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Réalisme/Historique
sukumvit : De la mort
 Publié le 22/03/18  -  7 commentaires  -  4400 caractères  -  78 lectures    Autres textes du même auteur

"Les larmes crevèrent. En lui s'élargissait un grand lac de solitude et de silence sur lequel courait le chant triste de la délivrance." (A. Camus)


De la mort


Tom était assis devant le corps étendu sur le lit et l'observait en silence. Étrangement il ne ressentait aucune tristesse. Le regard vide du cadavre fixait le plafond. Un bras déjà froid pendait sur le côté du ventre parfaitement immobile. La sérénité des lieux contrastait avec les pensées qui commençaient à s'entasser dans sa tête. De nombreux sentiments le traversaient, la surprise, le doute, la peur même, mais aucune douleur. Par réflexe il avait d'abord tenté de déchirer le nylon mais il s'était rapidement rendu compte que c'était inutile, il n'y avait plus rien à faire. Elle était morte et sa vie allait définitivement changer.


Il parcourut machinalement la chambre rose du regard. Une robe pendait sur une chaise proche de lui et des chaussons gisaient juste en dessous. Sur la table basse un livre aux pages écornées était posé. Une paire de lunettes avait été placée par-dessus. Le rideau était tiré et la pénombre qui recouvrait la pièce n'était contrastée que par le léger halo de la veilleuse, donnant à la scène une allure surréaliste. L'inutilité presque grotesque de tous ces objets le fit sourire. Il se rendit compte à quel point ils étaient insignifiants désormais. Comme si leur existence même n'avait d’intérêt que par l'importance qu'on leur accordait. Un bref instant il ressentit profondément l'absurdité de la vie. La mort finissait toujours par l'emporter et toutes ces choses qui avaient compté pour vous redevenaient de simples objets inanimés et sans importance aux yeux des autres. Ses yeux se fixèrent sur le miroir en face de lui. Il y aperçut son visage creusé par la fatigue et croisa son propre regard, figé, sans émotions.


Il pensa à sa propre vie, fade, triste, dénuée d'intérêt. Il se remémora ses échecs, ses regrets, ses hésitations. Puis ses pensées se tournèrent vers l'avenir et il se mit à réfléchir aux implications de ce décès. Où allait-il vivre ? Qu'allait-il faire ? Comment les gens allaient-ils réagir ? Quels seraient les impacts sur sa propre existence ? Cet instant sembla durer une éternité durant laquelle les multiples possibilités qui s'ouvraient à lui lui apparurent comme autant de nouveaux futurs. Sa vie allait-elle enfin avoir un sens ? Comme si le passé et le présent n'avaient plus d'importance il se sentit comme déconnecté de la réalité, comme si le temps lui-même s'était arrêté pour qu'il puisse contempler tous les avenirs possibles et ceux-ci semblaient tous plus prometteurs que son présent. La mort pouvait-elle devenir créatrice ? La fin d'une âme pouvait-elle engendrer un nouveau départ pour une autre ? Autant de questions dont il n'avait pas la réponse. Mais le doute ne valait-il pas mieux que la certitude d'un futur terne et triste. Il se prit à rêver d'un avenir meilleur. À une libération que seuls les drames peuvent provoquer. Un étrange sentiment le traversa, comme un apaisement, un espoir, une anticipation du renouveau qui l'attendait.


Il prit soudain conscience de son égoïsme et eut une sensation de malaise. Sa pensée se figea. Comment pouvait-on être aussi indifférent à la mort ? Était-il normal ? Pourquoi ne pleurait-il pas ? La joie qu'il avait ressentie quelques secondes plus tôt fit place à la honte et c'est maintenant le passé qui envahit son esprit. Les bons moments partagés, les éclats de rires et les disputes. Seules quelques minutes s'étaient écoulées depuis qu'il avait découvert le corps mais son cerveau était désormais en ébullition. Les images défilaient dans sa tête comme un kaléidoscope. La passé, le futur et le présent se mêlaient dans un enchaînement de scènes sans queue ni tête. Un violent mal de crâne dispersa les images dans sa tête et, enfin, une vague de douleur le transperça, brutale, implacable. Il tressaillit. Des larmes de souffrance emplirent son visage et il éclata en sanglots. Le téléphone se mit à sonner.


Tom mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Encore sous le choc il essuya ses larmes d'un revers de manche et se leva lentement, comme un automate. Il se sentait faible, épuisé, sonné. Les jambes traînantes il chassa la confusion de son esprit et descendit les quelques marches en direction du salon. Les sonneries du téléphone résonnaient dans son crâne désormais vide. Comme dans un rêve, il se dirigea maladroitement vers le combiné et tendit le bras. À peine décroché, il prononça dans un souffle : « Maman est morte ».



 
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   plumette   
1/3/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
la référence à Camus était en effet inévitable!

Dans la première phrase, je n'ai pas compris le sens de la phrase "Par réflexe il avait d'abord tenter de déchirer le nylon".

le texte est court, comme me parait vraiment trop rapide le cheminement psychologique de Tom qui passe dans un temps bref par de multiples états émotionnels.

ce texte reste assez général, on ne peut pas s'attacher à Tom car on ne sait rien de lui, on imagine assez bien cependant l'archétype du vieux garçon célibataire sous emprise de sa vieille mère.

ce récit est, pour moi, trop impersonnel, il développe deux ou trois idées, certes justes, mais qui m'ont parues banales car pas suffisamment incarnées.

Bonne continuation

Plumette

   SQUEEN   
2/3/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
L'écriture est fluide et agréable, Mais d'après moi l'introspection n'est pas assez profonde, semble rester à la surface des émotions, Ce moment est bien dit mais il manque d'originalité. Sur du si court, je pense qu'il faut plus de radicalité. Ici, ça flotte un peu. Je n'ai pas compris "déchirer le nylon": y a-t-il eu crime, suicide? Le reste du texte à l'air de parler d'une mort naturelle... Merci, SQUEEN

   Jean-Claude   
2/3/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Pas grand-chose à dire à part que je n'ai pas décroché de ce magma de pensées, jusqu'à la fin.

Une chose toutefois : je n'ai pas compris pourquoi il tente de déchirer le nylon (ce détail m'avait fait penser à un meurtre).

Au plaisir de vous (re)lire.
JC

   in-flight   
22/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Ok.

" il avait d'abord tenté de déchirer le nylon mais il s'était rapidement rendu compte que c'était inutile" --> J'ai d'abord cru à un homme ayant tué son amante (en plus, je n'avais pas regardé la catégorie du texte). Du coup je me suis fait avoir... :)

Une bonne chute donc mais le style télégraphique et les questionnements affaiblissent ce texte pourtant court. Sans doute vouliez-vous rendre hommage à Camus... Mais vous le savez, faire simple est extrêmement compliqué.

"La mort finissait toujours par l'emporter et toutes ces choses qui avaient compté pour vous redevenaient de simples objets inanimés et sans importance aux yeux des autres" --> je trouve cette phrase inutile, de plus elle sort le lecteur de l'histoire avec ce "pour vous" adressé au lecteur.

   Donaldo75   
22/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour sukumvit,

J'ai bien aimé cette très courte nouvelle. La scène est un huis-clos où le personnage est seul avec lui-même. La morte n'est qu'un élément du décor, je dirais un élément de contexte. Ce qui m'a plu, c'est la sobriété du propos et du style, malgré les nombreuses questions existentielles que se pose Tom.

Le texte est équilibré.

J'ai vécu une lecture agréable.
Merci !

Don

   Anonyme   
22/3/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour

Je soupçonne le site d'avoir fait exprès de publier deux textes
sur la mort en même temps : une nouvelle et une poésie.
J'aime bien ce texte qui me met à la place du narrateur en retraçant
tous les questionnements qui se posent inévitablement après
la disparition d'un proche.
Je me revois, il y a 36 années maintenant, appelé par l'hôpital
pour me recueillir devant la dépouille de ma mère.
Les défunts changent mais pas les interrogations.

Et nous sommes toujours démunis devant l'ultime soupir
même si....poésie !!

   Mona79   
17/4/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Déchirer le nylon de la chemise pour tenter un massage cardiaque, peut-être ? Mais c'était évidemment inutile. Absence d'émotion due à la surprise, puis prise de conscience de la fin, ensuite le chagrin, la douleur, normalité enfin atteinte. C'est un bon texte. Merci.


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