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solinga : Seulette vivant sans vitres
 Publié le 04/09/24  -  3 commentaires  -  8844 caractères  -  41 lectures    Autres textes du même auteur

Peut-on se rédimer par la seule contemplation de la lune ? Il semble tout du moins qu'on puisse, sous ses luminosités tangentes, acter un changement de cap.
Reste, reste en fin de compte, et je te ménagerai un peu de place dans l'écrin pâle de ma chère, chère solitude. Reste, et nous détesterons le bruit des neuves technologies ensemble.


Seulette vivant sans vitres


– Bof.


Tu portes encore en bandoulière ton vague à l'âme, et pas assez d'énergie pour sortir.


– Bon, bon.


Eh, bon, pas de mal, c'était juste façon de proposer ; seulette, moi j'irai.


Sous mes semelles, déjà un ronronnement d'indépendance vient crépiter lorsque j'accoste au bas des marches de pierre. C'est la magie des silex. Urbaine, pour rien, je m'ébahis.

Solitude, la faiseuse d'étincelles. Sol humble et dont tout peut jaillir. Sol tenu en mineur.

Solitude encore solaire habile à déborder le noir de la nuit. Sans y paraître. Force.

Être la marcheuse qui initie pour sa propre part : précisément c'est en quoi toujours consistera mon luxe.

Au fond, je souris à ton refus.


*


Je me balade dans « mon » jardin Janmot, livre en main, brièvement muchée dans cette demi-heure où je t'abandonne. La poussière est pailletée. On suffoque encore de la chaleur du jour.


Le livre c'est Plume.


J'apprends Michaux comme des paroles un peu magiques qui pourraient dire ta tristesse à toi.

Ce n'est pas ça, la poésie ?

Dire par déplacement, par quintessence, non par procuration mais par incorporation et chuchotis alchimiques.

L'Insoumis. C'est le titre. « Tristesse du réveil !… », ça entonne ! Toi tout craché, avec moi comme petit animal des aubes entre tes bras, qui fait son raffut d'aurore quand il faut seconder la sonnerie du réveil de ton Smart'.

Bouh comme ça bovaryse !

Et alors ! Au moins je me promène dans mon esprit à moi, pas sur les épaules molasses des algorithmes.


*


Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous quitter ?


*


Sur la Saône il flotte des bateaux.

Je repense à notre discussion d'avant-hier… oui, nous resterons ensemble, et qu'importent nos divergences, diffractions, tous ces noms qui disent des frémissements de lumière… et rien de plus grave.

De nouveau, nous nous frotterons à la nuit, et nous n'aurons plus l'angoisse des fentes mauvaises du monde.


Je ne suis pas de verre, je ploie.

Ce n'est pas être veule.


En vérité, ce sont les textes, en soi murmurés fil à fil, à la sauvette, entre les rainures des bancs publics du plein midi et les sourcils des saules lorsque retombe le soir, qui font que je suis forte, que je ne me laisse pas dévorer par les peurs bourgeoisines, que je t'accueille, que je t'aime et tant pis si sur ces vitres idiotes tu vis (par hypothèse) en réseau de Valmont, Merteuil et compagnie.

La jalousie est un immense gâchis de pensée.

Et tu as besoin de moi, et je te fais du bien.

Il y a de l'indéniable là-dedans.


*


Mon jardin Janmot tout doucement sombre dans une estampe de bleu lumineux, celui choisi par la municipalité, discret et minorant les brouhahas des machines à rouler qui s'en donnent à cœur joie sur leur grève de goudron.


Il fait tellement chaud que je zigzague comme ivre sous la lune. Ce soir, splendide et rousse, moitié d'une netteté géométrique à damner tous les compas.


*


Pourquoi ne parvenons-nous… ?


*


Jadis j'ai médité ton envol.

Mais cette avant-veille, tu laissas comme filtrer un tout petit ru sentimental, toi tenant si souvent les mots en réserve. Pas des je t'aime, pas ton genre, et d'ailleurs je ne possède plus les tympans pour les entendre, ces vauriens de mots.


– Je suis bien… comme ça.


Tu m'as dit.

Moi je doute :


– Mais ce n'est pas juste parce que c'est… commode ?

– Non.


Tu me tends le visage mi-figue de qui a le cœur un peu noué.


– Ce qu'on vit, sans le dire, ça ressemble à un couple.

– Oui mais quand tu sors, jusqu'à ce qu'il y ait du jour entre les plis des fenêtres, c'est… Je dors mal… J'ai peur que tu voies d'autres fi…

– Non. Je me dis… il y a toi. Je n'ai pas envie d'autre chose.


Ce n'est rien, peut-être une broderie, ce « pas envie d'autre chose », mais cela me chamboule ma certitude de compter pour nuts.


Ça se secoue dans ma tête. Alors je la penche contre le haut de ton torse, sur l'empilement de coussins où nous tenons conversation. Tu me fais parfois penser à un pacha sur ton cairn tout moelleux d'oreillers disparates, diversement joufflus.


*


J'avais médité une despedida, se dire adieu.

Et depuis lors je n'en veux plus, de ton départ.


C'est un caprice, ce revirement.

Je me répète que n'ai pas besoin de toi.


Mais décide-t-on des rameaux zigzagants de l'amour brut ?

Non. Les vents inclinent aussi ; moi j'inclus le buste étoilé des circonstances dans mes décisions.

J'écoute.

Tu m'as dessiné quelque chose dans le cœur hier. Et n'importe… que ce soit fusain ou craie friable. Quoi qu'il en soit, d'autres joies s'y calligraphieront.


Je ne tiens pas par la seule affection, comme jadis. D'autres puissances me colmatent.


Ce sont les textes murmurés fil à fil qui me sont suc, qui se vrillent en moi et me fabriquent. C'est le mot anglais du tissu, fabric.

Eux qui m'architectent.

Eux qui me font souple surtout. Apte aux palinodies et aux slaloms. Eux qui me dansent au corps. Comme des vignes.


*


On ne sait jamais bien quand le temps coule, ni quand les rêves passent la main à la véritable écoute.


Car je suis sortie pour écouter.

Michaux.

Mon doigt atterrit sur le bon numéro de page. Après L'Insoumis, volume à rebours, j'entame La Ralentie.

J'inspire grand le goulot d'une phrase, j'attends, j'aplanis toute belle mon impatience, j'attends, j'inspire encore. J'attends.

Je me gorge du bleu bruissant perché dessus l'arbre. L'électricité chahute dans les feuilles, avec moins d'indécence (incise écologique) que les litrons d'essence rugissant sur le voisin macadam.


Les mots se mêlent. Ils se fondent dans les vagues de ma pensée ambiante. Patience.

Accepter qu'ils se délitent et ne persistent pas, refusent de me séjourner entre les tempes, accepter qu'il faille s'y reprendre à dix, deux, trois fois dix fois.

Apprendre n'est qu'apprivoisement. Exactement comme avec toi. Quelque chose d'infiniment corporel, odorant et rythmique, aussi, là-dedans.


Que disait-il déjà, ce tournant de paragraphe ? Des immeubles comme des navires prêts à se caréner.

Était-ce cela ?

Sourde angoisse des approximations…

Mémoire, bande un peu tes muscles, ne te fais pas plus lâchement lasse que tu n'es.


Enfin. Le tissu des choses vient m'envelopper comme il faut. Je suis tout à ces pages.


J'aime apprendre par cœur un texte comme si je ne devais plus employer aucun autre mot, comme si mon univers expressif se limitait à lui… et par conséquent se démultipliait. Paradoxe des étoiles qui croissent à mesure qu'on fixe l’œil à leur boutonnière.


Pourquoi ne… ?

Mais la pensée passe, la question meurt.


Les phrases de M. font en moi leurs gravures, leurs ornières.


*


Tout est paisible de ce côté de ville.

On imagine (mais avec une infinie nonchalance) la vie des gens derrière leurs vitres, vitres des bateaux à quai, vitres des restaurants. Orgueil d'être hors du mondain, hors des réseaux, d'être hors représentation.

De se suffire des étoiles que font les éclairages moirés de la ville.


Tout est paisible. Les lumières se baignent.

Elles gigotent dans la Saône.

Elles pétillent, silhouettes effilées de paillettes. Lumières sirènes. Urbaines lueurs. Lampadaires versant sur l'humide, pour toute la saison nocturne.


Saône rien qu'à moi.


La rivière me réverbère toute, moi et mon orgueil d'être en dehors de ça, dans la mesure où je le puis. Sans vitre.


Et les oiseaux battent de leurs ailes impénitentes.


Enfin, c'est le premier frisson dans la clarté nocturne, après l'étuve du jour cuisant.


Enfin. Je clos l'ouvrage et le laisse à ses palpitations internes. Nul doute que les pages et leurs frises volutées de mots vaillants, une fois le volume refermé, conversent encore entre elles, dans une promiscuité sage. À des années-lumière, leur brave chair bruissante, des écrans qu'on déconnecte, des tablettes qu'on décharge, choses-cercueils vidées dès lors qu'une énergie défaille.


Écrin de nuit rien qu'à moi, en cette poignée de minutes qui vont pour s'anéantir.


À cet instant combien de poissons filent sous la Saône ?

Et combien de quincailleries de messages s'échangent (sommation) dans l'orbe de dix secondes ? Seulette, qui se demande. Seulette, qui follement décompte. Seulette en son dédain têtu comme un coquillage.

Combien de verroteries de sentiment, par ondes ? Smartphones, petits bonbons, idiots Smarties. Et nous, dilapidés en bris de sucre. Désassemblés.

Brrrr, il fait un froid de loup pour la conscience, à notre époque… un blizzard de flux la disloque.


*


Je rentre.

Je m'en vais te caresser l'âme avec les mots d'un autre.


Me serais-je rédimée par la seule contemplation de la lune ?


 
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   ALDO   
9/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Vous n'avez jamais si bien porté votre nom !

Seulette vous êtes ici...

Non ! J'étais là ce matin !

Et vous avez permis que je vous accompagne, au bord de la Saône,

que je lise par-dessus votre épaule le Livre,
par-dessus votre pensée le Monde,

et même (pardon) mais par-dessus vos coussins, l'Amour.

Variété des tons, des registres, des sujets
et derrière tout ce feuillage de mots,

La lumière belle d'une claire solitude.

Bravo

   Roxanne   
9/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
Bonjour,
Je me suis demandée si la complexité et la richesse du texte résidait dans les références citées ou bien dans le style d'écriture. Que l'on soit éloignée de la littérature comme c'est mon cas ou bien d'une personne en particulier puisqu'on ne se connais pas, entrer dans l'univers clos de cette "seulitude" demande beaucoup d'efforts. Après avoir parcouru vos autres textes et cheminé au grès des références présentées, il me semble y voir un jeu d'échanges cohérents entre tous les astres constituant votre univers. C'est foisonnant mais difficile et je ne saisis pas tout mais à travers la lunette de mon télescope, j'ai pu entrevoir un peu de votre monde intérieur, de ce dialogue que nous entretenons chacun avec nous même mais que nous ne partageons guère avec les autres tant il est difficile à exprimer.
Je retourne à ma solitude de monade à l'éclat enrichi par le rayonnement des autres.
Merci pour ce dévoilement.


Roxanne

   Corto   
10/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Captivant.
La richesse des images, la capacité à faire de chaque phrase un élan de poésie, une création d'ambiance ou de relation, votre style est un sommet de ressenti, d'imaginaire, parfois d'avenir et surtout de questionnement.

Ici rien n'est facile, il faut tenter de ressentir à chaque ligne, et tenter de participer à l'aventure.

Parfois une phrase "coup de poing" écrase d'un poids à la limite du supportable telle "Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous quitter ?"

Un texte qui vous rappelle pour le relire et le revivre.

Bravo.


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