup plus grave, que les autorités ne pourront plus cacher bien longtemps. Comment lutter contre une maladie sans en expliquer l’origine ?
Vous qui avez lu cette nouvelle, êtes bien les seuls à en avoir une idée. N’en dites rien, de toute façon, personne ne vous croira.
Il n’y a, bien évidemment, jamais eu de machine à explorer le temps.
|