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Sentimental/Romanesque
solinga : Mémoire valétudinaire
 Publié le 09/02/25  -  3 commentaires  -  9293 caractères  -  35 lectures    Autres textes du même auteur

Mémoire est mise là d'emblée pour dire mon chenapan de cœur, les façons tisseranes dont il fut ficelé en biographie. Pour signifier surtout comment il garde, le bougre.
Vale… S'ajoute un épithète excavé du latin : cela va mal, ce mot veut dire… Mon cœur bruissant de souvenirs est mal en point.
Je ne suis parvenue à écrire ce proche décès que par mégarde ; en tangentes, à peine y touchant.


Mémoire valétudinaire


Depuis dimanche, mon crustacé de cœur se débat dans un filet dont les mailles sont des vides plutôt que des souvenirs. La chose corail, spongieuse à sa guise, se porte visiblement mal. Elle en refuserait presque de saluer chaque minute par pulsation, mais puisque c'est l'usage…


Valétudinaire.


La santé flanche, ce mot veut dire.


Santé toute petite d'une conscience quasi dépossédée d'empathie.


Cœur valet, bref assez peu souverain.


Organe moiré démuni devant la mort noircissant comme un as de pique.


Je ne fus vaillante qu'une poignée d'hiers, fragile origami dans la tourmente.


La mort est passée sur un être cher, et je ne m'effondre pas.


Je me roule dans l'oubli dégueulasse.


Guenilles des souvenirs, sous peu épars, voués eux-mêmes au vent des dépouilles.


Écrire à chaud, à vif, en guise de remède ?


*


Paroisse d'Écully. Dix heures.


Elle avait quatre-vingt-quatorze ans, ma grand-mère.


*


Je me suis assise seule à l'un des bancs d'église. Juste derrière les cousines R.


Ni au banc de gauche avec mes parents flanqués de la famille T. (branche fâchée avec les R.)


Ni parmi les R. en première ligne.


Seule. Rangée nulle part.


En récalcitrante, même si cet aparté spatial n'offusque personne, chacun se repliant-recueillant sur la feuille du cérémonial, ou sur son chagrin, chaque rôle rendu mieux saillant par la réunion de tout le clan.


Seule. Monade qui en profite pour scruter sa tristesse.


Faisant demoiselle à part, demoiselle coiffée, ainsi baptise-t-on les éminences des monts des Hautes-Alpes.


Complaisance peut-être, habitude à être moi-sola, électron libre.


« Monos », comme elle, j'ai pensé immédiatement. Comme ma mamie gisant, déjà moins-elle, dans son cercueil.


*


Je n'ai pas parlé, pas de psaume ou d'évocation de biographie remuant nos présences au passé proche.


Pas dit les prières… puisque je n'en suis pas, des bénitiers.


Chanté, si. Parce qu'une cérémonie de marmottements, ça ne fait pas honneur.


Pas besoin d'être croyante ni hypocrite pour chanter.


Sangloté aussi, à plusieurs reprises.


Ce qui d'ailleurs m'a réconfortée sur mon compte. Enfin un peu d'humanité dans le myocarde ! Du moins, un peu d'humidité sensible.


Sangloté, ouf. Avec la rosée fameuse venant plisser les paupières, pour les convier au chromatique effroi des myosotis.


Mimétiquement, lorsque M. est entrée, toutes larmes. Je suis sensible au chagrin des autres présents, surtout, et aux marques d'affection, aux marques d'affection maturées dans le manque.


Puis lorsque j'ai vu la file des collègues de sa résidence, compagnons âgés de sa fin de vie, avec une S. en Alzheimer, yeux azur, déjà dessaisie des fils de sa mémoire, mais venue, toque en fourrure jais, élégante, oublieuse et bien mise.


« Vous vous rappelez ? Je suis sa petite-fille. Vous jouiez ensemble souvent à la belote. »


Hochement de S., dénégation gentille. Mémoire malade, n'est-ce pas. Mais yeux translucidement bleus, émouvants du fond de sa déperdition des naguères.


Et je m'en retourne à ma place.


Bribes de sanglots plus audibles, nets et concis comme une écorchure, lorsque cousine C. a prononcé, la citant, ces mots de mamie : « À plus tard dans la vie ! » Reviviscence.


Puis lorsque papa a décerné le dernier adieu, évoquant, avec assistance, des constellations assemblées, le jeune couple qu'avaient dû former ma grand-mère chevelure blonde et le papy du passé, décédé de Parkinson, tout aussi jeune bien avant d'être chauve. Leur rencontre dans un bal de Vienne, la petite illustre Vienne en Isère, dans un tissu bleu roi de nuit valant épiphanie, puisqu'initiant famille. Famille, c'est quelque chose.


Ces vies conjuguées en jadis, dont on ne saura rien jamais plus. Depuis la petite Vienne.


Mon papa. Son frère.


M., leur sœur, âgée et benjamine, sous tutelle.


Leur maman n'est plus. C'est le frisson de l'enfant qui parvient à me tordre le cœur, par communauté dans l'abandon et sapience des nœuds qu'on dénoue.


Le chagrin du deuil est un orphelinat.


Mais à part ces quelques saillies de sel, ces quelques rubans venus aux joues, je demeure cloîtrée dans mon moi du matin, qui a froid, qui s'observe, qui pense à sa semaine, et surtout qui admire le visage si joliment ciselé de l'ami indien de ma cousine.


Allez, admettons : ce fut, ce peu de larmes, le contentement de n'être pas complètement insensible. Et il y eut assurément, pour tout salir, une brute vanité dans la satisfaction bête que ça se voie.


Dont acte : je suis aimantée par les seuls vivants, par moi au premier chef, moi me ramifiant. Moi moi moi meuglant muettement mes lubies mes micromicrotraumatismes et toutes mes dilections qui papillonnent. Muette je précise car plus aristocrate.


Voici, je reste observatrice surtout de ma propriété-tristesse, je me complais à sentir comment mon chagrin se déclenche, l'idiosyncrasie à l'œuvre.


Aimantée par les seuls vivants. Et l'apparence, par l'irréfrangible terrible apparence. Exemple ma boucle d'oreille apachisante, plume bleue que j'ai failli perdre, et au départ au dernier moment je la retrouve au pied du banc des résidents. Je la recueille. Ouf. Mienne. Petit morceau minuscule de ma modique identité maniaque.


*


Au cimetière, c'est le même froid discret repeigné de soleil.


La peine, tellement lourde, de M. qui embrasse le cercueil et la photo.


P. qui lui remet l'alliance de mamie.


M. ma tante sous tutelle.


Elle l'essaie, tremblante, elle lui va au majeur.


Elle aura besoin qu'on aille la voir, dans son foyer. Sur cette même colline où est morte ma grand-mère.


J'irai, moi, dans la mesure où j'aime à me montrer en miroir à moi-même, moi moi moi, et à me composer pour l'œil, comme en rime, quelques brins d'actes d'un héroïsme d'ostentation facile.


Aider c'est pouvoir être, et se tenir en léger surplomb de soi. J'aide par orgueil, principiellement.


M. et ses yeux comme deux incendies d'aigue-marine. Mis dans votre direction, sans flancher. S'adressant, prunelles. Simplement immenses.


Quelque chose qui me ressemble, dans l'orbe illimité de cette demande. Ayez égard à moi !


Difficile, en fin de compte, la mise en récit.


Se taire semble faire un peu moins mal.


Mise, pas si bien mise avec soi… Mise en récif, les arêtes des minutes venant retravailler mon souvenir de leur piolet d'exactitude. L'exactitude qui tranche et qui taillade.


Et qu'est-ce que j'y peux si cela se détache en bris d'incantation ? En brut, en elliptique, en nominal. En éclats, en figures aiguës de gisants. Est-ce qu'on se reproche ses façons d'avoir mal ?


Devoir de déposer autant de croquis de mots qu'il y eut d'instants ongulés faiseurs de sillons. De retracer depuis ce mauvais terreau mal arrosé de ma mémoire.


Donc faire en sorte, avant tout, de pouvoir se reporter aux impressions sources.


*


Chez P., uncle P., dans son salon du huitième étage, tous on se regroupe. Tous même les morceaux fâchés de la famille. Dont je ne suis pas : monade c'est différent, simple séparatisme d'une petite gamine snob.


Il y a de la quiche et de la pizza, immenses et déjà quadrillées pour être prises.


La pauvre Soph', qui est ma sœur, s'est ouvert le nez hier soir.


Pâle.


Je m'en sens d'un coup si proche.


Me vient l'envie de lui écrire des lettres gentilles à elle aussi. Avec timbres et jambages qui dansent, bref tout ce qui se faisait avant de bien en affaires de poste.


Elle est très mince, avec ce discret incompréhensible embonpoint dessous son menton. Effet d'ombre ?


Cette proximité et presque envie de retrouvailles, venue peut-être au truchement des mots d'An., hier, parlant de ses frères, et que parfois il faut effort, enfin pas pour m'exhorter à le faire mais… Ses yeux bleus, à An. De l'idem en analogie. Le bleu de la fratrie côté papa. Plus pâles, un peu.


Ou plutôt la raison vraie, de la voir qui souffre, point-de-suturée, fraîchement sortie d'urgence, mais vaillante et sans aucun grelottement dans ses collants d'une finesse affolante en plein janvier. Ce socle de menton lui carrant un peu le visage, qui la fait moins jolie que dans mon souvenir.


Est-ce que je n'aime qu'à détection d'une faiblesse, d'une faille en miroir de moi-même ?



J'avale les portions de quiche crémeuse. Au bout de trois je me raisonne.



Maman raconte à N. sa période difficile. Je m'approche pour écouter, faisant comme pour remplir mon verre.


N. a l'air très gentille, souriante comme par le passé.


Je me souviens de l'appartement. Pas de la vue sur Saône, pourtant saisissante, superbe.


Arrivée de la tarte fine. Tout est cheap, il a peu d'argent, uncle P.


Je m'éclipse en même temps que les T. Besoin de marcher, de solitude, d'écrire.


Désaffiliée sans pareille, volontairement insolente.


Je les lâche.


J'appareille.


Je veux être seule, dans la houle bien franche de l'air, faire claquer le vent de janvier dans l'ivoire ou l'épiderme des voiles mal déployées de ma conscience.


Le sens de la famille ? Absente de moi, cette idée d'une désuétude baroque. Garce. Tu es un cœur en cale sèche.


 
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   Celia1993   
9/2/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,


Je dirais de ce texte qu’il est d’une beauté peu commune. Etonnante même. Je ne sais par quel bout de la « critique » on doit saisir ce jaillissement tant il est mouvant et tant il échappe au saisissement où l’on aimerait le contraindre pour se rassurer sur nous-même.

Il y a bien de petites prises ici et là où l’esprit s’accroche pour ne pas sombrer mais elles sont si ténues.

« Mon crustacé de cœur » m’enchante et me désarçonne.

« Je me roule dans l’oubli dégueulasse » que j’ai faussement lu tout d’abord de manière bizarre comme « je me défoule dans l’oubli dégueulasse » manière de m’interroger sur ce lapsus un peu plus tard si nécessaire.

« Faisant demoiselle à part » avec la référence aux demoiselles coiffées qui me conduisent à ma propre mémoire enfouie des environs de Serre-Ponçon.


« Le chagrin du deuil est un orphelinat » magnifique !

Et la plus belle phrase selon moi : « Au cimetière, c’est le même froid discret repeigné de soleil ».

Je suis incapable de dire quoi que ce soit d’utile à ce texte tant il est d’une structure parfaite et tant il est imprégné d’intelligence et dénué d’artifices.

J’aime ce texte et je ne sais même pas exprimer pourquoi je l’aime mais c’est ainsi !


Merci pour cet envoi.

   hersen   
9/2/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un texte qui remet en cause la cellule familiale, qui, on ne dit pas ici qu'elle est carcérale, mais en tout cas ne peut être intégrée par cet électron libre.
Ce qui me plaît le plus ici, c'est qu'il n'y a ni plainte ni victoire de ne pouvoir en faire partie :les choses sont ainsi et assumée.
Beaucoup de signaux dans le texte pour dire la distance phénoménale de la narratrice par rapport à sa, cette famille : les personnes ne sont identifiées que par une initiale, ce qui confère une froideur, et le seul personnage un peu plus "détaillé" est un "rapporté", compagnon d'une cousine.

Ce texte dit beaucoup sur ce que l'on pense sans doute devoir à la famille, sur la question de se construire seul, sur le reniement d'une lignée (d'ailleurs, l'histoire a pour cadre l'enterrement de la grand-mère)

Je pense que le texte va peut-être au-delà de ce que la narratrice y met, car je crois qu'elle reste sur un point de vue personnel. Mais en allant plus loin, anthropologiquement, cela pose la question d'une construction sociale, de sa pertinence aussi peut-être.
Et si la liberté, la vraie, était de se couper de sa famille ?
Je ne répondrais naturellement pas à cette question, à laquelle je suis incapable de répondre. Mais ne vaut-il pas la peine de se la poser ?

Un texte très intéressant, bien mené, qui ouvre des perspectives insoupçonnées dès lors qu'on s'y penche vraiment. Une vraie nouvelle, en somme.

merci pour la lecture !

   baldr   
9/2/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Ce texte, très développé, évoque la complexité de la situation mentale de la narratrice. Il procède par touches, techniques que soulignent l'usage des phrases nominales et l'isolement et la petitesse des paragraphes. Sur un sujet tire-larmes, on obtient, à force de snobisme ("une petite gamine snob"), plutôt que de cynisme, car le cynisme, tout relatif, est entrecoupé de saillies sincères, une liste d'états d'âme, un état d'âme fluctuant. Le sujet est la narratrice ; la défunte n'est qu'évoquée. Mais tout le monde, de nos jours, n'est-il pas une monade, durant un rite funéraire ?

La sophistication du vocabulaire ne laissera pas indifférent, non plus que la disposition générale, pour ne pas dire le "rythme".


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