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Sentimental/Romanesque
solinga : Page pied de nez aux algorithmes
 Publié le 11/08/24  -  3 commentaires  -  7895 caractères  -  27 lectures    Autres textes du même auteur

Au temps des rythmes des algos, au temps des vitres qui happent et des applis qui jappent, tramer une lettre c'est ouvrir grand les battants de l'écriture, décacheter un peu de soi, déjouer le vite-vite et enjamber du vide (sans en renier l'orbe), vivre, étirer du temps pour rien.


Page pied de nez aux algorithmes


Petite repliée, c'est le temps des primevères !

Jeunette au cœur froissé, fais pas la moue ! Chemine à dos de sourire le long des mauvaises ornières.

On ne t'aime pas. Tant pis.

C'est le printemps des plaintes, or il faut vivre par-dessous, petite chose sentante, petite chose qui bat tendre.

Regarde-toi, ci-jointe à ta page, en chroniqueuse de tes doutes.

Printemps des plaintes, et par bonheur rien ne se transsubstantie mieux que la peine.

Printemps présent des primevères. Je ne suis pas faite pour attendre.


*

Je t'ai rédigé une lettre, sur une rigolote carte cartonnée avec croquis local : montée fameuse, arborant cahin-caha ses maisonnettes aux ombres domino. Quartier canut.

Des mots sans conséquence, des mots badins… c'est l'acte postal qui porte toute la charge sensitive, pas l'estomac des mots pour cette fois. Je reste sobre, à peine effleurant la phrase de mes doigts. Sobre et riante. Distance juste puisqu'il n'est pas de nom fixé à ce qui existe… ou plutôt oscille, entre nous. Ni rien ni quelque chose.


*

La lettre est achevée, je lui fais enfiler ses bas tout blancs, revêtir sa toile de parachute, rassurante globalité presque sac de couchage.

Vient l'instant d'apposer l'adresse. On n'expédie pas une missive même habillée sans s'assurer d'y avoir inscrit avec exactitude les points cardinaux chargés de la recueillir.


Or mon stylet s'interrompt, impuissant au tatouage. Hoquet administratif. Béance mémorielle. Trou, quoi.

Faut comprendre, j'avais tant œuvré à t'estomper, à diluer d'oubli ce que tu qualifias plus tard d'erreur (ce laps à nous, bancal) il y a deux ans. J'avais gommé comme j'avais pu.


Bien sûr je me souviens de la rue… mais pas moyen de remettre la main, linotte, sur le numéro.

J'interroge la mémoire du carnet d'adresse, celle du répertoire numérique.

Rien.

Dépit. Dépit. Dépit au cube.

Défaillance noyée dans l'inchiffrable.


Un jour passe. Je remise la lettre dans un angle de buffet.


L'issue viendra, inattendue, d'une télécommunication, invite à nous saisir.


*

Je vais te voir !

Je sors ! Je sors, je te rejoins, car tu es tout frais revenu, et je te tends mon plus beau visage de primevère. Passés trente ans perd-on le droit à s'imaginer un peu florale ?


*

Comme moi tu aimes la mousse des gourmets et le sucre mis à l'honneur sur l'échancrure des porcelaines.

Raison pour laquelle nous choisissons pour terre d'élection le petit salon gourmet P., gourmand patronyme désormais délectable à soi seul, rue d'A.


Je t'explique, tout en malice, que je dois t'envoyer cette lettre, et l'aporie du chiffrage ès toponyme. Je te mets sous les yeux la missive, bien cachetée timbre et tout.


Tes lèvres difficiles me dessinent un sourire.

Octroi de reconnaissance tendre.

Tu me dis autant que tu me la donnes là, c'est idiot je suis là. Je dis non c'est plus drôle d'envoyer et recevoir. J'ai déjà mis le timbre et tout et tout.


Bon… Tu me révèles… numéro, 2. Et la lettre pour le bâtiment.

J'écris sur l'enveloppe bise.

Illico je range la lettre, contente comme une enfant. Comme une jonquille, avec sa trompe un peu béate.


Ce jour-là, suivant notre station à P. (saveurs de crème par toi apprises), nous attendrons des lustres dans un coquet dépôt d'électroménager, avant que tu ne récupères ton nouveau mobile hors de prix (nécessaire à ton travail et tes navettes de vie), et puis une coque un brin meilleur marché au magasin d'en face…

Et le long de la Saône, côté chez moi, venus au quai, on s'embrassera avec de la lumière s'enfuyant de partout dans notre cou.

Et tu me nommeras « birichina »… Ma langue fourche sur le mot… « bichirela », « birchi »… non. Birichina. On ne trouvera pas la traduction sur le moment. Moins méchant que tentatrice, tu dis. Chose dite aux enfants.

Je la chercherai le lendemain.


*

Dans l'intervalle, et dans l'inattendu (« Tu aurais envie que je vienne ce soir ? »… « Oui… tu as envie toi ? »), nous avons retrouvé nos plis à nous.

Sans conséquence.

Mais de la chaleur. Pas pour rien, la chaleur, pas du néant. Du devenu. Des soupirs mis ensemble.

Notre amitié ne peut qu'en resplendir.


En quittant la sorte de sofa d'appoint ou d'enveloppe en partage, peu avant la minuit, je sais le chant des primevères.


Je redescends les rues, je te relis gaiement dans mon cœur. Je ne veux être que base argile douce perméable aux instants tout juste passés contre toi… avant que cette nuit sous mes paupières leur cohérente synesthésie sèche jusqu'au marbre. La surprise de nos corps renoués (renoués pour rien, renoués pour tendre) fait empreinte et pour changer je ne suis plus la fleur mais la matière, la terre : l'antiquité humide de la page.

Page et plus que page.


Le seul fait de savoir qu'un printemps neuf peut advenir, cela rédime.


*

Puis quelques jours ont passé.

Je suis rentrée dans le chenal vaillant de mon quotidien petite-mine.

Tu es déjà à B., les pieds dans la marée, avec les tiens, dans cette ville survoltée que tu aimes.

J'ai encore la lettre en poche.


Coquine… Birichina c'est coquine.


Je m'approche d'une boîte canari, sourire destiné au hasard mouvant et à l'impromptu de nos lèvres au passé proche.

Voilà : tout mon joyeux être-ici est recueilli dans une lettre. Tout mon petit parcours de chose-ici-pour-rien, toute ma contingence fleurant bon les aléas, tout se dédie, se ramène, s'applique, à la nécessité syncrétique d'un pan de neige lisse vouée à ce qu'on la touche sans lui faire aucun mal. Voilà : je me suis mise en lettre, mise en mots. Mieux que fleur, dédicace. L'enveloppe est fermée par mon sourire. Avec le peu de colle espiègle qu'il faut pour tenir.


Birichina…


Se décider à faire passer le papier dans la jaune navette spatiale. Foin des scrupules, puisque ce ne sont même pas des mots sérieux, pas des moineaux aimants. Ce sont des signes, des bouts de pattes de gazelle seulement, ou quelques noires étamines, en guise d'herbier minimaliste, sur le blanc. La carte est belle, du moins, prise à une illustratrice.


*

Je l'approche. Et c'est l'envol, par le chas étroit de la partance. L'imminence de l'envol. Je la regarde une dernière fois.


Quelle émotion lorsque guidée-lâchée par ma main, elle glisse pour de bon dans la fente de la boîte aux lettres.

Liesse.

Abandon à toi et aux vents postaux.


*

Je sais pourtant que tu ne la liras pas de suite – tu es accaparé par les lignes défilantes des écrans. Perpétuité d'éclats, de vrombissements injonctifs.


J'écris pour m'adresser, pas pour l'immédiate vile impatience qu'on me lise.

Les lettres sont faites pour donner courage… à qui spécialement, yeux qui lisent ou yeux qui filent à dos de papier ? Il n'est pas besoin de le savoir, et aucun déséquilibre en soi, primevère, ne doit effrayer. Tu aimes entier, rien de mal.


*

De l'air passe. Les feuilles des jours sont toutes ajourées de vent neuf.

Nous sommes jeudi, c'est davantage encore le printemps, et me voici, ci-jointe à ma page. Les mois mûrissent et d'autres rayons traversent un à un mes pétales.


M'est revenue la nécessité ouvrante de la correspondance, fille du papier, plaidant pour lui dès qu'il se recroqueville, nombriliste, qu'il en oublie ses ailes (Narcisse n'a pas d'ailes, Narcisse est une descente).

Dès lors je reprends sens, je redeviens la fée ondine… j'ai aux poignets des gouttelettes patinées de joie. C'est ma réserve de points de suspension, ces nævus d'un autre genre posés aux peaux moirées des pages. Ils tintinnabulent quand je prends le bec de mon décideur de mots, le stylo.


Je l'ai compris depuis la boîte jaune, et le chiffre retrouvé, initiant et refermant quelque chose qui fut, parce qu'éphémère et sans voilure, infiniment nôtre.


 
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   Cyrill   
2/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
L'impression d’un journal intime est prégnante. On suit la narratrice dans ses pérégrinations mentales contre vents et marées.
L’auteure a un style et s'y tient, l’écriture est soignée.
C’est d’un partage d’intimité dont il est question, ou du moins d’une tentative, car je ne suis pas certain que le but sera atteint, tant le regard reste intérieur.
Méditation autour de la correspondance papier, de nos bonnes vieilles boîtes aux lettres en voie de disparition, de la rencontre au café, ce me semble être le leitmotiv de l’écrit. On sent chez la narratrice un vrai plaisir à disséquer leur signification dans une perspective ontologique. Leur pendant numérique fait bien pâle figure à côté, toujours dans son esprit. Peu à peu se dessine une pensée flottante, à défaut d’incarner vraiment un personnage.
Je lui trouve quelque chose d’assez agaçant dans sa façon de se décrire, l'ego toujours surdimensionné, ici comme une fleur : c'en est presque touchant... ou risible, au choix.
Je trouve le texte mal catégorisé. Pas d’humour ou alors il m’est inaccessible. Sentimental/romanesque conviendrait mieux.
Il faut comprendre aussi, ce que ne dit pas la nouvelle, que la correspondance n'a plus rien de vraiment privé aujourd'hui avec les réseaux sociaux, et ce texte, malgré lui, en est l'illustration. La locutrice parle au monde entier sur un réseau mondialisé.

   Donaldo75   
2/8/2024
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Allez, je commente au fur et à mesure. L’exergue annonce le ton. En plus, conjugué à la catégorie choisie, soit celle de l’humour et de la détente, il y a de la place pour un décalage du genre « redshift ». Le titre continue dans la tonalité pressentie. Je lis. Je continue ma lecture. L’impression de parcourir le journal intime de quelqu’un devient de plus en plus forte. Le style est sucré. Les images sont du même tonneau. Il y a de l’idée et même une intention mais l’impression de vide prédomine dans ma lecture. En tant que lecteur, je n’arrive pas à m’enthousiasmer parce que le style reste vaporeux, que rien ne me donne envie de rentrer dans l’histoire ou d’en savoir plus. C’est dommage, j’ai l’impression que cet écrit n’a pas été conçu pour être lu par d’autres mais juste pour rester intime ; sa diffusion sur un média même confidentiel ou électronique ne semble pas être rentré en ligne de compte dans les choix stylistiques et narratifs.

   Skender   
12/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonsoir,

C'est un texte assez singulier, relativement court mais foisonnant, naviguant souvent quelque part entre la nouvelle et le poème en prose. L'exergue donne le ton, le courrier qui est devenu tellement désuet lorsqu'il s'agit de communiquer entre deux êtres, retrouve ici ses lettres de noblesse. La lettre et son enveloppe ont une présence physique, des couleurs, une texture et les mots qui y sont calligraphiés renferment également en eux les émotions que l'auteur a tenté tant bien que mal de retranscrire sur le papier.

Puis survient la rencontre, brève; fugace, éphémère mais non dénuée de valeur pour autant, un éclat de soleil avant que chacun ne reparte de son côté, retrouver un quotidien qui semble plus morose ("le chenal vaillant de mon quotidien petite mine" dites-vous). J'ai vraiment aimé beaucoup de choses, ce rythme effréné fait de points de suspension et d'une alternance de phrases longues puis courtes, un peu comme une marée qui nous heurte puis nous emmène doucement au loin, la profusion d'adjectifs qualificatifs, de métaphores et de comparaisons (d'images tout simplement) et un usage débridé du vocabulaire (les "naevus" qui "tintinnabulent"). Bref, merci pour ce texte qui m'a fait passer un très agréable moment. Skender.


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