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Sentimental/Romanesque
solinga : Tu rentres d'aube
 Publié le 19/06/24  -  3 commentaires  -  6849 caractères  -  38 lectures    Autres textes du même auteur

Nous nous sommes tenus l'un l'autre entre deux aubes. Moi je ne me lasse pas de qui est disparaissant… ce pour quoi le réel se plaît à me jouer tant de tours. Mieux que les choses qui m'échappent, après leur don.


Tu rentres d'aube


Ô cette joie que le silence se fendille !

La clé que je te confie depuis décembre se reconnaît au froissement dans la porte. À cet étage, la serrure fait l'effet d'un velours.


Le froissement m'éveille. Je sens remuer, trop mauve, la peau minée de mes paupières : elles reprennent un peu de leur vie fragile. Leurs pétales recomposent des papillons, suivant la loi dorée des aubes.


Peut-être que jusqu'ici, dès le coucher,

mes yeux n'auront fait que semblant… Déposés pour de faux, deux mauvais anges réfutant le sommeil, vigiles impénitents, aussi longtemps que durait ton absence.


Tu rentres dans ma chambre. Ces aubes-ci, tout récemment, tu ne dors plus à part. Je ne cherche pas à réunir les fils des pourquoi.


***


Je te respire et tu me fais l'amour. Tu as l'odeur doucette du miel un peu mêlé de cigare, les lèvres pleines d'un alcool qui ne nous déplaît pas.


Les heures ont décidé d'être sages. Deux mammifères se sont recourbés sur leurs blessures conjointes, ont honoré cette magie d'avoir de l'épiderme ; cela impose retenue, a minima.

L'or du temps qui se retient… cela porte un nom depuis l'aurore. L'éternité… pour de bon ? Jamais. Mais une suspension chamarrée de grenat.

Nos yeux tout équivoques ont des allures de marrons désencapuchonnés de leurs bogues. Je te souris sans un murmure. Le silence dort allongé contre nous. Ton cœur tinte, je l'entends. Je m'exerce à l'écoute.

Les châtaigniers sous nos sourcils incidemment se referment.


Où sommes-nous ? Les draps ne se distinguent plus de la douceur de ton ventre. Je ne sais plus ce que je caresse. C'est le rêve qui l'emporte.

Nous avons dormi dans de l'éternité.


Sous le portique du matin je me souviens que c'est ta journée de travail, celle du mercredi où moi je chôme.


***


Alors aux alentours des sept heures je redeviens ton assistante pour paupières lourdes, ton coupe-vent du sommeil.

Je te sors du voilier où tu t'es réfugié à mes côtés peu avant deux heures du mat' hier.


Le plus dur est de te ravir à la barque du lit, malaisément horizontale.

Je te murmure des choses incidentes, celles qui s'enquièrent l'air de rien, les plus efficaces (« Je t'ai fait du citron… » ; « Du thé, je fais chauffer, tu veux ? » Ou bien, dans la loterie des variantes : « Dis, tu voudrais… du thé… vert plutôt ou du noir ? »… « Je vais ajouter un peu de gingembre dans le citron. »), minces demandes mâtinées de quelques « sinon tu seras pas content d'être en retard ».

Je plaide auprès de toi pour toi.


***


Devant les tasses conciliantes, qui brûlent pour nous ranimer, je tends la langue à ton silence :


– Pourquoi dis-tu que tu es malheureux ? Tu ne t'amuses pas à ces soirées ?

– Non je ne m'amuse pas. Mais je reste parce que je bois.

– Mais c'est que ça doit quand même te faire plaisir… sur le moment.


Je suis douce, j'essaie de comprendre.

Doucette mon nom ce serait, ma seule carte… comprendre.


– Si je pouvais ne pas boire… prescindir… (on jette un œil au dictionnaire venant facile sous les doigts… le mot pour prescindir c'est dispenser)… si je pouvais me dispenser de boire, je le ferais… Mais c'est que… je suis malheureux.


J'essaie d'esquiver pour toi l'écharde du mot, en souriant à moitié. « C'est un peu fort… ce n'est pas vrai… », arguant de tes petits mensonges comme de me faire croire hier que tu étais rentré sans chandail et torse nu, une chaussure au pied, ce godillot à la Van Gogh « je n'arrive pas à l'enlever » et qui resta en rade sous ma chaise jusqu'à ton départ après huit heures et beaucoup de citron gingembré.


***


D'écrire cela, de compulser, de poser perle à perle et fil à phrase, cela m'est nécessaire comme un bain de mer.

Cela me lave et nous rédime, toi pour ta désinvolture un peu oursine et moi pour ma conciliance, ma lâcheté – moi je donne tout pour la tendre fugacité de respirer un peu de peau que je désire.


Et me revient encore de ce matin à notre table ronde ma voix en main tendue :


– Qu'est-ce que je peux faire ?

– Tu n'as pas un rail de coke ? (tu dis ça sans que ça cingle, sans dureté, avec ton ironie plaisante, qui fait à peine briller une étincelle aux commissures)

– Non, et même si j'en avais je t'en donnerais pas.


Ton sourire suivi d'une expression désormais familière, un mot-refrain taillé pour moi, moi singulière, et je jubile de m'y reconnaître lorsqu'il vient à tes lèvres : « Qui comme toi… ? »

Mon sobriquet-leitmotiv, taillé pour moi.


***


Je me surprends souvent à re-rêver nos dialogues.

Est-ce si grave de ne pas qualifier ? Couple amour tout chamboulé amitié drôle je ne sais pas coexistence… Coïncidence je ne sais pas du corps du cœur… Tendresse… quoi donc ce qui nous joint tous deux ?


Ma main dans tes cheveux, sur ta nuque

pour t'aider au réveil : voilà ce qui résume bien mon rôle très anti-moraliste de demi-mère et sœur.

Il y a autre chose. Autre chose que je ne veux surtout plus chercher à qualifier.


C'est relation sans nom.

Nouage.

Fugacité d'une étreinte.

Hospitalité.

Épisode en communauté duale.

C'est ce que je n'ai de cesse de reparcourir, filant les pauvres tresses du langage et happant un peu de silence.


***


L'autre jour je suis rentrée, voilà tout, et tu n'étais plus là. Pas une poussière, ni les miettes amusantes qui ornent souvent ton p'tit déj'. Introuvable, le vermeil flambant neuf de ton passeport du bout de l'Amérique, et tes papiers empêtrés les uns dans les autres, aux pieds de la guitare. Aucun vêtement de toi, rien qui jonche le sol, chaussettes comprises. Absence de tout. Ni les chaussures en rade.


Je me suis affairée un peu hagarde dans l'appartement, en écureuil désorienté.

Plus trace de ton bazar. Plus trace de tes affaires. Seul le mien, quotidien, de bazar, se dit le petit rongeur, seul mon bordel connu, fouillis sui generis.


Depuis, j'ai attendu longtemps, aux marges du jour, chaque début de nuit, chaque terminaison d'aube, que tu viennes, reviennes, te sentir comme une parenthèse ivre te glisser dans mon lit.

En de tels moments, c'est bien connu, une foule de fausses sensations nous prend. Je te sens mais c'est pour de faux. Frissons en deçà du réveil. Ébriété en pointillé, mais pas de toi pour lui donner corps.


J'ai attendu.


Je ne sais plus ce que j'ai fait de tes messages. Sur mon téléphone. Dissipés.

Je n'ai jamais cru en la technologie, de toute façon.

Mais cet appartement ayant retrouvé sa forme de jadis, d'un coup, décoloré de ton passage. Comment comprendre ?

Rien qui témoigne.


Pourtant.

Toute ma mémoire de toi est intacte. Chaque pli de peau, et les inflexions prises dans ma gorge pour signifier la joie.

Pourtant.


T'ai-je rêvé, frère d'accueil ?


Es-tu seulement reparti ?


 
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   Robot   
20/6/2024
Je n'avais pas envie de commenter particulièrement cette nouvelle.
Mais comme je suis désolé que cette nouvelle ne suscite pas de commentaire, je vous livre mon interprétation de lecture.
Un moment de couple ou semble-t-il la partenaire s'illusionne sur la profondeur d'une relation qu'elle essaie de maintenir. Quoiqu'elle fasse, il est malheureux comme par un manque d'envie. Quand le charnel ne suffit pas, quand il y a dégout de soi jamais vraiment formulé. Et puis un départ qui n'est même pas une rupture, plutôt une fuite qui laisse la proie de l'illusion désemparée.
Une écriture qui retient le lecteur.

   jeanphi   
20/6/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

N'étant pas davantage expert en amour que dans la rédaction de nouvelles, j'ai d'abord été réticent à la commenter étant donnée qu'elle me plaît assez peu.
Plus précisément elle ne me déplaît pas à condition de ne pas la considérer tant comme une nouvelle que comme un long récit poétique. Je crois pour ma part que c'est dans cette catégorie que votre texte eut emporté le plus de suffrages. Quelle profondeur dans la manière de formuler et de faire passer les émotions. Mais hélas, je m'ennuie du caractère extrêmement introspectif de l'ensemble. Question de préférence...
Je crois par ailleurs qu'il y a un immense potentiel que l'auteur devrait faire l'effort de rendre plus attrayant, par de la romance, du clash ou simplement de l'action. Donner plus d'éléments de narration tangible confèrerait un surcroît d'intérêt sinon chez le rédacteur, du moins chez le lecteur.

   in-flight   
18/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Ça frotte niveau conjugale, c'est grippé au niveau de la mécanique des sentiments. Il suffirait de mettre de l'huile dans les engrenages, il suffirait de s'aimer.

LUI: Il faudrait enfin parler, mais c'est le goulot de la bouteille qui monopolise la conversation.
ELLE: l'aimerait-elle autant dans sa version joyeuse. N'est-elle pas attirée par le tragique? (Ce penchant pour le drama....)

Les deux esquivent la vérité: se mentir à soi-même, c'est confortable.

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Le "prescindir" est de trop selon moi, surtout dans un dialogue.

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Merci pour ce joli texte, en retenu (comme la narratrice).


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