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Sentimental/Romanesque
solidane : Ombres chinoises
 Publié le 15/12/08  -  10 commentaires  -  6018 caractères  -  33 lectures    Autres textes du même auteur

Comment faire un résumé quand il n'y a pas d'histoire...


Ombres chinoises


D’où je suis assis je les vois. Je suis entré dans cette cafétéria, il y a plus d’un quart d’heure, en compagnie d’amis, repas rapide, nutrition du midi. Ils étaient déjà là, debout, à guère plus de quelques centimètres l’un de l’autre, sans se toucher. Je les ai remarqués rapidement car pendant le laps de temps qu’a duré l’installation de notre tablée, ils n’ont pas bougé. Qu’attendent-ils ? Des places libres ? Il n’y a que ça, ce n’est encore pas la foule. Des convives de dernière minute ? Mais de là à ne pas remuer ne fut-ce que d’un cil ?


Je participe à la conversation de mes propres comparses de restauration minutée, nous ne disposons de guère plus d’une heure, tous plats et note compris, et mon regard revient régulièrement à ce couple si particulier. Station debout à l’entrée de la salle de restaurant, près des toilettes, lui de profil tête baissée, regard au sol probablement, n’ose-t-il donc lui adresser la parole, excès de timidité ? Elle de trois quarts semble ne pas s’intéresser à lui, pourtant elle ne l’a pas quitté un instant, attend-elle qu’il débute une conversation ? Le temps passe et chaque fois que mes yeux s’immobilisent sur eux, je ne peux que constater l’immuabilité de leur position.


Jeunes sûrement, elle jolie, lui qu’en sais-je ? Leur immobilité les fond dans le paysage, simple élément décoratif ; les clients amenés à croiser leur chemin sont indifférents à leur présence, et si quelques regards se lèvent sur eux au hasard de la rencontre, ils ont vite fait de les quitter, de passer à autre chose. Aucun intérêt ! Et pourtant, c’est bien ce qu’ils font : m’intéresser. Les questions qui m’agitent tiennent justement à la difficulté que j’éprouve à me les poser. Sont-ils ensemble ? Se cherchent-ils ou s’ignorent-ils ? Il faudrait un minimum de mouvement pour donner un premier sens à la moindre question. Mais là il n’y a rien, c’est prodigieusement étonnant. Ils sont comme… pétrifiés.


Je décide de les oublier, m’intéressant plus à la conversation que me sert ma propre table. Amis et collègues, difficile d’échapper au professionnel, c’est pourtant une situation que j’évite le plus souvent. Rien d’inintéressant, encore moins de stérile, mes oreilles suivent parfaitement le mouvement, mais mon regard s’évertue obstinément à revenir au couple mystérieux. J’éprouve de la sympathie pour leur silence dans cet endroit bourdonnant, me sens prêt à les inviter, qu’ils prennent enfin vie. Respecte donc leur désir d’immobilité, leur patience inhabituelle en cette ruche qui enfin s’emplit pour dans le même temps se vider. Gros soufflet qui ingurgite pour mieux expulser, digestion avide et rapide, trop rapide, de cette gargote sans âme.


J’ai parfois l’impression qu’ils se sont rapprochés l’un de l’autre, qu’une main s’est légèrement levée, un premier signe. Ce n’est qu’illusion, ils semblent bel et bien figés pour l’éternité. Ont-ils quelque chagrin caché, inexprimable, un besoin de souffler avant de se précipiter au cœur de ce malstrom, gros ventre boursouflé et toujours avalant ? La prise de conscience subite de l’endroit où je me trouve me pousse à penser que leur attente inquiète est de juste raison. Qui s’offrirait en pâture à une telle plante carnivore ? Et s’ils esquissent un pas vers une table pour enfin s’installer, rien ne dit que je ne m’interposerai pas pour les en dissuader.


Le lieu n’a rien de triste, les rires fusent régulièrement, sautent d’une table à l’autre, serpentent pour éviter celles où des conversations plus sérieuses, trop sérieuses, ont fait leur nid ou celles qui chuchotent dans une parodie de respect du voisinage. Le respect, l’harmonie, voilà bien de quoi se fiche le titanesque estomac, lui il digère sélectivement, la mécanique est parfaitement rodée ; un rot peu sonore, exit la table quinze, bienvenue table quinze. Tout est assimilable, omnivore surentraîné, seuls ces deux êtres insignifiants lui sont inaccessibles. Eux ou d’autres, l’important est de remplir.


Quelle étrange force m’a poussé à faire de ce couple un sujet d’intérêt au risque de délaisser un peu mes amis ? À les bien regarder, ils me semblent soudain bien éloignés, tous petits, perdus dans ce vaste décor qui invariablement poursuit l’engloutissement de nouveaux clients et leur lente mastication en attendant les suivants. Notre propre digestion n’a encore pas commencé que le ventre songe à se débarrasser de nous. Il nous a broyés, sucés jusqu’à la moelle, plus rien à exploiter. Alors même que notre dessert est ingurgité, je me lève et me dirige vers les toilettes avant de rejoindre mes amis dans la salle attenante où nous prendrons le café. Passant près du couple, je décide une dernière fois de les regarder en les croisant. Et comme mes yeux se lèvent sur eux, je m’aperçois qu’ils ont disparu, envolés. Je marque un temps d’arrêt, légère pause ahurie, n’ont-ils donc jamais existé, simple illusion engendrée peut-être par cette bouffe trop riche, saturée ? Difficile à croire, ils étaient si présents, je n’ai pas rêvé. Je secoue la tête légèrement sonné, mais aussi moyen expérimenté pour les oublier. Après tout ils n’ont jamais eu d’intérêt, et en tout état de fait n’ont jamais esquissé le moindre mouvement qui aurait pu leur en donner.


Je franchis la porte des toilettes, cherche mécaniquement le lieu qui m’est dévolu. Et mes yeux s’arrêtent sur une première porte. Elle est là, je la reconnais, la même personne, la même forme stylisée et inerte. Elle a quitté son compagnon, petite ombre chinoise appliquée sur un panneau argenté d’à peine quatre cents centimètres carrés. Sous son effigie on a inscrit ce simple mot « Dames ». Je prends alors conscience de cette étrange immobilité, de sa raison d’être. Je dirige mes pas vers une autre porte, je sais déjà qui je vais y trouver. Il est bien là, les yeux toujours baissés, pas plus grand qu’elle, et sous sa silhouette fixée gît ce simple terme « Messieurs ». Inséparables, ils semblaient être à jamais, et ce n’est pas le temps qui les aura séparés.


 
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   victhis0   
15/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
me suis bien fait avoir...Une idée très amusante, une plume jolie, un peu conservatrice sur les bords mais bien faite. Le rythme est un poil lent et je regrette les redondances de"mes amis" qui sont un peu lourds : tu aurais pu varier les plaisirs (collègues, fréquentés professionnels, obligés du quotidien, etc.). Mais ce détail ne gâche pas un texte malin!

   Menvussa   
15/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai tout de suite pensé à ces petites figurines. Après je me suis dit que peut-être une affiche... mais ce sont bien ces logos de portes de locaux d'aisance. C'est bien écrit, mais le fait d'avoir deviné un peu vite a enlevé de l'attrait au récit.

   xuanvincent   
15/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
La catégorie "sentimental-romanesque" m'a quelque peu faussé la lecture. Si l'intérêt du narrateur pour ces étranges figurines m'a, à la fin de la lecture, paru assez curieuse, comme victhis0, la chute m'a surprise et amusée.

Ce texte m'a paru bien écrit dans l'ensemble.

   FABIO   
16/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Je serais bien incapable d'en faire autant , l'intrigue est bien amené
Le style est propre sans grandes envolées ce qui n'est pas pour me déplaire. Bon travail mon ami

   widjet   
16/12/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
En fait, j'ai eu du mal à visualiser la scène et donc à me projeter dans cette ambiance un peu étrange et bruyante. L'écriture est certes perfectible mais hormis quelques répétitions, cela tient la route. Le rythme, en revanche est assez longuet, le risque de décrocher est présent. Le final, amusant. Sans plus.

Widjet

   Claude   
21/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai beaucoup aimé ce rythme lent. Tourner en rond sans rien dire est parfois lassant pour le lecteur, mais c'est ici justifié, et particulièrement bien fait. Je n'ai pas su deviner la chute, ce qui a ajouté à mon plaisir.

   Anonyme   
26/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
hmmm premier texte que je lis de l'auteur(e?) si je ne me trompe...
Et puis j'ai aimé voilà!
Ressenti semi-érotique, peur de l'acte manqué, petite perversion voyeuriste, je m'attendais à tout... sauf à l'évidence.
Le style détourne parfaitement du sujet principal, il est léger, facile à suivre, imagé, fluide...
Bref, bref, bonne surprise, pour ce soir de Noël...
Pas mécontente d'avoir décidé de rattraper son retard de lecture 2L.
Désolée Solidane, de ne pas plus entrer dans les détails et de ne pas décortiquer, mais parfois y tellement pas grand chose à dire que je préfère juste dire : Bien vu, crédible, délicieux.
Merci.

   Ephemere   
10/1/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour, j'ai lu sans m'attacher, je trouvais tout cela bien embrouillé et je me suis demandé jusqu'au bout qui étaient ces deux mannequins.
J'ai juste aimé les cinq dernières lignes qui m'ont fort amusé. L'idée est charmante mais j'ai eu trop de mal à accrocher.
FMR

   Anonyme   
19/9/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte au crayon gris, esquissé, là où je m'attendais à des traits à l'encre de Chine. Mais un joli brin de texte, pas ambitieux, tout simple, un texte qui est en ce sens mon genre. Un qui se la joue pas, ne m'en fout pas plein la vue, un qui m'a plu.

   beth   
10/5/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce couple d'inséparables envolé tout à coup et épinglé définitivement aux toilettes par l'auteur me ravit: le temps n'a donc pas de prise sur l'amour.


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