Chloé
Je déteste ça, faire le guet. Mais je n’ai pas le choix : je déteste encore plus piquer de la nourriture ou des fringues dans les magasins. Si je veux en être (et je veux vraiment en être) il faut que je me rende utile, donc je guette, je surveille et dès que j’ai un soupçon, j’alerte. Et alors suit, pour les autres, la délicate et désagréable opération de tout remettre en rayon pendant que, prudemment, je retourne à mon poste, c’est dangereux mais obligatoire, au moindre doute il faut tout laisser, ne pas prendre le risque de sortir et de se faire arrêter, de se faire accompagner dans une pièce – en général petite, sans fenêtre, poussiéreuse et encombrée située à l’arrière, à côté du stock et des toilettes réservées au personnel –, de devoir ôter son manteau, son pull, de sortir les marchandises une à une lentement de dessous sa veste, et sous le regard insistant du gardien, de poursuivre par celles du pantalon, coincées entre la ceinture et le ventre, entre la ceinture et le dos, de finir par vider ses poches, sans oublier bien sûr de tendre sa carte d’identité avec dans le regard, cherchant celui de l’homme derrière le vigile, cette espèce de honte pleine de défi et d’arrogance, de ceux qui n’en n’ont franchement rien à faire n’ayant plus rien à risquer, ayant déjà tout perdu, leur amour-propre en premier, perte qui leur donne évidemment un pouvoir d’insolence extraordinaire. Et souvent dans un retournement de situation improbable et inattendu c’est le vigile qui se retrouve mal à l’aise, qui baisse les yeux, se sentant méprisable face à la misère du monde pour un instant incarnée par notre petite troupe : Elena, Caro, moi et Marie, ma mère, en chef de bande.
Lui, le vigile, n’est en général pas beaucoup mieux loti, point de vue misère il se place juste au-dessus de nous dans la hiérarchie du dénuement : il est salarié dans la catégorie « boulot-de-merde-qui-permet- juste-de-survivre », mais cette place précaire il y tient, car elle lui permet de rester dans le confort très relatif de la légalité. Ni lui, ni nous, ne faisons la course en tête mais nous, nous sommes dans cette forme de liberté grisante qui ressemble à de la révolte, avec de l’adrénaline mais aussi de la marginalité, du secret et puis, bien sûr, l’opprobre qui vient avec, qui fait partie du « package ». Cette liberté nous lie, nous marginalise et nous enferme. Cette proximité de sort est pour lui souvent délicate à gérer, bon il y a parfois le vrai con, heureux de faire ce boulot et cherchant à humilier avant tout, mais il est plutôt rare celui-là. Après les vigiles, nous les côtoyons le moins possible, c’est juste que faire le guet me donne l’occasion d’imaginer la vie des autres, de réfléchir longuement à plein de choses. Comme la place et l’utilité de l’agent de sécurité dans notre société de merde…
Je fais le guet. Avec la foutue impression que tout le monde sait bien ce que je fais, pourquoi je suis là : ça doit être écrit sur mon front. Je déteste vraiment faire ça. Toujours adossée sur le mur à l’entrée, derrière les caisses, je commence à la trouver longue l’attente, se seraient-elles fait piquer ? Non, les voilà qui sortent, moment délicat. Beaucoup de tension. Je sors et les attends à quelques pas. D’abord Elena : tout va bien personne ne la regarde malgré son allure raide et son regard un peu fuyant. Elle ne peut s’empêcher de me décocher un sourire de soulagement, ma mère sort à son tour. Comment font-il tous pour ne pas voir qu’elle cache plein de choses sous son manteau informe, c’est un mystère : moi, je ne vois que ça ! Elena m’a rejointe, elle est contente, c’est le dernier magasin, le plus chic et pas le plus facile : du personnel déguisé en clients circule dans les rayons pour tenter de surprendre les voleurs en pleine action, ils sont relativement faciles à repérer, mais malgré tout ils rendent le boulot plus difficile. Caro prend son temps comme d’habitude, je vais sans doute devoir aller la chercher. Je ne sais pas si c’est l’appréhension de passer les portes, la peur du signal sonore toujours possible, mais elle sort toujours la dernière. C’est bon, je la vois qui arrive, en sueur et haletante. Nous nous hâtons vers la voiture, sensation d’excitation au creux du ventre. Notre tournée est terminée pour aujourd’hui, le coffre est plein. Je m’assois à l’avant, et je ferme les yeux un moment. C’est épuisant cette tension, mais c’est addictif et surexcitant. Les rires fusent dans la voiture, toutes nous avons besoin de parler, de crier, on se comprend à peine. On a réussi une fois de plus, on va survivre une semaine de plus. On ne s’est pas fait prendre ! On est vivantes ! La semaine prochaine on recommence. Et je vais une fois de plus détester ça.
J’adore, par contre, quand, une fois sorties du magasin, on regagne la maison et qu’on y fait, laissant retomber bruyamment la tension en de grands rires irrépressibles, en bagarres factices et surjouées, le partage du butin, l’inventaire des trésors glanés. Quand en sécurité dans le secret de la maison nous rangeons, excitées, toutes sortes de nourritures plus raffinées les unes que les autres, plus indécemment chères et inaccessibles à notre pauvreté nouvelle : du saumon fumé, des contre-filets, des mangues, des avocats, du chocolat, du café, des alcools, des fruits secs, des gâteaux, des pâtes d’amandes ; et puis des fringues, que nous prélevons, telles des princesses dénaturées, dans ces énormes garde-robes, ces gigantesques dressings à disposition que forment pour nous les boutiques et les grands magasins. Là, nous devenons des caricatures de filles pourries gâtées, capricieuses et difficiles à satisfaire, nos essayages sont émaillés de moues dubitatives, d’hésitations, de fous rires aussi, devant nos erreurs de choix ou de tailles. Émaillés de disputes enfantines aussi :
– T’es folle, Chloé, tu ne vas quand même pas porter ça ! fait Elena en pointant mon pantalon troué et surpiqué que je n’arrive à fermer qu’en retenant ma respiration. – Et pourquoi pas ? – C’est moche, voilà pourquoi… C’est moche et ça ne te va pas ! Je ne comprends pas pourquoi tu choisis toujours des fringues qui ne te vont pas. – Tu fais chier Elena, moi ça me plaît : au cas où t’aurais pas encore remarqué, on n’a pas vraiment les mêmes goûts ! – Moi j’aime bien… intervient Caro souriante et affublée d’un t-shirt tout aussi suggestif : un filet qui laisse entrevoir son soutien-gorge. – Maman, je comprends pas pourquoi tu lui prends tout ce qu’elle veut… C’est n’importe quoi ! – Laisse-la s’habiller comme elle veut Elena, tu te rappelles comment tu t’habillais à son âge ? – En tout cas, je sors pas avec elle habillée comme ça !
Je souris à Elena : j’ai encore gagné, ma mère, en général, prend mon parti. Elle hausse les épaules et m’appuie un dernier regard avant de me tourner le dos. Noir le regard. Mais je ne m’inquiète pas ses colères ne durent pas.
Cette pratique quasiment hebdomadaire et secrète a renforcé nos liens, notre cohésion, mais aussi, par voie de conséquence, l’exclusion des plus jeunes et Judith souffre beaucoup d’être écartée de nos agapes mystérieuses. Laissée dans l’ignorance de nos pratiques illégales et elle n’en partage pas non plus les réjouissances, cette dégringolade hystérique, folle et pourtant gracieuse.
Moi, ce que je préfère c’est regarder ma mère. Je ressens une impression de victoire sur le sort quand elle retire de ses manches, de sous son pull, toutes ces choses étourdissantes, inutilement et de plus en plus outrageusement luxueuses. Son visage s’illumine, deux points rouges apparaissent sur ses joues, elle a chaud – elle a eu chaud – ses yeux brillent d’une joie particulière. La joie d’avoir rempli son rôle, de retrouver sa place, ce pourquoi elle est sur terre ma mère : nous nourrir, nous habiller, nous protéger. Je la regarde être gagnée par l’allégresse, la plénitude : elle est belle, elle est comblée, heureuse, elle a retrouvé une raison de vivre ; et avec ravissement j’assiste à chaque fois à quelque chose d’unique et d’incroyable : la naissance de ma mère. Elle l’a eue sa revanche, elle s’est révélée à nous, ses filles étonnées et soulagées, fières aussi, mais c’est elle la première surprise. De tout ça elle était donc capable ! Elle ne doit rien à personne. Elle s’est affranchie de toute morale. Elle a appris toute seule à compter sur elle-même et elle s’est désempêtrée du rôle imposé qu’elle jouait depuis toujours. Dans sa frénésie à explorer sa personnalité elle a été trop loin, évidemment, elle a voulu pousser à bout son nouveau pouvoir, repousser toutes les limites, expérimenter sa vie avec cette sensibilité nouvelle, cette force nouvelle. L’adversité l’a poussée dans cette adolescence tardive et enfantine faite d’expériences excessives, ma mère remet tout en question, elle fait sauter tous les verrous, ne se limite à rien, m’entraînant comme je l’entraîne dans cette contestation juvénile qui me va mieux, à moi, qui ai dix-sept ans. C’est vraiment n’importe quoi, je vis mon adolescence en même temps que celle de ma mère. La regarder ainsi me procure des émotions contradictoires, que je n’arrive pas bien à démêler. De la joie, de la fierté mais aussi un énorme poids, un sentiment de responsabilité qui n’est pas de mon âge. Ma mère malgré cette force révélée me semble encore fragile, comme si elle était totalement inconsciente, obnubilée par cette toute-puissance, elle se pense immortelle, invincible. Je joue l’élément sérieux et réaliste dans ce nouveau scénario, ô combien approximatif ; je suis, malgré ma jeunesse, le personnage raisonnable de la bande, limite rabat-joie, je me sens obligée de rester dans la posture du rappel à l’ordre et je déteste ça !
Elle revient de loin ma mère et nous aussi. Quand mon père est parti, il nous a laissées dans une galère incroyable, que lui-même n’a pas pu imaginer. En plus de devoir se sortir d’une dépendance malsaine, maman a été jugée responsable pour moitié des dettes liées à la faillite organisée par mon père. Si elle travaille une partie de son salaire sera saisi ; bon la question ne se pose pas vraiment vu que du travail, elle n’en a pas. À l’époque elle s’est écroulée, complètement, sans mon père, sans diplôme, sans argent elle était plus que perdue, elle était incapable de s’envisager une nouvelle vie. Comment devient-on quelqu’un alors qu’on n’a été personne pendant quarante ans ? Avant de se redresser, elle s’est laissé tomber au plus bas, dans une dépression comateuse, zombie-toxico raccrochée à la vie par les médicaments qui l’aidaient-détruisaient. Sa chute a été rapide et lourde, sa force de gravité nous entraînant avec elle, cinq petits dégâts collatéraux éclaboussés de son désarroi, désespoir qui allait nous marquer pour toujours comme une giclée d’acide. Moi, j’avais déjà perdu mon père et mon insouciance. C’est en essayant de perdre la vie que j’ai récupéré ma mère. Et quand je l’ai retrouvée, je l’ai à peine reconnue.
∞
Marie
Marie se réveille avec un mal de crâne assourdissant, elle a encore trop bu hier et il lui semble avoir fumé en fin de soirée. Elle n’en est plus très sûre, mais elle en a le goût âcre en bouche. En tout cas, elle s’est bien amusée. Elle a un peu honte, mais en même temps elle sait qu’elle a absolument besoin de cette ivresse. Cela lui fait du bien de se laisser aller à ces extrémités, ces comportements nouveaux et réprouvés pour une femme vieillissante, pour une mère. Malgré cette petite voix moralisatrice et culpabilisante qui l’accompagne quelquefois, ce jugement amer elle le remet à plus tard.
Elle se lève en prenant garde à ne pas réveiller Lucie, sa plus jeune fille qui partage son lit. Encore une chose que la morale réprouve, mais de ça aussi, elle s’occupera plus tard. Elle sait que pour les autres, ceux qui « savent », les bien-pensants, cela ne se fait pas de dormir avec sa fille de cinq ans, qu’elle est trop grande, qu’elle n’arrivera jamais à dormir seule… Tout ça, oui, elle veut bien l’entendre, mais c’est vite balayé par le petit ouragan que devient Lucie, chaque soir, quand elle ne veut pas dormir isolée, qu’elle veut sa maman.
« Et pourquoi en serait-il autrement ? » Marie n’a pas d’argument, rien d’intelligent à répondre aux yeux bleus, humides et interrogatifs de Lucie. Elles dorment bien toutes les deux et Marie adore sentir les petits pieds de sa fille endormie chercher sa présence rassurante et s’apaiser au contact de sa jambe, de son ventre ou de son dos. Plus tard, elle réglera tout ça plus tard, aller à l’essentiel c’est la mission qu’elle se donne pour le moment.
Dans la cuisine son café à la main, Marie regarde un long moment par la fenêtre le grand jardin, la brume qui s’échappe de la terre humide, résidu concret de la nuit qui se dissipe. Elle vacille un peu, se rattrape d’une main à l’appui de fenêtre. Va-t-elle pouvoir arrêter de s’étourdir de la sorte ?
Elle se fait une place à la table de la salle à manger en repoussant de la main la vaisselle et les bouteilles vides. Elle pose le verre rempli d’eau effervescente, et s’assoit. Que va-t-il se passer maintenant ? Elle s’est sentie revivre pendant ces quelques années, seule avec ses filles, personne pour lui dire ce qui était bien ou ce qui était mal, elle était dans la survie, ce passe-droit libérateur. Quelle folie cette vie en condensé : danser, rire, boire, sortir, voler et surtout regarder naître ces lueurs d’admiration et de confiance dans le regard de ses filles, jamais plus elles n’ont eu honte. Ses filles ont compris qu’elle ferait ce qu’il faut, toujours, et que maintenant ce seraient elles contre le monde. L’érosion des principes, qui avait déjà cours avec leur père, s’est accentuée. Elles se sont inventé des codes bien à elles. Ne voler que des grandes surfaces, ou des boutiques chics, l’idée que les assurances existent, et que de toutes façons le montant des pertes est certainement répercuté sur les prix, les dédouane des questions morales et des remords. Dans l’urgence, Marie a fait comme elle pouvait, reconstruit un truc qui ressemble à une famille, oui c’est bancal, mais ça tient à peu près et tant qu’il y a l’ivresse, elle peut continuer. Pas la place pour les hésitations. Elle s’est fabriqué cette force toute seule, et peu importe que cette force soit constituée de ses faiblesses passées, accumulées : cette force elle l’a en elle maintenant, fière et palpitante. Elle ne trébuchera plus.
Oui, aujourd’hui elle a besoin de voler, pour subvenir au besoin de sa famille mais aussi parce que ça fait partie de sa reconstruction qui sans ce rituel, qui revient tous les samedis, serait incomplète. Ces virées lui sont devenues indispensables, elle a besoin de ressentir cette puissance et c’est dans ce déséquilibre d’acrobate qu’elle s’équilibre, elle est d’une honnêteté sans faille, maladive. Son honnêteté a pour unique objet ses filles. Ses filles qu’elle a risqué trahir irrémédiablement il y a quelques années, en se laissant sombrer, en les abandonnant, Marie voit sa dépression comme une dette impardonnable, une faute à expier à jamais : un jour elle a vraiment failli. Elle a mis sa souffrance avant ses enfants. Aujourd’hui, elle n’est plus loyale qu’à ses filles. Le reste c’est de la foutaise. Il lui est maintenant nécessaire, vital de rapporter à sa tribu le résultat de la cueillette et celui de la chasse. Ça l’exalte d’être cheffe de famille, même si ce rôle lui a été imposé dans la douleur. Oh oui, ça l’exalte ! Elle laisse quelques larmes couler, ce seront les seules qu’elle s’accordera. Elle boit son aspirine dissoute et s’essuie les yeux.
Et maintenant ? Maintenant, qu’elle se sent enfin capable de vivre, qu’elle s’est retrouvé une identité, qu’elle s’est redressée, qu’elle peut enfin se présenter debout à la face du monde. Maintenant, la mort se retourne et la regarde tout à coup d’un peu trop près.
∞
Chloé
Nous avons encore eu une soirée déjantée hier, je repousse de la main des sachets de chips, des verres, des assiettes sales. Je fais de la place à table pour mon petit déjeuner. Je me suis levée tard ce matin, il est presque midi. On a beaucoup ri hier soir : Elena est à la maison pour quelques jours et des copains à elle ont passé la soirée avec nous. Caro était là aussi. Et même Judith nous a rejointes en rentrant de chez sa copine. Emma et Lucie dormaient dans le lit de maman. Elle était en grande forme hier, maman, elle aime beaucoup les copains d’Elena, et elle adore quand toutes ses filles sont réunies. J’aime beaucoup voir ma mère ainsi, je crois qu’elle ne prend plus d’anxiolytique. Beaucoup d’excitation, ma mère a besoin de se distraire et on s’en charge : il lui faut rester dans un état d’ivresse pour ne pas sombrer.
Elle nous a demandé d’être là ce midi toutes les trois, c’est mercredi et nouveauté, les petites sont chez papa, il est passé les chercher ce matin. Il vit seul depuis qu’il s’est fait larguer par Leïla et depuis il trouve très important de prendre ses filles « régulièrement », les petites sont ravies, Elena et moi, on a décliné sèchement et Judith comme d’habitude se retrouve prise entre différentes envies. Si elle voit son père, elle a l’impression de nous trahir et si elle ne le voit pas, c’est lui qu’elle pense attrister à tout jamais. Souvent elle préfère s’exclure de tout ça, elle évite de choisir et rejoint sa copine.
Ma mère est à la cuisine, et moi j’attends Elena et Judith en chipotant mes céréales. Je n’ai pas faim ce matin. Quand elles arrivent, l’une après l’autre, pas beaucoup plus fraîches que moi, maman sort de la cuisine. Les yeux un peu rouges, je crois, mais sourire aux lèvres, elle dit :
– J’ai quelque chose à vous annoncer.
Et elle s’assoit calmement à l’autre extrémité de la table.
Puis elle parle et on écoute.
Elle parle bien, sans hésitation, elle est précise, elle veut vraiment qu’on la comprenne, et du premier coup, qu’il n’y ait pas de malentendu, qu’elle n’ait pas à répéter. Elle ne nous regarde pas, ses yeux restent fixés sur ses mains posées comme deux oiseaux morts sur la nappe blanche. Nous, quand les mots nous atteignent, qu’on comprend, on est d’abord silencieuses, très silencieuses. Et puis, je ne sais pas comment, ni par qui cela commence, mais on rigole. On rigole, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, parce que pleurer serait beaucoup trop triste. D’abord timide, ce rire grossit, il devient gigantesque. On n’en peut plus de rire, et ce rire se communique à chacune d’entre nous, s’arrête, pour un instant suspendu dans l’atmosphère de ce lendemain de fête… Et puis il repart de plus belle. Bruyant, il rebondit, se cogne à nous, aux murs, se disloque et reprend. Nous nous étonnons de rire d’aussi bon cœur et l’on se regarde comme pour se prendre à témoin de l’énormité de ce qui nous arrive, de ce rire immense qui prend possession de nous toutes, on s’offusque du rire de l’autre, mais on ne peut contenir le sien qui se répand comme une peste, comme un virus, enfin, comme quelque chose de contagieux. C’est irrépressible, je crois que je n’ai plus jamais ri avec autant de conviction, de folie. Je ris comme si cela devait être la dernière chose que je fisse sur terre. Et ce rire contient tous les bons moments passés et à venir, tous les fous rires jusqu’au moindre sourire, il emporte tout avec lui. Ma mère rit aussi, c’est même elle qui rit le plus fort, elle doit se tenir à la table pour éviter de basculer de sa chaise, elle en a les larmes aux yeux. Elle vient de nous annoncer son cancer du sein.
_________________________________________________ Cette nouvelle fait partie d'une série à épisodes indépendants.
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