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Fantastique/Merveilleux
Sylvaine : Requiem pour une licorne
 Publié le 17/05/16  -  15 commentaires  -  13282 caractères  -  226 lectures    Autres textes du même auteur

Mort d’une créature féerique et désenchantement du monde.


Requiem pour une licorne


La licorne est morte cette nuit, ou peut-être ce matin, dans cet entre-deux où pâlissent étoiles et ténèbres. Elle s’est allongée sous les arbres, ses longues jambes et sa corne d’ivoire reposant sur la mousse somptueuse qui tapisse la forêt d’outre-monde. J’ai passé des heures à la veiller, à suivre de mes doigts attentifs le dessin de son profil, à les emmêler à sa crinière et à sentir sous ma paume le souffle exténué qui soulevait ses flancs. Des frissons continus la parcouraient de l’encolure à la croupe, fièvre d’agonie douce que j’apaisais de la main. Tout à coup un sursaut ultime lui a soulevé la tête, un dernier tressaillement a agité ses jambes, des feuilles qu’une bouffée de vent avait détachées des arbres sont tombées sur elle comme un envol de paillettes pour l’ensevelir sous un linceul d’or. Elle est retombée avec mollesse alors que l’aube commençait à lécher le ciel. La licorne est morte cette nuit, ou peut-être ce matin. Mes rêves désormais seront déserts.

Le temps que son espèce comptait en millénaires a fini par avoir raison d’elle, comme il a eu raison de tous les siens dont elle était l’ultime survivante. Le temps et notre acharnement, ou celui de nos ancêtres, à détruire la beauté dont nous ne sommes pas les artisans. Elle était fatiguée de vivre, fatiguée de sa solitude superbe au cœur de ce perpétuel automne qui colore les arbres d’outre-monde. Arbres de pourpre, arbres de flammes, arbres jaune soleil entre les marbres en ruine, que je ne me suis jamais lassé de peindre comme je les peindrai aujourd’hui encore, veillant comme des cierges sveltes son corps immobile dans l’abandon de la mort. Pour la dernière fois je vais enchanter un tableau de sa présence. Ce sera son tombeau et son requiem.

Notre compagnonnage de songe remonte à mon enfance, au temps où la campagne était encore peuplée de petits paysans qui vivaient repliés sur leur hameau dans une autarcie presque totale. Mes parents étaient de ceux-là. Ils possédaient cinq ou six vaches, un âne, un cheval de labour, quelques cochons, des lapins, de la volaille, quelques pâtures, des terres rechignées où ils cultivaient un blé malingre, au cœur d’un pays de collines rudes couvert d’une toison de forêts. J’étais le dernier de quatre enfants, et j’avais déjà pour le dessin un goût très vif, peut-être un talent qui avait attiré l’attention de mon maître d’école. École que je manquais souvent, occupé comme je l’étais par les travaux de la ferme. Un soir – je pouvais avoir dix ans – j’étais parti chargé de deux brocs pour tirer de l’eau à la fontaine. C’était, dans un berceau de granit, une nappe pure qui sourdait de terre sur le sentier de la forêt proche, à quelque cent mètres du hameau. J’avais pénétré sous les arbres, un coude du chemin me cachait les dernières maisons, les branches se rejoignaient au-dessus de ma tête, et je me hâtais pour devancer le crépuscule précoce qui progressait à pas de loup noir en dévorant ce qui restait de jour. À cette époque-là je redoutais la nuit, ignorant encore avec quelles délices j’y plongerais plus tard pour en rapporter les trésors étincelants du songe. Lorsque je parvins à la source, l’ombre avait sensiblement gagné, et seul un rayon tardif frappait à l’oblique le miroir d’eau calme. J’y vis se refléter mon visage, et derrière lui une créature dont l’aspect me confondit de stupeur.

Si j’avais connu d’autres chevaux que nos lourdes bêtes de trait peut-être aurais-je été moins surpris par sa tête à l’ossature délicate, sous une peau de soie d’une telle finesse qu’on y lisait le dessin des veines. Depuis j’ai vu la même à des pur-sang, comme je leur ai vu ces larges yeux où le feu couve sous la douceur du velours, entre les mèches ondoyantes de la crinière. Mais aucun n’aura jamais ce pelage d’or pur, qui laisse une poudre brillante aux doigts qui le caressent, ni cet éperon d’ivoire qui lui couronnait le front. La tradition veut que les licornes soient blanches. Mes tableaux, peints d’après nature, attestent qu’il n’en est rien.

Je me retournai, et je la découvris tout entière qui tremblait sur ses hautes jambes graciles. Elle paraissait épuisée, et je la vis ployer les genoux avant de s’affaisser au sol. Je vis aussi qu’elle portait à l’épaule une plaie vilaine, qui avait beaucoup saigné, ce qui expliquait sans doute sa faiblesse extrême. Je sus qu’un chasseur l’avait tirée tout juste aperçue, la prenant sans doute pour un grand cerf, alors que, poussée par l’ennui, elle s’était aventurée dans notre monde qu’avaient déserté les siens. Je sus aussi ce que je devais faire. J’éprouvais pour la première fois, sans bien le comprendre, un phénomène qui ne cesserait de se reproduire au cours de nos rencontres : ses pensées se communiquaient aux miennes, et elle m’insufflait tout le savoir dont j’avais besoin pour la soigner.

Je pris mon couteau de poche, et je débridai la plaie pour en retirer les plombs, en essayant de travailler vite pour abréger la souffrance qui lui faisait tressaillir l’épaule. Puis je sortis mon mouchoir, reprisé mais heureusement propre, que je trempai dans la source pour nettoyer sa blessure et laver le sang noirci qui poissait sa robe. Ensuite, je cherchai une plante dont j’ignorais le nom mais dont je reconnus l’aspect, et que je broyai avec mes dents et mêlai à ma salive. J’obtins une pâte gluante, et je l’appliquai sur la blessure pour stopper l’hémorragie et prévenir l’infection.

La créature reposa un temps que je ne mesurai pas. Peu à peu ses forces revenaient, et je fus impressionné par sa stature quand elle se remit debout. La vigueur qui l’animait courait en ondes frémissantes sur la moire dorée de son pelage. Elle s’ébroua, m’effleura de ses naseaux dont je sentis le souffle sur ma joue, et s’évanouit comme une brise d’été derrière le rempart des feuilles.

J’en oubliai de remplir mes brocs, et me fis durement tancer par mes parents, qui m’envoyèrent de nouveau à la fontaine. Il faisait à présent nuit close, mais désormais je n’avais plus peur. Je portais en moi comme une lumière le souvenir de l’apparition féerique qui avait enchanté la forêt. Un don m’avait été fait, que je devinais immense sans connaître sa nature. Ce soir-là, je me fis encore reprendre à table, car je bayais aux corneilles devant ma soupe refroidie. Je m’en souciais peu, je fixais l’âtre où dansaient les flammes, où je voyais s’épanouir la crinière d’une créature ardente qui se cabrait avec le feu.

Je la voyais encore sur l’écran de mes paupières closes quand je m’endormis près de mes frères dans la soupente qui nous servait de chambre. Je me retrouvai au cœur d’une futaie de chênes dont je voyais rapidement défiler les arbres, comme si j’avais volé à deux mètres du sol, les cheveux frôlés par les feuilles, le visage et le torse baignés par un vent frais. Peu à peu, le souffle qui me soulevait prenait forme et consistance : je sentis entre mes cuisses des flancs robustes et caressants comme de la soie, j’étais penché sur une encolure, accroché à une crinière que je reconnaissais sans surprise, dans l’évidence du songe. Quand je renversais la tête, les étoiles paraissaient fuir entre les branches, traçant un sillage de lumière qui accompagnait notre course. Qui se rappelle mon premier tableau, où l’on voit la licorne galoper dans un champ fleuri d’ombelles qui est peut-être le ciel nocturne, aura compris ce qu’il doit à cette chevauchée.

J’ai représenté aussi l’étang cerné de saules à la surface constellée de feuilles jaunies où elle m’a entraîné ensuite. Je l’ai montrée pénétrant dans l’eau jusqu’à mi-corps, la corne dressée à la verticale de la lune qui en ourle l’ivoire d’un liseré d’argent. L’enfant qui s’agrippe à elle ressemble à un petit singe mussé dans l’ombre dont il se détache à peine, effrayé comme je le fus quand la licorne plongea et que les ténèbres de l’étang se refermèrent sur moi. Je suffoquai, transi par l’humidité glaciale, l’eau m’emplit le nez, la gorge et les oreilles, et la panique m’engloutit quand je compris que je me noyais. Mais brusquement, nous émergeâmes au sec, quoique ce ne fût pas sur l’autre rive. Les profondeurs de l’eau morte ouvraient sur une plage de sable blond où la licorne prit pied en s’ébrouant. Je glissai moi-même à terre, et fus aussitôt réchauffé par la lumière du double soleil qui se lève chaque jour sur l’outre-monde. Pour la première fois, j’avais franchi la frontière que je passerais si souvent. Autour de nous s’étendait la forêt d’automne que je ne me lasserais pas d’explorer plus tard sans jamais découvrir ses limites : des arbres immenses, assez espacés pour permettre aux licornes d’évoluer entre eux, qui élevaient très haut vers le ciel leurs frondaisons murmurantes, d’où tombait la pluie dorée des feuilles accumulées sur la mousse. Une mer de fougères cuivrées venait battre les racines. Des colonnes tronquées, des vasques à demi détruites sous la jonchée des feuilles mortes évoquaient un peuple disparu, dont je devais apprendre plus tard qu’il fut allié des licornes avant de s’éteindre il y a quelques millénaires. Le ciel était d’un bleu plus intense que le nôtre, et j’ai dû travailler longtemps pour en rendre la nuance exacte, ce dur éclat de saphir contre lequel se découpent les branches chargées de feuillages flamboyants.

Il y aurait ensuite bien d’autres nuits au cours desquelles j’allais revenir au pays de la licorne. Mes tableaux en ont restitué la lumière diverse au fil des heures, les étincelles de rosée sur la mousse, les rayons poudrés du crépuscule qui veloutent clairières et feuillages et la profondeur des ciels noirs où s’enracinent des constellations jamais vues ailleurs. Lorsque j’ai connu la bête fée, sa race avait déjà disparu depuis longtemps, mais elle m’a fait partager ses souvenirs et c’est à elle que je dois ces images de poulains tétant leur mère et ces visions de hardes impétueuses dont le galop ne laisse aucune trace, car leurs sabots frôlent les fleurs sans les faire ployer, comme dans cette peinture où ma licorne traverse un parterre d’orchidées bleues en les effleurant à peine. L’imagination qu’on a tant vantée chez moi n’est pour rien dans les tableaux qu’elle m’a inspirés. J’ai vu tout ce que j’ai peint et n’en ai rien inventé.

À la fréquenter si longtemps, à confronter les fragments de souvenirs qu’elle me livrait, j’ai pu reconstituer l’histoire de son espèce. On a souvent observé qu’à l’inverse de Pégase, du Sphinx ou de la Chimère, les naturalistes anciens ont toujours tenu la licorne, à l’instar du lion ou du dauphin, pour un animal réel. Ils ne se trompaient nullement. Longtemps, les licornes ont habité la Terre, où certains ont pu les voir, d’où les témoignages de forestiers ou de chasseurs. Mais leur agilité, leur vitesse et leur sens du camouflage décevaient toujours leurs poursuivants. Elles trouvaient refuge dans les lieux les plus sauvages, forêts profondes, sables des déserts, haute montagne et terres de neige, où elles restaient hors d’atteinte. Alors, elles ne rejoignaient l’outre-monde que pour y mourir. Mais l’Homme a peu à peu investi ces asiles, il a abattu les forêts, colonisé les déserts, modelé à son usage les territoires les plus hostiles. C’est alors que les licornes se sont retirées derrière le miroir des eaux dormantes, au pays de l’automne éternel qui avait vu naître leur espèce, et qu’elles avaient quitté en des temps très anciens.

Car l’outre-monde est un monde épuisé, et si vieux qu’il en est devenu stérile, et que les licornes ne pouvaient s’y reproduire. Aussi, dans les premiers temps de leur exil, avaient-elles coutume de faire des incursions dans notre univers, pour s’y accoupler et mettre bas leurs poulains. Mais elles durent aussi y renoncer, n’y trouvant plus de retraite sûre, car l’humanité, qui se multipliait sans cesse, submergeait la Terre comme une marée qui ne redescendrait plus. Quel territoire est désormais hors d’atteinte, quel sanctuaire à l’abri des panneaux publicitaires et des centres de restauration rapide ? Elles se résignèrent donc à s’éteindre, la mélancolie qui les gagnait accélérant leur déclin.

La mienne était la dernière, et j’ai bien souvent tremblé pour elle, car la variété des saisons lui manquait. Elle avait la nostalgie des jacinthes sauvages, des aubépines en fleur et du vert profond de la forêt estivale. D’où ses escapades, qui lui faisaient courir des risques considérables. Je n’osais songer aux traitements que lui auraient réservés les hommes s’ils l’avaient faite prisonnière. Dans le meilleur des cas, ils l’auraient soumise à des explorations complexes qui l’auraient déchue de sa dignité féerique. Ils l’auraient radiographiée, scannée, ils auraient analysé son sang, ses poils, ses gènes, ils l’auraient clonée, sans doute, pour exhiber ses pareilles dans les cirques et dans les zoos. Ils les auraient au mieux parquées dans des réserves pour le divertissement de touristes braillards vêtus de chemises bariolées.

Nous avons rendu la Terre inhabitable pour les licornes. Inhabitable aussi pour nous, en tout cas pour certains dont je suis. J’aimerais habiter mes propres toiles, j’aimerais qu’elles soient un miroir d’eau calme qui ouvre sur un outre-monde où je la retrouverais.



Cette nouvelle a été inspirée par un tableau de Kandl, La Licorne d’or.


 
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   Anonyme   
14/4/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ah, certes, voilà un texte bien écrit ! Une écriture très soignée, ample, belle, parfaitement adaptée au sujet. Beaucoup d'allure. Et je suis fascinée par les licornes ; et j'aime cette idée d'un monde "autre" crépusculaire, un somptueux refuge en définitive stérile comme, somme toute, sont les rêves...

Alors pourquoi ne suis-je pas vraiment emballée ? Le champ lexical n'est pas extravagant ni la syntaxe si compliquée, ce qui exclut que je trouve le style trop élitiste. Non, je crois que ce qui me gêne c'est le côté "anecdptique" de l'histoire, surtout au vu de sa longueur assez conséquente ; me manque une intrigue, en fait, des personnages qui interagissent. Je me retrouve devant un tableau, ce qui se comprend au vu de l'inspiration à l'origine du texte ; un tableau superbe, mais pas vraiment un récit...

Je sais, je pinaille. Du point de vue de l'écriture, le texte me paraît irréprochable, et je regrette qu'il me touche si peu.

   Vincendix   
17/5/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Superbe récit, un enchantement pour le « petit garçon » que je suis, la licorne est un animal fabuleux qui m’a toujours intrigué et
j'ai retrouvé mon enfance dans ce pays de rudes collines couvertes de forêts épaisses et mystérieuses.

C’est vrai que cette créature gracile et inoffensive n’a plus sa place dans notre monde, ou alors dans les océans, comme son cousin le narval ?

Une belle écriture au service d’une belle histoire, merci Sylvaine.

(J’ai un poème à paraitre demain qui a des similitudes avec ce récit)

   Anonyme   
17/5/2016
Commentaire modéré

   Anonyme   
17/5/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Magnifique. C'est coloré, écrit comme j'aime lire, et au fur et à mesure, vous m'avez mit un pinceau dans la main, et apprit à dessiner un tableau.
Si votre peinture se rapporte à votre écriture, alors vos toiles doivent être somptueuses.
J'ai aimé aussi, la manière succincte, et c'est, je trouve, ce qui donne de la force à votre fin de texte, quand vous parlez des hommes, et des actions néfastes qui en découlent, avec ce territoire publicitaire et électrique, et sa façon de tout vouloir régir et contrôler.
Et cette licorne, immuable, Qui tire tout vers le haut, que l'on aimerait bien rencontrer, car elle porte les rêves de tous ceux, pour qui ce voyage éthérique est primordial, vital.
C'est à cela, et à bien d'autres choses que j'ai pensé, en vous lisant.
Merci beaucoup pour ce voyage poétique, plein d'imagination, et la belle manière, dont vous avez su faire preuve, pour en tous cas, personnellement, m'avoir donné de l'émotion.

   MissNeko   
17/5/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Ouah!!! Quel voyage magnifique et poétique. J ai aimé les deux lectures possibles : celle de l animal réel et la licorne comme allégorie de l imaginaire qui se meurt dans notre monde.
Bravo. Vous m'avez enchantée. J'avoue que le début m a tiré une petite larme ( les animaux qui meurent ça me fait toujours pleurer !!) mais que vous écrivez bien !
Merci pour ce moment de lecture

   widjet   
19/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bon, ce n’est pas secret, je n’aime pas la catégorie « Fantastique ».

Mais, je sais aussi qu’à l’instar de certains auteurs (romanciers ou cinéastes), le genre quel qu’il soit peut aussi être un vernis où se cacheraient d’autres thèmes, d'autres grilles de lectures, plus réalistes et de notre temps. De plus, le fait de connaître l’auteur (pas en personne, mais pour l’avoir lu) permet (en tout cas à moi) de passer outre cet à priori.

Pour avoir lu et apprécié les deux lettres (au rebut et à Voltaire) et avant de lire le précédent (rêveur de jaguar, grand succès Onirien) je sais d’ores et déjà que lire du Sylvaine, c’est obtenir la garantie - ou quasiment - d’un travail soigné et d’une écriture belle et raffinée.



Ce texte ne déroge pas à cette règle. Les premières lignes - que dis-je, la première phrase -, d’une fluidité imparable donnent le ton : nous sommes déjà partis. Mais tout du long, l’auteur fait preuve d’une constance remarquable dans ce domaine, les descriptions sont belles sans être tapageuses. C’est un excellent travail pourtant pétri d'humilité - un des tous meilleurs de l’auteur selon moi - assez touchant (les 10 premières lignes demeurent les plus réussies et suffisent à elles seules la lecture) qui prouve de surcroit qu’on peut délivrer un message politique (écologique), mais aussi sur la magie de création (artistique mais pas que) en passant par l'onirisme sans tomber dans la mièvrerie ou la masturbation intellectuelle et surtout sans sacrifier au style et au travail d'écriture (j'apprécie le soin, la simplicité, la puissance évocatrice et redoutable apportée aux mots, à la vigilance quant à éviter les redites ou les ajouts inutiles).

Merci de cette piqure de rappel.



W

   Anonyme   
18/5/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour,
Depuis quelque temps je réécoute une chanson que peu doivent connaître: " Sur la trace des fées" du groupe Ange écrite dans les années 70.
Bien évidemment, avec un tel état de mon esprit, je ne pouvais que m'arrêter auprès de votre licorne.
Tout au long de votre texte, j'ai entendu cette chanson.
Je me suis retrouvé dans mes forêts d'enfance, sur ces tapis des feuilles mortes, près d'une grotte bien cachée où une source attirait des biches, des cerfs qui venaient y boire . Il n'y avait pas de licorne bien sûr, mais c'étaient des endroits aussi magiques, aussi féeriques que votre "outre-monde".
C'est ce rêve de l'enfance grandeur nature, loin des écrans modernes, qui créait ce monde des fées et des licornes, d'Alice, de Peter Pan et que vous avez si bellement retranscrit.
Votre écriture est magnifique, vos toiles écrites sont époustouflantes. Votre histoire est à pleurer. Que dire de plus ? Vous nous démontrez par ce voyage que nous avons perdu le plus beau de nous-même en abandonnant notre imaginaire aux marchands, en blessant mortellement notre nature. Nous crevons peu à peu dans notre monde sinistre, brillant d'illusions multiples mais sans plus aucune magie.
Merveilleuse nouvelle que j'applaudis avec enthousiasme.
A vous relire.

   Pouet   
31/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'avais beaucoup aimé "Point final" c'est donc avec un a priori favorable que j'ai lu ce texte. Je ne suis pas déçu. L'écriture est ma foi impeccable, de ce que j'en connais du moins. Si on me disait que ce texte a été écrit par un auteur professionnel, je n'aurais aucun doute sur le sujet.

La "licorne" comme symbole du rêve, de la beauté mais aussi emblème de toutes les espèces qui disparaissent de notre planète à un rythme effréné (entre 25000 et 50000 espèces vivantes s'éteignent chaque année...)

Un tableau onirique reflet de l'urgence.

Un bien joli travail, nécessaire.

Bravo.

   jfmoods   
11/6/2016
I) Un récit envoûtant

1) Un cadre réaliste bien campé

La focalisation interne ancre le texte au coeur de la vie vécue (marqueurs temporels : "Un soir - je pouvais avoir dix ans -", "Ce soir-là", marqueurs spatiaux : "un hameau", "à quelques cent mètres du hameau", contexte familial explicité : "Mes parents étaient de ceux-là", "J'étais le dernier de quatre enfants dans la soupente qui nous servait de chambre", "je m'endormis près de mes frères", contours d'un décor de paysannerie pauvre : "cinq ou six vaches, un âne, un cheval de labour, quelques cochons, des lapins, de la volaille, quelques pâtures, des terres rechignées où ils cultivaient un blé  malingre, au  cœur d’un pays de collines rudes couvert d’une toison de forêt.").

2) L'apparition d'une créature féerique à la mort déjà programmée

La licorne, animal fabuleux, apparaît à la fois gracieuse, royale et fragile ("ses longues jambes et sa corne d'ivoire", "l'ossature délicate", "une peau de soie d'une telle finesse qu'on y lisait le dessin des veines", "ce pelage d'or pur, qui laisse une poudre brillante aux doigts", "cet éperon d'ivoire qui lui couronnait le front", "les hautes jambes graciles"). Sa grave blessure ("elle portait à l'épaule une plaie vilaine"), que le narrateur parvient à guérir, ne fait qu'anticiper sa fin prochaine ("un dernier tressaillement a agité ses jambes, des feuilles qu’une bouffée de vent avait détachées des arbres  sont tombées sur elle comme un envol de paillettes pour l’ensevelir sous un linceul d’or.").

II) Une représentation allégorique de l'inspiration artistique

1) De la floraison à l'âge d'or

Le narrateur est doué dans son domaine ("j’avais déjà pour le dessin un goût très vif, peut-être un talent qui avait attiré l’attention de mon maître d’école."). Au fil du texte, l'oeuvre s'affirme, la licorne figurant, avec l'image de "l'outre-monde", la capacité à se sublimer ("Je l’ai montrée pénétrant dans l’eau jusqu’à mi-corps, la corne dressée à la verticale de la lune qui en ourle l’ivoire d’un liseré d’argent.", "Mes tableaux en ont restitué la lumière diverse au fil des heures, les étincelles de rosée sur la mousse, les rayons poudrés du crépuscule qui veloutent clairières et feuillages et la profondeur des ciels noirs où s’enracinent des constellations jamais vues ailleurs.").

2) Vers le dépérissement

Cependant, l'univers onirique de l'artiste se trouve sans cesse rogné, menacé de destruction par un monde en marche vers la globalisation, progressivement destituée de toute forme d'idéal autre que productiviste, englué dans un consumérisme par nature vide de sens (question rhétorique : "Quel territoire est désormais hors d’atteinte, quel sanctuaire à l’abri des  panneaux publicitaires et des centres de  restauration rapide ?"). Cette déliquescence sociale a miné, saboté l'inspiration de l'artiste au-delà de toute mesure, au point qu'il va désormais devoir renoncer à créer ("Pour la dernière fois je vais enchanter un tableau de sa présence. Ce sera son tombeau et son requiem").

Merci pour ce partage !

   Marite   
11/6/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Que dire ... je reviens sans voix de cette escapade ! J'ai pu sans difficulté "voir" la forêt où cet animal fabuleux s'est éteint, suivre la chevauchée nocturne de l'enfant, atteindre le pays d'outre-monde ... Un récit qui m'a captivée et enchantée depuis " La licorne est morte cette nuit, ou peut-être ce matin, dans cet entre-deux où pâlissent étoiles et ténèbres." jusqu'à ce "... miroir d’eau calme qui ouvre sur un outre-monde où je la retrouverais. " Merci pour cette échappée fantastique et merveilleuse.

   Pierre_B   
17/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte superbe qui ressemble à de la poésie en prose tant le style y est travaillé. C'est un petit bijou que vous partagez là. Les tournures de phrase sont élégantes, le vocabulaire utilisé superbe, bref, j'ai passé un excellent moment à lire le récit de la fin de cette licorne. Contrairement à d'autres, l'aspect contemplatif de la nouvelle ne m'a pas gêné. La beauté du style compense ce manque d'action et nous plonge dans une atmosphère très mélancolique.

Le thème lui-même n'est pas le plus original qui soit - la fin des mythes, la protection de la nature... Il y a un côté manichéen dans cette vision de la licorne toute en pureté et de l'humanité pécheresse qui la pousse dans ses retranchements. Cependant, c'est traité ici avec tant de poésie qu'il est dur de ne pas se laisser emporter.

Merci pour ce bel instant de lecture.

   mimosa   
23/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Sylvaine,
Et merci pour ce texte qui nous emporte au pays des songes. je n'ajoute rien qui n'ait été dit sur le style superbe.
Cependant je dirais simplement que cela ne ressemble pas à l'idée que je me fais d'une nouvelle: pas de péripéties, d'évènements, de chute.
C'est plutôt pour moi un poème en prose.
Cela n'enlève rien au plaisir de vous lire.

   Marguerite   
13/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Sylvaine,

Je vous découvre avec plaisir aujourd’hui avec ce texte à l’écriture délicate qui sert si bien le sujet que j’ai été transportée dans ce songe merveilleux et triste.
Tout sonne juste, le retour au réel de la fin venant clore le récit comme une (gentille) claque qui nous ramène dans notre monde.

Merci pour ce texte.

M.

   silvieta   
11/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai démarré au grand galop, quelques ralentissements par la suite. Une merveilleuse idée, dans un style souvent inspiré.

   in-flight   
28/10/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un conte écologique qui traite des troubles contemporains. Belle gageure !

"Mais elles durent aussi y renoncer, n’y trouvant plus de retraite sûre, car l’humanité, qui se multipliait sans cesse, submergeait la Terre comme une marée qui ne redescendrait plus. Quel territoire est désormais hors d’atteinte, quel sanctuaire à l’abri des panneaux publicitaires et des centres de restauration rapide ?"-->
J'ai trouvé ce passage un peu trop "forcé" même si je suis en accord avec le constat. Je pense toutefois que c est la concentration de population le réel problème, pas le nombre d habitants (une légère nuance qui nous écarte du malthusianisme).


"Le temps et notre acharnement, ou celui de nos ancêtres, à détruire la beauté dont nous ne sommes pas les artisans"--> j'ai du relire la phrase plusieurs fois pensant qu il fallait lire "a détruit".

Un bon moment de lecture, comme d'habitude avec Sylvaine.

   Anonyme   
23/3/2019
Modéré : Commentaire trop peu argumenté.


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