Kotfull, c’était plutôt cool. Il faisait beau et chaud. Alors, oui, l’air était un peu numide, mais tant qu’on ne forçait pas trop, c’était tout à fait supportable. Le capitaine sembla apprécier le calme du coin, et décida que quelques jours de bonne grosse glande ne feraient de mal à personne. En plus, même s’il n’y avait aucune technologie sur cette planète – et donc aucune chance de réparer ce foutu Introducton, les primitifs pourraient toujours leur apporter deux ou trois trucs, peut-être un masque tribal qu’ils pourraient refourguer au musée galactique impérial. Enfin bref, tout ça pour dire que ça glandait dur.
Pendant que Lumi cuisait en plein cagnard et que Tipek sirotait du glandito à l’ombre du Bamak, Von Dutch et Yababoua avaient improvisé un terrain de rugueuby. Pour ça, ils avaient d’abord capturé un couple de tondeusaures qui s’ébattait dans le coin, afin d’obtenir les deux millimètres d’herbe réglementaire. Bon, le terrain n’était pas franchement plat, mais ça rajoutait de l’incertitude aux rebonds du ballon, ce qui était clairement dans l’esprit du jeu. Surtout qu’ils n’avaient pas de ballon, et étaient donc contraints de jouer avec une vieille noix de coco que Klebz avait vaguement retaillée avec ses crocs. Brossard était ravi, lui qui n’avait jamais été très fort avec les rebonds, mais très balèze pour coller des gnons avec ledit ballon. Klebz en fit violemment les frais en se foulant la truffe sur la noix de coco, alors que le perfide duo Von Dutch – Brossard s’envolait vers la victoire, par 12 gnons à 9. Klebz n’avait pas démérité, mais son concombre de coéquipier s’était avéré extrêmement peu doué.
Vexé, Klebz alla passer sa rage en tabassant quelques koukouyes vertes au bord de la rivière. Brossard le regarda avec un sourire amusé, puis retourna se coucher dans son touptulu. L’après-midi passa vite, dans une chaleur écrasante, et tout le monde glanda plus que de rigueur. Le début de soirée pointait le bout de son nez, et Von Dutch commença à préparer le dîner. Mais quelque chose n’allait pas. Il n’arrivait pas à cerner le problème, mais quelque chose de grave était arrivé, il en était sûr. Paniqué, il alla faire son rapport au capitaine :
- Chef, y a une couille. - Encore de la koukouye ? Mais on en a déjà bouffé hier soir ! - Non, non, il y a un problème, chef. - De quelle sorte ? On ne manque pas de pitance, pourtant ! - Bin non mais… - Mais alors quoi, à la fin ? - Bin je sais pas. - Von Dutch, si vous ne me sortez pas quelque chose de censé dans les cinq secondes, je vous colle au regraissage des clavettes du protoniseur !
Abasourdi d’horreur par la menace, l’esprit de Von Dutch se mit à carburer sévère. Quel était donc ce terrible problème sans nom ? Et puis, il comprit : Klebz n’était pas venu lui casser les couilles vingt-trois fois pour savoir ce qu’on bouffait ce soir. Il ne lui avait même pas tourné autour pendant qu’il préparait la bouffe, ce qu’il avait pourtant coutume de faire, et de manière plutôt frénétique.
- C’est Klebz, sir ! Il a disparu ! - Quoi ? - Bin il est pas venu me péter les burnes de toute la journée aux cuisines, et puis… - … - Et puis il n’a même pas essayé de dévaliser l’armoire à gras ! - Diantre ! CODE ROUGE ! CODE ROUGE ! On a un code rouge !!! Mais pas de panique, d’accord ? Il faut avant tout mettre en place un plan d’action avec un Gantt suivi, éventuellement. - On n’a pas l’temps, capitaine, bordel ! Si ça se trouve ils sont en train de le manger et tout, peut-être même sans la moindre sauce ! hurla Von Dutch qui perdait tout son calme. - Von Dutch, reprenez vos esprits et surveillez votre langage ! D’ailleurs fermez-la, ça sera plus simple. Hal, combien de temps nous reste-t-il avant la tombée de la nuit ? - Environ deux heures et demie.
Tipek brama l’ordre d’aller s’équiper dans le justement nommé local d’équipement. Les quatre foudres de guerre se rendirent au lieu indiqué afin de se préparer à péter la gueule aux méchants.
- Équipement de classe 3 avec riposte automatique, pas de charges nucléaires ni bactériologiques… - Oooooh pas drôle, fit Brossard, déçu. - … armement conventionnel, combinaisons polymorphes, bref, tout ce qu’il faut pour la guérilla junglesque et villageoise (il n’y aurait sans doute pas de guérilla urbaine à proprement parler). En avant !
Hal, Brossard, Tipek et Von Dutch prirent le chemin de la salle d’équipement, où étaient stockées les armes, notamment. On y trouvait tout un arsenal d’explosifs, d’armements lourds pour la guerre de position ou pour la défense de bâtiments, mais également des combinaisons furtives pour l’infiltration. Celles-ci étaient d’un rose fluo excessivement voyant mais invisible aux radars et autres lidars. Un module supplémentaire à base de glaglakouada permettait de rendre la combinaison mimétique, et donc de se fondre totalement dans le décor, aux yeux des hommes comme aux capteurs des machines. Certains combattants s’étaient même perdus dans le décor, et on n’avait bien sûr pas pu les retrouver. Il fallait donc manier ces combinaisons avec la plus grande prudence, et ne les utiliser que dans les cas extrêmes. La mission pour laquelle se préparait l’équipage n’était pas vraiment une mission d’infiltration, mais Tipek avait bien envie d’essayer ce matériel fraîchement sorti des ateliers de la Cellule. Le capitaine enfila donc le vêtement fluo, non sans se coincer plusieurs fois les poils des jambes dans l’une ou l’autre glissière magnétique.
Il fallait à présent s’équiper en armes et autres munitions afin de parer à toutes les éventualités. Les indigènes ne seraient probablement munis que de lances, voire d’arcs, mais bon. Une autre civilisation avait peut-être déjà débarqué sur cette planète, s’efforçant de ne pas troubler les habitants primitifs en minimisant les contacts ainsi que les interférences technonologiques afin d’étudier les primitifs humanoïdes. Et ladite civilisation ne verrait sans doute pas d’un très bon œil l’apparition de l’équipage amérionesque au milieu de son labo grandeur nature. Mais bon. Brossard, amateur de grosses armes qui piquent, s’équipa donc d’un gros fusil à canon chié calibre 92 et de quelques chargeurs à projectiles perforants. - Hank vous croyez vraiment qu’on va rencontrer des blindés de catégorie 2 ? objecta le capitaine, plus pour la forme qu’autre chose.
Il prit également une poignée de greunades au gluon, un couteau moléculaire capable de trancher le diamant comme qui rigole (ou le granit, si on n’a pas de diamant), et enfin un blaster à onde déformante.
- C’est rigolo, argua-t-il.
Et en effet c’était plutôt marrant, comme arme de contact. Une simple pression sur la peau de l’adversaire créait une distorsion spatio-temporelle confinée qui avait pour effet de grossir le corps de manière anarchique et variable pendant deux heures. De quoi ôter toute velléité à l’adversaire, et accessoirement provoquer une franche hilarité chez des êtres aussi fins que Brossard en mission. Bref. Tipek choisit un fusil Dassault, trois grenades toussogènes, du gros scotch et une casquette à visière, en cas de soleil. Il régla son bio-implant sur « communications tactiques cryptées » et enclencha un chargeur dans son fusil.
Quelques instants plus tard, tout le monde était armé jusqu’aux dents (sauf Hal qui n’avait pas de dents, par contre il s’était équipé jusqu’aux antennes), pendant que Brossard inspectait la rive, le dernier endroit où Klebz avait été vu en train de faire des conneries.
- Alors, Brossard ? Que disent les traces ? héla Tipek. - Bin, il a foutu de la koukouye partout ce con-là, on y voit rien. Et puis d’habitude, c’est lui qui piste les traces. - C’est pas faux. Wall-ID, tu peux faire un bioscan à rémanence pédestre ? - Sapapossib. - Putain, mais tu sers vraiment à rien, Wall-ID.
Le robot émit un pépiement frustré.
- Lumi ? Une idée ?
Djudju était vautrée par terre, couverte de koukouye broyée. De toute évidence, elle cherchait des traces. C’était plutôt sex, pensa Tipek, mais il se ravisa aussitôt. La vie d’un de ses hommes était peut-être en jeu.
- Et ça donne quoi ? - La koukouye n’est pas fraîche, mais je discerne des dizaines d’empreintes. - Pas étonnant, il a tourné en rond toute la journée. - Non, non, ce ne sont pas des empreintes de canidé. - Quoi ? s’enquit Von Dutch. - Ce sont des empreintes humaines. Des pieds nus. - Ah les salauds ! s’emporta Brossard ! Si ces abrutis de primitifs osent toucher à un poil de queue de Klebz, ils vont la sentir passer !
Lumi se releva, extirpant du sol un étrange objet qu’elle apporta à Tipek. On eût dit un rouleau à pâtisserie, ou encore un pilon à mojito.
- Ce serait pas… ? - Si. C’est un Graugaudh, fit Tipek entre ses dents.
PON ! PON ! PONPONPON !
- Bon. Lumi, filez au LBC, je veux savoir où ils ont emmené Klebz, lancez des drones, faites des analyses imbitables, appelez madame Soleil, je m’en fous, mais trouvez quelque chose !
La sémillante Lumi partit au trot vers l’Amérion afin de débusquer les dognappers. Connaissant le niveau technologique de leurs ennemis, le caporal (que l’on surnommait « Bonnet H à fumer tout de suite » pendant ses classes) songea que l’affrontement serait vite torché. En revanche les autochtones auraient peut-être déjà tué Klebz, pour une raison connue d’eux seuls. Et malgré tout ça l’ennuyait un peu, car elle aimait bien le gros mécanicien, globalement. Elle emprunta le corridor qui desservait le carré, puis pénétra dans le LBC.
« Grmlblrgrmbl d’enfoirés d’indigènes à la con… Pour une fois qu’on tombe sur une planète pas en guerre il faut qu’ils en déclenchent une… » pensa Von Dutch, occupé à faire les cent pas devant la passerelle du vaisseau. « Ces enfoirés d’enfoirés sont vraiment des… des enfoirés ! »
Il fallait très vite passer à l’action, Klebz était peut-être – sûrement – en fâcheuse posture. Une poignée de minutes plus tard, Lumi était de retour.
- Ça y est, capitaine, je sais où ils sont ! brailla Lumi. - Ils sont loin ? Vous avez pu voir Klebz ? - Non, capitaine, dit-elle. En fait, je pense qu’il est enfermé dans une hutte ou un truc de ce genre. A priori ils ne vont pas le bouffer, mais on ne sait jamais, il vaut mieux se dépêcher. Dois-je réveiller du personnel ? - J’ai bien peur que nous n’ayons pas le temps. Il faut partir tout de suite !
La majeure partie de l’équipage était en effet congelée en soute afin de leur épargner les turpitudes du voyage interstellaire. Les réveiller aurait nécessité trop de temps pour être intéressant, et en plus cela aurait nui à la qualité de l’histoire. Seuls quelques membres étaient réveillés tout au long du trajet, afin par exemple de réagir en cas de problème. Et heureusement. Parce que la procédure de réveil consommait l’équivalent énergétique d’une étoile de type 4 pendant toute une journée, ce qui aurait vite fait de mettre l’Amérion sur les rotules. La consigne était donc de garder le régiment d’élite congelé dans la soute, et de ne le mettre sur "décongélation" qu’une fois le moment de sauver le monde venu. Les ordres étaient on ne peut plus clairs à ce niveau, et Tipek n’était pas du genre à passer outre les ordres. On n’allait quand même pas réveiller les Rambo, Naurice, Sigol, Vendam et autres John Spartan tout ça pour un malheureux mécanicien ligoté dans une misérable hutte tissée en fibre de koukouye.
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