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Aventure/Epopée
SaulBerenson : La ligne de démarcation
 Publié le 12/12/20  -  10 commentaires  -  5261 caractères  -  72 lectures    Autres textes du même auteur

Au musée avec Rambo.


La ligne de démarcation


Chez moi ça commence toujours par l'olfactif.


Tout ici sent le béton cassé. Odeurs de nos chantiers où les poudres deviennent murs. Ici, ce sont les murs qui retournent en poussières. Les armatures de béton qui lancent leurs grands doigts rouillés sont des premières menaces qui me font sourire, quoique, la moindre blessure ici, avec cette chaleur…


Depuis le temps qu'Ibrahim me parle de ce musée… je le vois, là-bas, tout au fond. Tableau digne de Lachapelle, aux ocres des pierres qui se mélangent à la végétation d'une guerre qui n'en finit pas.

Un cri me rappelle où je suis !


Un Rambo local montre du doigt le petit garçon juché sur mes épaules. Je suis français, il se marre d'abord, puis m'explique que des snippers sont postés là-bas, de l'autre côté du tertre. Je me soulage du poids de mon fils.

Le milicien hirsute s'agenouille et s'émerveille des grands yeux bleus du bambin dont les petits doigts me pincent la cuisse jusqu'au sang, puis m'interroge vertement sur la raison d'une si candide balade dans un lieu pareil. Je bénis la barrière linguistique qui m'évite l'embarras d'une explication impossible, ou plutôt inavouable, de curiosité frissonneuse mêlée d'une quête d'esthétisme d'un plateau de cinéma qui n'en est pas un.

Ibrahim avait raison, je ne reverrai pas tout ça de si tôt.

Le musée est encore plus beau que mon beau-frère le dit.

Il est fermé depuis dix ans et les arbres commencent à pousser les murs. Au sol, les cadavres ont été balayés. Des chiens faméliques y trottent dans la poussière orange. Çà et là, des colonnes romaines sortent de terre, on y a peint des numéros, à la diable, comme des matricules, en attendant des jours meilleurs. Par ici chaque coup de pelle découvre une archéologie.

Des puces me courent sur les jambes.

Je retrouve Rambo qui me fait signe d'entrer dans ces murs calcinés. Dédales sombres où je colle à mon guide. J'ai repris mon garçon dans les bras, slalomant parmi les gravats, manquerait plus que je m'étale.

Un coup de feu, pas comme à la télé, plutôt un claquement sec qui me rappelle le prof de gym du bahut qui frappait les départs de nos courses avec deux planchettes de bois.

Un autre.

Clac !

Je baisse la tête.

Rambo rit.

Son anglais approximatif m'apprend qu'une balle est plus rapide que le son du fusil qui la tire, et donc, que vous n'entendrez jamais la détonation du tir de la balle qui vous est destinée, puisque vous êtes déjà mort avant… logique !

Je lui argumenterais bien qu'en cas de blessure j'entendrais bien le tir qui me frappe, mais bon, je suppose que dans ce cas je serais bien trop occupé à me rouler par terre de douleur en appelant ma mère, que de me poser des questions de physique des sons, option balistique, pour peu que cette science existe.


Nous arrivons à l'étage, rideaux improvisés de vieilles bâches en plastique qui dégringolent du plafond jusqu'à ce que fut le parquet d'un salon. Au bout, une fenêtre nue bordée de sacs de sable.

Tout là bas, derrière les carcasses rouillées de Mercedes empilées se terrent ceux d'en face.

Un autre claquement. Réflexe. La tête dans les épaules. Penaud.

Un clin d'œil rassure mon ami que j'ai bien compris sa leçon. Une bourrade me répond qu'il pardonne mon manque d'expérience.

Nous rions.

Devenus potes comme larrons en foire, il me montre plusieurs fusils appuyés au mur et m'invite sans détours à m'en servir !

Je décline.

Il insiste, comme à l'apéro…

J'hésite.

Un dernier p'tit coup pour la route… ?

Non vraiment.

J'ai charge d'âme. Là, cet enfant qui ne me quitte pas des yeux et qu'un tir de près terroriserait… sans compter que ceux d'en face pourrait perdre patience et nous envoyer une rocket en retour, comme celles qui ont laissé tant d'impacts en gerbes sur les parpaings environnants.

Il y a des limites à la rigolade.

Je laisse Rambo à cette guerre qui n'est pas la mienne.


Je retrouve mon beauf et sa fille dans la voiture qui nous ramène vers des horizons plus cléments. Ibrahim a 75 ans et conduit comme un parisien ivre. Je m'amuse à penser que l'aventure est peut-être encore à venir dans le soir qui tombe.

Et ça ne rate pas.

Le dialogue en arabe du papa et de sa fille se fait de plus en plus animé sur la banquette avant, et je pige que nous sommes perdus.

Romy me traduit que nous fonçons vers l'ouest, là où il ne faut surtout pas aller. Demi-tour, mais ici rien n'est simple. Des rues qui n'existent plus. Des barrages. Des trous partout. Mon héritier qui me vomit dessus.

Devant, c'est la panique !


Nous sommes à présent sur le Ring, périphérique beyrouthin gentiment surnommé « Ring de la mort » ! Macadam sauvage où herbes et arbustes ont poussé car plus personne ne s'y risque depuis longtemps.

Romy engueule copieusement son papa.

Une odeur me monte à la gorge. Jamais ressentie. Odeur de peur, sans doute, mêlée de vomi du fiston… un poème !

La vieille guimbarde fonce.

Un virage.

Ça y est.

Mon tour operator ralentit, enfin.

Ibrahim nous assure qu'il n'y a plus de danger. Ouf !


Nous cacherons à la sainte famille où nous avons passé la journée…


Je dirai à sa maman qu'Alexandre s'est encore gavé de paklawas.

Ces enfants sont vraiment intenables.


Heureusement que les adultes sont là !


 
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   Anonyme   
16/11/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ouf ! Une histoire intense, chaotique comme la guerre (c'est du moins ainsi que je la perçois), qui me fiche carrément la trouille. J'aime beaucoup ce carambolage savamment entretenu entre visite familiale d'un « musée » et risque réel de rencontrer à tout instant une mort violente. Belle efficacité dans ce raccourci exprimant la précarité de la vie, la nécessité de la vivre au milieu de menaces omniprésentes, et malgré tout de laisser sa place à la joie...

J'ai en revanche une réserve sur la fin, sur votre insistance à signaler que la « sainte famille », et notamment la maman du bambin, n'aurait pas approuvé l'expédition. À mon sens, cela fait perdre de l'impact à l'histoire.
Je n'ai rien à signaler sur l'écriture, sauf ici :
aux ocres des pierres qui se mélangent à la végétation d'une guerre qui n'en finit pas.
J'ai toujours une impression de lourdeur quand je tombe sur deux relatives imbriquées introduites par « qui ».

   plumette   
18/11/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
je me doutais que l'aventure se déroulait au Liban.

je suis dérangée par le ton distancié presque badin d'un récit qui fait froid dans le dos. Pour le choix de ce ton j'ai envie de dire que je n'aime pas mais ce serait injuste quant à la qualité intrinsèque du texte dont j'ai aimé l'écriture un peu sèche et rapide.

La présence de l'enfant souligne le caractère inconscient de la virée dont je n'ai complètement compris le but: le narrateur veut visiter un lieu en ruine ( qu'il nomme musée) dévasté par la guerre?

dommage qu'on n'en sache pas un peu plus sur ce lieu.

Plumette

   cherbiacuespe   
21/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Dire que le Liban était présenté comme la Suisse du proche Orient, un pays ou tout le monde se côtoyait sans arrière pensée, sans problème de confession.

Ce texte pourrait illustrer un reportage journalistique. Le témoignage de ce qui est et de ce qui était. En fond, on sent bien les contradictions, les aberrations, les incompréhensibles querelles qui ressurgissent du fond des âges. Et puis les regrets, la nostalgie, la colère aussi.

Une ou deux petites erreurs d'écriture, peut-être, et encore, c'est discutable. Un témoignage court, une forme de rappel qui interroge, dessine l'éphémère de la société humaine en général.

Cherbi Acuéspè
En EL

   Donaldo75   
22/11/2020
 a aimé ce texte 
Pas
Que c'est confus ! L'histoire pourrait s’agrémenter de souvenirs mais ici ils sont exprimés de manière chaotique, avec une écriture pas vraiment soignée. Je ne sais même pas si c'est un style car là aussi il n'y a pas de fil conducteur - sauf si d'aucun considère que les scories sont un fil conducteur - suffisamment fort pour m'embarquer dans une atmosphère, un genre, presque un univers dont je sentirais la tessiture, la tonalité. Parce que raconter ce genre de faits en mode "vieux briscard" demande quand même du corps dans l'écriture, de la matière pour donner au lecteur l'impression de vivre la scène même s'il n'est jamais sorti de son salon, s'il n'a jamais levé son cul de son canapé. Et puis ça permettrait de faire passer la pilule des passages qui sonnent incongrus - attention, je dis qui sonnent au cas où ce soit réel - du genre le gamin sur les épaules dans un tel contexte de danger permanent. Si c'est une image, juste un moyen de créer un ton, de rendre cinématographique des mots enchâsses dans des phrases, alors c'est gravement raté.

Bref, il y avait certes de la matière mais le résultat final est à des années lumière de l'ambition affichée. La faute à pas de chance dirait ma grand-mère. Moi, j'invoquerais plutôt le manque de profondeur dans l'écriture et la narration, voire l'absence de densité. Raconter c'est plus que relater.

   Charivari   
12/12/2020
Bonjour. Plongée en apnée dans un monde en guerre. Phrases courtes, alternance de désuet et de dramatique, de vie familiale sous fond de fusillade. Le style est efficace, je trouve, un peu décousu, mais efficace. J'aurais aimé voir ça sur un texte un peu plus long, là ça m'a donné un petit goût d'instantanné mais je suis resté sur ma faim et je n'ai pas réussi à saisir ce qu'a vraiment voulu transmettre, sur le fond, l'auteur, et c'est dommage.

   Malitorne   
13/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Toujours ce style télégraphique qui finit par être votre marque de fabrique. Je ne suis pas fan, il me manque du liant, de la consistance, pour vraiment donner corps à l’histoire. J’ai eu la même impression avec votre récit qui relatait des épisodes de la révolution française. Il faut vous rendre compte que ça donne une sensation de superficialité, comme si vous survoliez les évènements sans jamais vraiment rentrer dedans.
Sinon le thème en lui-même n’est pas mal, plutôt réaliste, hormis ce terme « Rambo » qui me semble décalé au regard des circonstances.

   ANIMAL   
15/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une histoire courte, bien menée, qui montre l’abîme séparant les habitants des pays en guerre et ceux qui voient les événements à travers un petit écran, qui ne font que passer et se croient obligés de faire du tourisme de guerre avec une inconscience qui n’a d’égale que leur manque d’empathie. Quant à emmener son enfant avec soi sur le front pour voir un musée en ruine, on touche le fond.
Et tout à coup le narrateur s’aperçoit qu’il a charge d’âme, que ce n’est pas de la rigolade et que cette guerre n’est pas la sienne. Qu’on peut mourir pour de vrai. Je trouve les locaux bien patients avec cet homme à la mentalité assez abjecte. Ils ont une famille à nourrir et prennent bien des risques pour de l’argent.
Le style est bref et saccadé comme la mitraille, les scènes courtes et rapides, les pensées rebondissent. C’est très cinématographique, donne du réalisme à la nouvelle et rend encore plus antipathique ce narrateur irresponsable, désinvolte et menteur.
Y a-t-il une raison particulière pour que le terme « roquette » soit en anglais « rocket » ?
J’ai passé un bon moment de lecture.

   Microbe   
21/12/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
J'ai lu une fois, pas tout compris , qui est Rambo, Ibrahim, Romy, le beau frère, c'est quoi ce musée? ) , mais l'écriture m'a intrigué. J'ai lu les commentaires. Celui de Animal, lecteur plus attentif que moi sans doute, m'a donné une clef de lecture alors je m'y suis recollé.
Oui, effectivement c'est un décalage qui est décrit de cette écriture de sniper qui tirerait à l'aveuglette . Je crois que j'ai compris.
Pourtant, cette formule me laisse toujours dubitative : "Les armatures de béton qui lancent leurs grands doigts rouillés sont des premières menaces qui me font sourire, quoique, la moindre blessure ici, avec cette chaleur…". Je n'y arrive pas, décidément.
Mais peut être que ce que j'ai le plus de mal à appréhender c'est ce que raconte ce texte... la guerre comme square pour détendre les gosses, ce type qu'un tir ramène à son cours de gym, qui commente son éventuelle propre blessure avec distance, qui pourrait prendre part aux tirs comme ça pour le fun, incroyable. Pourquoi fait il ça?

   Babefaon   
22/12/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Une visite pour le moins insolite, sur ce site hostile où une balle perdue peut emporter une vie sur son passage au moindre faux pas.

Je ne juge pas le personnage ni le choix qu'il fait d'emmener son fils courir un tel danger, chacun a ses raisons et parfois l'être humain est contradictoire dans ses actes. C'est certainement ce qui le rend intéressant et moins lisse.

Un ton presque détaché pour narrer cette histoire, qui ne m'a pas particulièrement dérangé et qui, je trouve, va plutôt bien ici pour retranscrire les pensées de ce père quelque peu inconscient...

   Anonyme   
23/12/2020
On pourra se dire qu’il n’y a pas réellement d’histoire, mais je n’exige pas non plus d’une nouvelle qu’elle colle nécessairement aux canons officiels. On peut être surpris de l’inconséquence d’un père portant son enfant sur les épaules dans un tel contexte, mais peut-être, après tout, était-il sincèrement inconscient du risque.

C’est par le style que je trouve des choses qui me plaisent dans ce texte.
Le ton détaché du narrateur, pour commencer, qui loin d’être hors de propos par rapport au contexte, ne fait que renforcer ce dernier, par contraste.
Il y a quelques efforts d’inventivité. Légers comme le fait de remplacer le mot « fils » par le mot « héritier » pour éviter une répétition. Poétiques comme « les armatures de béton qui lancent leurs grands doigts rouillés ». Humoristiques comme « Il insiste, comme à l'apéro… ». De manière générale, une économie de moyens dans les descriptions qui ne me donnent du décor que ce qu’il m’en faut pour me le représenter très bien.
Bon, il y a quand même une formule curieuse : « Une odeur me monte à la gorge ». A moins que le narrateur ne fasse le poirier à ce moment-là, je me demande par où cette odeur a pu pénétrer pour lui remonter à la gorge :-)

Il y a surtout quelque chose de très bien vu et qui peut être considéré comme le basculement de la nouvelle : le décalage temporel entre le son de l’impact de la balle et celui de l’arme qui a tiré. D’un point de vue physique, c’est évident, et tout le monde a fait souvent l’expérience de ce décalage entre l’éclair et le tonnerre, mais je n’y avais jamais songé concernant un tir d’arme à feu. Et dans le cas du tonnerre, on prend connaissance de la cause avant l'effet. Ici, c'est l'inverse. J’en ai eu froid dans le dos, comprenant que je n’avais aucune expérience de ce contexte et que je ne pourrais me fier à mes sensations ordinaires pour m’assurer les meilleures conditions de survie. Là, j’ai moi-même basculé dans quelque chose d’inconnu et d’effrayant.
Le titre de la nouvelle sonne lui-même comme ce basculement, comme la limite entre un monde connu et un autre dans lequel les repères sont très différents.

Pour moi, c’est de loin le meilleur des trois textes que j’ai lus de vous jusqu’à présent.


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