Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Humour/Détente
solinga : Exercice de patience pour vies écrantées : dans la file
 Publié le 21/03/25  -  3 commentaires  -  5698 caractères  -  24 lectures    Autres textes du même auteur

Nos vies c'est attendre, non ? Reste à savoir comment. D'où ces quelques idées de derrière les rideaux.

Pré-requis d'accepter l'insolite et l'expérimentation rieuse.

Quant au sujet d'énonciation, l'inventeur des facéties ci-jointes, qu'on ne s'en formalise : l'important n'est pas la nomination, mais (pas vrai ?) seulement la voilure ajourée des regards.


Exercice de patience pour vies écrantées : dans la file


C'est pour un jour de pluie brillante.


Cils-de-plume s'adresse mentalement à l'assemblée de petits-hommes-sérieux qui emplissent le contenant qu'elle a choisi d'occuper.


En l'espèce, une salle rituelle de prise d'excitants, banale maison de café, dont chaque siège porte quelques ourlets chics.


Chacun des p-ho-sé. (abréviation des précités) toise, toilette et taraude son écran limpide comme une patinoire d'affects. Ils tremblent d'affairement, ces p-ho-sé., clapotant tangiblement avec le vide. Quelques fossettes d'expression au visage, ouf, pas des z'I.A encore. Entre eux, des gaps.


Cils-de-soie (c'est la même, on l'a gardée) déchire sa tenture de timidité et, schlak, prend la parole. Deux ciseaux phrasés de mots.



Cils-de-soie :


– Je vais vous raconter un de mes exercices de patience préférés.

Ça m'nous changera les idées.


Silence. Au rendez-vous du m'nous, l'ouïe de personne. Fossé de rigueur entre chaque petit être en fourmillante multiconnexion (la bande sérielle des p-ho-sé.).


Cils-de-stance (celle qu'on a gardée, malgré ses tocs baptismaux de métamorphose) poursuit, sans se démoraliser :


– Cet exercice, je l'ai inventé dans un furieux moment de compression temporelle.


L'ouïe de personne, toujours. Une chaise grince, dans un angle.


Cils-nonobstant :


– Voyez un peu, et sentez-vous fatalement concernés, dans notre monde peuplé d'individus biberonnés à l'accélération. Notre monde de monades à cran.


Flop. Les p-ho-sé. sériosissimes se font ingénument les ongles sur la croûte de leurs étangs plats.


Cils-s'obstinant :


– Je dirai même tu, pour aider à l'identification participante.

Ne sursautez surtout pas, je procède.


Devant une porte qui ne s'ouvre pas, te voici, toi au supplice de la file, toi en retard déjà sur tes plans, toi tenu entre les deux tendons vibrionnant des aiguilles.


Sens plus intensément, ces myriades de crispations de soi, ces micro-compressions musculaires, comme litote du supplice de la roue, pour dire le rond du temps impitoyablement chiffré.


Tu es pressé, veux dévorer les énergumènes en attente, pédalant dans leur propre mare d'égoïsme, avec chacun son moi-je-veux-passer-d’abord, moi-j'ai-des-choses-au-plus-haut-point-majeures-à-faire, moi-ma-vie-compte, avec chacune de ses cases d'agenda.


On visualise la file.


Individu-tu, tu vois ?


Vies égales mises en tiroirs par activités standards, par tâches calibrées pour tenir entre les baguettes de l'efficace.


Alors, tu vois ?


Chacun dans de petits cubes emboîtés, rationnellement en cages.


Ils font la file, queue leu leu.



*


X dans la file :


– Chaque porte qui claque, une brimade du réel.


Y dans la file :


– Chaque seconde qui flanche, un échec aux yeux des fourmis pressées.


Cils-de-fer leur répond, stoïcisant :


– Il faut s'exercer, attendre.


Z dans la file :


– Pas le temps de s'exercer. Trop de choses sur quoi cliquer. Trop de touches à valider de nos doigts endoloris de détails, de datas. Trop d'éclats virulents, cages à affects, dont brutaliser nos pupilles.


Y dans la file :


– Bon, il se grouille, l'autre derrière la porte ?


X dans la file :


– On n'a pas mille cinq cents ans devant nous !


Cils-de-givre (perdant ses moyens) :


– Je… Cil...Heu… S'il…

S'il vous plaît…


Le brouhaha se renforce. Froncement de sourcils, retroussant par analogie quelques manches. Brume de bruits inaudiblant le tout.


Surnagent des jugements aux gros sabots de sentence :


Y dans la file :


– Tous une bande d'égoïstes finis.


Z dans la file :


– D'individualistes grossiers.


X dans la file :


– De…


Cils-de-sapience (se reprenant) :


– Mais voici l'exercice.


(Je propose hein. De toute façon ils m'entendent pas.)


Concentrez-vous sur la boule dans votre ventre qui bout. Visualisez-la comme une petite planète méchante et laissez-la refroidir.

Suffit de la regarder au-dedans de soi, de la considérer, pour qu'elle diminue. Qu'elle devienne, decrescendo, une naine-naine-naine blanche.

On est un microcosme non ? Ça a du sens de se r'pérer aux étoiles. Ça donne un autre boulier d'espace-temps.


X dans la file :


– Je comprends rien. Pourquoi vous me parlez d'étoiles ?


X jette des regards agressifs sur Y qui la devance d'une pauvre place.


Y dans la file :


– Arrêtez de me faire les gros yeux. Moi aussi bien que vous j'ai mon pré carré de temps valable. J'ai mon ticket de vie-pressée qui expire peut-être à la fin du mois mais en attendant… Moi mon ticket poinçonné légitimement renouvelable alors me marchez pas sur les pieds. Moi.


Cils-de-poussière :


– Fermez les yeux, imaginez une étoile. Le dedans d'une étoile. Imaginez son pouls, qui bat très doucement.


Z dans la file :


– Les étoiles ça fait pas la file.


Cils-de-désespoir :


– Si, en constellation, y'en a des ribambelles.


Z dans la file :


– Constellation n'est pas file.



*


Cils-de-soupir (se décomposant) :


– Ce jour les circonstances n'étaient pas réunies.


Je me suis assise en tailleur et j'ai pris le sol immaculé de moquette bêlante comme prétexte à tapis volant.


J'y ai fermé les yeux.


J'ai replié, sans faire un bruit de plus, tous mes tissus mal compris, ces drapés miteux et braves, ces nids à métaphores, ces tentures pauvres du regard, mes Cils-de-plume, Cils-de-soie, Cils-de-cendre, Cils de je-ne-sais-quoi, Cils de-tout-c'-qu'on-veut-qui-rêve, toute la sylve des rideaux de mes visions de passage.


Les autres, connectivité oblige, grésillaient de plus belle, chacun tout sérieux sur sa plaque électrique.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Perle-Hingaud   
14/3/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé. La narratrice me paraît totalement perchée et perdue dans un Starbucks d'une zone de bureaux, entourée d'hommes (pas de femmes ? pourquoi ?) devant leurs ordinateurs ou pressés. Je trouve l'image décalée et ubuesque. La narratrice sort de sa bulle pour examiner le monde qui l'entoure et la parodie est bien croquée. L'écriture est inventive.
Ce texte est présenté en catégorie "humour-détente", mais il n'y a rien de drôle pour moi. Le récit est plutôt triste avec ces hommes déshumanisés, branchés en réseaux et en pixels, qui ne sont plus que des lettres, et une narratrice décalée avec ses tentatives aussi touchantes qu'infructueuses pour amener un peu d'humanité, de ramener au premier plan le corps, les sensations. Différents niveaux de lecture dans ce récit, j'apprécie.

   JohanSchneider   
22/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Je vois ce texte comme une parabole qui nous dépeint - très brillamment et très drôlement - le monde du travail.
En vous lisant j'ai tout de suite pensé à un environnement fait d'enfilades de bureaux grands ouverts sur des couloirs interminables, peuplés de zombies la main crispée sur leur souris et fixant leur écran dans un état proche de l'hébétude.
Ce que je vous livre ici n'est bien sûr qu'un ressenti subjectif. Je ne sais que trop qu'entre les intentions et le projet d'un auteur et les réactions des lecteurs peuvent parfois s'immiscer des interprétations déconcertantes.
Quoi qu'il en soit, je salue la prise de risque, l'inventivité et l'humour (discret mais bien présent) de votre nouvelle.

   M-arjolaine   
23/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'aime beaucoup ce texte.
J'ai imaginé une espèce de séminaire d'entreprise dans lequel il y aurait des formations axées développement personnel et yoga, pas du tout la came des p-ho-sé (j'ai adoré cette abréviation ! Les "petits hommes sérieux" m'ont évoqué le businessman du petit prince, et aussi je ne sais pas pourquoi les trois têtes vertes du voyage de Chihiro). A la fois, comme Perle-Hingaud, j'ai un peu de tendresse pour Cils-de-(tout) qui tente quelque chose d'un peu différent, et en même temps elle est si déconnectée de la réalité qui l'entoure que ça la rend un peu ridicule.
J'adore ce début : "c'est pour un jour de pluie brillante".


Oniris Copyright © 2007-2025