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Fantastique/Merveilleux
Tchollos : Les trois petits cochons (Remix 2007)
 Publié le 02/06/07  -  18 commentaires  -  22004 caractères  -  460 lectures    Autres textes du même auteur

Tout est dans le titre : un conte humoristico, fantastico, allégorico… euh… inclassablo…


Les trois petits cochons (Remix 2007)


Edmond, Raymond et Drumond étaient trois cochons de la nouvelle génération, full options, avec un pouce opposable, des cordes vocales et un compte en banque. Leurs ancêtres tirebouchonnés avaient supplanté une race de primates un peu idiots qui avait régné un moment jusqu’à ce que leur gourmandise les cannibalise.


Un ami humanologue de Ray travaillait sur un chantier de fouilles prometteur. On avait mis la patte sur les vestiges d’une énorme construction métallique en forme d’antenne qui avait dû dépasser les 300 mètres de haut. Ray pouvait en parler des heures.


- Passionnant, dit Drum derrière le volant.

- Fascinant, ajouta Ed caché derrière son journal qui titrait : « J.O. : Tremond remporte la truffe d’or »

- Vous vous rendez compte de ce que cela signifie ?

- Certainement, dit Drum.

- Tout à fait, ajouta Ed.

- Vous vous en foutez, hein ?

- Sans aucun doute, dit Drum.

- Effectivement, ajouta Ed.


Ray souffla en soulevant les épaules.


- Vous ne vous intéressez à rien.

- C’est faux, dit Drum.

- Ah oui ? En dehors du cours de tes actions, qu’est-ce qui te passionne ?

- Euh, hésita Drum. J’adore les débats politiques et les patates à l’ail.

- Pff !

- Moi, j’aime bien me mettre à une terrasse et mater les jolies cochonnes.


Ray et Drum échangèrent un regard.


- Quel idiot celui-là !


Les trois amis rirent de bon cœur. Cela faisait 10 ans qu’ils étaient copains comme cochons.


***


Helmut Longfang était un loup de la nouvelle génération, full options, avec un pouce opposable, des cordes vocales et une paire de baskets à semelles compensées. Ses ancêtres avaient miraculeusement survécu à une race d’anthropoïdes cruels qui avait fini pas se suicider consciemment à coups de CO2 et de « diet coke ». Depuis, même les cochons, leurs ennemis mortels, s’étaient montrés plus miséricordieux.


La grande meute était divisée en trois. Une énorme majorité croupissait dans les cachots des prisons – coupable ou non, on accuse le loup – , une petite partie, muselée, rasait les murs des villes porcines en baissant la tête, et une infime portion de chanceux s’était réfugiée sur un Eden construit de bric et de broc, la Tasmanie. Comme tout Lupus normalement constitué, Helmut rêvait de rejoindre ce lieu paradisiaque où ceux de son espèce pouvaient prétendre au bonheur. Pour le moment, l’île n’était qu’une photo collée au mur de sa cellule mais il avait un plan et beaucoup de volonté.


***


La voiture dérapa en propulsant quelques pierrailles avant de s’immobiliser en face de la villa.


- Espèce de sauvage, dit Ray.

- J’ai hâte d’être dans le bouecuzzi, répondit Drum en tirant sur le frein à main.


Les trois cochons s’étaient offert cette maison de campagne deux ans plus tôt. Une joint-venture du plaisir avait expliqué Drumond. Un petit havre de paix loin des remous de la ville et du stress. Il avait facilement convaincu ses amis. Ils avaient juste eu un peu de mal à s’entendre sur la décoration. Un voulait de la paille, l’autre voulait du bois. Ils avaient tranché dans le lard et choisi la brique.


- Place à l’orgie, s’enthousiasma Edmond.

- Repos, repos, repos, précisa Ray en fixant Ed d’un regard sombre.

- Repos ?

- Ouaip.

- Gron, ponctua Ed, insatisfait.


Ce serait leurs secondes vacances dans cet antre de silence. Depuis un an, ils ne rêvaient plus qu’à ça. S’échapper du quotidien, dormir, jouer au ballon dans la nature, prendre leur temps. Ne rien faire mais le faire très bien, disait Ray. Ils travaillaient comme des cochons pendant toute l’année, coincés derrière des bureaux exigus au fond de couloirs aseptisés. Ed n’avait même pas de fenêtre. La vie n’était pas simple pour le yuppie porcin de nos jours et rien n’était plus délicieux que l’oisiveté absolue.


Ils déchargèrent leurs bagages en toute hâte. Drumond enfila un short à fleurs et s’attela au débâchage de la bouescine pendant qu’Ed installait les transats et le parasol. Ray, plus pragmatique, s’attela au ménage. Le frigo, qu’ils avaient oublié de vider l’année précédente, était plein de cochonneries moisies. L’odeur horrible taquina le groin de Ray qui dut se faire violence pour ne pas se jeter sur ces restes appétissants. Il fallait parfois lutter contre les pulsions primitives. Il ne retrouva ses amis qu’après avoir tout nettoyé consciencieusement. Drumond se prélassait déjà dans la fange alors qu’Ed se goinfrait de pelures d’oranges, qu’il pelait à l’aide du petit canif qu’il portait constamment sur lui, tout en lisant un bouquin fantastique ringard intitulé : « la porcherie de l’enfer ». Ray ne pouvait s’empêcher de sourire. Il les aimait ces deux énergumènes. Il prit son élan et sauta dans la bouillasse en les éclaboussant.


***


- Helmut ! Cria le sergent.

- Oui chef ?


Le gardien principal de l’aile ouest était un jeune porc imbu de lui-même qui portait son képi de travers.


- Helmut, tu seras de corvée de patates ce soir.

- Bien chef, dit-il en courbant l’échine pour se prosterner devant l’autorité.


Il avait parfois envie de sectionner, d’un coup de mâchoire précis, la carotide de ce petit cochonnet prétentieux, mais il parvenait à se maîtriser. Ce n’était pas le moment de commettre un geste irréparable.


Vers 21 heures, il enfila la tenue hygiénique réglementaire – les cochons détestaient trouver des poils dans leur nourriture – et s’installa devant plusieurs sacs de légumes. Entre deux rondes, il aurait environ une demi-heure pour agir.


- Ecoute celle-là Helmut, lui dit Harmond, le maton.

- Oui ?

- Ma vieille grand-mère sait hurler comme un loup.

- Ah oui ? Dit Helmut avec enthousiasme.


Harmond était un idiot mais les idiots sont utiles. C’est en riant à ses blagues affligeantes qu’il l’avait amadoué.


- Tu vas la trouver et tu lui demandes : « Ça fait longtemps que tu n’as pas fait l’amour ? » et là, elle te répond toujours : « ouh ouh ouh ouh ouh ouh ouh ouh », acheva le gardien en pouffant.

- Excellent Harmond, mentit Helmut. Excellent.

- Ouais hein. Bon, épluche bien tout ça, je repasse bientôt, j’en aurai une autre encore plus sympa.

- J’ai hâte, dit le loup en levant le pouce.


Le geôlier disparut. Helmut se précipita sur l’échelle escamotable qu’il avait cachée derrière une armoire. Il la déplia et la posa contre le mur sous la grille d’aération. C’était Harmond, lui-même, qui l’avait mis sur cette piste.


- On ne peut pas l’atteindre et on ne peut pas l’ouvrir, sinon ce serait facile de s’évader, avait-il dit.


Bête est la brebis qui se confesse au loup disait le dicton. Helmut était un fin bricoleur. Ça lui avait pris neuf mois mais il avait réussi à construire cette échelle à partir de déchets récupérés dans l’atelier de mécanique. Il lui avait fallu trois mois de plus pour confectionner une pince capable de venir à bout des solides maillons de la grille. Ce soir, quand Harmond viendrait pour le saouler d’une autre plaisanterie grotesque, il serait loin.


Il se glissa dans l’orifice, tira l’échelle et replaça la grille. Il leur faudrait un temps fou pour comprendre. Il plaça la petite lampe de poche piquée dans l’infirmerie entre ses crocs et se faufila dans l’étroit boyau en ondulant. Il ne savait pas où ce labyrinthe le mènerait mais il se fia à sa truffe. L’odeur de l’extérieur était euphorisante, elle l’attirait comme un aimant. Au bout de quelques minutes, il parvint à une nouvelle grille. Elle le séparait du parking des gardiens. Il la découpa avec habileté et disparut dans la nature.


***


Drumond poussa un nouvelle bûche dans la cheminée. Il était le seul à pouvoir effectuer cette tâche. Ed et Ray étaient trop effrayés par les flammes pour s’en approcher. Des histoires de jambon fumé hantaient leurs arbres généalogiques.


- Je dois tout faire, dit Drum en reprenant sa place.


Cela faisait un moment qu’ils discutaient autour de l’âtre, enfoncés entre de moelleux coussins, un cocktail de légumes à la patte. Ed commençait à piquer du nez mais Ray et Drum démarraient à peine un de leurs sempiternels débats sur la place du loup dans la société.


- Le cochon est un loup pour le cochon, dit Ray. On se fait plus de mal entre nous qu’ils ne nous en font.

- Et tu préconises quoi ? Un loup à la tête de l’état, des accoucheuses louves. Je sens beaucoup d’avenir pour nos porcelets.

- Tu perpétues l’idée qu’ils sont tous assoiffés de sang.

- Ils le sont.

- Bien sûr que non.


Ils avaient tous les deux des caractères de cochon mais cela finissait rarement en dispute. Ils prenaient beaucoup de plaisir à se pousser mutuellement aux frontières de la colère mais ne les dépassaient presque jamais. Ed, complètement détaché de ce sujet polémique, s’était définitivement endormi.


- Qui a tué les gorets de Miss Spordemond ? Un loup peut-être ?

- Je ne dis pas que nous sommes parfaits, simplement, il faut…


Un grincement net venant de la terrasse l’interrompit.


- Tu as entendu ? Demanda Ray.

- Oui.


Ils se levèrent pour s’approcher de la large baie vitrée. Ils avançaient d’un même pas, synchrone.


- Allume la terrasse, ordonna Drum.

- L’est où l’interrupteur ?

- Derrière le rideau.


Ray tira le pan de tissu mais n’eut pas le temps d’atteindre le commutateur. Toutes les lumières de la maison s’éteignirent d’un seul coup. Il sursauta en poussant un petit cri ridicule. Ed se réveilla.


- Qu’est ce qui se passe ? Demanda-t-il en se frottant les yeux.

- Les plombs ont sauté, dit Drum. Je vais voir le disjoncteur, ajouta-t-il en quittant la pièce d’un pas nerveux.


Ray lâcha le rideau et plissa les yeux pour percer l’obscurité. Il n’en était pas sûr mais quelque chose semblait bouger dans le jardin. Il fit un pas de plus, cherchant désespérément à identifier une ombre. Le parasol ? Un arbre ?


- Quelle heure est-il ? Bailla Ed.


« Ce n’est pas un arbre, pensa Ray, c’est un lo… »


La vitre explosa en mille morceaux scintillants. La chaise longue en tek traversa encore la moitié du salon avant d’achever son audacieux vol plané dans le divan. Ed et Ray couinèrent comme deux cochonnets qu’on torture. La silhouette décharnée du loup, à peine décelable sous la faible lueur d’un quartier de lune, pénétra dans l’antre des trois petits cochons.


- Par ici, hurla Drum en agitant une lampe de poche depuis l’embrasure de la porte de la cave.


Ed et Ray se précipitèrent vers ce phare salutaire. Ed, plutôt sportif, sauta au-dessus de la table, glissa sur un tapis, cogna le coin d’un meuble mais, ne tomba pas, et arriva sain et sauf dans les bras de son camarade. Ray, empâté et grassouillet – on l’appelait saindoux depuis sa plus tendre enfance – patina une bonne seconde et, quand ses jambes répondirent enfin, une patte griffue lui saisit le bras l’obligeant à pivoter. Ses petits yeux porcins croisèrent ceux d’Helmut. Deux éclats de diamant qui le paralysèrent d’effroi.


- Raymond ! Hurla Drum.


La voix de son ami le sortit de la léthargie. Il se dégagea de l’emprise du loup en abandonnant sa chemise au passage et combla les derniers mètres à quatre pattes. Drum et Ed l’aidèrent avant de refermer la porte à double tour.


***


Il fallait toujours que le sort s’acharne. Ça aurait pu être si simple. Mais voilà, Helmut était né loup dans un monde de cochons. Depuis ce triste jour, sa vie n’était qu’une succession d’obstacles souvent infranchissables, une vraie route minée. Comment avait-il osé croire que cette nuit serait différente ? Il ne demandait pas grand-chose pourtant, il ne voulait faire de mal à personne, juste prendre le magot et fuir vers la terre promise.


Julos, le vieux gris, lui avait tout raconté quelques jours avant d’être exécuté. Comment il s’était emparé d’un trésor en liquide chez un riche cochon d’affaire, et où il l’avait caché, dans une maison de campagne en construction. Ce n’était pas seulement une confession, c’était un cadeau. La première fois que quelqu’un donnait quelque chose à Helmut. Malheureusement, dans la vie d’un loup, tout doit être arraché par la force, même un cadeau, même la liberté.


Helmut hurla de rage. La maison aurait dû être vide. Qu’est-ce que ces trois satanés cochons foutaient ici ? En plus, au lieu de déguerpir en pleurant, ces idiots s’étaient réfugiés à l’endroit exact qu’il devait fouiller. Sous la fine chape de béton, au fond de la cave, Julos avait enterré plus de trois millions en cash. Les jambonneaux sabotaient tous ses plans et il n’avait pas de temps à perdre. Toute la police du comté était à ses basques. Il se fixa devant la porte et attrapa la clinche. C’était verrouillé, évidemment, mais il s’acharna un moment, ça lui faisait du bien. L’adrénaline finit par se disperser et il retrouva son calme. S’énerver ainsi ne menait à rien, pourquoi pas souffler dessus tant qu’il y était ? Non, il avait besoin d’un outil pour briser cette solide barricade.


- Sortez ou je casse tout, cria-t-il.


Silence.


- Je vais pas vous bouffer, sortez !


Pas de réponses. De vraies têtes de lard. Il pivota et fila dans le jardin à la recherche d’une hache ou d’une pioche.


***


- On est morts, chuchota Ed les yeux rivés sur la clinche qui tournait en tous sens.

- La porte est solide, affirma Drum

- Sortez ou je casse tout.


Ray posa un doigt sur sa bouche.


- Je vais pas vous bouffer, sortez !


Les faces des cochons, éclairées en contre-plongée par la lampe de poche, avaient l’air d’affreux masques de carnaval. Les ombres leur sculptaient d’horribles visages d’humains.


- Il ne va pas nous bouffer ? Murmura Ed.

- Il peut faire pire, dit Drum.

- Il part, ajouta Ray qui tendait l’oreille.

- Bluff classique, décida Drum.

- Qu’est-ce qu’il veut ? Demanda Ed.

- On s’en fout, il n’a qu’à tout prendre.

- Ouais, on n’a qu’à attendre ici.

- Il a l’air de vouloir entrer.

- Si c’est ce qu’il veut, il finira par y arriver.

- On fait quoi ?

- On se défend, dit Drum.


La cave était grande et lugubre. Drum scrutait l’obscurité à la recherche de quelque chose d’utile mais à part le système de chauffage et leurs vélos il n’y avait pas grand-chose. C’était la cave d’une maison secondaire et ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’y entasser toutes ces choses inutiles qui s’amoncèlent dans un sous-sol digne de ce nom. Ray tâtonnait au hasard entre deux caisses remplies de vaisselle quand il sentit un courant d’air sur sa nuque. Il releva la tête en cherchant l’origine du souffle.


- Eh, dit-il, vous avez vu ça ?


Drum dirigea le faisceau de la lampe de poche vers un étroit soupirail.


- Il ne peut pas passer par là.

- Non, mais Ed pourrait, dit Ray.

- Euh, on avait dit qu’on attendrait ici, non ? Hésita Edmond.

- Tu pourrais te faufiler là-dedans et aller chercher de l’aide, s’enthousiasma Drum.

- Ce serait dangereux, dit Ray.

- Voilà, dit Ed, tu me prends les mots de la bouche.

- Et si il casse la porte ?


Les trois cochons se regardèrent avec intensité. Chacun envisageant un scénario.


- Dégageons le soupirail, on ne sait jamais, dit Ed courageusement.


Ils se mettaient au travail quand un choc sourd les fit sursauter. On cognait si fort sur la porte que toute la maison tremblait.


- Porca miséria, s’exclama Drum.

- C’est après nous qu’il en a.

- Ed, faut que tu sortes chercher des secours.

- Euh, oui, oui, euh.


Edmond trépignait nerveusement, la sueur coulait sur son front par litres. Ils lui firent la courte échelle. Un nouveau coup puissant les paralysa un instant.


- Allez, allez, encouragea Ray.


Ed coinçait au niveau des hanches. Ils durent pousser de toute leur force pour le faire passer.


- Je fais quoi ?

- Utilise le téléphone dans la voiture.

- D’accord.

- Bonne chance.


Helmut voyait les gonds se tordre, ça le mettait en transe. La masse était lourde mais la porte était étonnement résistante. L’effort était si intense que ses idées devenaient moins claires, il perdait de sa lucidité, frappant mécaniquement, comme une machine en mode automatique. Le trésor était là, à quelques mètres, son passeport de la seconde chance. Rien ne pourrait l’arrêter. La massue perça enfin le bois. Il passait le bras à travers l’ouverture quand il aperçut du coin de l’œil une petite ombre filant en catimini dans le jardin.


Drum et Ray regardèrent le bras du loup s’engouffrer par la fente. Leur sang se glaça. Que pouvaient-ils faire si ce n’est attendre que l’inconnu vienne sceller leur sort ? Mais le loup retira son bras et ils entendirent ses pas précipités.


***


Helmut rattrapa un porc maigrichon alors qu’il tentait d’ouvrir la portière de la voiture.


- Pauvre idiot, tu voulais faire quoi ?


Ed respirait comme une locomotive à vapeur. Helmut n’avait jamais vu des yeux aussi exorbités.


- Pauvre id...


Les mots restèrent suspendus dans l’air. Le loup avait le souffle coupé. Ed venait de lui enfoncer la fine lame de son canif entre deux côtes. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes, collés l’un à l’autre comme deux danseurs d’un ballet funeste. Helmut savait qu’il regretterait son geste mais il était incapable de contrôler son instinct. Il posa un regard compatissant sur le cochon avant de le mordre à la gorge.


Drum et Ray gravirent les escaliers sur la pointe des pieds. La maison était silencieuse. Trop. Ray poussa la porte. Personne dans le salon sens dessus dessous. Drum attrapa le téléphone.


- Lâchez ça, dit Helmut en pointant un doigt vers le combiné.


Drum raccrocha. Le loup ensanglanté tanguait, une main posée sur son flanc gauche.


- Pourquoi ? Murmura-t-il dépité.


Ils se toisèrent ainsi de longues secondes, sans bouger, incapables de la moindre initiative. Tout s’était passé si vite. Quelques minutes à peine avaient suffi pour faire basculer leurs vies dans le chaos. C’est Ray qui rompit finalement le silence.


- Laissez-nous partir.

- Je ne peux pas faire ça, répondit Helmut d’une voix tremblotante.

- On ne préviendra personne.

- J’ai du mal à le croire.

- Cochon qui s’en dédit, tenta Ray avec conviction.

- Ouais, ouais. Je vais vous enfermer dans les toilettes puis…


Drum ne disait rien, en fait, il entendait à peine. Comme un joueur d’échecs, il essayait de visualiser les prochains coups en observant les éléments du décor. Peu à peu, il échafaudait un plan risqué. Il n’aimait pas les loups, ça datait de son enfance, mais ce qu’il détestait encore plus c’était la peur elle-même. Il fallait toujours qu’il l’affronte comme pour la défier, que ce soit dans un manège, en sautant en parachute, en regardant des films d’horreur. La peur l’obsédait, c’était sa pire ennemie.


- … Vous resterez tranquilles, c’est tout.

- D’accord, dit Ray.


Drum, inconscient qu’une forme de pacte de non agression avait vu le jour, plongea vers l’âtre, attrapa quelques branches posées à gauche et les enflamma comme une torche.


- Drum ? Non ! Cria Ray.


Helmut hurla en tendant le cou comme le faisaient ses valeureux ancêtres avant de partir en chasse.


- Recule sale bête, dit Drum dont le visage tendu par la haine semblait irréel.


Il se saisit d’un morceau de la chemise de Ray qui traînait à ses pieds et l’enroula autour de son fagot pour attiser le feu.


- Recule, recule !


Ray secouait la tête. Quel enfer !


- Drumond, je t’en prie, nous…


Helmut se propulsa littéralement au-dessus des meubles et percuta Drum comme un dix tonnes sans chauffeur. Ils roulèrent au sol, corps affreusement mêlés. Sous le choc, Drum lâcha la torche qui rebondit sur un rideau. Les flammes se propagèrent sur le tissu à une vitesse phénoménale.


Ray était impuissant. Non seulement parce qu’il ne savait pas quoi faire, ses neurones « bonne idée » jouant à cache-cache, mais aussi parce qu’il était incapable de surmonter sa peur du feu. La danse des flammes s’insinuait dans ses veines. La phobie avait pris le contrôle de son corps.


La fumée envahit rapidement le salon. Drum et Helmut s’affrontaient toujours. Le cochon évita de justesse une morsure fatale. La mâchoire claqua à quelques centimètres de son oreille. Une autre attaque égratigna son épaule. Il trouva la force de frapper son adversaire mais ce n’était qu’une chiquenaude pour le loup qui referma enfin ses crocs sur son avant-bras. Drum, au bord de l’évanouissement, parvint à ajuster un coup de genou vicieux. Le loup lâcha prise. Un lambeau de tenture rougeoyant leur tomba dessus et le pull d’Helmut prit feu.


Ray ne voyait plus rien. La fumée était trop dense, l’odeur devenait insupportable et le privait d’oxygène. Il fit ce qu’il y avait de mieux à faire, un geste qui pourtant le hanterait à jamais. Il abandonna son ami et sortit de la maison pour appeler les pompiers.


Drum s’était dégagé. Au raz du sol, l’air était respirable et il se mit à ramper. Derrière lui, le loup se débattait contre les flammes rampantes qui l’enlaçaient comme une bouillonnante amante. Drum filait tant bien que mal quand les griffes d’Helmut se refermèrent sur sa cheville comme un piège à loup. Il secoua la jambe mais l’étau était ferme. Bientôt les flammes galopèrent jusqu’à lui.


Les secours mirent un temps fou pour arriver et Ray eut tout le loisir de contempler la maison du silence, la joint-venture du plaisir, se transformer en un tas de cendres.


Il suivit de longs mois de thérapies infructueuses. Son moral était définitivement meurtri, sa vision du monde irrémédiablement tordue, comme s’il voyait tout à travers un étrange prisme en forme de rideau enflammé. C’est son vieil ami humanologue qui le sortit d’une déprime qui aurait pu être fatale. Il l’emmena sur un chantier fabuleux, une pyramide enfouie sous des tonnes de sable.


Souvent, debout dans le désert, il repense aux événements de cette nuit-là. Sans doute que les choses auraient pu mieux se passer mais il faut croire que quand on est full options, qu’on a un pouce opposable et des cordes vocales, on finit toujours par faire des conneries.



 
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   Ten   
2/6/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
On rigole du début à la fin, un vrai bonheur. C'est bien écrit, bien pensé, et on ne lâche pas jusqu'au point final.
On peut tout à fait adapter l'histoire à notre société, et ça vient d'ailleurs à l'esprit très naturellement. Quelques phrases et expressions sont vraiment bien trouvées, et c'est là que l'on imagine que vous avez dû vous amuser en écrivant cette nouvelle. :)

J'ai simplement une petite gêne, à propos de la forme du texte, lorsque Helmut triture la poignée de la cave. A ce moment du récit, il s'agit du "point de vue cochon", et je n'ai pas compris pourquoi le "point de vue loup" s'est immiscé, même si l'histoire reste cohérente.

Mis à part cette petite chippoterie, l'on retrouve le fil conducteur de l'histoire de base, qui a servit à construire un récit très original.

Un vrai régal.

   Cyberalx   
2/6/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Vraiment génial !

Je me suis régalé en lisant cette histoire qui donne une dimension plus "Humaine" à l'histoire tragique de ces quatre larrons.

Le champ lexical du cochon et du loup sont largement exploités, l'histoire est fluide, il n'y a pas de temps mort et on ne s'ennuie pas.

Deux reproches me viennent cependant à l'esprit :

Bouecuzzi et Bouescine Auraient très bien pu rester Piscine et Jacuzzi.

Et ça ne sent pas assez le cochon grillé, cette fois, le loup aurait du gagner ! C'est vrai quoi... Le loup, il gagne jamais, c'est injuste.

   Pat   
3/6/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
J'attendais avec impatience la publication de ce texte pour pouvoir y mettre un commentaire (je l'avais corrigé). J'ai vraiment adoré : le ton, le style, l'histoire, les trouvailles, la structure... j'avais déjà lu différentes versions du petit chaperon rouge. Mais avec les petits cochons, ça fonctionne vraiment bien. Ca me rappelle aussi la ferme des animaux de Georges Orwell, pour le contexte. J'aime beaucoup ce que vous écrivez, en général (enfin ce que j'en ai lu ici) mais pour moi ce texte est particulièrement réjouissant. On voit que vous êtes à l'aise dans plusieurs registres et que vous possédez un imaginaire foisonnant... Bravo!
Juste un truc (mais qui n'engage que moi) : pour le titre, je n'aurais pas rajouté remix 2007. Et pour répondre à Cyberalx, "Bouecuzzi et Bouescine" ne me dérangent pas puisque ce sont des mots valises qui "truffent" tout le récit d'expressions cochonnes!

Et puis je suis aussi d'accord avec Cyberalx : le loup aurait pu gagner. Je m'y attendais d'ailleurs. Il est bien sympathique ce loup!

   Ninjavert   
3/6/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Félicitations Tchollos, c'est à mon goût le meilleur texte que tu nous a offert jusqu'ici sur Oniris :)
L'histoire est prenante, à pisser de rire, blindée de petites allusions, de clins d'oeils porcins, sans que ça en devienne lassant ou répétitif. Le parallèle cynique avec notre société est aussi marrant qu'il est pertinent, et on accroche du début à la fin avec un immense plaisir.
Le rythme est parfait, aussi bien dans les phases calmes que dans celles plus mouvementées, d'action.
Le vocabulaire est parfaitement choisi et sonne toujours juste, c'est un vrai régal, tout comme les personnages, hauts en couleurs, qu'on imagine à la perfection.
Un chef d'oeuvre d'anthropomorphisme, à mon goût.

La fin me plaît comme elle est... Le loup n'a pas gagné, mais les cochons n'ont plus. Comme le dit la morale : passé un certain stade d'évolution, on se crée soit même des emmerdes. Le loup n'est pas moins évolué que nos trois cochons, et c'est l'appât du gain qui l'aura perdu... Comme la trouille et les préjugés ont perdu les porcs.

Bref j'ai adoré, bravo !

Juste une remarque : La chaise en tek qui traverse la baie vitrée devrait selon moi atterir "sur" le canapé, et pas "dans" ce dernier. Où alors, le loup l'a vraiment lancée super fort :)

Ninj'

   oxoyoz   
4/6/2007
un texte superbe. Le remake est bien fait, remplacant de façon discrète les points fort de l'histoire originelle. La transposition est excellente aussi, on retrouve les cliché et les vices de l'humanité. Le ton est gai, l'histoire prenante, la narration pleine d'humour, mais aussi de tension, d'action. C'est une vrai tragédie au final, mais c'est amené si finement. Bravo rêveur.

   Nico   
6/7/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Que dire après tant de commentaires ?

Que j'ai été un peu déçu d'arriver à la fin. J'aurais bien aimé avoir un épilogue un peu plus développé qu'un simple clin d'oeil.

D'ailleurs, c'est une impression générale pour moi. Les clins d'yeux sont très agréables, mais j'aurais bien aimé voir la construction complète de cette société porcine, et pourquoi pas une série d'inventions ou d'habitudes quelques peu différentes de notre société à nous.

Ce qui n'enlève rien à la qualité du texte et à tout ce qui a déjà été dit.

   Anonyme   
17/8/2007
La première qualité du texte est le rythme. Le lecteur entre très vite dans le récit et a envie de continuer, de poursuivre, d'avancer. La scène du loup dans la maison augmente encore l'intencité du récit. Les yeux scrutent le mot suivant, galopent sur les phrases et se plissent sur les expressions porcines. Tout l'art de ces clins d'oeil porcins et canidés a été de ne pas abuser de ce qui aurait pu devenir lassant ou facile ! Outre les expressions connues, Tchollos arrive à inventer quelques mots à croquer, tel bouscine. J'adore. Les images sautent dans l'imaginaire du lecteur, la truculence des personnages envahit la pensée et l'humour égaye sans arrêt le récit. A ce cocktail explosif de bonne écriture, Tchollos ajoute un zeste de réflexion sur notre société humaine. Vous avez dit bon texte ? 20/20. Bravo !

   widjet   
29/2/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Combiner suspense, drolerie et inventivité dans une seule et même histoire, c'est tout simplement bluffant. Total maitrise du rythme et des trouvailles à la pelle....J'en passe et des meilleurs....Un divertissement de haute volée !

IMMENSE respect pour cet auteur assez phénoménal !

Widjet
(très enthousiaste!)

   Anonyme   
24/5/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Moi j'étais venu voir le meilleur texte d'Oniris.

Voilà, c'est fait!

Une façon bien agréable de détourner un conte... Plein de références ("Porca Miséria", j'adore!)...
Drôle, "pourquoi pas souffler dessus tant qu’il y était ?", facile à lire, respectant le style du conte tout en y ajoutant les sous-titres...
Et ce loup! "coupable ou non, on accuse le loup" placé idéalement, cette phrase résume à elle seule toute l'histoire. On en vient à éprouver pour ce "cruel" personnage une empathie involontaire... le pauvre ais-je envie de dire...

Les trois cochons, tellement emprunts d'humanité, tellement "up to date", dans l'air du temps... et détestables (je l'ai dit,je plains le loup... toutes griffes dehors, peut-être en suis-je un?)

Saindoux, sur lequel on glisse tout au long de ce remake réussi d'un classique que l'on croyait jusqu'ici indémodable.

Bel exercice de style... difficile et malgré tout tu y arrives avec brio.

Celà dit, et entre nous, je suis heureuse que la version antérieure ait bercée mon enfance... et angoissée que mes enfants grandissent secoués par la tienne!

Agréable surprise.

Je m'arrête sinon tu vas croire que je squatte.

Merci, et puis Merci...

Je vais avidement parcourir les mots de tes autres écrits, curieuse ...
une fois de plus heureuse de rencontrer au gré de mon vogelpik-lecture, un écrivain. Un bon.

Ah, et au fait : Merci!

   Anonyme   
26/5/2008
C'est tout à fait remarquable. Pas tout à fait de la trempe d'Orwell ou de Boulle pour laisser une marge de progression, mais il y a quelque chose de ça. Plein d'esprit, de verve. Vraiment brillant.

   xuanvincent   
22/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai apprécié ce conte moderne des "Trois petits cochons".

Malgré un registre de langage plutôt familier, j'ai trouvé l'histoire cocasse et riche en idées.

   Anonyme   
1/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Excellent Tchollos !
Que dire vraiment d'un texte magnifique comme celui-ci ? Drôle, écriture fluide, satyre de la société en plus !…
BRAVISSIMO Tchollos, je ne sais que dire d'autre.

   jackdaniels   
3/4/2010
Commentaire modéré

   marogne   
14/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
1280° lecture, 24° commentaire, toujours en retard....

Mais je commence à lire Tchollos avec ce texte, et bien sur, ne suis pas déçu.

Evidemment, on ne peut s'empècher de faire référence à "animal farm", et à "ceux qui sont plus égaux que les autres", mais le résultat est tout à fait plaisant et agréable à lire. Le style est parfait d'un bout à l'autre, entre comédie et action, des clins d'oeils à la pelle, et juste ce qu'il faut de mots inventés pour situer le récit sans le rendre difficle à lire.

Très bien voire exceptionnel donc pour le style et la manière de présenter l'histoire, plus mitigé sur l'idée elle même.

   Menvussa   
10/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
c'est sûr, c'est un très bon texte les trois petits cochons ne se sont pas vraiment améliorés, trop humains, sans doute, le loup serait plutôt sympa.

   Anonyme   
22/8/2009
Hi hi ! Je me suis bien amusée ! Il y a des coquilles qui traînent, mais on s'en fiche.
Je ne sais pas pourquoi je commente, sans doute juste pour le plaisir de citer je ne sais plus qui, Cavanna, peut-être : 'Il y a un loup qui dort dans le cochon qui sommeille en tout homme".
A part ça, j'adore les parodies de contes, celle-ci est extra !

   Perle-Hingaud   
20/12/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Que dire de plus: je crains de répéter les commentaires précédents: un humour fin et vif, des références qui font mouche, un texte jouissif. Le conte est connu de tous, et pourtant l'auteur parvient à nous tenir en haleine. Un exploit. Tout cela dans une bonne humeur communicative, sans prétention.
Bravo !

   Selenim   
5/1/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte amusant qui pioche son son humour et ses références entre Astérix, les Monty Python et Franquin.

Je ne me suis pas ennuyé un instant mais j'émets un seul reproche : il manque des pics d'intensité pour rendre la progression moins monotone.

Pour le reste, pas grand chose à dire, l'auteur maîtrise son sujet du bout du clavier.

Selenim

   Anonyme   
1/1/2011
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un texte tout simplement exceptionnel. Un style qui décape. Tchollos a un style, je pense qu'une fois qu'on l'a lu, on le reconnaît au détour d'une autre histoire (imaginons qu'il débarque sous le secret de l'anonymat en salle de lecture, je le reconnaîtrais je pense). Revisiter les contes en prenant de la hauteur, en imaginant un contexte ce n'est pas permis à tout le monde.

"Les mots restèrent suspendus dans l’air. Le loup avait le souffle coupé. Ed venait de lui enfoncer la fine lame de son canif entre deux côtes. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes, collés l’un à l’autre comme deux danseurs d’un ballet funeste. Helmut savait qu’il regretterait son geste mais il était incapable de contrôler son instinct. Il posa un regard compatissant sur le cochon avant de le mordre à la gorge.

J'aurais pu citer le texte entier. Cette écriture, au sommet de la maturité, n'a pas de leçon à recevoir.

   Anonyme   
15/8/2011
Commentaire modéré


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