Chapitre 8 : un autre destin
Xavier : c8.p0
Je suis professeur de mathématiques à l'université, et occasionnellement, écrivain amateur. J'ai commencé mon premier roman "l'éclipse", après avoir lu sur Internet, des articles sur la littérature assistée par ordinateur. Je n'ai pas de talents littéraires particuliers, c'est pourquoi j'ai aussi consulté des sites d'ateliers d'écriture.
Je ne crois pas qu'une machine puisse composer un bon roman, car l'important, à mes yeux, c'est de provoquer une émotion auprès des lecteurs, ce qu'un programme ne peut pas faire !
J'ai voulu que mon héros "Patrice", éprouve des sentiments que j'ai, comme vous, rencontrés dans une vie, somme toute, ordinaire. Pour connaître ce que les lecteurs ont ressenti à la lecture du roman, j'ai publié la première partie de "l'éclipse" dans le site de lecture/écriture «Oniris".
Ce qui est arrivé ensuite semble irréel et presque absurde !
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Ludivine : c8.p1
Je suis la meilleure amie de Julie. Je la connais depuis près de 30 ans. Nous nous sommes connues juste après qu'elle ait appris le mariage de Patrice, avec une fille qui avait 8 ans de moins que lui. C'est une normalienne, qui avait reconnu Julie dans la rue Saint Jacques, qui lui avait annoncé la nouvelle du mariage de Patrice.
Tout ça pour vous dire que je connais bien l'histoire de Julie, bien mieux que Xavier Hart. J'ai fini de lire cette nuit, la première partie de son roman, en même temps que Julie ou Aurélie, comme vous voudrez.
Julie voulait lui envoyer un mail. Je lui ai déconseillé, mais elle était dans un tel état d'excitation, que je n'ai pas réussi à la convaincre. Le lendemain, elle arrive chez moi en début d'après-midi.
« C'est extraordinaire », il m'a répondu, et bien qu'il ne m’ait pas dit qu'il viendrait à mon rendez-vous au Luxembourg, je vais y aller tout de même et tout de suite.
Il ne faut pas, Julie, remuer ces sentiments du passé. Il faut prendre tout cela comme une évocation romanesque...
Rien n'y fit.
Elle ne voulut rien entendre de plus. Elle me quitta précipitamment au début de l'après-midi de ce 24 mai 2007, comme si elle était dans un autre monde.
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Patrice : c8.p2
Après ce rendez-vous manqué et ce mail de Julie, je savais que mon roman était terminé. Il y a des souvenirs que l'on garde dans son coeur, qui ne peuvent pas se manifester dans la vie réelle. J'éprouvais une grande peine, en relisant ces dernières lignes de mon roman. Le destin est parfois cruel, et toute une vie peut basculer, pour une incompréhension. Que Patrice ne puisse plus retrouver Julie que dans ses rêves, cela me faisait de la peine. J'aurais mieux aimé une fin moins fataliste, mais sans tomber dans le mélodrame, ou dans le roman rose.
Je reprenais mes activités d'écrivain, en pensant déjà à un nouveau roman. Il y a toujours un peu de la vie de l'auteur, qui se manifeste dans ce qu'il écrit. Écrire un nouveau roman, C'est le meilleur moyen pour oublier complètement Julie.
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Xavier : c8.p3
J'ai une idée en tête, pour un nouveau roman. Je n'aime pas la littérature fantastique, encore moins les romans d'anticipation. Pour moi, un bon roman ne doit pas être une suite d'exploits plus ou moins invraisemblables. Un roman doit faire vivre des personnages comme vous et moi, avec leurs rêves et leurs réalités.
Je n'étais pas très enthousiasmé par la fin de mon premier roman "l'éclipse", que je trouvais un peu triste. C'est bien de vouloir toucher les lecteurs. Cependant, la fin de l'histoire doit leur laisser la possibilité d'imaginer d'autres dénouements possibles, selon leur personnalité.
Il faudra que par la suite, mes romans se terminent mieux, ou au moins, qu'ils permettent aux lecteurs, de penser que tout n'est pas irréversible. Avant de commencer à écrire les grandes lignes de ce nouveau roman, je me mis à répondre rapidement au courrier des lecteurs.
Un mail attira mon attention. Il était signé "Ludivine". Elle écrivait qu'elle était la meilleure amie de Julie. Elle l'avait vue juste avant qu'elle parte pour un rendez-vous, l'après-midi du 24 mai.
Ludivine écrivait ensuite, qu'elles avaient lu toutes les deux le roman de Patrice. Elle poursuivait en me disant qu'à son avis, le dernier chapitre n'était pas correct. Enfin, elle terminait en me demandant de la recevoir, qu'elle me parlerait de Julie qu'elle connaissait mieux que moi, que la fin de mon roman ne lui aurait pas plu.
Ce mail m'intriguait, pour de nombreuses raisons. D'abord, une inconnue ne doit pas proposer de rencontrer un auteur, qu'elle ne connaît que par quelques écrits, lus sur internet. Mais il y a plus troublant ! Elle utilise le conditionnel, pour me dire que Julie n'aurait pas aimé le dénouement de son histoire.
Il y a beaucoup de vrai dans ce que j'ai écrit, mais je reconnais que j'ai inventé la fin de toutes pièces. En effet, Patrice n'a jamais revu Julie de toute sa vie, mais l'histoire ne pouvait se terminer, sans que l'on puisse expliquer ses éclipses à répétition.
J'étais curieux de savoir comment une lectrice pouvait inventer une fin différente. Je trouvais que sa manière de se faire passer pour une amie de Julie, était une tournure très élégante, pour proposer sa contribution au roman interactif. Je décidai de lui répondre, mais en la mettant en garde, par rapport aux rencontres qu'elle pouvait faire sur internet.
Somme toute, il suffisait qu'elle m'envoie son texte et je verrai ce que j'en ferai.
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Ludivine : c8.p4
« Oh ! Un mail de Xavier Hart ! »
Je savais bien qu'il me répondrait. Il me propose d'écrire ce que je sais sur Julie, mais il ne veut pas me rencontrer. Je vais essayer de me contenter de cela, mais ce sera difficile. Il y a tant de choses à reprendre, par rapport à tout ce que j'ai appris d'elle, en 30 ans d'amitié. Mais je peux tout de suite lui dire pourquoi Julie n'est jamais arrivée à son rendez-vous.
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Xavier : c8.p5
Je reçois aujourd'hui cette lettre de Ludivine :
« Cher Patrice,
Julie est ma meilleure amie et je l'ai vue pour la dernière fois, le 24 mai. Elle s'apprêtait à vous retrouver au Luxembourg, mais elle a été victime d'un accident rue Vaugirard. Elle a été renversée par une voiture, alors qu'elle allait entrer dans le jardin, par la petite porte située près du Sénat. J'ai été prévenue par sa soeur. Julie a été transportée à l'hôpital Cochin, dans un état grave. Depuis cet accident, elle n'a toujours pas repris connaissance.
Voilà, je tenais à vous prévenir, car tout ce qui concerne Julie, me concerne aussi. Je connais tellement bien votre histoire à tous les deux, qu'il n'était pas possible que vous ignoriez cet accident. Je sais que cette nouvelle vous affectera. Il est très important pour moi et pour vous, que vous connaissiez cette réalité pénible.
Bien sincèrement
Ludivine »
Je la remerciai de m'avoir communiqué cette nouvelle, à laquelle je ne m'attendais pas. Il y a longtemps que je ne vis plus à Paris. Je ne pourrais donc pas aller la voir à l'hôpital.
À moins que je profite de ce congrès qui aura lieu au début Juillet à la faculté des sciences de Paris 6. D'ici là, j'aurai d'autres nouvelles par Ludivine et je verrai ce qu'il est le mieux d'envisager. Je rappelais les dates du congrès à Sylvie, pour qu'elle puisse s'organiser pendant mon voyage à Paris. Je descendrai à l'hôtel Saint Pierre. Tu sais, c'est rue de l'école de médecine, près de la chambre où tu habitais, quand je t'ai connue.
Ma femme me dit qu'elle ne se souvenait pas qu'il y avait un hôtel à cet endroit, en ce temps-là. Il a dû être construit depuis.
- Je pense qu'il existe depuis longtemps, mais tu ne l'as pas remarqué, car tu n'en avais pas l'utilité. Et puis, les maisons situées à cet endroit sont toutes anciennes et peut-être même classées. Cela m'étonnerait que l'on ait le droit de construire ici des immeubles modernes !
Elle ne semblait pas convaincue, mais elle ne me contredit pas, contrairement à son habitude.
Je m'entendais assez bien avec Sylvie, à condition de ne pas chercher à avoir raison, quand elle avait une idée arrêtée. Comme dans beaucoup de couples, nous avons eu des hauts et des bas. On peut dire que dans l'ensemble, notre couple était assez réussi. Nous avions eu trois enfants, une fille en premier, suivie de deux garçons. Elle avait fait de son mieux pour leur éducation et je trouve qu'elle y était très bien arrivée. Elle s'en était d'autant mieux occupée, qu'elle avait arrêté de travailler après la naissance de l'aînée. Il y a longtemps qu'ils ont tous quitté la maison, et je dois dire que nous ne nous en portions pas plus mal. C'est comme une nouvelle jeunesse, que de se retrouver, à notre âge, sans enfants à élever.
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Chapitre 9 : une rencontre éprouvante
Xavier : c9.p1
J'ai pris l'Occitan, pour arriver le matin de bonne heure à Paris. C'est un train de nuit, avec couchettes, qui part de Toulouse à 23 heures. Il marche assez lentement, pour permettre d'avoir une nuit complète. Il n'arrive à Paris que vers 7 heures. Je le connaissais bien, pour l'avoir pris souvent, pour aller aux commissions du CNRS.
Ce soir, il faisait très chaud et je n'ai pas pu fermer l'oeil, avec toutes ces idées qui me passaient par la tête. Je pensais à la conférence que je devais présenter le matin, mais mes pensées allaient vers Julie. Je l'imaginais sans connaissance sur son lit d'hôpital. Combien de temps cela allait-il durer ?
Ludivine m'avait écrit pour me parler de Julie, mais sans être allée la voir. Elle me disait qu'elle ne pourrait pas supporter de la revoir dans cet état d'inconscience. Je me demandais moi aussi, si je ne ferais pas mieux de faire comme elle.
Sylvie m'avait accompagnée le soir à la gare. Elle m'a dit en m'embrassant :
- Et sois bien sage à Paris
J'avais l'habitude d'entendre cette phrase qu'elle me disait chaque fois que je m'absentais plus d'un jour. Juste avant le départ du train, elle me demande :
- Au fait, dis-moi, tu ne connaîtrais pas une certaine Ludivine ? Je restai un moment sans voix. - Oui, bien sûr, c'est une collègue, avec qui j'échange parfois des mails, pour mon travail. - Je te demande ça, parce que j'ai oublié de te dire qu'elle a téléphoné ce matin.
Je lui dis que ce ne devait pas être important, sinon elle aurait rappelé. Pendant toute la nuit, je repensais à ce que m'avait dit Sylvie. C'était impossible que Ludivine ait téléphoné à la maison. Je ne lui ai jamais communiqué mon téléphone, encore moins mon adresse. Elle ne me connaît que par mon adresse électronique et mon pseudonyme.
Le train arrive en gare d'Austerlitz. Il fait grand jour. Je retrouve avec émotion le coin du jardin des plantes, la place Jussieu où j'étais allé jouer de la guitare, il y a bien longtemps, chez un grec, où l'on récitait des poèmes. La faculté du quai Saint Bernard, avec sa tour Zamanski, me semblait toujours aussi vilaine ! On aurait tout de même pu faire mieux, dans ce quartier latin où il y a tant de beaux monuments.
Le congrès se tenait Tour 65. Les couloirs étaient encore plus moches qu'avant, à cause des travaux de désamiantage. Je regrettais le temps où nous étions à l'institut Henri Poincaré, près de la rue Saint Jacques. Les conférenciers étaient déjà arrivés. Je reconnus Georges, ce brillant normalien de la salle des chercheurs. Il était maintenant membre correspondant de l'Académie des Sciences et toujours aussi séducteur. Il y avait aussi la petite sévrienne qui est venue m'embrasser.
- Comme ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu, Patrice. Et comment va la "jolie brunette" !
C'était une boutade, mais j'ai dû me retenir pour ne pas montrer mon émotion. Elle a dû comprendre en voyant ma tête, qu'elle avait été indélicate, car elle s'empressa de me dire :
- Oh ! Excuse-moi, ça m'a échappé.
J'avais hâte de faire mon exposé, et de quitter le congrès sans plus tarder. Heureusement, j'avais mes transparents. Ma voix était mal assurée, tellement j'étais préoccupé. Cela pouvait être attribué à mon mauvais anglais et personne ne se rendit compte de rien.
Dès ma conférence terminée, je quittais le congrès sans tambour ni trompette. Il devait durer toute la semaine, mais je n'y retournerai vraisemblablement pas, sauf pour la séance de clôture.
Je pris la rue des écoles, qui me conduisit jusqu'à l'hôtel Saint Pierre.
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Patrice : c9.p2
Après m'être un peu reposé, je décidai d'aller à pied jusqu'à Cochin. Il fallait marcher un peu, remonter le boulevard Saint Michel vers l'observatoire. Le boulevard longe le jardin du Luxembourg, du côté où il y a les arbres fruitiers, l'école d'apiculture... Ce coin du jardin est moins fréquenté que celui de la fontaine Médicis. Il est pourtant intéressant, avec des statues d'écrivains, la statue de la liberté en petit, que Bartholdi avait fait comme maquette, et aussi un mémorial en souvenir du drame du 11 septembre à New York.
Je suis entré par la grille située près du lycée Montaigne, pour me reposer sur un banc. J'avais soudain peur de trouver des membres de la famille de Julie, auprès d'elle. Ses parents devaient être morts, mais il y avait son frère et ses deux soeurs.
« Qu'est ce que je vais pouvoir leur dire ! » C'est si triste.
J'arrive enfin devant le bureau des admissions. Je demande le numéro de la chambre de Julie, elle a dû entrer vers la fin mai. L'employé me demande si je suis de la famille, car Julie est dans un pavillon spécial.
- Oui. Enfin, je suis son ami.
Je ne sais pas ce que l'employé a compris, mais il m'a dit d'un ton apitoyé :
- Mon pauvre monsieur ! Elle est au pavillon de réanimation, en sortant, au fond.
À peine entré dans le pavillon, une infirmière se précipita vers moi, pour savoir ce que je venais faire ici. Elle me dit que je pouvais aller voir Julie, mais que c'était assez difficile à supporter. Elle aussi me questionna, pour savoir si j'étais vraiment de la famille.
Elle me prit le bras pour me conduire par un large couloir, vers une porte située assez à l'écart. En marchant, j'entendais le bruit des respirateurs qui venaient de chaque porte entrouverte. Il n'y avait dans ce pavillon, que des malades sous respirateurs artificiels. Tous étaient dans un coma profond. L'atmosphère était pesante et le temps semblait s'écouler avec lenteur, rythmé par le bruit de ces machines de survie.
L'infirmière voyait bien que c'était la première fois que j'entrais dans ce pavillon. Elle tenait à m'accompagner jusqu'au lit. Elle approcha une chaise et me dit, de ne pas rester longtemps, pour cette première visite.
Elle était toute jeune, elle me parlait doucement pour atténuer l'impression de malaise qui régnait dans ce lieu. Elle se retira discrètement pour nous laisser seuls.
Julie m'apparut, comme je l'avais vue, au jardin, dans mon rêve, le 24 mai. On retrouvait dans ses traits, l'image de sa beauté d'hier. Je lui pris la main.
Aucun signe ne se lisait sur son visage, pas même un tressaillement. Je me mis a lui parler doucement, certain qu'elle pouvait m'entendre. Je lui parlais de Ludivine, de son rendez-vous, de notre roman... Je ne sais pas combien de temps je suis resté auprès d'elle, peut-être une heure ?
L'infirmière est venue me dire qu'il ne fallait pas rester plus longtemps, que je pourrais revenir une autre fois. En me raccompagnant, elle me dit qu'elle a déjà vu des cas, pour lesquels un malade se réveillait subitement après un long coma, que tout n'était pas perdu. Elle était aussi persuadée que les malades ressentaient la présence autour d'eux. Ce n'était pas une vérité médicale, c'était sa conviction personnelle. Elle me dit encore :
- Je suis contente que vous soyez venu, vous savez, personne n'est venu voir Julie depuis son hospitalisation. Cela me fait de la peine pour elle. Elle n'a peut-être pas de famille.
Je me retrouvai boulevard de Port royal, tout étourdi par la circulation trépidante, après ces instants passés hors du temps.
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Xavier : c9.p3
J'avais écrit la suite de mon roman, toute l'après-midi, dans la chambre de l'hôtel. Il fallait que je m'arrête, pour aller manger quelque chose.
Le petit restaurant "la fourchette" de la rue de l'école de médecine, où j'allais souvent avec Sylvie avant notre mariage, existait encore. Il n'y avait pas de menu affiché et il semblait bien fermé. « Tant pis, ce ne sont pas les restaurants qui manquent. »
Il y en avait beaucoup près de la rue de la Huchette. Je pris la rue de la harpe, qui grouillait de monde. Il faut dire que tout ce coin est devenu une zone piétonne, ce qui est bien agréable. Je choisis un restaurant avec une cuisine traditionnelle, en évitant les "turcs", "grecs"...qui me convenaient moins bien. En dînant, je pensais aux jours de cette semaine, pendant lesquels je terminerai mon histoire. L'inspiration devrait venir, étant plongé dans cette ambiance du quartier que je connaissais si bien.
En passant devant le petit théâtre de la Huchette, je vis qu'ils jouaient encore "la cantatrice chauve" d'Eugène Ionesco. J'avais bien aimé cette pièce que j'avais vue avec Sylvie, il y a plus de 30 ans. C'est une pièce de l'absurde, mais qui évoque à merveille les difficultés de communiquer entre les couples. On se souvient de cette réplique : "comme c'est bizarre, comme c'est curieux et quelle coïncidence..." quand le mari se rend enfin compte qu'il parle à sa femme.
J'ai revu cette pièce sur la chaîne Arte, quelques jours avant mon départ. C'était une diffusion d'une mise en scène de 1989, qui avait été donnée au théâtre Athénée. Je ne me souvenais plus de la fin, où tous les acteurs se mettent à dire plein de phrases incohérentes. Mais ce qui m'a le plus marqué, c'est cette idée de l'auteur, de faire jouer aux acteurs, différentes fins possibles de la pièce, en prenant les spectateurs à témoin. C'est une idée qui pourrait servir pour un roman.
En remontant le Boul' Mich vers mon hôtel, je pensais à ces auteurs géniaux, qui avaient une imagination fertile. Sylvie avait lu il y a quelque temps, un des derniers livres de Jean d'Ormesson. Son titre, c'était "Voyez comme on danse". Elle m'a résumé l'histoire. En gros, le héros ou "l'auteur" se trouve dans un cimetière, à l'enterrement de son meilleur ami. Il rencontre des gens qui lui rappellent des passages de sa vie, et l'on voyage, tout en restant au cimetière, à travers l'espace et le temps. Dans ce roman, on voit se mélanger des événements réels, des souvenirs de l'auteur... Le roman lui a beaucoup plu et elle était intriguée par certains passages, qui semblaient tellement vrais, qu'ils devaient avoir été vécus par l'auteur. Je lui ai conseillé d'écrire à Jean d'Ormesson.
- Je suis sûr qu'il te répondra.
Elle le fit et le lundi suivant, vers midi, elle tomba à la renverse ! C'est Jean d'Ormesson en personne qui lui téléphonait depuis Neuilly. Il a été très agréable, fin, pétillant comme toujours, comme à la radio ou à la télévision. Il n'a pas tranché entre la réalité et la fiction, comme c'était prévisible. Je crois que je vais reprendre cette idée pour mon héros.
Patrice pourrait se rendre auprès de Julie, tous les jours de cette semaine. Il lui reviendrait à l'esprit les souvenirs marquants de sa vie de couple, avec parfois des retours en arrière sur ses premières amours. Je peux donner à sa femme le nom de Sylvie. Ce sera alors encore plus facile pour l'auteur d'évoquer les 30 années de mariage de Patrice. L'histoire ne sera pas extravagante, puisqu'il n'y aura que des événements vécus. Je n'aime pas ces récits sentimentaux, dans lesquels tout ce qui arrive est invraisemblable. Ce ne seront que des faits ordinaires, comme on peut en vivre tous les jours.
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Chapitre 10 : une longue période de 30 ans
Patrice : c10.p1
La jeune infirmière me reconnut immédiatement.
- Vous savez où elle est ! Je vous laisse y aller seul.
Comme la veille, je m'assis auprès d'elle, persuadé que Julie percevait ma présence. Je n'avais pas beaucoup dormi de la nuit. Avec la chaleur, le silence et l'immobilité, je ne savais plus très bien si j'étais assoupi ou bien éveillé.
Confusément, c'est ma vie, après que j'ai connu Thérèse, qui me revenait en mémoire. Ma proximité de Julie devait être suffisante pour éloigner les souvenirs de notre ancien amour. La réalité de l'avoir tout près de moi, faisait resurgir cette période qui a précédé ma rencontre avec Sylvie. J'étais un peu honteux d'avoir ces pensées. C'était comme si je lui étais infidèle. Vous vous souvenez, Thérèse, c'était une liaison de passage, qui m'a pourtant aidée à oublier. Je ne suis pas resté longtemps avec elle. Je ne l'ai fréquentée que pour des sorties au restaurant, des petits voyages autour de Paris, des divertissements... Je l'ai emmené un jour à Rambouillet. On a déjeuné avant d'aller voir le château, dans un restaurant en plein air. Le repas terminé, elle me propose de nous promener dans le parc, plutôt que de visiter le château. Nous avons vu la maison des "coquillages", le parc avec son canal, un peu la forêt...On était aussi en Juillet, avec une chaleur caniculaire. On s'est allongé au bord de l'eau, dans une partie assez déserte du parc. C'est un bon choix, d'avoir quitté la capitale par ces fortes chaleurs.
Ce n'est pas utile que je vous parle plus en détail de ce repos champêtre avec Thérèse, cela n'apportera rien de plus au roman. J'ai souvent lu des romans en ligne, où l'on fait plus qu'évoquer les ébats amoureux !
Je me souviens de ce feuilleton de la collection Harlequin, qui était plein de ce que j'appelle des scènes pour les concierges. Je l'avais dit à Sylvie, qui a eu l'air offusquée que je lise des livres de cette collection.
- Ce n'est pas de la littérature ! - Il ne faut pas exagérer Sylvie. Cela apporte tout de même quelque chose aux lecteurs. Avant de condamner cette littérature, il faut que tu en lises. Je te conseille de lire "la proie du destin", que tu trouveras facilement avec Google, sur internet. Ce n'est pas "la révolte des accents" d'Erik Orsenna, mais il en faut pour tous les goûts ! Il n'y a pas que les académiciens pour nous distraire.
J'étais un peu dur, car il lui arrivait de lire toute forme de romans. Elle préférait le genre historique, les bibliographies, et comme moi, les livres romanesques, quand l'intrigue n'était pas trop tirée par les cheveux.
Thérèse disparut de mes pensées, pour être remplacée par ma première rencontre avec Sylvie, qui devait devenir ma femme deux ans plus tard.
J'avais accepté d'accompagner une chorale, au mois d'Août, pour sa tournée au Portugal et en Espagne. Leur répertoire était composé de pièces de la renaissance, comme dans toutes les chorales "À cœur joie". Le chef de choeur m'a demandé de jouer des morceaux de guitare classique, pour étoffer le spectacle. Aller jouer de la guitare chez les espagnols, c'est bien audacieux ! Mais il y tenait, alors va pour la guitare !
Le pupitre des altos n'était pas très fourni, c'est pourquoi il est allé faire de la retape dans une chorale voisine.
Sylvie a tout de suite été intéressée par ce voyage. Elle venait juste de quitter le foyer, qui ne gardait pas les jeunes filles après 18 ans, pour s'installer dans une chambre, chez l'habitant, au quartier latin. Ce logement lui avait été proposé par l'association "la protection de la jeune fille". C'était une chambre chez une vieille dame, qui habitait avec sa fille, une ancienne maison de la rue de l'école de médecine.
Sylvie n'avait pour toute famille, que sa mère, qui l'avait mise en pension chez les sœurs, pour une raison que j'ignorais. C'était peut-être une raison financière, ou pour une raison plus sérieuse. Sylvie était une enfant naturelle. Sa mère ne la voyait que rarement au parloir. Elle ne lui a jamais rien dévoilé de ses origines, et elle coupait court aux questions de sa fille en affirmant que ses parents à elle étaient tous morts dans un accident !
La tournée de concert en Espagne arrivait à point pour Sylvie, qui se demandait comment elle allait passer ses vacances d'été.
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Sylvie : c10.p2
Une semaine avant le départ du car pour l'Espagne, je suis allé porter ma tenue de concert à l'endroit où toutes les tenues devaient être rassemblées. Les filles devaient chanter en corsage blanc et jupe droite, rien de bien original. À l'entrée de l'école où l'on entreposait les vêtements, il y avait un grand garçon qui disait bonjour à toutes celles qui entraient. Je le trouvais curieux et je me demandais d'où il sortait, car je ne l'avais jamais vu aux répétitions. Il n'y aura pas que des choristes, qui feront partie du voyage, car il fallait remplir le car, pour que le prix reste abordable.
Le car qui devait nous transporter n'était pas de la première jeunesse. Je crois même que c'était son dernier voyage avant d'aller à la casse. On a fait le trajet en s'arrêtant à San Sébastian, Burgos, Lisbao. Je me retrouvais toujours au fond du car, avec des garçons chahuteurs et amusants, qui contrastaient avec le sérieux des passagers de l'avant du car. Il y avait là Patrice, que je reconnus tout de suite comme le garçon de la porte d'entrée de l'autre jour. Un autre garçon blond aux yeux bleus mettait de l'animation, en soufflant dans un vieux saxo, d'où il sortait des sons inattendus.
La chorale existait depuis quelques années et des couples s'étaient formés, certains étaient déjà mariés, d'autres le seraient sous peu ! Il y avait 3 vieilles filles, assises en avant du car, qui étaient toujours ensemble. Elles ne risquaient pas de trouver l'âme sœur cette fois-là encore ! Mais elles n'en recherchaient pas nécessairement. Une des trois avait l'air d'être jalouse des deux autres. Je ne sais pas exactement quels étaient leurs sentiments réciproques, et d'ailleurs je m'en moquais bien.
Un jeune de 18 ans, brun aux yeux bleus, s'intéressait à moi, car il était toujours présent, aux répétitions bien sûr, mais aussi chaque fois que l'on visitait des monuments. Il avait mon âge et un certain charme, mais pas autant d'esprit que les garçons de la joyeuse bande du fond du car.
Le prochain concert aura lieu dans le monastère de la vieille cathédrale de Coïmbra, près de Lisbonne.
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Patrice : c10.p3
Le car est arrivé tant bien que mal à Lisbonne, après une panne qui nous a immobilisés quelques heures sous un soleil de plomb. Notre hôtel était dans la vieille ville, au-dessus du Tage. C'était très pittoresque. Il y avait des escaliers partout, un vrai dédale.
On avait quartier libre ce soir-là, car le lendemain c'était le grand concert à Coïmbra, cette ancienne ville, avec son monastère et son université du XII° siècle.
Les organisateurs du voyage avaient obtenu la gratuité de l'hébergement, en contrepartie du concert.
Quelle ne fut pas la surprise, de constater que les draps n'avaient pas été changés ! Le chef est retourné manifester son mécontentement à l'agence qui avait arrangé le contrat. Je me souviens que le car avait attendu devant cette agence pendant plus d'une heure, à notre arrivée.
La plupart des choristes étaient déjà partis, par petits groupes ou par couples, pour passer la soirée dans la vieille ville. Certains connaissaient des endroits où l'on pouvait écouter des fados, manger des spécialités...
Sylvie, qui comme moi, n'était pas un membre attitré de la chorale, se trouvait un peu seule.
- Si nous passions la soirée ensemble ? On pourrait aller se promener vers le port! - Oh ! Oui, ce serait bien.
Pour être sûr de retrouver l'hôtel, au cas où je ne me retrouverais pas dans toutes ces petites ruelles, ces escaliers... je notai le nom "Hotel Rézidencia", écrit près de la porte.
Il commençait à faire nuit. La grosse chaleur était tombée et il faisait presque froid, à cause de la proximité de l'Atlantique. Nous avions marché un moment, en faisant attention par où nous passions, mais avec ma mauvaise vue, je trouvais que tout se ressemblait.
Il était temps de rentrer, car Sylvie commençait à grelotter dans sa petite tenue de concert, qu'elle avait mis pour cette promenade nocturne. Impossible de s'y retrouver, dans ce dédale de marches, d'impasses. J'ai appris par la suite qu'elle n'avait aucun sens de l'orientation. Il ne nous restait qu'à prendre un taxi. Des taxis, il y en a partout, et ils ne sont pas chers. On prend le premier venu. Comme je ne parle pas un mot de portugais, je montre le nom de l'hôtel au chauffeur, qui me fait non de la tête. « Tiens, il ne veut pas nous prendre ! » Mais ce n'était pas ça. Il nous fait comprendre que tous les hôtels s'appellent "hôtel résidence", que rézidencia" n'est pas le nom de l'hôtel, qu'il lui faut une adresse plus précise...
Catastrophe ! Nous n'avions pas d'autres renseignements à lui donner. Il nous fait monter dans le taxi, et commence la tournée de tous les hôtels de ce quartier de Lisbonne. À chaque fois, Sylvie hochait la tête en disant :
- Non, ce n'est pas ça.
On avait beaucoup marché.
On essaye, avec des gestes, de dire que l'hôtel était dans un quartier où il y avait beaucoup d'escaliers, mais il ne comprenait pas ce que nous voulions lui dire. Je voyais la note augmenter et je n'avais pas pris beaucoup d'argent sur moi. Vers 4 heures du matin, on est descendu du taxi, en le remerciant de s'être occupé si bien de nous, pour se retrouver dans le petit matin glacial, dans les rues encore désertes.
J'ai pris Sylvie dans mes bras, sans autre idée que de la réchauffer. C'était le début de cet amour, qui dure toujours depuis 30 ans.
Nous irons à l'ambassade de France, pour savoir comment faire, pour être rapatrié à Paris. Il fallait aussi que le chef de chœur soit prévenu ! Sylvie eut une idée de génie. Elle se souvenait de l'endroit où le car avait stationné devant l'agence. Elle me dit que c'était sur une très grande avenue, qu'elle reconnaîtrait facilement le bâtiment de l'agence.
Dès que les premiers autobus se mirent à marcher, on en choisit un qui desservait le centre ville. Il suffisait de faire la ligne en entier, et de guetter le bâtiment de l'agence. Avec un peu de chance, il passerait devant. Sylvie cria :
- c'est là, c'est là ! J'avais vu le chef au deuxième étage de cet immeuble, j'en suis sûre.
On descend précipitamment du bus. L'agence était bien au deuxième étage. Il n'y avait plus qu'à attendre l'arrivée d'un employé.
À 9 heures, nous avions le nom complet de "l'hôtel résidence Tomar". La suite du voyage se déroula comme prévue. Le concert dans le cloître fut une réussite. L'étape suivante était la ville impériale de Tolède.
Il y avait ce garçon aux yeux bleus, qui me semblait trop présent, chaque fois que j'aurais pu être seul avec Sylvie. Il y en avait encore un autre, un peu content de lui, qui lui faisait du plat. Il était d'une famille bourgeoise du 16ème et tout le monde savait qu'il voulait devenir avocat. Évidemment, ils avaient du succès auprès d'elle, car ils étaient assez bien fichus et tous les deux étaient de son âge. Rien de tel pour me rendre jaloux. Et puis, c'est normal qu'elle s'amuse, elle est en vacances. Sa vie n'avait pas été si drôle, d'après ce que je savais d'elle, depuis cette nuit de Lisbonne.
Elle aussi était très mignonne. Ce n'était pas le genre de Julie, qui était plus typée. Je me demandais pourquoi je ne rencontrais que des jolies filles ! Mais cette fois-ci, je ne vais pas me presser. Je sais trop bien à quoi cela peut conduire.
Après Tolède, c'était Ségovie, avec son château de "la belle au bois dormant". Il paraît que Walt Disney s'en est inspiré pour son dessin animé !
La sonorité de la guitare était magnifique dans la cour intérieure du château, mais un orage nous obligea de nous replier vers une salle couverte. La guitare est un instrument très sensible aux changements de température. Elle devenait impossible à accorder correctement, et la fin de ma prestation m'a semblé médiocre.
Ce n'était pas l'avis de Sylvie. C'est curieux, comme la guitare a joué un rôle non négligeable dans mes rencontres. Elle chantait très bien, pouvait tenir une seconde voix à elle toute seule. Elle avait été remarquée à la pension, par le professeur de musique, qui était un très bon arrangeur. Il avait monté un petit ensemble à quatre voix mixtes, avec uniquement quatre filles du pensionnat. Ce n'était pas n'importe qui, car il était à l'origine de la création des "compagnons de la chanson", pendant la dernière guerre mondiale. Ils s'appelaient à cette époque, "les compagnons du devoir". Maintenant, c'était l'époque des "yé yé" et Sylvie connaissait toutes les chansons de Richard Antony, mais aussi de groupes anglais comme Herman Hermit...
Je lui demandais, en plaisantant, si c'était les sœurs qui lui apprenaient ça ?
- Non, bien sûr ! C'est parce que je vais souvent dans une famille, à Neuilly, qui s'occupe un peu de moi les week-ends. Il y a 8 enfants, et j'y écoutais beaucoup de musique anglo-saxonne, car leur mère est anglaise.
La tournée allait se terminer. Le car déchargea tout le monde Porte de Saint Cloud, et il ne resta bientôt plus que Sylvie et moi, devant l'église Sainte Jeanne de Chantal.
- Que vas-tu faire maintenant ? - Je ne sais pas, je ne connais personne. Je vais rentrer dans ma chambre du 5ème arrondissement.
Cela me faisait de la peine de la voir se retrouver toute seule dans sa nouvelle chambre,après ces 3 semaines si enthousiasmantes.
- Tu peux venir te rafraîchir à la maison. J'habite tout près d'ici. Je suis seul en ce moment. Ma mère et ma grand-mère sont en ce moment en vacances en Alsace.
Elle est restée coucher et le lendemain, je l'ai accompagnée chez elle. Il ne s'est rien passé entre nous ce soir-là. Je l'ai embrassée avant de dormir, comme une petite soeur.
***
le spécialiste : c10.p4
Le bruit de la porte me fit sursauter. Je m'étais bien assoupi auprès de Julie. Le docteur passait pour sa visite journalière. Il regarda si tout était bien branché. Il lui prit la tension, puis se tourna vers moi :
- Vous savez, c'est très grave. Il y a parfois des malades qui ont des moments de lucidité tout à fait inattendus. On les retrouve assis sur leur lit et ils ont des propos presque normaux. Puis ils retombent dans leur état léthargique. J'ai connu une patiente qui disait dans ces moments : « laissez-moi rentrer à la maison ». La médecine ne peut pas tout expliquer ! Mais pour Julie, c'est bien improbable qu'elle puisse se réveiller un jour. Les centres nerveux ont été atteints. J'ai même peur qu'elle n'en ait plus pour longtemps à vivre.
La réalité de ses propos, donnés d'une voix impersonnelle me choquait. Il ne savait même pas qui j'étais. Il parlait comme un homme de sciences, froidement, sans humanité, comme si c'était important pour lui, de me faire connaître son analyse. Plus tard, il pourrait dire, vous voyez, je ne me suis pas trompé !
- Savez-vous, docteur, si ces malades ressentent la présence des êtres chers, qui restent auprès d'eux ?
Ma question lui fit perdre soudain son attitude professorale. Ce n'était plus le même homme.
- Je comprends ce que vous aimeriez savoir. Ce n'est pas le docteur qui vous répond. Je suis croyant et je suis persuadé qu'il y a encore plus qu'une perception de la présence. Il peut y avoir jusqu'à une communion. Je me souviens d'un jeune homme qui a veillé son amie pendant plus d'un an. Quand elle est morte, il est allé la rejoindre le lendemain, là où elle était. Si vous y croyez, venez quand vous voudrez. Je vais vous faire un papier, vous pourrez même venir la nuit.
***
Chapitre 11 : l'accusation
Patrice : c11.p1
Le lendemain, j'arrivais à l'hôpital en début d'après-midi. La jeune infirmière me tendit l'autorisation du docteur.
- Patrice, vous pourrez maintenant venir la voir à n'importe quelle heure. Je serai de garde de nuit demain soir. Il n'y a pas de problème si vous venez, mais arrivez avant 20 heures.
Elle m'appelait par mon prénom depuis que nous avions sympathisé, après cette discussion sur la perception de la présence auprès des malades.
- Vous pouvez aller la voir, mais il y a une dame qui est auprès d'elle en ce moment.
Je ne pouvais pas lui dire que je reviendrais plus tard. J'entre sur la pointe des pieds. La dame se lève pour me saluer. Elle était assez corpulente, avec un visage ridé. Elle paraissait âgée, mais pas assez pour que ce soit la maman de Julie.
- Bonjour Patrice, vous ne me reconnaissez pas ! Que faites-vous ici, après tant d’années ?
Le ton était sévère et presque agressif.
- Non madame, je ne sais pas qui vous êtes. - Souvenez-vous ! Vous m'avez donné des cours de math pendant un mois à la bibliothèque Sainte Geneviève. - C'est vous, Rachel ! Je ne vous aurais jamais reconnue.
C'est vrai qu'elle avait beaucoup changé. Elle était méconnaissable et la vieillesse avait fait des ravages. On n'est pas tous égaux, devant la vieillesse. Qui aurait pensé la retrouver si différente, par rapport à ses 16 ans !
Rachel dit encore qu'après notre séparation, Julie était devenue triste et mélancolique. Elle ne sortait plus jamais. Elle ne voulait plus entendre parler des garçons. Elle n'a jamais cherché à rencontrer quelqu'un d'autre. C'était de ma faute si elle ne s'est jamais mariée. Heureusement qu'elle voyait souvent son amie Ludivine, qui lui remontait le moral, sinon je ne sais pas ce qui serait arrivé !
En apprenant tout cela, j'étais accablé. Pourtant je n'ai rien fait que l'on ne puisse me reprocher. D'ailleurs, Julie m'avait envoyé ce colis qui contenait tout ce que je lui avais offert. C'était elle qui a rompu. Sa soeur reprenait de plus belle, sur un ton de reproche :
- Quand vous vous êtes marié, elle ne mangeait plus. C'était terrible ! Elle a failli mourir. Puis, bien longtemps après, elle s'est mise à écrire un journal intime, qu'elle tapait sur son ordinateur. On croyait qu'elle avait repris un peu goût à la vie. Plus tard, quand elle a été connectée à Internet, elle restait des heures à chercher des documents avec son moteur "google". Nous nous sommes dit qu'elle allait mieux, qu'elle avait trouvé une nouvelle source d'épanouissement. Mais un jour, je l'ai surprise en train de rechercher sur le WEB, tous les professeurs de mathématiques dont le prénom est Patrice. Vous voyez tout le mal que vous lui avez fait !
Rachel rassemblait ses affaires pour s'en aller, sans écouter mes protestations.
J'étais maintenant seul avec Julie, presque honteux que tous ces reproches aient été faits en sa présence.
Ma petite Julie, si j'avais pu deviner tout cela ! C'était facile de me trouver sur le WEB, tu sais. Mais il ne fallait pas chercher un professeur du nom de Patrice. J'ai pris le pseudonyme de Studyvox. Toutes mes publications étaient signées Studyvox, et même mon laboratoire s'appelait Studyvox. Tu ne pouvais pas le savoir, mais c'était un peu en souvenir de toi. Quand j'ai été nommé professeur à Toulouse, j'ai créé un laboratoire de recherche sur la synthèse vocale. Je voulais faire des recherches qui soient utiles aux aveugles. C'était le début de l'informatique grand public. Pour les aveugles, il n'y avait que le braille, en ce temps-là. J'avais pensé qu'il serait tellement mieux que tous les déficients visuels puissent lire des livres, avec une voix de synthèse, mais qui se rapproche le plus possible d'une voix humaine. Je me souvenais de ce que tu me disais, au téléphone, en écoutant ma voix si "radiophonique» ! Il existait bien des voix artificielles, surtout faites pour l'anglais. Elles étaient mécaniques et sans âme.
On a développé un moteur de grammaire, pour que la lecture des textes soit parfaite. On cite toujours les difficultés de lire correctement des phrases comme : "les poules du couvent couvent" ou encore "Tu les as les as, dans ton jeu de cartes" On voulait aussi que tout soit le plus naturel possible, traiter la prosodie, les ponctuations, et pourquoi pas, donner à la voix une certaine émotion, suivant le sens de la phrase ! Ces travaux pourraient servir dans d'autres domaines, comme la traduction automatique, l'apprentissage des langues...Notre petit laboratoire était en contact avec les grands centres de Grenoble, de Paris VI, de Birmingham... Les mathématiques au service de l'humanité, de la compréhension entre tous les peuples... c'était formidable !
C'est Sylvie qui a trouvé le nom de "Studyvox". Elle ne se doutait pas que c'était toi, qui étais à l'origine de mon projet. On peut maintenant installer sur les PC, les voix de Virginie, de Claire, et tu ne me croiras pas, aussi celle de Julie, comme synthèses vocales naturelles. Tu vois, mes travaux m'ont permis de toujours penser à toi. Je ne pouvais pas dissocier Studyvox de Julie. Sylvie ne s'en est jamais aperçue, sinon elle aurait été jalouse.
Je restais encore un peu dans la chambre. Son visage était détendu, comme si elle avait compris que je l'avais gardée près de moi, dans mes pensées, toute ma vie.
***
Xavier : c11.p2
Demain, c'est l'avant-dernière journée. Après, il me faudra assister à la clôture du congrès, je ne pouvais pas faire autrement. Les collègues ne comprendraient pas mon absence.
J'ai une idée du dénouement. Il va falloir que j'écrive pendant que l'inspiration vient.
***
Chapitre 12 : le dénouement
Patrice : c12.p1
Le lendemain soir, j'arrivai vers 19 heures 30, comme me l'avait suggéré l'infirmière.
- La nuit sera tranquille, dit-elle, car je suis la seule de garde, dans ce pavillon. N'ayez pas peur, car je fais des rondes toutes les heures, pour surveiller que tout se passe bien. S'il y a quoi que ce soit, vous pouvez sonner. Je vous montre où est le bouton.
Je me suis installé près de Julie, en lui tenant la main, comme les jours précédents.
La nuit sera longue, mais je lutterai contre le sommeil. C'était ma dernière visite, puisque je devais rentrer après la fin du congrès. Je devais moi aussi, dire à Julie, comment j'avais passé ces 30 années avec Sylvie. Je lui devais bien ça, après ce que j'avais appris hier. Tu sais, tout n'a pas toujours été très drôle pour nous aussi. La veille de notre mariage, nous étions dans sa chambre de la rue de l'école de médecine. Nous avions demandé à sa maman de passer, pour lui dire comment nous avions organisé la cérémonie.
Je la connaissais peu. Je l'avais vue pour la première fois, le jour de nos fiançailles. Mes parents l'avaient invitée à déjeuner. Ce jour-là, elle paraissait très fatiguée, presque endormie, comme si elle avait pris des médicaments. Une autre fois, nous sommes tous allés pique-niquer dans la forêt de Dourdan, au sud de Paris. Là encore, elle semblait absente. Elle parlait peu et nous ne lui posions pas de questions, de peur de la fatiguer. Elle avait dû avoir sa fille très jeune, car je lui donnais moins de 40 ans. Elle donnait l'impression d'être très heureuse, à l'idée que sa fille allait se marier. C'était presque comme un soulagement pour elle.
Ce soir, nous lui avons parlé des personnes qui viendraient à la messe de mariage, le lendemain, en l'église Saint Germain des Prés. Sylvie lui dit qu'il y aurait cette amie de sa marraine, qui habitait rue Péronnet à Neuilly.
Soudain, cette annonce provoqua chez sa maman, une réaction brutale et imprévisible !
- Si elle vient, celle-là, vous ne me verrez pas. Promettez-moi, Patrice, qu'elle ne viendra pas. N'est-ce pas, elle ne viendra pas !
Pour la calmer, je n'ai pas pu faire autre chose que de lui dire :
- N'ayez pas peur. Je vais arranger ça, vous pouvez avoir confiance.
Elle partit rassurée.
Sylvie l'était beaucoup moins qu'elle. Elle avait peur que sa mère ne fasse je ne sais quel scandale, en plein milieu de la cérémonie. Elle m'expliqua que sa mère était imprévisible, qu'il lui arrivait de la traiter brutalement, quand elle venait la voir à la pension, qu'elle n'avait jamais pu être tendre, même pendant ces rares visites.
Nous avons pris le métro, le soir même, pour aller convaincre cette vieille dame de ne pas venir à l'église. Nous l'inviterons plus tard, mais pour l'instant, il y avait une raison majeure, qui nous empêchait de l'avoir à notre mariage. Elle devait savoir quelque chose d'important, car elle ne parut pas étonnée de ma démarche, quand je lui expliquais notre entrevue avec la maman de Sylvie.
- Je vous le promets, je ne viendrais pas demain.
Il s'est passé un an.
Sylvie attendait son premier enfant pour le mois d'Avril. Nous n'avions pas revu sa mère depuis le mariage, ni obtenu de ses nouvelles. En Janvier, un télégramme nous apprenait son décès, dans une clinique, en Touraine. C'est l'hôpital, où elle travaillait comme aide soignante à la maternité, qui avait retrouvé notre existence, sur un colis qui était dans sa chambre. C'était le cadeau de mariage qu'elle devait nous envoyer, et qui était resté on ne sait combien de temps, dans cette chambre, que l'hôpital lui avait affecté par charité. On a appris plus tard, qu'elle était en arrêt de travail de longue maladie, qu'elle avait très peu de ressources, qu'elle était complètement seule. Depuis combien de temps était-elle dans cette clinique et pourquoi ?
Il fallait absolument que quelqu'un vienne reconnaître le corps avant l'inhumation. C'était urgent, car cela faisait plus d'une semaine qu'elle était morte.
Nous sommes arrivés à Beaumont la ronce par une après-midi glaciale. Les trottoirs étaient tout verglacés et Sylvie est tombée, ce qui n'était pas trop conseillé dans son état. Les pompes funèbres nous ont aidés pour toutes les formalités. C'est moi qui ai reconnu le corps, car Sylvie n'était pas en état de le faire. Le docteur de la clinique du val de Loire m'a accompagné.
Elle était allongée sur une sorte de civière posée sur un socle assez haut. De la chaux avait été déversée au sol, pour des raisons de salubrité. Le docteur lui ouvrit un œil. Elle eut un rictus qui me fit peur. Il me dit que c'est courant, que ce ne sont que les nerfs qui se relâchent.
Tout en me raccompagnant, il me précisait qu'elle était très malade, qu'elle avait déjà fait plus d'un séjour dans leur clinique psychiatrique. Cette fois-ci, son cœur n'a pas supporté. Voulait-il parler d'électrochocs, je ne l'ai jamais su.
L'hôpital nous demanda de venir débarrasser les quelques objets qu'il y avait dans sa chambre. On y est allé avec ma mère, qui avait proposé de nous aider au déménagement avec sa voiture. Nous avons trouvé une quantité impressionnante d'escarpins, et de jupes plissées. Il y avait une petite boîte à musique avec une danseuse qui remuait devant des petits miroirs. On a retrouvé son carnet de chèques. Les chèques étaient tous destinés à "la vie claire", pour des sommes importantes. Je crois me souvenir que c'est une société qui vend des produits "sains", "biologiques"... On a retrouvé des quantités de boîtes qui contenaient des herbes qui avaient le pouvoir de guérir de tous les maux. On a été intrigué par des bouteilles, sur lesquelles était inscrit "eau magnétique» ! En les ouvrant, on avait vraiment la forte impression que c'était de l'eau tout à fait ordinaire, pas même de l'eau minérale. Comme elle a dû se faire arnaquer par ces marchands d’espoir !
Je commençais à comprendre pourquoi Sylvie avait eu une enfance malheureuse. Tu vois, cela doit expliquer pourquoi Sylvie n'a pas pu être élevée par sa maman. Elle ne voulait pas que la même chose se reproduise pour ses enfants. Elle s'est arrêtée de travailler à la naissance de sa fille. Après sont arrivés deux garçons, qu'elle a élevés le mieux qu'elle a pu. C'était l'époque des grandes idées de Bruno Bettelheim, de Françoise Dolto...pour l'éducation des enfants. On avait entendu beaucoup de conseils, mais on n'élève pas ses enfants avec un livre à la main. La réalité est plus compliquée. On fait comme on peut, le mieux qu'on peut, quoiqu'en pensent les "psy".
L'aîné des garçons ne nous a pas fait la vie facile. Vers l'adolescence, il a fallu le retirer de l'école publique, tellement il faisait de bêtises. Ce n'était pas de la délinquance, mais plutôt une sorte de bravade perpétuelle. Il a crevé les pneus de la voiture du professeur de musique, volé une mobylette, fait une fugue pendant plusieurs jours... Il a été suivi par la "guidance", et nous avec, car les "psy" pensent souvent que les problèmes viennent autant des parents que des enfants ! Le collège n'en voulait plus. On a cherché une formation professionnelle, mais là encore, personne n'en voulait. On a été obligé de l'inscrire dans une école privée, pour la suite de ses études. On a finalement trouvé une école libre, "bien pensante" et "bien chère". Ma mère nous a aidés, pour l'aspect financier.
Je gagnai correctement ma vie comme professeur. On ne se permettait pas d'excès, avec mon seul salaire, qui suffisait pour les remboursements des emprunts et les dépenses pour les trois enfants. Les grandes vacances se passaient toujours en Alsace, dans la maison de ma grand-mère. Ça coûtait moins cher que de prendre une location à la mer. Ils n'étaient pas brimés, de ce côté-là, car on allait camper dès les beaux week-ends, au bord de la méditerranée. Au retour, on faisait l'effort de les emmener au restaurant.
Quand je pense que je suis allé pour la première fois au restaurant seulement à l'age de 15 ans, et jamais à la mer, j'avais l'impression que l'on avait essayé de leur donner une enfance heureuse. Mais tu vas voir, ce n'est qu'une impression !
Sous l'influence d'un professeur de philo, qui invitait quelques élèves chez lui, il s'est mis à avoir des idées d'extrême droite, en terminale. Les repas n'étaient pas supportables, avec des provocations verbales perpétuelles. Nous avons alors décidé d'acheter un petit studio, pour qu'il ne perturbe pas plus le reste de la famille. Sa sœur et son jeune frère, trouvaient qu'il en avait du "pot", d'avoir une chambre pour lui tout seul, alors qu'eux, ils devaient rester chez papa maman ! On lui donnait tous les mois, une somme d'argent raisonnable, pour sa nourriture et ses dépenses courantes. On continuait à lui acheter ses vêtements et tout ce qui est nécessaire. Il pouvait s'en sortir très bien. Il fréquentait une fille qu'il avait connue à l'école privée, qui était la fille d'un médecin de campagne. Elle était réservée, pas tapageuse et nous la trouvions gentille. Ils ont vite fait de se retrouver dans le studio, après qu'ils aient passé leur bac. Elle voulait être dentiste et lui médecin. On l'a inscrit à la fac, pour qu'il prépare le concours d'entrée, qu'il a obtenu du premier coup, ce qui était assez rare. L'école privée lui avait été profitable, au moins pour lui apprendre à travailler. Mais il avait de gros besoins. Il lui fallait une moto de course, un appartement plus grand...Il n'était pas question que je lui donne plus d'argent. Il y avait encore les deux autres. Il s'est mis à faire des gardes, dès la quatrième année, pour satisfaire son appétit financier. Il a été reçu à l'internat, qu'il a fait en psychiatrie à Limoges. Il pouvait enfin s'installer dans une clinique privée, comme psychiatre. C'est alors qu'il se sépara de sa copine, qu'il avait pourtant fréquentée pendant plus de 15 ans. Il prétexta qu'avec elle, il ne pourrait pas dépenser suffisamment, qu'elle était étriquée, enfin plein de bonnes raisons dont on se serait bien passé. Elle faisait peine à voir, car elle l'aimait vraiment. Il l'a jeté au bout de 15 ans, comme on jette une vieille chaussette. Je n'aurai jamais pu agir comme ça !
Il s'est mis à travailler comme un fou, pour commencer à se faire une clientèle. Il avait tellement de patients, qu'il nous a demandé de lui taper son courrier médical. Il envoyait son courrier par mail, sous la forme de fichiers sonores, que nous tapions, Sylvie et moi, tous les soirs. On a appris des mots savants, mais bien involontairement. C'était beaucoup de travail et pas beaucoup de remerciements. Il passait en coup de vent, une fois par semaine, pour déjeuner. C'était pratique, car la maison était sur le chemin, pour aller voir son banquier. Il ne s’attardait pas, dès que le repas était fini. Il n'est jamais venu avec un petit bouquet, un petit cadeau pour sa mère. On était habitué, car il avait déjà fait ça, quand il avait été invité pour la fête des mères. J'aurais été Sylvie, je l'aurais foutu à la porte. Heureusement que je ne rentrais pas le midi.
Peu de temps après, il nous annonçait qu'il allait se marier avec une spécialiste qu'il avait rencontrée à la clinique. Elle était divorcée, avec deux enfants, et il avait été accueilli comme le messie dans cette famille où le père était chirurgien. On a été invité dans sa maison de campagne, pour faire connaissance. C'était dans le Gers, près d'un village classé. Le jardin donnait sur une promenade, d'où l'on avait une vue panoramique sur la vallée. La piscine n'était pas mal non plus. Pendant le repas, le chirurgien nous expliqua que, sitôt son futur gendre arrivé, les enfants se sont remis à bien travailler, qu'il était un facteur d'équilibre, enfin quoi, que c'était le sauveur.
On a invité le futur couple à déjeuner, pour un peu connaître la future belle-fille. Sylvie a fait de son mieux pour être à la hauteur. Son repas était très réussi. J'ai même essayé de mettre tout le monde à l'aise, en jouant un peu de guitare. Ses deux enfants étaient aussi là. Sa fille était toujours dans ses bras ou sur ses genoux, ce qui me semblait curieux, vu son âge. La mère comme la fille ne parlaient pas et ne répondaient presque pas, quand on leur adressait la parole. Bon, c'est parce qu'elles doivent être timides ! Le mariage a été décidé rapidement.
Je trouvais ça un peu précipité, mais c'est vrai qu'elle était plus âgée que lui, de peut-être 8 ou 10 ans. Notre fils voulait que la fête soit grandiose, comme toujours. Il est venu nous demander de lui prêter une assez grosse somme d'argent, pour tout organiser, car en ce moment, il n'avait pas beaucoup de liquidités ! Il nous rembourserait ça plus tard. On est arrivé devant la mairie du petit village. Le maire était de leur famille. Ils ne se mariaient pas à l'église, même pas une bénédiction. Il y avait une foule d'invités du côté de sa belle famille, tellement qu'il m'a dit :
- Tu comprendras que je ne peux pas m'occuper de vous.
Ma mère, qui commençait à être âgée, avait fait le voyage depuis l'Alsace. On était allé la chercher en voiture, pour le mariage de son petit fils. À part mon frère et ses enfants, c'était tout ce qu'il y avait de notre côté, puisque Sylvie n'avait pas de famille. Pour le reste, il y avait des médecins, des pharmaciens, des spécialistes...Un de ses beaux-frères était pilote de ligne, un autre était dans les affaires. On avait été relégué à la table des croulants. J'ai dansé une fois avec la mariée, par politesse. Son mari avait loué un chapiteau, en cas de pluie. Il a bien fait, car il s'est mis à tomber des cordes. Le repas était servi par un traiteur, sous la grande toile de tente. Il avait fait venir une animation, enfin on voyait comment il avait utilisé l'argent emprunté. Tout ça se tenait dans une autre propriété du Gers, qui n'était pas celle où nous étions allé déjeuner chez le chirurgien.
J'étais mal à l'aise. J'aurais aimé une fête plus simple, avec plus de chaleur. Presque personne ne nous a parlé. C'est comme si, une fois les présentations faites, nous n'étions plus là. Ils étaient polis, mondains, distants, bourgeois, aisés... mais le courant ne passait pas.
***
L'infirmière : c12.p2
- Patrice, vous devriez aller vous reposer. Il est déjà 4 heures du matin. Il y a une chambre réservée aux visiteurs. C'est prévu. - Vous êtes gentille, mais je crois que je vais tenir. Je n'ai pas fini de raconter ma vie à Julie. Elle a le droit de savoir. Je dois repartir ce soir et je ne pourrais pas revenir tout de suite. - Alors, continuez ! Je suis sûre qu'elle vous entend. Je reviendrai plus tard.
***
Patrice : c12.p3
Elle me plaît bien, cette jeune infirmière. Et quel contraste par rapport à d'autres. Je n'ai plus beaucoup de temps. Il faut que j'aille à l'essentiel.
Juste après son mariage, notre fils a acheté une maison de 300 mètres carrés, avec tennis, piscine, en plein centre-ville. Il a téléphoné pour que nous venions tout de suite voir cette merveille. On a été reçu entre deux chaises, sans ménagement. Il a même osé dire :
- Donnez-nous votre avis, c'est important pour moi.
Je trouvais que tout était disproportionné ! Tant d'espace pour eux deux uniquement. Enfin, pour ne pas le contrarier, on s'est contenté de dire que ça nous semblait un peu grand. Ils ont eu un petit garçon très vite. Entre-temps, nous avions eu un accident assez grave, sur la rocade de Dijon, en allant voir ma mère qui était maintenant dans une résidence pour personnes âgées, à Mulhouse. J'ai été légèrement blessé. La voiture, elle, était complètement morte. On a envoyé un petit mail à notre fils, pour lui dire que l'on avait besoin de récupérer l'argent, pour nous acheter une nouvelle voiture. Je ne sais pas si c'est cela qui lui a fait écrire des horreurs à sa mère. La réponse au mail était épouvantable. Il lui disait qu'elle était jalouse de sa réussite, qu'elle n'avait jamais rien fait pour lui, qu'il s'était fait tout seul. Il écrivait qu'elle était "obsessionnelle", insupportable, et il terminait par la phrase "magnifique" suivante : "et je ne veux pas que tu viennes répandre ton déséquilibre, dans ma famille ô combien saine"
Elle était anéantie. Elle a pleuré tout le week-end. Le lundi, je l'appelle pour lui demander s’il se souvenait de ce qu'il avait écrit, s'il s'était bien relu. Il m'a confirmé que c'était mûrement réfléchi, qu'il avait écrit cette réponse avec l'assentiment de sa femme... Je lui ai fait remarquer que pour un psychiatre, il avait fait beaucoup de dégâts. Déjà que Sylvie avait du mal à avoir confiance en elle, elle avait maintenant le complexe de ne pas avoir su élever ses enfants. Bravo ! Connaissant son enfance malheureuse, il aurait pu au moins réfléchir, avant d'écrire ces contrevérités.
L'année s'est passée sans qu'il ne donne de nouvelles. Il était hors de question que nous venions troubler sa famille si "saine". Nous n'avions jamais vu leur petit garçon. C'était un déchirement pour sa grand-mère. Quelques mois plus tard, ma vieille mère est décédée à 93 ans. J'étais obligé de le prévenir. Il est venu en coup de vent aux obsèques. Je n'ai pas pu me retenir de lui dire que c'était inadmissible, qu'une grand-mère ne puisse pas voir son petit-fils. Dans ces moments éprouvants, il lui était facile de faire oublier ses vilains propos. Il n'en fit rien.
Ma mère, qui ne dépensait rien pour elle, avait économisé une très grosse somme d'argent, au cours de sa longue retraite. Elle avait été bien conseillée pour prendre des retraites complémentaires et les placer dans des assurances vie, qu'elle avait mises au nom de ses deux enfants. Mon frère pensait donner sa part à ses trois enfants. Nous n'avions pas encore d'idée sur l'usage que nous ferions de cette somme importante. Peut-être gérer un serveur qui accueillerait gratuitement des sites éducatifs pour les aveugles, ou pour développer des logiciels libres dans ce domaine... Six mois plus tard, il nous téléphone, pour nous demander s’il pouvait nous inviter au restaurant, pour parler de certaines choses qui lui tenaient à cœur. Je me suis dit qu'il devait avoir des remords.
Comme il était assez pressé, il m'a demandé de retenir un restaurant à sa place pour le dimanche suivant. Il viendrait nous prendre à la maison. J'ai réservé une table pour quatre grandes personnes et un petit enfant, dans un restaurant tranquille.
Il est arrivé à midi. Il était tout seul. Il nous a expliqué que son petit garçon devait rester dans son environnement, avec ses jouets. Quant à sa femme, elle était restée pour le garder. Mais comment donc ! C'est vrai qu'un enfant de 2 ans ne peut pas aller au restaurant. Ça le perturberait de ne pas être dans son environnement ! Je me fichais un peu de lui, mais c'était grotesque.
Pendant le repas, il nous a dit qu'il avait perçu, le jour de l'enterrement, une "souffrance" dans mes propos. C'était pour cela qu'il avait voulu nous voir. Ses propos étaient incohérents, car il continuait ses affirmations sur les brimades qu'il avait subies, que l'on avait donné plus aux autres qu'à lui, que l'on était jaloux de sa réussite... Sylvie m'avait dit avant de partir, qu'elle l'écouterait, mais qu'elle ne dirait pas un mot. Je ne sais pas comment elle a fait pour garder son sang-froid.
Il a osé dire que l'on pouvait éventuellement passer prendre l'apéritif pour voir le petit, mais qu'il n'y avait pas que lui, il y avait aussi les deux enfants de sa femme. Il nous a donné des leçons sur l'art d'élever "correctement" les enfants. C'était bien mieux que ce qu'il avait reçu ! Ce n'était pas crédible, car chacun d'eux, continuait à accumuler la clientèle. Ils n’étaient presque jamais à la maison, et le petit était confié à une nounou à domicile. Ils partaient même en croisière avec la nounou.
Le repas avait assez duré. Je lui suggérais de demander l'addition, puisque c'est lui qui nous avait invités. Depuis, on n'a plus jamais entendu parler d'eux. Tout commençait à devenir clair. Il avait volontairement coupé les ponts, pour que nous ne racontions pas comment il était, dans son adolescence. Il y avait plus encore. On apprit que sa cousine était passée le voir la semaine qui précédait le repas au resto. Il venait peut-être aux renseignements, pour l’héritage !
C'est affreux et pire que dans les romans les plus sombres de François Mauriac.
Quelles qu’en soient les raisons, cela n'a plus d'importance. Sylvie a fait une croix sur son fils.
Un jour elle rencontre une dame, dont le mari travaillait dans la même clinique que lui. Elle n'a pas tari d'éloges sur son fils, croyant lui faire plaisir. Et elle terminait en disant : « et puis, il est tellement beau ! » N'y tenant plus, elle lui répondit :
- Est-ce bien nécessaire !
Elle n'a rien dû comprendre, la brave dame. C'est pourtant évident que la beauté physique, c'est bien moins important que la beauté du cœur.
Le second garçon ne nous a pas fait autant de mal. On ne peut pas dire que sa moralité était meilleure. Lui aussi était excessif, à sa manière. Il était radin et personnel. Pour lui, il n'y avait rien d'autre que le sport qu'il pratiquait à outrance. C'était du "skate surf".
Son sport passait avant tout autre chose. Il avait fréquenté une fille qu'il avait rencontrée à la fac. Ça a bien duré dix ans. Il avait aussi la manie de reprocher à sa mère l'accueil qu'elle réservait à sa copine. Lui aussi avait pris l'habitude de donner des leçons de politesse, qu'il était loin d'appliquer pour lui. Il lui a fait un joli petit bambin, avant de la laisser tomber et de se mettre avec quelqu'un d'autre. Sa maman s'en occupait très bien. Maintenant qu'il avait 2 ans, elle nous l'amenait tous les mercredis. Il commençait à bien connaître sa mamie.
C'était un petit garçon très poli et affectueux. Chapeau à la maman qui l'avait élevé toute seule, avec en plus des difficultés financières, puisqu'elle était au chômage. Elle faisait un stage dans un cabinet d'avocat, avant de pouvoir se mettre à son compte, quand elle a dû s'arrêter, à la naissance du petit. Depuis, elle avait du mal à retrouver quelque chose.
Pourtant elle était très diplômée. Elle avait un DESS dans le droit des assurances, mais les employeurs n'étaient pas chauds pour prendre une femme seule avec un petit enfant. Elle était contente de nous confier son fils, alors qu'elle aurait pu nous en vouloir.
Je vais m'arrêter, car tu vas être fatiguée par mes histoires. Julie s'était redressée sur son lit.
- Je l'aime bien, ta Sylvie. J'aimerais la connaître. Elle doit souffrir bien plus que moi. Tout ceci est arrivé, parce que tu n'as jamais pu lui parler avec tendresse. Parfois, il ne suffit pas de montrer que l'on aime, il faut aussi le dire. Je sais que c'est de ma faute, parce que tu as juré de ne plus jamais dire de mots d'amour, après notre échec sentimental. Comme je suis heureuse d'avoir connu votre histoire à tous les deux. Dis-lui que tu l'aimes, il le faut. Je vais maintenant enfin pouvoir me reposer.
Elle s'allongea.
Je sentis une main s'appuyer doucement sur mon épaule.
- Patrice, il faut aller dormir, il est 7 heures. Vous ne devez pas rester plus longtemps.
J'ouvrais les yeux. Julie était sur son lit, avec une figure rayonnante de paix. Sa main était toute froide. La jeune infirmière m'a raccompagné, toute en larmes. On aurait dit qu'elle avait tout deviné de notre vie. Elle a peut-être communié, comme le disait le docteur, dans le silence de la nuit, à toutes nos évocations du passé.
Elle n'avait pas besoin de parler. C'est comme ça que l'on se comprenait le mieux.
Un seul mot : adieu, patrice.
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Chapitre 13 : la fin d'une énigme
Xavier : c13.p1
Je n'avais presque pas fermé l'œil de la nuit. Je devais absolument aller à la clôture du congrès. C'est là que sont faits les bilans, décidées les grandes orientations pour le congrès suivant.
Cela ne m'enchantait pas de retourner dans cette assemblée d'éminents professeurs d'université, de directeurs de recherche du CNRS... Quel contraste après ce que je venais de vivre.
Je suis arrivé juste avant le premier discours, pour ne pas avoir à serrer toutes les mains. Je me suis assis tout au fond de l'amphi, presque incognito. L'organisateur commençait déjà ses remerciements aux participants. Je n'aimais pas ces discours inutiles et pleins d'hypocrisie. On flattait les personnalités les plus éminentes, quelque soit leur valeur scientifique.
J'attendais la fin de son discours, qui devait être suivi d'un bilan des contributions, pour dégager des perspectives de recherche pour les années suivantes. Un grand thème était celui de l'informatique pour l'analyse des réseaux, des graphes... Il y avait de belles applications possibles, dans le domaine de la génétique, avec l'étude du génome humain, du fonctionnement du cerveau...
Les systèmes "neuronaux" allaient permettre aux ordinateurs d'être un peu plus "intelligents", avec un fonctionnement plus riche que les tests "oui" "non". On en arrivait à l'intelligence artificielle et aux aides assistées par ordinateur, comme la CAO, la MAO, la DAO...et j'en passe.
Le président a alors commenté cette conférence dans laquelle on montrait comment utiliser une synthèse vocale, dans les domaines éducatifs, pour l'apprentissage des langues vivantes, pour l'aide à la lecture pour les enfants en difficulté et pour les handicapés. Il soulignait le sérieux du travail, développé avec de tout petits moyens, dans ce laboratoire Studyvox d'une université de province.
Je n'en croyais pas mes oreilles, moi qui avais eu tant de mal à convaincre les instances parisiennes, que ce sujet était porteur.
Il insista sur la nécessité d'intensifier ces recherches, en rapprochant des laboratoires d'autres disciplines. Xavier Hart avait parlé de la littérature assistée par ordinateur, et des travaux de Jean-Pierre Balpe, de Paris VIII.
Il faut aller dans ce sens, avec une recherche pluridisciplinaire. L'assemblée était unanime, pour choisir cette orientation pour le prochain congrès, qui aurait lieu dans deux ans. Il se tourna vers moi, et me proposa, si j'étais d'accord, de l'organiser à Toulouse, dans la ville rose.
Je ne pouvais pas refuser, bien que ce soit une grosse charge. Je le ferai, en souvenir de Julie. Après les derniers applaudissements, tout le monde se sépara. On se reverra dans deux ans.
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La petite sévrienne : c13.p2
La petite sévrienne me demanda si on pouvait déjeuner ensemble. Elle devait remonter vers le Panthéon.
Je connaissais le restaurant "le volcan", près de la Contrescarpe. Ça lui allait très bien.
On y est arrivé rapidement, par la petite rue des boulangers. On s'est mis un peu à l'écart, pour parler librement. On avait beaucoup de souvenirs en commun. Elle me redit encore combien elle regrettait sa remarque de l'autre jour.
- Félicitations pour les résultats des Toulousains.
- C'est dommage qu'on ne t'ait pas vu plus souvent. - Tu sais, j'avais des affaires à régler, qui traînaient depuis longtemps.
Elle a voulu savoir ce que c'était que ces affaires. Je lui ai tout raconté, on se connaissait si bien. Elle n'a pas fait de commentaires, c'était mieux comme ça. On essayera de se revoir avant le prochain congrès.
- C'est promis, dit-elle. - Viens à la maison, tu connais bien Sylvie. - C'est vrai.
Chacun partit dans sa direction, moi vers l'hôtel Saint Pierre, pour faire mes bagages.
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Patrice : c13.p3
À la réception, on me dit qu'une dame était passée pour me voir. J'ai noté son nom, elle s'appelle Ludivine.
- Comme je ne savais pas quand vous rentreriez, elle m'a laissé ce petit mot.
Je montais vite dans ma chambre pour le lire. Voilà ce mystère qui revient !
C'est la seconde fois que Ludivine cherche à me rencontrer, dans un endroit que je ne lui ai pas indiqué !
Voyons vite ce mot.
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Ludivine : c13.p4
« Cher Patrice,
Tu étais absent, alors je t'écris vite ce petit mot, avant la fin de ton histoire.
Tu as pensé à tout, sauf peut-être à la vraie fin de ton roman. Moi, je la connais, et pour cause.
Je te retrouverai donc, si tu le veux, là où tu sais, au Luxembourg. Je t'attendrai cette après-midi, jusque vers 17 heures.
D'ici là, tu as le temps d'imaginer d'autres fins possibles pour ton roman !
Si tu n'as plus d'idées, tu n'as qu'à faire, en attendant notre rencontre, comme si c'étaient des lecteurs d'Oniris" qui te les avaient soufflées. »
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Chapitre 14 : l'imagination des lecteurs pour la fin de mon roman
Xavier Hart : c14.p1
Elle est vraiment très forte, cette Ludivine. C'est une idée formidable, que de faire parler les lecteurs. Cela rejoint cette remarque que j'avais faite à propos de la pièce de Ionesco. Et puis, ma fin provisoire était encore plus déprimante que la précédente ! Je fais confiance, surtout aux lectrices, pour proposer une fin plus heureuse.
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Des lecteurs anonymes : c14.p2
---------- Je m'appelle Claire.
Ludivine représente, pour moi, toutes vos lectrices anonymes, qui ont aimé vos personnages. Sa rencontre avec vous au Luxembourg, sera un moyen de présenter le prochain roman, que nous attendons toutes avec impatience ! ---------- Michèle :
Ludivine, c'est la petite sévrienne. Elle aimait Patrice, quand ils étaient tous les deux des jeunes chercheurs. Elle n'a jamais osé lui dire. Ce congrès à Paris était une occasion rêvée. ---------- François de Bruxelles :
Ludivine doit être un agent publicitaire, pour la promotion de ce logiciel Studyvox pour les aveugles. C'est encore un moyen détourné pour faire du commerce, en faisant croire que l'on propose des aides gratuites aux handicapés. ---------- Marie, 20 ans :
Patrice va aller au rendez-vous, et il n'y aura personne, comme la dernière fois. Les histoires d'amour, ça se termine toujours mal. ---------- Anonyme :
Patrice n'ira pas au rendez-vous, puisque Julie est morte. Moi aussi, je suis comme Ludivine. J'ai souvent rêvé d'un prince charmant qui n'est jamais venu !
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Chapitre 15 : épilogue
Xavier Hart : c15.p1
Je rassemblais mes affaires. Je n'avais qu'une petite valise. Je pouvais payer l'hôtel, puis passer voir Ludivine près de la fontaine Médicis, avant d'aller prendre mon train à la gare d'Austerlitz.
Je me demandais qui j'allais bien pouvoir rencontrer ? Évidemment, ce ne peut pas être une amie de Julie. J'étais tout de même un peu anxieux. Plus j'approchais de la grille, plus je trouvais absurde que j'aille à ce rendez-vous. Il était encore temps de prendre la petite rue Monsieur le Prince sur la droite, de descendre jusqu'au métro Odéon. Il n'y avait que 3 stations jusqu'au terminus "gare d'Austerlitz". Je serai bien trop tôt.
J'entrais en tremblant dans le jardin.
Comment peut-on se reconnaître, on ne s'est jamais vu. De loin, je vis qu'il n'y avait qu'une dame assise dans la petite allée. En m'approchant, je remarquais qu'elle lisait une revue qui pouvait être "match". Il y avait un fauteuil libre à côté d'elle. Il n'y a pas de doute, c'est elle. Je voyais toujours aussi mal et je devais m'approcher d'elle pour lui dire :
- Bonjour Ludivine, je suis l'auteur Xavier Hart.
Je tombais à la renverse ! C'est toi, Sylvie ?
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Sylvie : c15.p2
- Oui patrice, Ludivine, c'est moi. En réfléchissant un peu, c'était facile à trouver. Il n'y avait que moi qui savais que tu descendais à l'hôtel Saint Pierre. Tu vas savoir pourquoi je t'ai dit, juste avant ton départ, que Ludivine avait téléphoné. Je suis tombé par hasard sur ton roman, que tu tapais sur notre PC. Il était dans "mes documents". Je l'ai lu pendant que tu étais au travail. C'était bien, mais c'était triste. Et puis, j'étais jalouse de cette Julie. Il fallait que tu ne penses plus à elle. Moi aussi, j'ai eu des déceptions amoureuses, mais on ne doit pas vivre toute sa vie avec. J'ai bien compris pourquoi tu ne m’as jamais dit tous ces mots tendres que l'on s'attend à entendre, quand on s'aime. J'ai imaginé de faire disparaître Julie, pour prendre sa place. Tu ne m'en veux pas, au moins !
Nous irons tous les ans à Paris, passer quelques jours de vacances. On pourra descendre à l'hôtel Saint Pierre. Ça me rappellera le temps où tu venais dans ma chambre. Et puis, nous irons tous les jours au Luxembourg. On redescendra ensemble la petite rue Monsieur le Prince, et alors, il n'y aura plus de larmes dans ton visage.
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Oh oui, ma Sylvie chérie !
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