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Sentimental/Romanesque
solo974 : La petite dinde
 Publié le 11/01/18  -  12 commentaires  -  4966 caractères  -  85 lectures    Autres textes du même auteur

J'ai écrit cette courte nouvelle en hommage à Jeanne, injustement disparue.


La petite dinde


Mon année de 6e au collège de T. est émaillée de souvenirs certes décousus mais qui ont contribué, je crois, à forger définitivement ma personnalité de pipelette passive. Sous l’œil bienveillant du Sieur Colin, qui dirigeait honorablement ce digne établissement, je quittai brutalement l’univers à coiffes de l’école maternelle pour affronter la cacophonie joyeuse – et toute laïque – d’un collège de banlieue qui, aussi minuscule fût-il, n’en recelait pas moins des trésors de personnalités maniaques, et quelque part dévastatrices.

Madame Caffard, petite perruche au crâne hérissé de mèches blondes, eut l’insigne honneur d’être mon premier professeur de français. À dire vrai, je me souviens davantage de son perpétuel caquetage que des rudiments que – dans l’espèce de brouhaha de basse-cour qui régnait – elle s’évertuait pauvrement à nous rentrer dans le crâne. Mais quelle satisfaction le jour où Jean-Marie Shanen – sous le regard effaré de sa sœur jumelle Béatrix, timide et réservée – jaillit de sa chaise et, la traitant haut et fort de « salope », lui administra sous nos yeux une gifle à faire tituber un bœuf !

Jean-Marie, bien qu’âgé d’à peine onze ans, avait déjà cet air usé des petites frappes de banlieue et des dents outrageusement cariées, précocement jaunies par le tabac de pacotille qu’il fumait en cachette de son père – sans tousser. Mais ce jour-là, et en dépit des nombreuses heures de colle que lui assigna solennellement le Sieur Colin, il devint le Héros : celui qui avait réussi – quitte à essuyer la punition suprême : le renvoi du collège – à clouer le bec de la perruche caquetante ! Que faire pour réconforter la petite frappe, si ce n’est d’accepter de fumer avec lui ma première cigarette, mélange toussotant dont je ne garde qu’un seul souvenir : les dents de Jean-Marie, affreusement jaunes et cariées, mais tout à la joie d’aspirer et d’aspirer sa liberté d’enfant indomptable, qui avait su jeter à la face de la Caffard ce mot insultant de « salope » ?

Si j’étais à cette époque ce qu’il est convenu d’appeler une petite dinde – pipelette à faire peur mais soucieuse, tout de même, d’être bonne élève –, si la petite dinde admirait en secret l’absence de couardise de Jean-Marie Shanen et ses dents jaunes à décourager le plus consciencieux des dentistes, je vouais dans le même temps une admiration sans bornes pour la fillette probablement la plus effacée de notre classe de 6e. Jeanne Ternat était pauvrement vêtue et avait toujours l’air triste. Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais vu sourire cette enfant pâle aux cheveux noirs, ternes et plats. Mais la modeste Jeanne – dont je revois encore la pauvre taille, maladroitement attifée dans une robe à fleurs jaunes, délavée à force d’essorages – avait sur moi un avantage indéniable et qui forçait mon imagination d’enfant : ses seins poussaient et « ça lui faisait mal » ! J’aimais questionner Jeanne. J’aimais aussi, je crois, forcer Jeanne – qui ne parlait jamais – à s’exprimer sur cet effrayant mystère de ce qui « faisait mal ». Et pourquoi ? Et comment ? Jeanne ne souriait pas et tristement parlait, dans son langage de campagne, de bourgeons durs et froids.

Bruno Vidal-Cross avait des dents de cheval et hennissait en conséquence. Certes, il savait être drôle, mais combien je le haïssais quand mon frère Jean-Baptiste disait de lui que c’était « mon amoureux » ! J’affectais donc avec lui la froideur la plus excessive lorsque, à huit heures moins dix pétantes, il faisait crisser les pneus de sa bicyclette au 42 rue Carnot. C’était là, en effet, le signe que je devais rallier tambour battant la troupe des véloclards qui iraient assaillir le collège de T. Pour peu que mon frère Baptiste scandât ce bruyant départ de la ritournelle attendue (« Vidal-Cross est ton amoureux-reux-reux ! ») et voilà ma journée de gâchée car même si j’aimais le gros rire de Bruno, je détestais en revanche qu’il se compromît jusqu'à rire au 42 rue Carnot, comme un cheval, de toutes ses dents. Mais Jeanne Ternat était là, pâle et triste consolatrice aux bourgeons durs et froids. Son teint, de pâle, était devenu jaune et sa robe aux fleurs délavées laissait maintenant affleurer de pauvres genoux, maigres et crasseux. Jeanne avait grandi !

Monsieur Colin rentra, solennel et bienveillant, dans le cours de madame Caffard, plus perruche que jamais, plus que jamais s’évertuant à faire rentrer dans nos pauvres crânes des rudiments impossibles, inacceptables. Jean-Marie Shanen se tint coi : il n’était plus question de traiter la Caffard de « salope » devant le proviseur. Bruno Vidal-Cross eut l’instinct de ne pas hennir. Tous, nous retenions notre souffle : qu’avait monsieur Colin à nous annoncer, de si important ?

Jeanne Ternat était morte.


****


Jeanne, qui vivait dans une roulotte, a fait les frais du désespoir de son père qui – croulant sous les dettes – a ouvert la bonbonne de gaz. Requiescant in pace !


 
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   Asrya   
16/12/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Le texte est court, très, probablement trop.
Le ton est intéressant, vif, rythmé et relativement bien ponctué. En tout cas, la lecture n'est pas déplaisante.
On lit, on lit, on lit. Des phrases qui s'enchaînent et qui tentent de nous envoyer dans un passé, dans un souvenir ; mais qui tentent seulement car je trouve que niveau "partage", ça ne marche pas - pour ma part en tout cas. Je n'ai pas réussi à m'identifier à votre personnage où aux scènes que vous avez essayé de décrire. Ca ne m'a pas convaincu.
J'ai trouvé l'ambiance intéressante mais il m'en aurait fallu bien plus pour pouvoir commencer à ressentir des choses et me mettre à la place de votre personnage.
Un texte qui, je trouve, n'est pas suffisamment abouti, qui en tout cas, mériterait d'être développé avec plus de conviction.
Le style est là, l'histoire également ; reste à l'approfondir.

La fin est abrupte, alors là... on ne peut pas dire le contraire. Mais... du coup, je ne vois pas en quoi cette brutalité dans la fin permet d'en faire quoi que ce soit. Quel message ? Ou vous n'insistez pas suffisamment sur "la petite dinde" dans le reste de votre écrit, avec dans ce cas un message centré sur le traitement des autres lorsqu'on est jeune ; ou vous ne traitez pas suffisamment la "chance" de vivre, tout ce qui paraît anodin mais qui peut prendre fin, comme ça, sans raison ; pour quelqu'un comme pour quelqu'un d'autre.

L'ensemble m'intéresse mais son traitement ne m'a pas convaincu.

Merci pour le partage,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Tadiou   
17/12/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
(Lu et commenté en EL)

Ecriture sobre, fluide, sans pathos, pour décrire avec sensibilité des petits mondes d’enfants, jusqu’à la chute. Et la nouvelle du décès de Jeanne, annoncé tout aussi sobrement, en précisant l’existence de la roulotte et du suicide et crime.

Petit texte ô combien triste, écrit avec une douce sensibilité qui me touche. Petit texte qui renvoie, hélas, à une réalité tristement contemporaine.

Un grand merci donc et à vous relire.

Petite remarque de détail : je suis étonné que la petite dinde passe illico presto de l'école maternelle au collège... Quelle vélocité!!!!

Tadiou

   Bidis   
11/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Ce texte me laisse une impression très mitigée. L'écriture est plaisante à lire, entraînante, mais, à mon estime, pas toujours tout à fait correcte - ou plutôt elle fait preuve d'un certain laisser aller. Par exemple, ici l'adverbe "pauvrement" me semble mal choisi pour montrer la difficulté du professeur ("elle s’évertuait pauvrement à nous rentrer dans le crâne."). Ailleurs, les adjectifs "impossibles, inacceptables" pour rudiments auraient dû être explicités, par exemple "impossibles à assimiler, inacceptables pour notre capacité d'effort". Et ce "mélange toussotant" qualifie bizarrement "ma première cigarette". Le mélange de tabac fait tousser mais ne tousse pas.
Bref un petit manque de précision.
Un gamin de onze ans qui aurait les dents jaunes et cariées d'un vieux fumeur ??? Je n'y crois pas une minute.
Par contre, l'histoire se déroule de façon à intéresser jusqu'au bout, l'atmosphère y est, et la chute est poignante.

   plumette   
11/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Solo974

l'intention de ce texte me touche: évoquer et redonner vie à cette " Jeanne" pâle aux bourgeons durs et froids.
La narratrice nous fait partager une petite tranche de vie surgie du passé, avec quelques anecdotes, bien choisies et plutôt bien racontées.
Mais je reste tout de même un peu en dehors car il y a beaucoup de personnages sur un format si court!J'en ai compté 8 , à peine apparus, sitôt disparus.
la narratrice est très sensible aux dents: celles de Jean-Marie, jaunes et cariées et celles de Bruno, cheval hennissant. Et
C'est la couleur jaune qui domine (Les mèches blonde de la perruche, celle des dents, celle de la robe de Jeanne puis de son teint) Le texte est visuel et laisse une impression durable ce qui témoigne de sa force.

A vous relire


Plumette

   Anonyme   
11/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour
Très émouvant votre récit
qui passe à travers le kaléidoscope des souvenirs

Votre Jeanne m'a fait penser à Gelsomina de La Strada de Fellini.
Amitiés.

   gujot   
12/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Nul doute qu'il y a un plaisir certain à vous lire, et ce, dès le premier paragraphe. Les détails dans les descriptions témoignent d'un sens de l'observation qui rend les personnages très sentis, très crédibles, devrais-je dire, et ces détails sont soutenus par une plume vivante.

Cela dit, la structure de l'intrigue est peut-être davantage à l'image des souvenirs, c'est-à-dire quelque peu décousue. J'aurais aimé avoir une certaine montée dramatique, quitte à commencer le deuxième paragraphe par l'entrée en classe du proviseur, entrée qui aurait été prétexte à guetter la réaction des camarades et, donc, à en faire par le fait même le portait, comme vous l'avez si bien fait.

De plus, je comprends mal comment cette annonce, liée aux considérations évoquées avant celle-ci, a contribué à forger la personnalité de la narratrice puisque c'est ce qui semble être l'objectif de ce récit, quoique le cœur de celui-ci réside présentement davantage dans la relation entre chacun des personnages et la narratrice.

Ainsi, je crois qu'il ne faudrait que mieux définir l'impact de l'annonce sur les traits de personnalité que la narratrice a développés au contact de ces camarades aux "personnalités maniaques, et quelque part dévastatrices", le reste fournissant déjà une agréable lecture.

   Marite   
13/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une incursion réussie dans une classe de 6ème. L'écriture très fluide se fait oublier ou, plutôt, nous mène tambour battant depuis le premier paragraphe jusqu'à la conclusion très inattendue. Aucun temps mort dans cette nouvelle, aucun ennui non plus. Les personnages entrent en scène, chacun à leur tour et leurs portraits sont croqués avec précision. Juste une question : "La petite dinde" ... est-elle la narratrice ou la petite Jeanne ? Je n'en suis plus certaine en terminant la lecture.

   Rincedalle   
14/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une tranche de vie qui laisse un peu sur sa faim. Le personnage intéressant dans cette nouvelle, c'est Jeanne. Jeanne que l'on aurait aimé mieux connaître. Mais il fallait s'y attendre car cette satiété insatisfaite, on la doit à la petite dinde - ce qui péjorativement est assez insultant pour le gallinacé - qui, à la manière d'un paquebot transatlantique, traverse les océans sans se soucier des icebergs. Et aux Jeanne et consœurs par la force des choses.
"pipelette à faire peur mais soucieuse, tout de même, d’être bonne élève" : tout est dit et résume assez bien ce que sont ces enfants de bourges qui s'encanaillent avec les petites frappes - ceux-là même qui leur procurent les clopes et un bref aperçu de la vraie vie - mais qui s'offusquent si l'un des leurs se laisse aller à hennir de toutes ses dents en public.
Un portrait intéressant mais un peu trop lissé à mon goût.
Merci pour ce partage.

   Louison   
14/1/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime beaucoup la légèreté de l'écriture pour peindre ces portraits d'élèves de 6ème, les petits bourges et les cadors du lycée, et la petite Jeanne, maigre et triste.

Une histoire triste et bien écrite, les mots sont justes.

J'aurai aimé un petit paragraphe supplémentaire entre le moment où Jeanne est là, sa robe devenue trop courte, et le moment où Mr Colin vient annoncer la nouvelle de sa mort.

Merci beaucoup pour ce beau moment de lecture.

   Anonyme   
6/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour solo974,

Je cherchais à vous commenter en poésie, n'ai pas trouvé d'autres poème que "Cercueil" que j'avais commenté avant mon départ;
Je suis donc venue lire votre nouvelle.
J'ai beaucoup aimé cette histoire de volatiles en milieu collégien. Les portraits sont très bien trouvés et le lecteur retrouve des sensations oubliées de ses 12-15 ans.

L'écriture est soignée, le nombre important d'adjectifs gênent un peu parfois et j'aurais aimé, sans doute, que le texte soit un peu plus long.

   Donaldo75   
6/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour solo974,

Ce texte est désespérant. Pourtant, les allégories animalières auraient dû me faire rire, je suppose mais ce ne fut pas le cas. Le décor est triste, étouffant de grisaille. Les personnages ne sont pas plus gais, malgré leurs coups d'éclat. J'ai l'impression de regarder un film du néo-réalisme italien.

La fin confirme ce désespoir.

C'est réussi.

Merci pour m'avoir mis le blues,

Don

   moschen   
7/4/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Solo,

Tout d'abord j'ai été surpris par le présent, de vérité générale, employé dans la première phrase. Cette phrase est censée nous situer dans le temps.

Puis là deuxième surprise vint du nom Caffard donné au professeur de français. Il me paraissait exagéré. À votre décharge la ménagerie se complète d'une dinde, d'un cheval, un Colin, etc. qui atténue la surprise.

Le narrateur cherche à apporter du réconfort à Jean Marie. Je ne suis pas certain que réconfort soit le mot adapté pour louer l'aplomb d'une petite frappe.

Personnellement, je me suis demandé pour quelles raisons, l'insulte avait été lancée. J'aurais espéré obtenir une explication.

Si Jeanne est le centre du récit, elle fait la chute, vous auriez dû la faire parler, la faire vivre, la faire penser pour que nous puissions nous y attacher.
Après une première lecture, on ne comprend pas ce qui rend Jeanne attachante. Ce ne peut être uniquement son destin.

Je dois dire que j'ai lu sans effort et au final j'ai apprécié la petite ménagerie.
La fin est trop brutale et l'explication en mode renvoi est frustrante.

Au plaisir de vous relire.


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