La suite est assez banale, en fait... Enquête, extradition, arrestation, garde à vue, perquisition, détention provisoire, jugement, condamnation. À mort. Appel, re-jugement, re-condamnation à mort. Là j'ai expliqué à mon avocat qu'il fallait peut-être arrêter les frais, que comme au casino la maison gagne toujours. Et vu la gueule du gros lot valait mieux s'arrêter là, on n’aurait pas mieux. Non en réalité ce qui est vraiment bizarre, c'est comment j'en suis arrivé là. C’est vrai qu’à la base, déjà, j'étais pas franchement prédestiné à finir sur une chaise, électrique ou à roulette. Je crois que tout a commencé à vraiment se casser la gueule deux ou trois jours avant mon arrestation.
Je me suis présenté à l'entretien d'embauche, normal, pas stressé, même. Faut dire aussi que le boulot pour lequel je postulais, on doit pas être nombreux à le pratiquer. Les croquemorts se comptent sur les doigts du pied, dans la région. Donc ils avaient besoin de quelqu'un, et comme prendre des intérimaires pour "augmentation temporaire d'activité" c'est pas trop le genre dans la branche, m'expliquait le patron, ils avaient eu un peu de mal à trouver. Bon, j'étais là. Le type s’est levé, m’a serré la louche et m'a expliqué que j'avais rendez-vous à 10 h avec un autre de la boîte dans une résidence secondaire de parigot, pas bien loin. "t'reste une demi-heure pour y aller, mon gars". Je faisais équipe avec un de ces trois mecs qui m'avaient regardé d'un air un peu dense à l'entrée. Incapable de dire lequel, par contre... "Le brun avec une moustache". Ha. Marrant, ça. Après avoir déterminé lequel des trois bruns à bacchantes allait avec moi, j'ai pris mon costard et je suis allé me changer. Dix minutes plus tard, Mathias et moi étions dans le fourgon, AC/DC à toc de balle et les fenêtres grandes ouvertes pour dissiper l'odeur du joint.
- C'est où exactement ?
Mathias regarda l'ordre de mission, tourna deux trois pages dans un sens, puis dans l'autre.
- Euh... Bosc-Roger en Roumois...
Il se tut, sans doute le temps d'examiner plus en détail l'adresse et les informations en tous genres.
- J'y suis allé la semaine dernière. Ils sont tous vieux dans cette famille... Bizarre, d'ailleurs... D'habitude y'a toujours une blondasse éplorée, tu vois l'genre, larmichettes et gros décolleté... Là-bas tu peux t'la foutre sur l'oreille, crois-moi ! - Mouais... marmonné-je, en remontant le son de l'autoradio.
On encore roulé quelques kilomètres, croisé trois vaches et autant de pécores, et Mathias m'a indiqué un chemin de terre qui partait sur la droite, entre deux champs. On a roulé, enfin cahoté sur une ou deux bornes de chemin pourri, puis on a aperçu une grande bâtisse.
- C'est là. Bah tourne putain. Tu dormais ou quoi ? - Merde c'est grand. Au fait ils sont pas tous vieux, normalement. - Euh, normalement non, mais ils doivent pas être là les proprios... Tiens tu vois y'a pas de voitures.
Il n’y avait devant la maison qu’un gros 4x4 dégueulasse et fatigué... Et effectivement il ne s'agissait pas d'un macchabé parisien, plutôt d'un des ploucs qui gardaient le manoir en temps normal. A priori. On a été accueilli par une vieille en noir, mais pas le noir bien noir des sapes ordinaires pour le deuil. C’était un noir de cérémonie, qui pouvait convenir à toutes sortes d'événements. Taché de boue, d'ailleurs. Pas étonnant, dans un coin comme celui- ci. La baraque était vraiment imposante, avec ses trois étages farcis de colombages et son toit en chaume. Des géraniums poussaient, peinards, dans des jardinières à chaque fenêtre. Avant d'être rentré on pouvait affirmer que l'intérieur empestait l'encaustique du nouveau riche qui passe deux jours par an dans des vieux meubles. La vieille nous a salués d'un air entendu, du genre "c'était un brave homme vous savez". Non on savait pas et on s'en branlait, pour être honnête. Mathias a pris sa valoche à malices, moi la mienne et on est entrés. Un couloir, puis l'autre, et on a découvert un vieux dans son plumard, en pyjama rayé. Vu la gueule de la piaule, ça devait pas être celle des propriétaires. Un vieux tableau représentant une scène de chasse était accroché au mur, entre une armoire normande et un fauteuil défoncé.
- C'est bon, madame, merci. On s'en occupe, a fait Mathias à la vieille en la virant.
Il a refermé la porte, et a ouvert sa valise.
- Tiens.
Il m'a tendu un gros flingue et en a sorti un autre. J'ai pris l'engin, je l'ai posé par terre et j'ai mis une bandoulière à ma valise, pour avoir les mains libres. À ce moment-là j'ai regardé Mathias. Il m'attendait, un pétard dans chaque main. Un pour fumer et un pour tuer. Il a tiré une latte sur son joint, l'a collé au coin de bouche et a ouvert la porte d'un coup de godasse bien bourrin. La vieille a rien compris. Elle a juste eu le temps de saigner un peu de la gueule, et finalement elle a décidé de mourir.
- Allez, une cliente de plus, a rigolé Mathias.
Connard. On a cherché les autres. On les a tous butés. Le plus jeune a essayé de faire un peu de résistance dans la cuisine, mais quand on a découpé sa femme en morceaux, il s'est rendu pour qu’on arrête. On l'a buté aussi.
- Bon. C'est par là, a affirmé mon collègue en enjambant un cadavre.
On a pris le grand escalier, et on est monté jusqu'au deuxième. Putain de baraque, décidément. Dans la chambre principale, on a viré le lit. Mathias voulait le balancer par la fenêtre, mais je lui ai fait comprendre que ce n'était pas vraiment utile. Il était de plus en plus con, ces derniers temps. De ma valise j'ai sorti deux pieds de biche, un peu petits, tiens. Au pire j'en avais un plus gros dans la bagnole. On a entrepris de délatter le parquet, et là on n’a rien trouvé. On n’a rien trouvé, putain de merde. Trois mois d'infiltration pour Mathias et autant de planque pour moi, et on n’a rien trouvé. Enculé de Tim. Ce fils de pute nous avait filé un tuyau percé.
Deux heures plus tard, on a eu fini de fouiller la maison dans son ensemble. Y'avait pas grand-chose à voler. Quelle merde. On s'est donc retrouvés avec cinq cadavres, pas un résultat, et un connard de patron qui allait s'inquiéter d'ici pas longtemps, et peut-être appeler les flics. Normalement, normalement on aurait dû foutre le camp depuis longtemps, mais pour aller où bordel ? Tout ce qui nous restait à faire c'était... Putain j'en savais rien. Mathias a eu la brillante idée de buter le curé qui était venu administrer les derniers sacrements au premier mort. On n'était pas assez dans la merde comme ça. On allait sûrement se faire massacrer par les flics, et cet abruti de Mathias venait de nous griller avec un éventuel Dieu. Je suis allé dans la cuisine, j'ai picolé un peu, histoire de me filer du courage. J'ai roulé un joint, je l'ai allumé et je me suis assis sur un plan de travail carrelé de blanc. Un peu saignant, le carrelage blanc... J'ai fini mon joint et je me suis mis à réfléchir. Grave erreur, ça, de réfléchir avec un joint dans la gueule, surtout au milieu d'un tas de morts. Je suis allé flinguer Mathias. Il aurait pas fallu qu'il me cause des emmerdes, celui-là, et puis c'était un gros con de toute façon.
Trois heures après, j’étais en route vers le dépôt. Le patron avait appelé et j’avais dit que tout allait bien, qu’on s’était perdu, bref les conneries d’usage. J’avais juste eu le temps de charger les six cadavres à l’arrière de la camionnette, et je m’apprêtais à en ajouter d’autres à la liste. À défaut de pognon j’avais décidé d’avoir la tranquillité. J’ai roulé un nième joint, d’ailleurs j’ai failli me foutre en l’air dans un poids lourd qui allait dans l’autre sens. Putain j’étais complètement défoncé. Le nettoyage de la maison de campagne avait pas été une partie de plaisir, surtout quand il avait fallu retrouver les bouts de la nana découpée. Bon, j’avais tout ramassé, mais j’avais été obligé de buter le chien qui avait chopé une jambe dans sa niche, dehors. M’avait donné du fil à retordre ce bâtard. J’aime pas faire du mal aux bêtes, mais là il fallait, désolé. J’ai tourné en rond pendant dix bonnes minutes dans la zone industrielle, puis j’ai trouvé le dépôt. Mon patron attendait devant la porte, fumant et pestant.
- Bah alors vous étiez où ? Et Mathias il est où ?
À croire que cet abruti ne savait pas faire d’autres questions que ça. Je lui ai enfoncé le canon de mon arme suffisamment profondément entre les côtes pour que ça ne fasse pas plus de bruit qu’une portière qui claque. J’ai mis sa carcasse avec les autres. Au point où j‘en étais rendu... J’ai jeté un coup d’œil à l’intérieur. Bien, personne. J’avais pas vu de camionnettes ou d’autre véhicule, à part la Lancia du patron sur le parking, mais bon. On ne sait jamais. Je commençais doucement à redescendre de mon trip, alors j’ai roulé un autre pétard dans le bureau. Le téléphone a sonné. Putain c’était les flics. Croyez-moi : je suis redescendu vite fait de mon petit nuage. Ils m’ont posé des questions, où j’étais le matin, etc. Ils ont pas été mauvais, les flics, je peux vous le dire, parce que faire le lien entre une baraque vide, des coups de feux entendus par les quelques paysans du coin et mon patron, c’était pas joué d’avance. En plus les paysans en question passent plus de temps à se poivrer la gueule qu’à faire quoi que ce soit d’autre, y compris dormir, donc au niveau crédibilité... Ils m’ont foutu la paix, j’ai allumé mon joint et j’ai composé le numéro qui va bien.
- Ouais, c’est qui ? - Vincent. - Pourquoi t’appelles ? - Y’a eu une merde. La baraque était vide. - Et alors ? - Bah maintenant elle est pleine de flics. Il est là ? - Non. Qu’est-ce que tu lui veux ? - Dis-lui qu’il aille se faire enculer à sec avec une poignée de graviers. J’arrête. C’est le deuxième plan foireux qu’il me fait. C’est fini. J’ai un gros tas de viande froide qui m’encombre et Mathias est mort. - ... si t’arrêtes t’es mort aussi. - ... va chier.
J’ai raccroché. Putain ces réponses je les ai sorties un paquet de fois, mais jamais j’aurais cru les entendre. J’aurais pas dû appeler... Ça m’aurait permis de gagner quelques jours, peut-être. J’ai vite compris en entendant les sirènes de police qu’à peine un instant après avoir raccroché, l’autre enculé avait prévenu les flics. J’ai juste eu le temps de sauter par-dessus la clôture et d’arrêter une bagnole à un feu rouge. Un bon coup de poing dans la gueule a raison de n’importe quel conducteur, aussi réfractaire soit-il. J’ai roulé une heure ou deux, et je me suis arrêté dans une baraque de cantonnier abandonnée, vers l’A13, je crois. C’était pas le Ritz mais au moins j’aurais la paix pour cette nuit. De quoi cogiter un peu, même si j’étais dans la grosse merde. Des luttes de pouvoir intestines au sein de la CIA et du FBI avaient eu raison de l’intégrité de mon pourri de chef, et il fallait un bouc émissaire, je suppose. J’y comprenais pas grand-chose à tout ce merdier, on ne m’avait pas recruté pour mon intelligence, faut pas se leurrer. En tout cas je faisais office de fusible, j’avais vu trop de copains se faire baiser avec ça pour ne pas m’en rendre compte.
Le lendemain matin vers 9 h les flics ont déboulé. Putain comment ils ont su ?
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