Klebz n’en menait pas large. Sanglé dans son harnais, queue comprise, le première classe était complètement contraint. Le supplice du Baukval était insoutenable, et l’angoisse du crash, imminent, n’aurait pu être atténuée que par des allers et retours frénétiques entre sa couche et le capitaine. Malheureusement le bon sens voulait qu’il reste dans son fauteuil, et il fallait bien se faire une raison, tout le monde étant logé à la même enseigne. ‘chec, pensa-t-il, pas de côtelettes. La truffe sèche et l’œil humide, Klebz posa finalement une papatte affectueuse sur le genou de Brossard, en signe d’ultime réconciliation avant ces quelques instants qui seraient peut-être les derniers à vivre. Brossard n’y prêta qu’une attention toute relative, perdu dans ses pensées. Il aurait bien aimé avoir une femme, histoire d’y penser un peu, se dit-il. Sa dernière tentative de séduction s’était soldée par un échec cuisant, à base de vomi de petit-déjeuner sur les genoux de la demoiselle en question (qui s’était enfuie sans demander son reste, on la comprend). Portant son regard sur la délicieuse Lumi, il sentit monter en lui l’envie de lui coller un bon coup d’antenne dans la parabole. Laquelle Lumi, attachée dans son siège, sa lourde et opulente poitrine comprimée, les cuisses offertes sur le cuir noir du fauteuil, attendant peut-être que… euh… Hrm bref. Lumi, donc, ne cessait de repenser à la conversation interrompue avec Hal. Où allaient-ils, tous ? Quel étrange destin les attendait ? On court droit à la catastrophe, hurlait en son for intérieur Tipek, comme pour répondre à Lumi. De toute façon, cette mission pue la mort depuis le début. Le capitaine, au poste de pilotage (même s’il ne pilotait plus grand-chose), portait la lourde responsabilité d’un équipage confiant. Et il avait transmis cette responsabilité à l’être le plus vil et le plus débile de la création, Wall-ID. Yababoua, quant à lui, captait toutes ces bribes de pensées et, fort de son intelligence supérieure, avait bien compris qu’ils étaient tous dans le pétrin. Seul cet abruti de Wall-ID pouvait sauver la mise, et ils se retrouveraient dans le meilleur des cas perdus sur une planète inconnue, sans ressources… Le vaisseau brassait de plus en plus l’équipage et la tension se faisait palpable, pour sombrer dans le lieu commun.
- Paré pour le lancement de la procédure, Wall-ID, éructa Tipek. - Mo ka paré, kapitaine ! - Quand tu veux ! - Oké. 5, 4, 3, 2, 0 !
Une terrible déflagration à base de tritium se fit entendre à l’arrière du vaisseau, soumis à d’infernales contraintes de dislocations coin. L’ensemble de la carlingue ondula afin d’absorber l’énergie de déficit (liée au mouvement linéaire de restriction cinétique). L’instant critique était arrivé. Encaissant plusieurs dizaines de milliers de G, l’Amérion entama une descente vertigineuse, quittant sa position semi-orbitale pour piquer vers un continent incertain, à demi masqué par la couverture nuageuse de la planète mystérieuse.
- On va trop vite, Capitaine, hurla Brossard, les équipements ne vont pas résister ! - Wall-ID, fais quelque chose ! - Mo ka pa savé, kapitaine, mo ka met musik ? - Mais non ! Lumi, quelle est notre altitude ? - Elle change tout le temps capitaine ! - Bon, alors lancez l’ouverture des parachutes de secours ! - Bien reçu !
Le vacarme étourdissant qui régnait dans le cockpit fut ponctué par l’ouverture de la trappe ventrale de l’Amérion, laissant sortir trois énormes voiles en polypropyl-2,5-ol-3-ène.
- Alors, Lumi, est-ce qu’on ralentit ? - Non capitaine, au contraire, on accélère, on a gagné du poids en larguant les parachutes ! - Damned. Tant pis, préparez-vous à l’impact !
La verrière du cockpit fut soudainement entièrement obturée par une sorte de gros ballon rose (la couleur avait été choisie par la femme du designer, une sombre histoire de pot-de-vin) d’environ 80 kilotoumètres de diamètre. Du coup on ne voyait plus rien, et l’attente se fit de plus en plus insoutenable. Les secondes défilaient avec autant de lenteur que des heures, Klebz faillit poser une terrine dans sa combinaison, et Lumi se mit à gémir (ce qui détourna quelques instants l’attention de l’équipage). Puis ce fut l’impact. Terrible. BOUM. Enfin, pas tout à fait boum… Quelque chose de plus mou… Flom, peut-être. Puis un énorme bruit, long, qui oscillait avec hésitation entre le ronflement de Von Dutch après une grosse caisse et les flatulences langoureuses de Klebz en sortie de cassoulet. L’airbag de crash se vidait, répandant ses dix mille mètres cücübes de fréon méthané dans l’atmosphère et faisant parvenir du même coup une effroyable odeur de pet aux narines des membres de l’équipage qui n’avait pas fermé leur Baukval. Cette exhalaison passait à travers tout, y compris la carlingue de l’Amérion qui tirait un peu la gueule, il faut bien le dire. Un véritable miracle, cet atterrissage forcé. Par sympathie et en signe de détente, Klebz laissa échapper un pet cuivré et louvoyant, étouffant un petit rire avant de percuter que sa combinaison de confinement n’en ferait profiter que lui-même. Tout le monde lutta pour s’extraire des fauteuils à moitié défoncés par l’impact. La première chose que fit Klebz fut d’enlever sa combinaison. Il s’extirpa avec bonheur de son espèce de malabar rose gluant de sueur, fit une grimace en se tordant la queue, puis envoya bouler son équipement dans la gueule de Wall-ID qui traînait dans un coin, les roulettes en l’air, désactivé. Brossard expliqua à tout le monde qu’il valait mieux ne pas traîner pour enfiler les équipements de sortie. Il y avait effectivement tout lieu de penser que la coque de l’Amérion avait été percée à l’impact, au moins partiellement, et les gaz irrespirables de cette foutue planète s’infiltraient dans l’habitacle, non sans charrier les résidus de gaz radioactifs de l’airbag.
- Rhâââ, on n’est pas encore sorti que c’est la planète qui vient à nous, râla Von Dutch. Ça commence bien.
Il ne pouvait pas savoir à quel point il avait raison.
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