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Sentimental/Romanesque
spinalelfe : À l'ombre du cerisier japonais
 Publié le 23/09/13  -  4 commentaires  -  4859 caractères  -  90 lectures    Autres textes du même auteur

C'est une histoire d'amour entre un homme et un végétal qui dissimule des pulsions animales.


À l'ombre du cerisier japonais


À l’ombre du cerisier japonais, plus rien ne pousse.


La première fois que j’ai vu ce cerisier du Japon, c’était il y a dix ans. Dans ce parc public où j’aime me promener à toute heure. Je venais d’emménager dans la région et je n’avais pas de jardin. On a rarement vu un studio mansardé de 30 m² avec jardin. J’ai bien quelques plantes : basilic, persil, thym, romarin. Ce sont toutes des plantes aromatiques qui ont la particularité d’être taillées en bonzaï. J’ai aussi affiché un poster d’un jardin japonais, le Kenroku-en : grande étendue d’eau accompagnée d’une lanterne, petits ponts de bois foncé, pins aux formes tortueuses, iris divins, pruniers et cerisiers du Japon. Plus qu’un poster, c’est une fenêtre vers un autre monde, je m’y projette et, assis sur mon îlot, je guette l’apparition de carpes koï. J’aime ces jardins car l’art de la dissimulation y est pratiqué. J’aime l’idée que l’on ne puisse pas tout voir d’emblée, qu’il reste des éléments mystérieux à découvrir. J’aime le Japon. Plus que mon pays, plus que moi-même. L’herbe m’y semble plus verte, le soleil plus radieux, les gens plus respectueux. Je n’ai jamais été au Japon. J’aime ce poster et mes bonzaïs mais cela ne suffit pas à m’apaiser.


J’éprouve un immense besoin de verdure et de me sentir en harmonie avec la nature. Un besoin irrépressible de me fondre dans le décor, de me coller à la pelouse, au tronc d’un vieux chêne. Comme un animal. Besoin d’enfouir mes pulsions animales.


La première fois que je l’ai vu, c’était au printemps. Marchant seul, comme à mon habitude, je m’étais éloigné des sentiers battus, à la recherche d’un peu de sérénité verdoyante, d’une présence végétale rassurante, d’une beauté dissimulée. Après avoir affronté une armée d’arbustes épineux, j’ai relevé la tête ; je n’ai vu que lui et ses mille fleurs roses. Oui, il était en fleurs et d’une beauté à me faire pleurer. D’une beauté et d’une quiétude que je lui enviais. À cette époque, à son pied, poussaient du gazon, quelques mauvaises herbes et de la mousse. Si ce bel arbre ne se trouvait pas en bordure des sentiers balisés visible aux yeux de tous les promeneurs, c’était sans doute pour me laisser découvrir sa splendeur et ses secrets. J’ai tout de suite su que c’était l’Endroit. Mon lieu idéal, mon lieu d’apaisement, mon lieu de fusion. Il était devenu mon jardin japonais à moi, mon cerisier dissimulé et dissimulateur. Il m’aiderait, il cacherait ma laideur.


Maintes fois, j’y suis revenu. De jour. De nuit. De jour pour me blottir contre son tronc à l’écorce fine, l’enlacer comme on enlace un être cher, rêvasser avec lui, apaiser mes angoisses. De nuit pour enfouir mes secrets : des corps humains, emballés dans de vulgaires sacs en plastique, découpés en menus morceaux, c’est tout ce qu’ils méritent. J’aime mon arbre mais je n’aime pas les hommes. Ceux que je croise dans les rues, les parcs, partout où je vais. Leurs regards me terrifient, leurs odeurs me répugnent. Ils incarnent la médiocrité et l’orgueil. Sont-ils, suis-je, vraiment humains ? Ils éveillent en moi des pulsions animales que j’essaie de chasser, encore et encore. Mais c’est eux que je finis par chasser. Lors de mes sorties nocturnes, je deviens la bête, eux les proies. Quand c’est moi l’animal, personne n’en réchappe. Mes proies finissent démembrées et enterrées. Comme d’ultimes offrandes. C’est pour cela que plus rien ne pousse sous le cerisier.


Hier, le violent orage qui grondait et l’énorme quantité d’eau qui tombait du ciel m’ont empêché de sortir. Je déteste la pluie. Coincé avec mes pulsions, entre deux murs et un plafond, je regardais, tour à tour, mon poster et l’image mentale de mon cerisier du Japon, dans une sorte de rêverie compulsive : je répertoriais, comptais, visualisais mille fois chaque petit détail. Des gouttes de sueur coulaient sur mon visage et mon corps crispés, endoloris. Besoin inassouvi.


Aujourd’hui, le soleil brille. La pluie a cessé. Je marche d’un pas pressé, j’ai besoin d’un moment avec mon bien-aimé. Arrivé à une dizaine de mètres de celui-ci, je me fige, mes sueurs de la nuit reprennent et s’amplifient. Mon lieu de destination est ceinturé de banderoles jaunes, d’hommes-policiers, de passants et promeneurs curieux et du satané coureur matinal qui a provoqué cette agitation en joggant hors piste pour la première fois. Alors que le déluge nocturne maintenait mon angoisse à son paroxysme, dans le parc, la foudre s’était abattue sur mon jardin japonais. Mon cerisier s’était fendu, incliné, détaché du sol. Ses racines avaient soulevé la terre liquéfiée, dévoilant mes entrailles putréfiées. Mes secrets dévoilés, mon cœur s’étiole. Je hurle dans ma tête de colère et de désespoir. Comme j’ai hurlé quand ils ont abattu mon chêne, autre divinité déchue. Sous celui-ci aussi, plus rien ne poussait à la fin de sa vie.


 
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   Anonyme   
7/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
En lisant ceci : "Hier, le violent orage qui grondait", je me suis dit que le cerisier allait prendre cher et que tout serait découvert. Bingo, c'était à peu près inévitable !

J'ai beaucoup aimé ce basculement soudain : "De nuit pour enfouir mes secrets : des corps humains", où la nouvelle a d'un coup changé d'orientation. Voilà ce qui s'appelle cueillir le lecteur à froid ! Pour moi, ça a bien fonctionné.
Sinon, eh bien j'ai aimé l'écriture, belle et dense pour moi, mais l'histoire en soi ne m'a pas tellement emballée ; un psychopathe, un de plus, on ne saura pas pourquoi. Soit. La nouvelle m'a paru tout entière tendue vers sa chute, sans dire autre chose que ce qu'elle dit, mais bien construite en tout cas, avec efficacité et économie de moyens.

   Acratopege   
13/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Plutôt qu'une histoire d'amour, j'ai vu dans votre texte une histoire de désamour. La rupture d'avec le monde des hommes m'a davantage convaincu que les pulsions pour le monde des arbres et des jardins. En vous lisant, j'ai ressenti de la lourdeur, du désespoir. En faisant le détour par les jardins japonais et les cerisiers aux fleurs roses, je trouve que vous avez très bien décrit ce que les professionnels appellent une dépression au sens fort du terme.
Rien à dire sur le style, dont la simplicité est tout à fait congruente au propos. Un peu d'emphase moins bienvenue, peut-être dans des expressions comme "entrailles putréfiées" ou "mon cœur s'étiole", mais au fond cela convient assez bien à l'atmosphère mélancolique du récit. Mélancolique au sens fort.

   Robot   
24/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Je vois dans votre texte une tentative d'adaptation à la solitude, une échappée du monde des hommes vers la nature qui loin d'apporter un réconfort plonge la personne dans une absence encore plus profonde.
Le (ou la) solitaire découvre qu'elle est trahi par la nature, une tueuse auprès de laquelle elle voulait trouver du réconfort mais qui la révèle à sa propre méchanceté. La nature qui trahi son espérance. Je suppose que le chien qui défend le pré carré de son arbre et qui ne le retrouve plus doit ressentir cette même sensation de vide.
C'est finalement une histoire bien noire, bien pessimiste. Et ma foi, si le sujet était là, c'est bien rendu par la rédaction. J'aime assez le découpage qui va de l'espoir, passe par la désillusion et la rage morbide et finit en une immense déception que l'on pressent dés le second alinéa.

   Anonyme   
2/2/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je suis japonaise, et j'ai vraiment aimé votre texts. Je pense que vous avez une sensibilité très japonaise.


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