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Sentimental/Romanesque
solo974 : Sacrée cantoche…
 Publié le 08/08/23  -  9 commentaires  -  5676 caractères  -  59 lectures    Autres textes du même auteur

« Qui se sent morveux, qu’il se mouche. »
Molière, L’Avare


Sacrée cantoche…


Nicole Adam morvait. Elle morvait tous les jours, à heure dite, gaillardement, insolemment, dans sa soupe au vermicelle. Rien (ni le brouhaha effarant qui régnait dans la minuscule cantine, ni la coiffe de la Sœur Solange, grisâtre et pelliculaire, ni les pitreries de ma sœur Nicolette) ne pouvait détourner mes yeux de ce spectacle écœurant. Le supplice commençait dès que sonnait la cloche. Alors je savais que je devais rejoindre la place attitrée : Nicole Adam, la soupe au vermicelle et ce nez, ce nez légèrement écrasé qui morvait insolemment sous mes yeux sans que rien puisse l'arrêter. Je n'ai jamais pensé que si Nicole morvait, c'est peut-être parce qu'elle pleurait. J’étais trop jeune à l’époque pour m’en soucier… Le regard rivé sur les lèvres dont je m'étonnais toujours qu'elles fussent capables d'absorber une telle quantité de morve, je fulminais de rage. Comment faire pour prendre la cuillère et avaler à mon tour ce potage insipide ? La cornette de la Sœur Solange veillait au grain et il fallait que tôt ou tard, je fasse fi des pellicules et des lèvres saturées de morve de Nicole Adam.


***

Ma haine connaissait pourtant quelques accalmies. Marianne Ravier, ma meilleure amie, était pour moi un émerveillement de santé. Je l'aimais énormément et enviais la double chance qu'elle avait de ne pas faire partie de la cohue des demi-pensionnaires de l'école Sainte-Marie et d'être toujours abondamment pourvue en nourriture. Je ne sais comment s'organisaient ses parents, mais la baguette que dès la pause du matin elle exhibait de son cartable était toujours fraîche et appétissante. Il fallait négocier, mais Marianne était fondamentalement généreuse. Dans sa naïveté absolue, et quand on lui faisait miroiter en échange quelques barres de pauvre chocolat (qu'avais-je à lui proposer d'autre que la maigre plaquette honteusement volée à la boulangerie du Pont des Picottes ?), elle sortait le miracle des miracles : du Bonbel. Alors nous mangions et cette complicité masticatoire avait sa magie : elle me liait très fortement à Marianne (qui aimait à partager, dans son complexe de « grosse fille ») et me délivrait pour un temps du nez morveux de Nicole Adam.


Marianne, dont le souvenir demeure indiscutablement lié dans ma mémoire au goût de la baguette fraîche gorgée de Bonbel, sut égayer, de sa double santé, la triste demi-heure quotidienne obligée. À la vue de ses joues rebondies, ma haine, en effet, fondait. Je n'ai su que beaucoup plus tard que tout ce que justement j'aimais en elle – son appétit féroce, ses dents saines et fraîches, expertes à dévorer la demi-baguette qui lui échouait, au terme d'un partage minutieux – faisait souffrir cette incomparable amie d'enfance. Marianne voulait être danseuse. Le dernier souvenir que j'ai d'elle demeure empreint de tristesse. Pour parvenir à ses rêves de sylphide, elle avait – m'avoua-t-elle – « fort usé du laxatif ». Demeurait, sur un corps maigrelet et quelque part usé par les draconiens régimes auxquels elle s'était astreinte, une tête rebondie aux joues encore pleines, seul vestige de son impénitente goinfrerie de l'école Sainte-Marie. J'en ai encore le cœur serré.


***

Si Nicole Adam m'infligeait chaque jour l'effrayant spectacle d'une morve qui n'en finissait pas de couler – et dont, comme hypnotisée, je suivais le lent parcours sinueux jusqu'aux lèvres minces, comme avalées elles-mêmes par ce flux incessant –, sa sœur Gisèle, en revanche, respirait la santé et avait le nez sec. Peu attentive, semble-t-il, aux « débordements » odieux qui cristallisaient toute mon attention – au point que même la cornette menaçante de la Sœur Solange n'y pouvait rien –, Gisèle Adam arborait une crinière blonde magnifique et des dents pointues, si blanches que même les lèvres rouges et charnues qui les recouvraient n'en atténuaient l'éclat. Ni l’écœurante soupe au vermicelle, ni les morveux sanglots de sa sœur ne semblaient la perturber. Gisèle adorait manger et se livrait avec voracité à cette activité, dont rien ne semblait pouvoir la détourner. Certes, elle exhibait de temps à autre un vague mouchoir, mais qu'eût pu un mouchoir contre la morve larmoyante de sa sœur ? Gisèle, absorbée, dévorait, mastiquait à pleines dents, à mille lieues de la haine qui me dévorait et contractait mon estomac.


***

Mais Gisèle savait aussi, à sa façon, apporter une accalmie au mal qui me rongeait. En effet, il arrivait parfois que la Sœur Solange – par quel instinct culinaire soudain réveillé ? – se mît en frais. Alors, à la sempiternelle soupe au vermicelle, succédaient deux tranches de langue de bœuf, si froides et si gélatineuses que j'en occultais les morveuses narines de Nicole Adam pour négocier savamment avec les dents blanches de Gisèle et leur formidable capacité d'absorption. Une bataille effrayante se livrait alors en moi : il s'agissait ni plus ni moins, en effet, de troquer ma haine et de faire en sorte que Gisèle acceptât d'échanger – sous l’œil guerrier de la Sœur Solange – son assiette vide contre la mienne, restée pleine !


C'était là, j'en conviens, un jeu morbide et effrayant, mais que pouvais-je contre mon inappétence ? Je n'ai pas le souvenir que Gisèle ait refusé une seule fois de se livrer au double effort masticatoire que, à ma façon, je lui imposais – c'est-à-dire sournoisement et trahissant la haine sans merci que j'éprouvais pour ces deux sœurs, l'une parce qu'elle morvait insolemment, gaillardement, dans ma soupe au vermicelle ; l'autre parce qu'elle finissait toujours, sans scrupule aucun, par ingurgiter ma langue de bœuf, aussi froide et gélatineuse qu'elle fût.


 
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   toc-art   
15/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

Je trouve l'écriture de ce texte aboutie et qui donne corps aux différents personnages de cette galerie de portraits. Il en ressort une vraie ambiance, une certaine épaisseur. Même si je n'ai pas bien compris d'où venait la haine pour Gisèle qui pourtant acceptait de manger l'assiette de la narratrice. On ne sait rien d'ailleurs de cette fameuse négociation dont nous parle la narratrice, et qui parait de l'extérieur un peu inutile puisque la voracité de Gisèle semble inextinguible.

Au delà de ces détails, ce qui manque, à mon sens, c'est une vraie histoire. Là, on est juste dans l'anecdote, certes marquante pour la narratrice, mais qui ne permet d'extrapoler beaucoup plus, en dehors peut-être du sort de Marianne. Après, c'est mon attente personnelle, j'entends tout à fait que ça n'était pas votre but.

Dernière observation : je pense que les parenthèses sont pour la plupart inutiles, des incises les remplaceraient avantageusement.

   jeanphi   
18/7/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour,

La gastronomie revue et corrigée sous l'angle de la comédie humaine.
Oserais-je saluer quel brillant usage de la langue vous faites, l'un des sujets secondaires étant la langue de bœuf .
Le focus est étroit, sa finalité est contenue dans chaque paragraphes, et le tout est vitriolé. L'écriture est très littéraire.

   Disciplus   
18/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Espace lecture
Je fais abstraction de cette histoire morveuse, pleine de langue de bœuf et de fausse grosse, qui ne m'intéresse aucunement pour m'impliquer dans la rédaction proprement du texte.
C'est en français correct - si on excepte le verbe "morver", néologisme stylistique.
Les personnages sont plausibles.
L'idée générale peut être entendue. Inimitié d'adolescentes à l'internat avec acmé à la cantine
Pas de chute.

   Donaldo75   
29/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
J’ai failli régurgiter mon petit déjeuner dès les premiers mots ; peut-être suis-je finalement un petit être sensible que le mot « morve » et ses dérivés dérangent ou sortent de sa zone de confort. Le premier paragraphe m’a bien dégouté à cet égard. C’est bon signe. Cela veut dire que la narration est réussie. Le style d’écriture est assez classique, pas super moderne dirais-je dans un élan d’euphémisme voire d’évidence à deux balles. D’histoire, pas des masses je trouve mais c’est plus dans le portrait que je classerais ce texte.

   hersen   
29/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J'aime beaucoup cette nouvelle.
Il y a l'impression qu'on reste dans de simples souvenirs d'école, de cantoche, tous plus ou moins heureux, des souvenirs de gosse, quoi ! Mais ces souvenirs n'en sont pas, ils sont un marquage persistant d'un rapport à la nourriture.
Entre celle qui morve dans son assiette et l'autre qui se goinfre de tout,
il y aura ce malaise, formidablement énoncé dans le passage, à la fin, où le malaise par rapport à la nourriture est clairement, sinon assumé, en tout cas conscient, quand Solange se met en frais pour cuisiner du bon à la narratrice, qui se retrouve devant deux tranche de langue de boeuf si gélatineuses, si froides, qu'elle occulte pour un temps la morvosité de Nicole.
Bref, ceci pour dire que c'est une vraie nouvelle, elle nous emmène plus loin que ce qu'elle dit.
Et le calvaire des enfants que l'on force à manger, ce calvaire de l'heure des repas...

   papipoete   
9/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour solo974
Faut le coeur bien accroché pour ne pas quitter la table, face à ce puits de morve qui n'en finit pas de s'écouler, et déborder dans l'assiette de l'héroïne qui stoïquement résiste à cet affreux spectacle ; " ça mangerait une pomme sur la tête d'un galeux ! "
NB inappétence que je ne connus pas à la cantine, plutôt la faim quand désespérément le plat échouait en dernier devant moi... vide !
Le " surg' " découvrit un beau jour ce stratagème, devant qui ne caftant point, les caïds me prirent finalement en sympathie !
Vous évoquez " bonbel et sylphide " ( fromage contre taille de guêpe )
Bizarrement, mon père qui travaillait chez Bel, testa un beau jour un fromage " saveur sylphide "
Votre texte fait parfois sourire, avec cette éruption de morve, dont le flot jamais ne cesse, mais au final l'émotion n'est pas loin et Soeur Solange surveille cette assiette tout d'un coup vide... 10 secondes plus tôt encore pleine !

   Babefaon   
10/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Un instantané servi par une écriture de qualité. Les mots sont bien choisis et le style en adéquation avec l’époque à laquelle il me renvoie. Les images s’enchaînent à la vitesse d’un repas de cantine que l’on aimerait terminer au plus vite au vu des mets insipides qui sont servis et aux images peu ragoûtantes qui lui sont associées. Il y a comme une urgence à raconter pour se débarrasser au plus vite de souvenirs devenus encombrants, ce qui peut laisser, dans un premier temps, le lecteur sur sa faim. Sans même chercher, comme elle le dit, à savoir ce qui est à l’origine de cette « morve » qui ne peut que l’empêcher d’apprécier quoi que ce soit, laissant libre cours à l’imagination. On prend plaisir à observer cette courte scène dans laquelle se mélangent plein de sentiments qui lui laisseront, à n’en pas douter, une empreinte indélébile tout au long de sa vie, ouvrant très certainement la porte à des troubles du comportement alimentaire.

   Robot   
12/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Ces brèves de cantines certes peu ragoutantes sont rédigées dans une vision réaliste et je trouve que c'est leur qualité. Bien sur l'image de la morveuse n'est pas des plus savoureuses mais il faut un certain talent descriptif pour inspirer cette répulsion par l'écriture.
Pour ma part, j'ai ressenti plus de dégout au passage rapporté de ces deux morfales gloutonnant cet amalgame de baguette accompagnée de Bonbel. Beurk !

Je n'ose dire que je me suis régalé de ce texte mais franchement je l'ai trouvé fort bon, fort bel. Bon bel quoi. !

   Cyrill   
16/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Salut Solo,
Le cœur bien accroché j’ai attaqué le morceau au lieu de me carapater aux premiers mots. Bien m’en a pris, j’ai aimé ces souvenirs, fictifs ou non, racontés d’une plume alerte et facétieuse. La « complicité masticatoire » et autres tournures sont un régal. Une écriture délectable selon moi.
Le regard de l’adulte porté sur son enfance est sans concession ni mièvrerie. Les personnages sont croqués avec beaucoup de mordant ( ! ), le personnage central étant la nourriture à n’en pas douter.
Pas d’histoire mais des portraits et de petites histoires dont parfois le tragique se cache sous l’ironie. À l’instar d’une narratrice qui revisite son passé, j’ai vraiment envie de savoir ce que sont devenues ces gamines.
Merci pour le partage.


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