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Fantastique/Merveilleux
Tailme : Une question de taille
 Publié le 02/12/14  -  2 commentaires  -  40032 caractères  -  315 lectures    Autres textes du même auteur

Des héros brillant par leur petitesse.


Une question de taille


I


Le petit nez pointu du lutin huma l’air avidement. Après une dissection sommaire des odeurs suivie d’un classement par catégorie – faune, flore, puanteur de ses acolytes – l’être chétif aux oreilles pointues se résolut au fait qu’un de ces arômes ne pouvait être classé dans aucun groupe. Il chercha à l’identifier en se rapprochant de l’herbe. Il inspira ensuite un peu plus haut vers le ciel. Il n’y avait plus de doute possible. Ça sentait…


– Le cramé ! acheva Émeraude. Ça pue le cramé, vous trouvez pas ?

– Ton fin odorat ne te trahit pas, effectivement le roussissement règne sur ces lieux graves et dangereux, l’appuya Diamant.

– Une odeur ma foi peu agréable, signala Rubis en coiffant son bouc brun.

– Wouha ! Vous êtes des génies, les potes, maugréa Saphir. Super, ça sent le brûlé. Et alors ?

– Toi, tu as encore perdu ton temps à faire des recherches inutiles et tu t’es fait devancer dans ta conclusion, n’est-ce pas ? hypothéqua Rubis.

– Mmmh, bouda Saphir en croisant les bras.


Rubis éclata d’un rire chaleureux et amical en se tenant le ventre comme s’il allait en sortir quelque chose. Émeraude, une longue épée effilée fermement tenue entre ses mains particulièrement massives pour un lutin, tournait sur lui-même comme un chien à la poursuite de sa queue, se préparant ainsi à accueillir l’ennemi potentiel. Diamant observait l’épaisse et dense forêt dans laquelle ils avaient été sur le point de pénétrer tantôt. L’inquiétude et l’hésitation le tourmentaient.


– Nous devrions tourner talons, avant que l’ennemi, de son fer, nous meurtrît.

– Diamant a raison, s’exclama Émeraude. L’odeur de la cendre approche. Elle avance beaucoup trop vite pour un feu naturel.

– De la magie ? le questionna Rubis.

– Sans aucun doute !

– Ou un dragon, le railla Saphir.

– Les dragons n’existent pas ! s’offusqua Émeraude qui n’avait pas compris le sarcasme. À part dans les légendes. Et tout le monde sait que les légendes n’ont aucun fondement véridique.

– Ouais, ouais, fit Saphir pour clore le monologue du lutin qui semblait vouloir débattre sur les soubassements des contes alors que leur vie était en danger. Bon allez, demi-tour.


Les quatre lutins firent volte-face, présentant leur dos à la forêt hostile mais, alors qu’ils n’avaient pas encore réalisé un seul pas en sens inverse, une voix féminine résonna entre les amples feuillages. Décontenancée, affolée, terrifiée.


– À l’aide ! Un dragon !

– Je n’ai pas dû comprendre ses paroles, avoua Saphir.

– Elle a dit : dragon, lui expliqua Émeraude.

– Ah bah si, j’avais bien compris alors, fit Saphir comme s’il avait anticipé la réponse de son ami.

– S’il s’avère qu’un dragon dans notre direction vole, notre fuite devrait être la suite.

– Ou alors on attend, on le chope, on le tue et on le bouffe ! proposa Émeraude dont la lame avait la fâcheuse tendance à tournoyer un peu trop près de ses compagnons.

– Théoriquement, commença Saphir, et si on en croit les légendes, nous ne sommes pas en capacité de pouvoir tuer un dragon et encore moins de le manger. À moins que nous ne l’amenions dans un village de nains. Peut-être qu’eux y arriveraient.

– À le tuer ? s’étonna l’épéiste.

– Non, non ! À le manger. Ils remplissent leur panse de tout ce qui passe sous leur nez. C’est d’ailleurs l’un de leurs plus grands atouts ! Le pouvoir de se régaler avec ce qui n’est même pas envisageable de donner aux porcs, dans les mœurs de toutes les autres races.

– Moi, j’goûterais bien une cuisse de dragon. Ou une côte ! Oh oui… accompagnée de quelques épices qui traînent dans une des poches de Diamant.

– Si c’est du sang de nain, dans tes vaisseaux sanguins, qui se voit bouillir je comprends mieux tes dires.

– Du sang de nain ? reprit Saphir. Diamant a sans doute raison ! T’es un bâtard, Émeraude ? Sang de lutin plus sang de nain. Ça ne te dit rien ?

– Non, je suis entièrement lutin ! Mon père est lutin, mon grand-père était lutin, mon arrière-grand-père était lutin, mon arrière-arrière-grand-père était lutin…

– Ok, ok ! le coupa Saphir. Et du côté de ta mère ?

– Ma mère est lutin, ma grand-mère était lutin… ou est, je sais plus si elle est morte ou non. Mon arrière-grand-mère était…

– Hé, les gars ! trancha Rubis. Je ne voudrais pas vous embêter mais là, il y a un danger, soit un simple feu soit un dragon, comme vous l’interprétez, dans les parages ! Alors il faudrait qu’on se tire d’ici.


Les trois autres lutins le dévisagèrent un long instant.


– Allez, insista Rubis.

– Oui, oui, on arrive.

– Fuyons à grands pas.

– Avant que ce fumier cracheur de feu nous repère.


La troupe se dandina bruyamment sur quelques mètres avant de stopper de nouveau.


– Les frères, les apostropha Émeraude.

– Quoi, encore ? se déconcerta Rubis.

– Et la fille.

– Celle qui a crié ? demanda Saphir.

– Oui.

– Le cerveau d’Émeraude, ma foi, ne le trahit pas.

– Ouais ! moi, je l’avais déjà oubliée cette chouineuse, ricana Saphir.

– Eh bien, attendons un moment. Si la fille ne sort pas de ces bois, nous n’irons pas la chercher. Nous ne pourrons rien pour elle. Et si, par une chance fortuite, la demoiselle s’évade de cette forêt pourchassée par un dragon, alors à ce moment-là, nous l’aiderons.

– Bon raisonnement, approuva Diamant.

– Ouais, ouais ! Splendide, même !

– Je vais lui trancher la tête à ce lézard volant !


Cette dernière phrase avait retenti à des lieux à la ronde. Ce fut en tout cas ce qu’en déduisirent les quatre lutins car quelque chose répliqua. Un long, lourd et puissant grognement. Les montagnes et les collines reproduisirent son souffle, comme si elles agréaient son éminence impériale. Les nuages déguerpissaient, l’herbe se prosternait. La compagnie remarqua pour la première fois les colossales colonnes nébuleuses noires qui se haussaient, funèbres et meurtrières, au derrière de la forêt.

Les dagues de Saphir crissèrent dans leur étui, les gants de cuir d’Émeraude bruissèrent au contact des lanières de peau se lovant autour de la poignée métallique, le sceptre albâtre ornementé de deux ailes de fer de Diamant s’éleva et la lance magique de Rubis défia le bois menaçant de sa pointe.


– J’ai un mauvais pressentiment, signala Saphir.

– C’était un dragon, ça ? se renseigna Émeraude.

– Assurément, d’un atroce dragon émane cette vocifération, confirma Diamant de sa voix mélodieuse.

– Regardez, là-bas ! les avertit Rubis accompagnant ses mots d’un geste de l’index.


Alors tous les regards se posèrent sur deux hêtres, penchés l’un vers l’autre, qui formaient ainsi une arche végétale. De l’ombre provoquée par la structure s’évada un être maigre et élancé. Ses longs cheveux clairs planaient derrière elle, comme la flamme suit le flambeau dans son élan.


– Une humaine ? dit Émeraude.

– Ça m’en a tout l’air, répondit Rubis en froufroutant sa barbe.


La jeune femme volait à perdre haleine. Ses jambes glissaient sur le terrain en pente jonché d’herbe et de cailloux. Sa course n’était en rien harmonique. Elle s’épuisait au travers de déplacements et mouvements inutiles. Elle ne tiendrait plus très longtemps.


– À l’aide !


Mais ce n’était pas son objectif. Ce qu’elle voulait, c’était s’enfuir de la chose qui marchait dans son ombre. La… chose. L’unique mot qui était venu à l’esprit de Saphir quand il avait imaginé ce qui pouvait suivre cette fille. Il ne se résolvait pas à accepter la réalité. Malgré ses attestations sur l’inexistence des créatures reptiliennes légendaires, il connaissait déjà la suite des événements. Il savait que la créature ne pouvait être qu’un dragon. Mais il ne l’avouerait pas tant que la… chose ne serait pas devant lui. Alors, comme si sa pensée avait été lue à voix haute, on satisfit ses exigences.

La bête s’éleva au-devant de l’étendue de cyan immaculé. Grande, majestueuse, spectaculaire. Ses ailes ouvertes mesuraient facilement six mètres chacune. Leurs écailles cendrées étincelaient. Même le seigneur de la lumière l’admirait. Sa queue hérissée et acérée pendait de toute sa longueur, rendant la créature plus grandiose encore. L’âpreté et les aspérités de sa carapace écailleuse lui donnaient un air guerrier, pugnace, belliqueux. De son cou svelte s’ensuivait une mâchoire bosselée carnassière d’où se hissaient quelques crocs larges comme des pieux. Deux topazes plus ardentes et flamboyantes que le soleil lui-même trônaient de part et d’autre de son crâne couleur cendre.

Un dragon.

Un « lézard volant » avait déclaré plus tôt Émeraude, naïvement. En revanche, ce monstre n’avait aucun rapport avec un quelconque reptile. Ce n’était pas un animal, mais un démon. Une créature infernale lâchée par le Roi de l’Enfer en personne. Plus affreuse et courroucée que le dieu de l’ire. Plus diabolique et exécrable que le souverain de la haine.

Son ombre rampait sur la vaste plaine. Aussi effroyable que son détenteur.


– Sommes-nous condamnés par l’Enfer, qui a lancé son vil chien de guerre ? laissa sortir Diamant qui, les yeux béants, semblait terrorisé.

– Ne perds pas espoir, mon gars ! déclara Rubis, dont le sang-froid restait fidèle à son poste.

– Il fera moins le fier quand il aura reçu un bon coup d’épée ! hurla Émeraude comme s’il voulait se convaincre lui-même.


Saphir analysa le dragon. La bête rivait son regard lumineux sur la fuyarde. Une voix éclata. Comme omniprésente et surnaturelle. Chaque mot fut séparé du suivant par une lourde pause.


– Tu ne m’échapperas pas.


Cette dernière syllabe s’éternisa. Le bruit était pesant, accablant. Le son sourd s’accentua avec les échos des collines et des montagnes.


– La fille, cria Saphir pour prévenir ses compagnons.


Le dragon piqua, fondant sur sa pauvre proie. L’air siffla sous son allure. Saphir bondit et disparut dans une fumée bleuâtre. Le même nuage se matérialisa à côté de la fille, à une cinquantaine de mètres du groupe de lutins. Saphir en sortit. Il empoigna la jeune femme et fixa le dragon un quart de seconde qui lui sembla une éternité. Puis de nouveau la fumée. La fille s’agenouillait maintenant au milieu des quatre êtres aux oreilles pointues. Elle se recroquevilla, comme si elle voulait disparaître, quitter son rôle dans la pièce, ne devenir qu’un simple spectateur.


– Rubis ! l’interpella Saphir.


Le lutin qui répondait au nom d’une pierre écarlate fit tournoyer sa lance au rythme de ses pas de danse et finit par pointer non pas le pic de l’arme mais le côté antagoniste dans lequel un rubis logeait. Une flamme magique fut engendrée et s’élança sur le monstre volant qui se dirigeait à une allure endiablée sur la petite troupe. La gueule de la bête se déplia lentement. Un halo ambré se dessina à l’intérieur puis un fouet de feu s’en échappa et vint percuter le jet de Rubis.

Le duel ne fit pas long feu. Rubis ne rivalisait pas contre la puissance démoniaque du dragon. Émeraude savait son ami en difficulté si bien qu’il se mit à tourner sur lui-même, tenant fermement le pommeau de son arme. Il détendit ses doigts. L’arme vola, heurtant le bec de la créature. Elle se brisa, comme un moucheron croit se confronter au plus solide des remparts quand il affronte une tendre et moelleuse joue de bambin.

Irrité par ce minuscule dard et par la flamme qui se dressait devant lui, le dragon fonça sans réfléchir. Mais son champ de vision était obscurci par le feu ennemi. Son impétuosité, ou son orgueil, causa sa perte. Il ne vit pas le bouclier magique qui se cachait derrière l’attaque de Rubis, et le percuta de plein fouet. Le dragon tomba pesamment, glissant sur la carapace blanchâtre qu’avait formée Diamant.

Rubis avait stoppé son assaut mais Diamant, quant à lui, maintenait toujours l’armure. Le formidable cou du démon reposait encore dessus. Après un interminable moment d’hésitation, Émeraude brisa le silence.


– Il s’est mangé ton bouclier, Diamant ?

– En considérant cet ébranlement, j’admets aisément l’entrechoquement.

– Quel con, ce dragon ! le satirisa Saphir.

– On a effectivement eu de la chance, conclut Rubis.


Diamant annula son bouclier. Le crâne du monstre s’étala entre Rubis et Émeraude, lequel dut d’ailleurs faire un pas de côté.


II


La jeune fille se releva précautionneusement et lentement. Elle examina la situation. Le dragon était à terre. Mort ou inconscient. Ses sauveurs, positionnés sur l’autre flanc du cou de la bête, bavardaient candidement, sans se soucier du danger potentiel allongé à leurs côtés. L’un d’eux, dont la voix était la plus rauque, se plaignait d’avoir brisé son épée. D’après lui, ce fer était aussi solide que le mensonge du forgeron était monumental. Une voix narquoise ravivait l’emportement qui s’enflammait dans la voix rude, en le conseillant de noyer l’artisan dans sa propre forge. Une troisième voix, celle-ci mélodieuse et doucereuse, commentait ingénument et en rimes les dires de la parole goguenarde. Une quatrième voix, dont les sonorités et le sérieux imposaient un certain respect voire de l’obéissance, conseillait à ses « gars » de décamper avant que le monstre se réveille et consolait la voix rauque, lui rappelant qu’il lui restait encore une épée.

« Que dois-je faire ? Aller les voir, ou rester cachée. D’un côté, ils m’ont secourue. Ils ont vaincu le dragon. Mais cela décèle leur incommensurable puissance. Et s’ils représentaient un danger plus monstrueux encore que cette bête ? Peut-être que leur intention n’était pas de me sauver, simplement de se débarrasser de ce dérisoire obstacle volant. S’ils s’avéraient être plus infâmes que ce démon, le diable sait ce qu’ils pourraient me faire ! Brrr… Et le village. J’espère que tout le monde va bien. Pff. Quelle idiote je fais. Bien sûr que non, tout le monde ne va pas bien. Il a tout brûlé, ce titan. Je devrais y retourner à présent pour aller chercher père, mère et Annie. Il faut partir d’ici. Si le dragon n’est pas mort et qu’il se réveille, il sera sûrement envahi d’une rage plus destructrice encore. Mais la forêt… tout brûle. Je ne pourrai pas rebrousser chemin. Il me faut contourner le bois. Je dois me dépêcher. Je vais éviter ces tailleurs de dragons. »


– Eh, petite ! l’interpella la voix péremptoire.

– Miiiince ! songea-t-elle.

– D’où est-ce que ce dragon provient ? Et pourquoi te poursuivait-il ?

– Hum, entama-t-elle en se retournant face à son interlocuteur.


Le soleil dorait leur silhouette. Elle ne distinguait qu’à peine les quatre pourfendeurs de dragon, dressés pour l’occasion sur son ample cou. Braves et fiers, les soldats salvateurs brillaient sous la bénédiction céleste. Des héros. De vrais héros, comme dans les légendes. Les audacieux chevaliers mythiques incarnant les plus vertueuses des valeurs n’étaient pas que des histoires contées aux gamins. Ils existaient. Vivaient. Combattaient pour le salut des nations. Pour son salut à elle.

Elle plaça sa main en visière au-dessus de ses yeux afin d’admirer ses sauveurs.

Leur petitesse ne concurrençait que la grandeur de leurs oreilles. Maigrichons, courbés, inhumains. Un nez rabougri et pointu perçait leur visage ténu aux trait fins et droits. Leurs immenses yeux s’animaient, pour chaque petit être, d’une couleur différente ; et brisaient la monotonie de leur vert épidermique maussade et terne.

L’un des gobelins, qui semblait être la seule définition correspondant à ces créatures courtes sur pattes, dérobait son visage au regard azur dans l’ombre établie par le capuchon d’un manteau bleu. Son rictus le trahissait : ce ne pouvait être que l’espiègle du groupe.

À sa droite, reposant sur un bâton laiteux, la fixait le gobelin vêtu d’une longue (pour lui) robe et d’un haut chapeau aigu. Le tout éclatait d’une teinte liliale. Ses pupilles, encerclées d’un iris argenté, portaient sa sagesse, sa justesse et sa bienveillance. Néanmoins, ses joues, plus rondelettes que celles de ses compagnons, s’en distinguaient, lui donnant un air de candeur.

Suivait alors l’audacieux, le courageux, l’intrépide. Indubitablement. Une cape serrée jade. La poignée d’une épée dépassant derrière son épaule droite. Le torse bombé. L’allure auguste. Mais, inéluctablement, un léger aspect benêt dans son regard émeraude.

Enfin, arrivait le dernier. Après le moqueur, le poète et le martial, il ne pouvait rester que le meneur. À l’instar du sage, il se revêtait d’une légère robe et d’un chapeau pointu. En revanche, la teinte prédominante s’accordait avec ses yeux : le rouge. Une main occupée à tenir sa lance, une autre polissant son bouc dans un bruissement, le gobelin la dévisageait d’un air interrogateur.

« C’est lui qui m’a posé la question. »


– Je… je viens du village d’Orgon.

– Orgon ? répéta le petit être à l’épée.

– C’est le nom de l’explorateur qui a découvert le lieu idéal où se sont bâties nos maisons, expliqua succinctement la jeune fille, voulant revenir sur les questions du meneur gobelin.

– Les explorateurs sont braves ! déclara le guerrier.

– Les explorateurs sont lâches, lâcha de façon méprisante le gobelin bleu. Ils fuient leur domicile afin de découvrir un meilleur endroit où vivre. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’améliorer leur propre chez eux.

– Saphir, grâce à cet argument, marque un point, naturellement, chantonna le blanc.

– Faux ! tempêta le vert. Les explorateurs cherchent de nouveaux territoires afin que davantage des leurs puissent dormir sans être les uns sur les autres.

– Il se pourrait que cet aspect, ici cité, inclue du vrai.

– Les explorateurs ne… commença le bleu, mais personne ne sut jamais ce que les explorateurs n’étaient ou ne faisaient pas.

– Les gars ! Stop, intima le rouge. S’il vous plaît. Écoutons la petite.

– Ouais, ouais.

– Ok.

– Certainement.

– Donc… je viens d’Orgon. Mon village a brûlé. C’est cet… ça me gêne un peu de discuter à quelques pas d’un dragon sonné.

– Tu veux l’achever ? l’interrogea le bleu.

– Non. Je n’en ai pas les moyens.

– Eh bah nous non plus !

– D’accord, reprit la femme après un moment, déstabilisée par la réponse du gobelin. Le dragon a tout brûlé ! Alors, submergée par la panique, j’ai fui par la forêt.

– Pourquoi t’a-t-il suivie ? demanda le rouge.

– Je ne sais pas vraiment. Peut-être qu’il a considéré que les autres villageois mourraient dans l’incendie et que j’étais la seule qui puisse encore survivre.

– L’ultime rescapée, évalua le vert.

– Non ! explosa la jeune fille. Je ne suis pas la dernière survivante ! Les autres ont dû s’en sortir. C’est certain.

– Le feu magique d’un dragon semble extrêmement puissant, petite, signala le rouge après avoir longuement analysé les flammes qui dansaient au milieu de la forêt calcinée.

– Ils ont survécu ! protesta la fille.

– Bon, et pourquoi est-ce qu’un dragon a dévasté ton village ?

– C’est l’œuvre des Mangeurs de villages.


Le vert pouffa. Le bleu ricana.


– C’est qui ceux-là, encore ? s’informa le railleur.

– C’est une bande de malfrats. Ces bandits parcourent les terres d’Angrir et détruisent les villages avec leur dragon avant de piller la monnaie sonnante et trébuchante qui ne craint pas le feu surnaturel.

– Ils ne s’attaquent donc qu’au sud-ouest ? reformula le rouge.

– Oui, en tout cas pour l’instant ! Ils sont très recherchés et de nombreux rois promettent une grosse bourse emplie d’or pour leur tête et celle du dragon. Malgré la taille de la bête qui les accompagne, très peu réussissent à leur mettre la main dessus. Et ceux qui y parviennent se font cuire vivants. Vu que le dragon repose ici, les Mangeurs ne doivent pas être très loin ! Peut-être sont-ils encore au village. Et…

– Et nous ne sommes pas des héros, gamine ! la coupa le bleu qui avait compris ce qu’elle allait quémander.


Rubis fixa son ami quelques secondes et reprit.


– Quel est ton nom, petite ?

– Malia.

– Donc toi, Malia d’Orgon, tu voudrais implorer l’aide de quatre lutins pour libérer ta famille et tes amis ? Et si, par pure fantaisie, nous acceptions, crois-tu que nous en soyons capables ?

– Vous avez vaincu un dragon !

– Le labeur de tuer un vil monstre maudit s’avère plus aisé qu’ôter l’homme à la vie.

– Quoi ?

– Il dit que le meurtre ébranle toujours l’assassin, traduisit le bleu. Même le plus aguerri, qui se vante d’être familier avec la Mort, ressent tôt ou tard le souffle glacé des souvenirs cauchemardesques de ladite Faucheuse.


La jeune fille le contempla longuement. Elle avait compris. Pour tuer sans même sourciller, il ne fallait pas être humain.


– Vous avez affirmé être des lutins, reprit-elle au bout d’un moment.

– C’est cela, confirma le rouge. Je me présente, je suis Rubis d’Ivlain. Et voici Diamant, Émeraude et Saphir. Tous les trois d’Ivlain également.

– Vos noms concordent avec votre accoutrement. Quelle originalité, ajouta-t-elle, railleuse.

– L’originalité et l’extravagance sont les plus belles qualités des lutins, attesta le bleu sur le même ton.


Elle sourit. Désappointée.


– Bon… Je vais tenter d’atteindre le village par le nord de la forêt. Je dois retrouver ma famille.


Les lutins ne répondirent pas. Le silence était bercé par la brise printanière.


III


– Non, Saphir ! Nous n’avons pas le temps. Myilo nous a confié une mission primordiale et capitale à la survie des lutins d’Ivlain ! Nous devons retrouver la bande de Poulim avant qu’il ne délègue les informations concernant la situation géographique de notre village au Roi d’Ys. Sinon, ce fumier royal anéantira notre chez nous.

– Rubis a raison, Saphir, insista le lutin vert. En tant qu’unité d’élite, notre rôle est d’opérer pour le bien du village, non pas de secourir tous les villages du monde.

– Vogue en cette contrée une brutalité qui ne peut être contrée par quatre âmes isolées.

– Imbéciles ! Vos arguments sont aussi insipides que sans fondement ! Imaginez juste un instant ce que je vais vous raconter. Oui. Imaginez qu’après une rude soirée arrosée à la bière, en rentrant chez vous, dans une rue sombre vous croisiez une gamine subir avec violence les contrecoups du refoulement sexuel d’un taré. Que diriez-vous, hein ? Que feriez-vous ? Oh oui, je le sais. Vous aborderiez la situation assez simplement ! Toi, Diamant tu déclarerais mélodieusement et avec poésie : « Peu importe, il y a bien trop de mal ici ! Je devrais passer mon chemin plutôt que de me fatiguer à combattre une affliction isolée parmi les milliers qui sévissent au même instant ! » Lâche ! Et toi, Émeraude, toi aussi tu passerais devant sans agir ! « Bah ! C’est pas mon boulot ! J’fais mon job et les gardes font le leur. Chacun son truc. Moi j’suis pas sauveur de donzelles. » Enfoiré ! Et toi. Oui, toi. Rubis. « Je ne dois pas perdre de temps ! Une mission valeureuse m’attend ! » Mon cul, que t’es valeureux ! T’es juste égoïste et insensible.


Rubis ne lâcha mot. Il aurait eu envie de répondre d’une tempête d’insultes, d’une tornade de jurons. Comment ça ? Il osait le comparer à un égoïste insensible ? Lui qui se battait pour le bien de son village, pour le bien de plusieurs centaines de lutins ?

Rubis ne lâcha mot. Il concevait son tort. Égoïste ? Oui, il l’avait été sur ce coup. Saphir avait vu juste.

Les trois lutins désignés baissaient la tête. Honteux de leurs paroles.


– Poulim attendra, reprit Saphir après un moment qui, il le savait, dura une implacable et insoutenable éternité pour ses compagnons. Émeraude, réveille le dragon.

– Comment je suis censé faire ça ?

– Assène-lui un bon coup d’épée derrière l’oreille. Diamant, matérialise une prison autour de lui. Pour qu’il ne s’évade pas. Rubis ?

– Oui, mon frère ?

– Prépare-toi à nous concocter un plan d’attaque digne du Dompteur de feu.


Cette désignation rappela à chacun Ivlain. Le douillet chez-eux où ne résident que lutins affables. Des sourires s’esquissèrent sur leurs lèvres. Des lueurs de conviction s’embrasèrent dans leurs yeux.


IV


– Cesse cela, Marit. Les flammes sont étouffées.


Le magicien, dont le visage décharné et blanc rappelait nettement celui d’un cadavre étouffé sous une avalanche, interrompit son incantation de glaciales bourrasques dont il usait pour asphyxier le feu du reptile légendaire.


– Pourquoi diable ce foutu dragon s’est-il envolé en direction de la forêt ? continua Olivion.

– Il a eu la trouille de quequ’ chose, pouffa le colosse répondant au nom de Jugger.

– Ce bestiau n’a rien entre les jambes, s’esclaffa Naut, le second hercule du groupe des Mangeurs de villages.


Les Mangeurs de villages. À sa naissance, cette bande ne se composait que d’Olivion, un voleur hors pair et de son ami d’enfance Malik, assassin depuis ses douze ans. L’un remplissait le contrat de l’employeur, visant à tuer ou livrer vivante une cible, et lorsque venait le temps de la récompense, l’autre s’infiltrait chez ce même employeur, la plupart du temps riche à s’en déchirer les poches, afin de lui dérober le reste de ses trésors. La double paie. Un duo d’enfer, comme ils aimaient se prénommer. Un duo à abattre, rectifiaient les autorités.

Lors de l’un de leurs exécrables tours de passe-passe, le voleur se fit attraper par un majordome de l’employeur. On le nommait Marit. Dans un ultime espoir d’échappatoire, Olivion avait lâché : « Viens avec nous. La vie de majordome, c’est fait pour les lécheurs de fions. Toi, tu as l’air de valoir bien plus ! Alors viens, je te promets l’aventure. »

En tant que bon crédule, Marit se joignit au duo, désormais le trio d’enfer. Pendant l’une de leurs expéditions, ils cambriolèrent un vieillard que l’on disait magicien. Plus légers que les pas d’un chat, leurs déplacements ne réveillèrent pas le vioc qui bombardait sa chambre de pets sonores. Dans une malle, ils firent la découverte de leur vie. Des armes magiques. Quatre. Un bâton aux pouvoirs hiémaux et glaciaux, qui revint à Marit. Un sabre permettant à son détenteur de se démultiplier. Malik se révéla être ledit détenteur. Un anneau, revêtant son utilisateur d’une cuirasse sombre comme la nuit et dure comme l’écaille d’un dragon.


– Noc, enferme les survivants dans une des baraques encore potables, commanda Olivion en frottant la bague qui brillait autour de son majeur. Greg, Mat, Paul, Naut et Jugger occupez-vous des espèces sonnantes.


La dernière arme, Olivion, qui s’était présenté comme le plus apte à diriger la troupe, l’offrit au quatrième membre. Try les rejoignit, un vagabond dont le meurtre rémunéré lui permettait de subsister et qui ne respirait que pour assassiner. L’arme magique ouvrait un portail d’où se hissait une créature démoniaque. Try devint le dompteur d’abomination. « Chouette nom, n’est-ce pas ? », aimait-il toujours se vanter auprès de ses futures victimes.

La bande s’était découvert une satisfaction jouissive pour les paris. Les mises dans l’arène. « Laquelle de ces deux brutes sera la plus endiablée et la plus féroce ? Laquelle enfoncera la mâchoire de l’adversaire dans le sable carmin ? » Les enjeux leur procuraient un certain plaisir et une allégresse succulente. C’est dans l’une de ces arènes qu’ils rencontrèrent le « duo implacable », les frères titanesques, Jugger et Naut. Il avait suffi de leur glisser sous le nez tous les avantages qu’ils pourraient obtenir en complétant la bande, pour qu’ils abandonnent les combats en arène et se mettent à piller, violer et tuer.

Leur nom était apparu lorsque ce psychopathe de Noc les avait rejoints. Sa réplique favorite en fut le pilier : « On va vous bouffer tout cru ! » Le nom des Mangeurs résonna dans les territoires alentour, au gré des beuglements de détresse des rescapés.

Ensuite, vinrent les trois elfes Greg, Mat et Paul. Virtuoses de l’épée, ils s’avérèrent motivés par le gain d’argent rapide que leur proposait Olivion.

Finalement, au fil de la consolidation des liens de camaraderie, d’amitié et de fratrie, les Mangeurs étaient devenus invincibles. Tous les craignaient. Ils étaient la peste en personne. Ils s’installaient dans un village et le détruisaient de l’intérieur. Pillant, corrompant, violant et tuant.

Les Mangeurs de villages.

Un jour, les trois elfes se décidèrent à dévoiler au reste de la troupe l’une de leurs trouvailles. Ils l’avaient dérobée à leur village natal avant de le quitter définitivement. Un médaillon. L’énorme rubis qui enjolivait la chaîne aurait pu leur remplir d’or une grosse bourse. Cependant, ils connaissaient la magie que ce joyau renfermait. Celui qui en avait la force pouvait invoquer un démon volant et cracheur de feu. Un dragon. Inexorablement, celui à qui on demanda de l’essayer fut Try, le dompteur d’abomination. Il surmonta l’épreuve de l’invocation, qui l’incendia pourtant de l’intérieur. Il parvint à prendre le contrôle de la bête. Et ce jour-ci, la bande des Mangeurs de villages sut qu’elle était devenue inégalable.

Leur réputation s’étala. Leur renommée cracha au visage de tous les mercenaires et chasseurs de primes qui étaient à leur poursuite. Et leur notoriété força les rois à promettre des pièces de métal jaune pour leur tête.

La Crainte, ils ne l’avaient pas ressentie depuis plusieurs années. Pourtant, ce jour-là, elle les écraserait, les broierait. Certains ne la verraient même pas venir. Car la Crainte sortirait accompagnée de sa grande sœur, la Mort.

Celle-ci ferait claquer son long manteau morbide, comme des ailes fouettent le vent. Les glapissements de ses victimes retentiraient tels les hurlements de fureur monstrueux. Et sa faux trancherait leur âme et calcinerait leur corps. Car, aujourd’hui la Mort paraîtrait sous l’image d’un dragon.


V


– Hop ! Et voilà. Naut, pose ce sac ici (Jugger désigna l’endroit de son index).


Marit se pencha sur cette énorme besace.


– Ces villageois avaient de quoi vivre dans le luxe, s’exclama-t-il en regardant Malik et Olivion qui patientaient, assis sur leur rémunération.

– C’était la dernière ? demanda Olivion.

– Oui, m’sieur, déclara Greg, l’un des trois elfes.

– Très bien, allez me chercher Noc. Il est dans cette baraque. Achevez tous les villageois.

– Bien reçu, m’sieur.


Cet ordre condamna les trois elfes. L’air vrombit, dans le lointain céleste. Marit, par réflexe car il connaissait ce bruit par cœur, le son d’un dragon qui charge sa proie, matérialisa une bulle de glace autour du groupe. Néanmoins, ses dimensions ne permirent pas de protéger les elfes. Un javelot de feu large comme un tronc se brisa sur l’armure gelée et mit en lambeaux les corps elfiques. Les orbites écarquillées, Olivion contempla ses amis se faire déchiqueter. Une rage véhémente l’envahit. Les criminels souffriraient.

Le dragon atterrit à quelques pas des Mangeurs de villages. En descendirent deux, trois, non quatre petits êtres.

Noc apparut sur leur droite. Il jeta un œil furtif sur les amas de chair noire et planta un regard sombre et cruel sur le quatuor.


– Vous n’auriez pas dû vous en prendre aux Mangeurs de villages ! vociféra Olivion.

– On va vous bouffer tout cru, les nains, cracha Noc.

– Qui êtes-vous ? leur lança Malik.

– Des guerriers d’Ivlain, proféra le court-sur-patte au chapeau rouge. Nous sommes là pour votre rédemption.

– Une rédemption par la mort, ajouta la capuche bleue aux yeux atroces et impitoyables.

– Try ? chuchota Olivion. Pourquoi le dragon nous a-t-il attaqués ?

– Je ne sais pas. Je n’arrive plus à lui donner d’ordre mental. Quelque chose a brouillé la communication télépathique.

– Merde… Peu importe. En position (cette fois Olivion avait repris sa voix forte et péremptoire).


VI


– Reste en arrière, dragon, exigea Rubis.

– Bon courage, lutins.

– Les gars, maintenant va falloir prouver à tous ces fumiers ce que valent les lutins d’Ivlain.


L’homme qui leur avait promis de les dévorer tantôt s’arma de l’arc qui pendait dans son dos.


– Saphir, il est pour toi ! imposa Rubis.


L’archer n’avait pas encore décoché une flèche que Saphir s’était téléporté dans son dos. La carotide sectionnée, il s’époumona en maintenant une pression de sa main sur la blessure béante. Finalement, son cri de douleur devint un geignement de désespoir. Il s’écroula, baignant dans une flaque carmin.

Les Mangeurs observèrent leur ami sombrer, ahuris.


– Massacrez ces fils de putain ! invectiva celui qui devait servir de chef à la troupe des bandits.


Deux mastodontes fondirent sur Saphir. Esquivant, se dérobant sous leurs coups, le lutin était comme une mouche intraitable et inapaisable qui virevolte au-deçà des oreilles. Ses coups de poignard semblaient sans efficience sur les colosses mais Saphir continuait sans relâche de frapper, planter et trancher. Les titans tomberaient. Indubitablement.

Un autre homme, svelte et au visage élégant, se mit à faire tournoyer avec grâce un sceptre. Lorsqu’il frappa le sol de son arme, un halo se dessina. S’en évada une abomination à la carrure de gorille et à la peau recouverte d’une armure en os. Émeraude chargea.


– Malik, va soutenir Try ! dicta le meneur.


Ainsi, ce n’est pas un, mais six épéistes qui s’élancèrent sur le lutin vert. Le guerrier avait comme matérialisé des clones. Émeraude poussa un cri de guerre terrifiant et sa chair devint pierre. Le lutin, transformé en une armure d’émeraude, redoubla d’effort. Ses frappes étaient implacables. La lame ne taillait pas, elle brisait.

Un puissant jet blanchâtre fusa sur Diamant et Rubis.


– De la glace ! observa le rouge. Ça, c’est pour moi. Occupe-toi de leur chef, Diamant.


Ce dernier n’eut même pas à se déplacer, le meneur se dressait déjà de toute sa hauteur à quelques pas de lui. Une carapace hérissée et aussi noire que les ténèbres enveloppa l’homme.


– Tu ne peux me briser, fit l’armure vivante en détachant chacune des syllabes.

– Le noir représente l’anéantissement, là où la conquête est menée par le blanc. De ma main, je vaincrai, pour le bien de mes alliés.


L’armure mouvante amorça le duel d’un coup vertical. Ce pas mettrait n’importe qui en position de faiblesse une fois réalisé, mais Olivion ne craignait rien, abrité sous la magie de son anneau. Du moins, il pensait ne rien craindre. Après une gracieuse pirouette, Diamant frappa. Le heurt créa une onde de choc qui se répercuta dans tous les membres d’Olivion. Il bascula et chuta. Il inhalait difficilement et douloureusement. « Comment… Comment a-t-il passé mon armure ? »

Le premier combat à se conclure fut celui de Rubis et de Marit. La glace ne rivalisa pas longtemps face au feu infernal. L’agressivité et la vélocité des attaques du lutin achevèrent le duel. Le corps de l’homme partit en lambeaux.

Plus loin, sept cadavres s’inclinaient devant la statue d’émeraude. Aucune lame n’avait ébréché le guerrier en pierre. Try, désarmé, tenta désespérément de fuir son adversaire. En vain. Son âme quitta son corps par un trou qui était autrefois la jonction entre sa tête et son tronc.

Les membres mutilés, des morceaux de chair pendant mollement de leurs bras et de leur crâne, les deux colosses se maintenaient toujours sur leurs jambes. Saphir, tel un diable infatigable, ne cessait de planter ses dards.

Olivion, à terre, des parties de sa propre armure enfoncées dans sa tendre peau, observait ses deux derniers amis se faire lentement massacrer. « Greg, Mat, Paul, Noc, Marit, Malik, Try et vous aussi Jugger et Naut. Vous tous, mes amis, mes frères, vous m’abandonnez. Je vous demande pardon. Nous n’étions pas de taille. Ils ne sont pas des lutins. Ils sont la Mort. La Mort qui vogue par-delà le monde sur sa monture démoniaque. Je… Je suis désolé. »

Un choc. Sa cage thoracique s’enfonce plus profondément. Encore un choc. Sa vision se trouble, s’assombrit. Il voit tout de même ses deux derniers compagnons s’effondrer lourdement sur le sol maculé d’un liquide rouge sombre. Un nouveau choc. La douleur est omniprésente. Un ultime choc. L’obscurité couvre tout.


VII


Ses cuisses et ses mollets la faisaient souffrir. Peu importe. Elle devait continuer. Ne pas s’arrêter. Elle arriverait bientôt. Ses plans se construisaient imaginairement pendant qu’elle courait à en perdre haleine.

Mais lorsqu’elle parvint à Orgon, Malia comprit que nulle stratégie ne serait nécessaire. Presque tous les villageois s’étaient rassemblés autour d’une mare de sang. Lequel appartenait à un groupe d’hommes, d’elfes et de créature abominable. Les Mangeurs de villages, analysa-t-elle justement.

Elle repéra rapidement sa famille. Un poids se souleva de son cœur. Tous ses muscles se décrispèrent. Elle fonça sur eux. Elle ne regarda pas le cimetière. Elle ne voulait pas finir comme ce vieillard qui vomissait ses tripes à quelques mètres de l’attroupement.

Après de chaleureuses et émouvantes retrouvailles, Malia finit par demander :


– Qui en est l’auteur ? Qui a sauvé notre village, et par conséquent tout Angrir ?

– Nous ne les avons pas vus, expliqua son père. Les Mangeurs nous avaient enfermés dans une des maisons.

– Mais nous les avons entendus, ajouta sa mère.

– Oui, effectivement. Ils disaient être des guerriers divins.

– Oui ! confirma un villageois. Ils se sont pointés devant les Mangeurs et quand ces malfrats les ont questionnés sur leur identité, nos sauveurs ont braillé : « Nous sommes des guerriers divins ! » Ils ont parlé de punition ou de rédemption, je n’sais plus.

– Ce sont des guerriers envoyés par les dieux, s’extasia une villageoise. Des sauveurs célestes.


« Divins… ou peut-être d’Ivlain », hypothéqua Malia. Elle sourit, heureuse, les yeux posés vers le ciel. « Vos actes se répéteront dans les on-dit. On parlera des Châtieurs de dragon. De ceux qui ont anéanti l’un des plus grands dangers d’Angrir. De ceux qui ont réduit les Mangeurs de villages à de simples mangeurs de poussière. Et alors, lorsque les rumeurs, vieillissantes et vagues, ne seront plus que contes pour enfants, vous deviendrez des légendes. Le mythe des Guerriers Divins. Les rédempteurs venus chasser la bête des enfers. Le dragon mangeur de village. Vous serez l’inspiration et l’objectif de tous les jeunes guerriers. Mais personne, oui personne, ne parlera jamais de votre véritable identité, de votre petitesse et de votre laideur. Car cela restera enfoui dans la mémoire d’une seule personne. Les petits lutins d’Ivlain ne seront que le souvenir d’une gamine cinglée. Bon courage, mes amis. »


Le dragon se posa délicatement sur la plaine. Les quatre lutins descendirent.


– J’ai rempli ma tâche, souffla l’animal légendaire.

– En effet, approuva Rubis. Ta liberté contre ton aide. Tu nous as aidés, maintenant on te rend ta liberté. Mais sache que si un jour, on entend de nouveau des rumeurs sur un dragon malfaisant, on fera tout, je dis bien tout, pour le retrouver et l’empêcher de nuire.

– Je le répète une dernière fois, je n’agissais pas à mon gré. Ces humains me contrôlaient. Le heurt contre votre bouclier a coupé ce contrôle.

– Ouais, ouais, commenta Saphir avec un geste de la main. Juste une dernière question, l’affreux. La petite racontait que personne ne te voyait lorsque la bande des Mangeurs errait de conquêtes en conquêtes. Pourtant, tu n’es pas difficile à repérer.

– La magie elfique m’a enfermé dans un joyau, et m’a contraint à suivre les ordres de son possesseur. Celui-ci pouvait m’enfermer dans cette prison à tout moment. Voilà pourquoi je disparaissais. Mais comme je l’ai dit plus tôt, le choc contre votre armure a annulé ce contrôle.

– Tu nous es donc doublement redevable, conclut Saphir.

– Il se peut qu’un jour je vienne rembourser cette dette. Adieu, lutins. Que la chance et le courage guident vos pas.


Et après un spectaculaire envol, le dragon plana jusqu’à ne paraître qu’une simple tache noire dans le ciel.


– Vous sentez-vous fiers, les potes ? s’informa Saphir.

– Je me sens héroïque, déclara Émeraude.

– Et moi salvateur, ajouta Diamant.

– Et moi satisfait, conclut Rubis. Maintenant, reprenons notre route. Poulim ne nous attendra pas éternellement. Grâce au dragon, nous avons déjà récupéré le retard accumulé.


Les lutins poursuivirent leur expédition, se dandinant bruyamment au rythme des cliquetis.


 
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   Anonyme   
12/11/2014
 a aimé ce texte 
Bien
"Et moi salvateur, ajouta Diamant." : tiens, il ne fait pas rimer sa réplique ?

J'ai plutôt aimé le côté foisonnant de cette histoire, dragon, lutins/gobelins, bandits, villageois, jeune fille, monstre gorille, anneau et bouclier enchantés, etc. Tout un univers... D'un autre côté, je trouve que tout cela reste un peu brouillon dans l'ensemble, comme une petite partie d'un ensemble foisonnant qu'on me donne à voir par le petit bout de la lorgnette.
Sinon, les univers de "fantasy" c'est pas trop mon truc, mais je salue l'énergie dont déborde celui-ci !

L'écriture m'a paru sympathique, j'ai apprécié le morceau de bravoure de la description du dragon : il m'indique que vous pourriez, en disciplinant davantage votre narration qui, m'a-t-il semblé, va dans tous les sens, donner à lire un texte vraiment beau et bien structuré. Là, à mes yeux, il est un peu en vrac. C'est plaisant (pour moi) mais, à mon avis, empêche un plein développement d'une histoire au-delà d'une anecdote de bagarre paf les bandits dans la tronche...

   Asrya   
20/11/2014
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Surprenant comme texte.
Vraiment surprenant.
L'histoire est assez classique mais le côté "lutins héros" déroge avec les habituels caractères des personnages héroïques (bien que cela se rapproche de Bilbo le Hobbit...).
Pourquoi surprenant ? Simplement car la forme, le fond, frôle la puérilité, pourtant, au-delà de cela, certaines tournures paraissent plus construites, plus mûres, plus abouties et relèvent un peu le niveau du récit.
Ce n'est cependant pas le cas la majorité du temps. Ainsi, je ne sais pas trop s'il faut prendre cet écrit comme une "parodie simpliste", ou comme une "véritable histoire" sérieuse et réfléchie.
Quoi qu'il en soit, autant le dire franchement, je n'ai pas été emballé par ce récit.
Ce côté un peu grossier, cet enchaînement de dialogues, de dialogues, de dialogues, de dialogues, ce n'est pas pour moi.
Les actions sont rapides, confuses, brouillonnes ; sans vraisemblance.
Je ne suis également pas fan des noms des lutins. Les affublés de noms de pierre précieuse est une chose, mais encore faut-il que cela ait un intérêt dans le déroulement de l'aventure (s'il y en a un, je ne l'ai pas décelé).
Les guerriers d'Ivlain, les guerriers divins ; hum moui, de la même manière, qu'est-ce que ce jeu de mots apporte au texte ?

Je n'ai donc pas été convaincu par cette histoire guillerette même si je n'ai pas passé un mauvais moment à la lire,
Merci pour ce partage,
A bientôt.


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