Alors on parlait de silence chargé de stupéfaction et d'autres sentiments d'incrédulité massive, mais celui qui succéda à cette révélation (une de plus), c'était du silence pour grand garçon, façon agneaux, quoi. Chacun tourna vers Skofüld des yeux ahuris, sauf Klebz qui avait flairé une bonne odeur dans la direction opposée. Skofüld se demanda un instant s'il n'avait pas dit une connerie. Après tout, il n'était sur ce bâtiment que depuis quelques mois, et il n'avait pas l'expertise d'Hal en sciences fondamentales ou de Klebz en technique pure et dure. Cependant...
- Oui, regardez sur ce schéma, expliqua-t-il en déroulant une grande feuille de flexink sur une caisse à outils. Ici, les circuits primaires, et là une dérivation à double potentiel. Bon, et ici, on retrouve plus ou moins la même chose. Et si l'on calcule les fonctions de Proot entre ce qui rentre et ce qui sort, normal, quoi, eh bien on tombe sur... T=T/L. Ce n'est pas forcément faux, mais en tout cas ce n'est pas vrai. Et l'erreur pourrait venir de là, non ? - Euh capitaine, dit Lumi en interrogeant Klebz du regard. Il se pourrait qu'il n'ait pas tout à fait tort...
Ils virent Tipek passer par toutes les couleurs du spectre (plus quelques-unes pour Hal), puis se calmer pour enfin poser l'ultime question :
- Comment on fait, alors ? - Il suffit de... supprimer le L, tenez : plus de problème (puisque T=T). Klebz, est-ce que vous pensez que techniquement c'est jouable? - Oui caporal, ça doit l'être, en inversant deux trois trucs, oui. - Alors au travail tout le monde, ordonna Tipek. Von Dutch ? - Capitaine ? répondit celui-ci, prêt à agir. - Allez faire à bouffer, et demandez à Brossard de venir avec vous. Euh non, Brossard, cherchez Wall-ID, plutôt. Et flanquez-lui un bon coup de pompe dans la turbine de ma part et de celle de Koostau. - Aye aye, Sir !
Pendant ce temps, à Budapest, ou plutôt quelques centaines de mètres plus loin, Koostau et son équipe avaient pris contact de façon beaucoup plus franche avec la faune et la flore locale. Pulup s'était fait bouffer par une plante plutôt carnivore, et il n'avait dû son salut qu'aux réflexes de Bronkokodh conjugués à la science des armes de Grauzart. Les deux guerriers frappèrent la plante géante avec une violence inouïe, et cette dernière n'eût d'autre choix que de recracher l'infortuné Pulup. Il s'en sortit donc, mais plein de bave. Mais bon. Bulk s'était quant à lui pris les pieds dans une racine quelconque, et s'était donc étalé comme une grosse brêle, le nez dans la mousse du sous-bois. Il boitait donc, ce qui ralentissait quelque peu l'allure de la petite troupe.
Après une heure de marche, ils commençaient à être obligés de faire d'importants détours pour contourner des débris de la Kalüpsauh hauts de plusieurs dizaines de toumètres. Les morceaux encore fumants empuantissaient l'atmosphère déjà saturée de vapeurs humides et putréfiées. En gros ça schlinguait velu, quoi. Koostau avait immédiatement ordonné à tout le monde de se munir d’un graumaskagaz, craignant que des pressions de vapeurs toxiques ne finissent sournoisement le boulot de génocide brillamment entamé par Wall-ID. Bulk, jamais en panne d’un bon plan, brancha sur son auxiliaire une cartouche d’huile d’hubuskus pour masquer un peu l’odeur fétide qui continuait de circuler dans son graumaskagaz. L’intrigante odeur d’hubuskus lui monta au cerveau, et soudain il se sentit léger, léger… tout intrigué.
L’équipée restait circonspecte devant chaque débris de la Kalüpsauh, cramé au énième degré, et chacun s’essayait à deviner de quel bout du vaisseau il s’agissait. À ce petit jeu, Steinbock s’était montré le plus finaud, puisqu’il était parvenu à identifier les restes des urinoirs à pression négative, ce qui n’était pas rien. Grauzart poussa un long soupir, au détour d’un gouinassier en fleurs, en retrouvant son casque préféré ainsi qu’un bout de son plumard qui avait été éjecté de la Kalüpsauh en feu. Il retrouva même son graunaucycle qui avait traversé l’atmosphère à mach 12 pour venir se loger dans la gueule d’une espèce de tétaré qui n’avait manifestement pas vu le coup venir. La bestiole gisait, l’air complètement séchée, les neuf pattes en l’air (il en manquait manifestement une, arrachée par la violence de l’impact).
- Capitaine, capitaine ! hurla Pulup qui ouvrait la marche. - Qu’y a-t-il ? fit Koostauh en se tournant vers Pulup, qui gesticulait dans tous les sens du haut d’un petit promonteuhar en granüt. - La Kalüpsau, capitaine ! La voilà ! On y est ! Hourra !
La joyeuse petite troupe se mit au pas de course jusqu’à la position de Pulup, au sortir d’une petite forêt de kagubiers à lianes astringentes. Et là, tout le monde stoppa, dans un moment d’intense recueillement : la Kalüpsau s’offrait à eux, encore fumante et salement amochée, mais toujours fière, dans toute sa splendeur de vaisseau blessé…
- BON KLEBZ ÇA VIENT ? s’impatienta Tipek qui sirotait un peutitéglassé à l’ombre de l’Amérion. - Oui chef, ça vient, mais heureusement que Skofüld est là ! Il a du génie ce p’tit gars ! Sans lui on n’aurait jamais débusqué cette erreur dans le code source de l’Introducton ! - Certes, mais concrètement, on en est où ? - J’ai fait le câblage, et Lumi vient de vérifier le montage. Il ne reste plus qu’à grauploader le patch que Skofüld a écrit dans le BIOS de l’Introducton, et ça devrait être bon. - Combien de temps avant qu’on puisse remettre les bouts ? - Boah vous savez, c’est un OS qui tourne en temps réel avec deux sémaphores, donc ça sera pas bien long. Nan, ce qui va nous retarder, c’est surtout d’attendre Koostau et les autres… - Très bien, faites ce que vous avez à faire, moi je vais en profiter pour aller faire un petit tour. Von Dutch ? Vous venez ? Lumi attendit que Tipek et l’intendant se soient un peu éloignés pour se remettre au travail. Elle avait besoin d’être au calme. Non pas que Tipek fut un chieur, mais la complexité de l’algorithme mis au point par Skofüld exigeait une très grande concentration pour son implémentation, aussi voir Tipek et Von Dutch le plus loin possible n’était pas un luxe. Maïkeule vint checker une dernière fois la stucture du programme, puis il fit le transfert de Matlab vers Simulink. Le prompteur de la console se mit à clignoter, puis il commuta, signe que le langage interprété avait bien été compilé.
Klebz, Lumi et Skofüld regardèrent les lignes de commandes défiler. La fonction de transfert de l’Introduction effectua son initialisation sans concombres, puis la boucle de retour permit de calculer l’erreur statique du process. Avec la première itération, le correcteur d’ordre 4 put prendre le relais : il calcula la transformée de Laplace, puis discrétisa le signal via une FFT dans l’espace des Z, en prenant bien soin de rester dans le domaine de stabilité de Nyquist. L’Introducton se mit alors à vibrer, pas longtemps, juste le temps que le correcteur intègre le signal pour calculer son asservissement dynamique par un filtrage de Shubi-Toumytchev. L’Introducton émit finalement un bruit sourd, signe de son bon fonctionnement. Tout le monde hurla pour saluer l’évènement incommensurable que cela représentait : avec l’Introducton en bon état de marche, ils pourraient bientôt rentrer chez eux.
Et tandis que Klebz congratulait Skofüld, Lumi ne put s’empêcher d’adresser un regard enflammé – à la limite de la lubricité – à ce dernier. Elle était aussi époustouflée qu’émoustillée par la fulgurante réussite scientifique de cet homme qui, quelques mois auparavant, vivait encore dans une hutte toute pourrie et gagnait sa vie en fumant des harengs.
|