Les rêves dit-on sont une image inversée de notre réalité, de nos vies. Ils nous subjuguent par leur complexité, leur sens caché. Qui n’a pas souhaité connaître la nature profonde d’un rêve ? Qui n’a pas essayé au matin, de comprendre ce qui l’avait ému au milieu de la nuit ! Mais la réalité reprend vite le pas. Les jours se suivent, et bien souvent se ressemblent…
Nos vies ne sont qu’une énumération de choses que l’on fait, que l’on veut et qui parfois se réalisent, mais pourtant elles ne sont pas toujours ce que l’on voudrait réellement !
Quiconque n’est pas d’accord avec ceci, n’est qu’un menteur avec lui-même…
Je me rappelle de ce jour de mars où invitée chez des amis, en province je l’ai vue pour la première fois. Elle semblait immense, froide. Sa taille phénoménale, vue de la maison m’impressionna. Je sus plus tard, en la visitant que ce n’était qu’une vision, une impression d’optique comme l’on dit. C’était la première fois que j’étais invitée pour le week-end. Je connaissais bien mes amis mais ignorais qu’ils possédaient un aussi beau petit nid douillet au cœur de la campagne. Leur maison quoique petite sentait bon la chaleur humaine. La joie de vivre qui s’en dégageait laissait présager de beaux jours de gaieté et de rires. Le jardin ne ressemblait à rien, beaucoup d’herbes folles au milieu de vieux arbres rabougris, des fleurs poussaient ici et là et pourtant on s’y sentait en osmose. Rien de stressant, que du vert et un silence, comme on en rêve en ville alors que le bruit est omniprésent…
La journée avait bien commencé, après avoir déposé la valise dans une petite chambre rose, ouvert les volets pour laisser passer les rayons du soleil et permettre à l’air ambiant de se disperser, cet air chargé d’humidité et qui sent ce qu’on appelle le renfermé; qui n’est d’ailleurs qu’un retour aux sources, à son enfance dans la vieille maison de famille quelque part à la campagne, on a tous connu ça ! La gaieté avait gagné tout le monde et c’est avec plaisir que le déjeuner fut préparé en commun. Des rires emplissent les vieux murs, des chants, quelques blagues s’égarent dans les pièces aérées. Un retour en cuisine pour la vaisselle à la main, s’il vous plaît ! Que du bonheur dans un monde de brutes…
On sert le café sur la table en pierre qui trône sur ce semblant de terrasse qui aurait besoin d’un bon nettoyage. L’air est doux, chaud, les senteurs légères de plantes donnaient envie de s’étaler là, par terre, et de pousser un petit somme, d’arrêter la marche du temps.
Puis mes amis me font faire le tour du propriétaire. La maison était petite, mais le jardin immense. Le jardin, bien que laissé en friche les avait séduits par son côté abandonné, la surface était cachée par toutes sortes d’arbres, ce qui obligeait à suivre les petits chemins et à découvrir ses trésors de verdure à chaque pas.
Là, au bout d’un détour, elle se profila. Je ne l’avais pas remarquée encore et pourtant quand je la vis, je sus qu’il fallait que j’aille la visiter. Mes amis alors me racontèrent son histoire.
Cette vieille tour, qui pourtant semblait encore solide, avait appartenu à un grand domaine qui comptait entre autre, la maison de chasse, qu’ils avaient achetée. À l’heure de sa splendeur, elle avait été bâtie pour cacher les créations d’un maître qui à l’époque, ne pouvait l’avouer. Le maître du domaine, en effet, était fou de peinture mais sa place dans le grand monde de cette époque ne lui permettait pas de l’étaler au grand jour. Pour vous situer un peu le contexte de cette histoire, elle se passait à l’époque de la fin du règne de Napoléon III, où les déceptions du peuple se faisaient entendre…
Mais je parle, je parle, et le temps s’écoule, la nuit tombe vite en cette saison. Je vous laisse pour ce soir. À demain si vous le voulez bien !
Le soleil est déjà haut ce jour-là dans le ciel. Le petit déjeuner m’ouvre l’appétit comme rarement il le fit. J’aurais pu avaler tout un repas. Cet air sain me va bien au teint me dit mon hôte. Cela fit rire tout le monde… Une bonne douche et hop me voilà prête à me promener à travers les allées sinueuses de cet havre de paix. Je ne sais pas comment, mais mes pas me mènent exactement là où je le voulais, au pied de la vieille tour. Le lierre majestueux monte jusqu’au faîte, les vrilles sont vieilles et tordues, mais donnent un certain cachet à ses pierres. La porte en bois est superbe avec sa serrure en fer forgé. Plus de clef depuis longtemps, mais elle grince…
Ah, oui ! Où en étais-je déjà… ce jeune homme de belle famille, donc, était un amoureux de la peinture. Son talent était excellent et ses toiles retraçaient les couleurs de son âme. Et dieu, qu’elle était pure… les couleurs chatoyantes se miraient dans des lacs plus bleus que le ciel, ou des paysages dont les senteurs semblaient vous accrocher rien qu’en les regardant.
Une telle pureté dans la transparence de ces courbes, dans les couleurs irisées des toiles, bien qu’appelant les êtres à une belle sérénité, était aussi source de méchanceté. Quelques artistes de moindre qualité, il faut bien dire, n’apprécièrent pas de se voir passer au deuxième plan par cet homme inconnu et qui en plus, passait par un intermédiaire pour se faire exposer… Un comble ! Aussi, bientôt des rumeurs apparurent, faisant état de la mauvaise santé de cet artiste et du manque d’inspiration grandissante. Ces mesquins espéraient bien le voir réagir en se montrant, c’était mal connaître notre artiste. Il fut fou de rage tout d’abord, mais sa condition lui interdisait formellement de se dévoiler. Aussi, après de nombreuses nuits à ruminer dans cet atelier qui était tout pour lui, il dut se résoudre à admettre qu’il ne pouvait plus exposer ses âmes, comme il aimait les appeler. Alors, ce fut le début d’une époque où ses émotions amplifièrent sa créativité et menèrent au firmament de son âme, son expression.
J’entrai donc, et montai doucement ces marches qui, usées par le temps, n’en étaient pas moins majestueuses ; leurs craquements semblaient appeler au silence… Chut, ne pas faire de bruit. Tout là-haut, la lourde porte de chêne crisse sous ses gonds. L’odeur de poussière envahit mes narines, j’ai envie d’éternuer… la lumière tamisée de la pièce me laisse deviner des ombres ici et là. Il faut que je revienne avec une lampe. Il fait trop sombre ici. Dommage, j’ai l’impression de sentir une odeur de peinture. Je reviendrai tout à l’heure. Je redescends, déçue ne n’avoir rien vu hormis une grande pièce noire. Mes amis m’interrogent sur ma mine déconfite, j’ai l’air de bouder. J’avoue que j’aimerais explorer cette tour qu’ils cachent au fond de leur jardin, alors bien que quelques sourires animent leur visage, mon amie me ramène une lampe torche et sans un mot me fait signe de repartir. J’ai soudain l’impression de me sentir comme une enfant à qui on donne une gâterie. Il y avait longtemps que je n’avais pas ressenti un tel bonheur.
Ce jeune homme, donc, fou de douleur, se mit à créer, à créer, de plus en plus, jour et nuit. Il ne dormait plus que quelques heures, et encore, seulement quand il ne pouvait plus peindre, tombant littéralement de fatigue. Sa famille, commença à s’inquiéter, il ne paraissait plus nulle part, on le réclamait, en vain. Il refusait de sortir de sa tour et peignait, peignait sans cesse. Ses toiles s’entassaient partout autour de lui, il les stocka bientôt dans l’escalier. Sa santé mentale commença à inquiéter ses proches qui lui envoyèrent le médecin. Mais à leur grande surprise, ce dernier indiqua qu’il était sain d’esprit mais fou de désespoir de ne pas pouvoir exposer ses peintures au grand jour. Sa famille alors le prit pour un exubérant et décida de le laisser avec sa création, coupé du monde.
Me revoilà montant les marches plus lentement encore que tout à l’heure. J’entre. La pièce est toujours aussi sombre. J’allume ma lampe. Quelle déception ! Quelle idiote, tu croyais vraiment trouver ici des toiles magnifiques après ces décennies. Voyons, réveille-toi, il y a longtemps que tout a disparu… J’inspecte les alentours de cette grande pièce, elle semble pourtant habitée, bien que vide, je ne sais pas comment expliquer cela. Je le sens. Des taches brunes apparaissent sur ces pierres, je suis sûre que c’est de la peinture sombre. Il y en a partout tout autour de la pièce. L’odeur aussi s’est modifiée, un mélange d’humidité et de senteur forte, traîne ici. Le silence est complet. Pourtant les fenêtres ont disparu depuis longtemps. C’est étrange en effet, je ne m’en étais pas encore aperçue… un frisson m’envahit, j’ai froid soudain. Mon cœur s’accélère, je panique. Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai peur… Une peur sournoise, soudaine qui me dit de partir, de fuir, qui m’oppresse. Je pars en courant, tant pis si je fais du bruit. Je m’affole. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je reprends le petit chemin et cours jusqu’à la maison.
Après s’être isolé du monde, ce jeune artiste crée encore et toujours. Il touche à la perfection. Mais personne ne le sait. Personne ne peut admirer ses œuvres. Ces beautés sont à jamais bannies aux yeux des hommes, de ces imbéciles qui croient tout savoir. Il dort peu, il ne mange presque plus. Et voilà qu’un jour, un de ces jours de printemps où les senteurs embaument l’air, un de ces jours où les rayons de soleil semblent donner vie à la nature, où les feuilles des arbres font entendre leur doux murmure sous la musique du vent, il s’en est allé.
Je reprends mon souffle. Quelle idiote, ce silence m’a fait peur, je ne suis plus une enfant ! Je ne vais pas paraître dans cet état devant mes hôtes, on dirait une hystérique, vraiment quelle bêtise… Cette histoire m’a bouleversée. Je savais qu’on pouvait mourir d’amour, ou de désespoir, mais pas d’extase.
Ce jour-là, on le chercha en vain. Rien à faire. Tout le monde s’y mit, au bout d’une semaine, de désespoir on le considéra disparu. Personne alentour ne l’avait aperçu. Sa famille annonça une récompense à qui pourrait donner des informations pour le retrouver. Personne ne la toucha. Ses toiles furent enlevées et placées dans un coffre-fort dit-on afin de lui revenir s’il se montrait. Les experts qui les virent firent courir le bruit qu’une telle beauté de créativité ferait la fortune de la famille pour des centaines d’années. Mais celle-ci meurtrie, et honteuse de n’avoir pas compris plus tôt cette âme pure en décida autrement. On dit qu’à ce jour elles dorment toujours quelque part dans les tréfonds d’une banque et qu’aucun membre de cette auguste famille ne trahira ce pacte.
Et ce bel inconnu, ce pur dessein de la nature, me direz-vous ? Qu’en pensez-vous ? A-t-il rejoint ses toiles, ou bien est-il parti s’enterrer dans un pays lointain ? Je pense que son âme dans l’apothéose de sa création, en pleine extase lui a enfin permis de toucher son but. Après avoir transcrit ses émois, année après année, il s’en est allé, dans la plénitude du travail achevé.
Si un jour vous retrouvez ses toiles, n’oubliez pas de le saluer car je crois qu’ils sont désormais ensemble, dans ces images de la vie qui décrivent son moi et développent ses sens… Pensez-y !
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