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Policier/Noir/Thriller
Thimul : Même jour, même heure, même pomme [concours]
 Publié le 13/12/17  -  13 commentaires  -  19193 caractères  -  188 lectures    Autres textes du même auteur

Inspiré par "Place des grands hommes" bien entendu.
Ils s'étaient donné rendez-vous dans dix ans, mais certains n'étaient pas venus.


Même jour, même heure, même pomme [concours]


Ce texte est une participation au concours n°24 : Dix ans !

(informations sur ce concours).



On devrait être trente-quatre, mais on est beaucoup moins. Vingt-deux au total. Ça fait tout de même pas mal de monde, car la plupart ne sont pas venus seuls. Ils se sont crus obligés d’amener leurs chiards et leur conjoint.

Quand on s’était donné rendez-vous dix ans jour pour jour après les résultats du bac, il n’avait pas été spécifié non accompagné. Dommage.

Jérôme, l’ancien chef de classe, a loué la salle et s’est chargé de garder le contact avec le plus de monde possible. Il a réservé une salle des fêtes dans le trou du cul du monde. C’est cette putain de chanson de Bruel qui lui a donné l’idée. Bon Dieu ce que cette connerie peut me gaver ! Je me suis toujours imaginé « Pokerman » en train d’écrire cette bouse la langue entre les dents avec un dictionnaire de rimes à portée de main.

Franchement, vous auriez fait rimer « place des grands hommes » avec « même pomme » vous ? Et puis d’abord ça veut dire quoi ; « même jour, même heure, même pomme » ? De deux choses l’une : soit le type était défoncé à la colle, soit son niveau ne dépasse pas le CM2. À ce jour, j’hésite encore.

Quelques groupes se sont formés. On s’interroge, on se reconnaît, on se serre la main et on s’embrasse dans de grands éclats de rire. Je suis resté dans mon coin à observer les babouins dans leur milieu naturel.

Pas besoin qu’ils se présentent à moi. Je les reconnais tous. Cons il y a dix ans, et pas mieux aujourd’hui. Moi, l’ancien souffre-douleur de cette bande de crétins suffisants, j’entretiens méthodiquement ma haine depuis dix longues années. Pourtant, je n’ai pas hésité une seule seconde quand le premier de la classe m’a contacté. La plupart ont maintenu un lien sur Facebook, pas moi. J’ai dû être plus difficile à trouver. Mais il fallait que je sois là ce soir.


— Salut, moi, c’est Jennifer. Et toi, tu es qui ?


(De quoi je me mêle connasse ? Tu ne vois pas que je suis occupé. Toi, tu es Jennifer Petit. Petit comme ton cerveau dont le volume a très tôt été inférieur à celui de tes nibards.)


— Benoît. Benoît Lambert.

— Ça alors ! Mais tu as vachement changé ! C’est dingue ça ! Comment on t’appelait à l’époque ?


(« Gros lambeurk », pétasse.)


— Oh, je ne me souviens plus, tu sais, c’est tellement loin. Que deviens-tu ? dis-je pour bouger de ce terrain glissant où la décérébrée tente de m’emmener.

— Je suis dans la communication, je monte ma boîte actuellement.


(Non, non, la gourdasse. Je sais pertinemment que tu glandes au crochet de ton mari friqué et que tu occupes tes journées entre shopping et salons de massages pour pouffes embagousées.)


— Et toi ? demande-t-elle. Tu bosses dans quoi ?

— Je suis flic.

— Tu veux dire que tu portes l’uniforme. Mais c’est très excitant ça, dis-moi ! glousse-t-elle de sa voix de dinde.

— Non, je ne porte pas l’uniforme. Je travaille en civil et…

— Tu pourrais m’aider à me faire sauter mes PV ?


(Pour ce qui est de te faire sauter, je pense que tu n’as pas besoin de mon aide. Pour ce qui est des PV tu peux te brosser.)


— Fais-les-moi parvenir, je verrai ce que je peux faire.


Je lui tends ma carte. Elle la prend en regardant un groupe de filles un peu plus loin. Je ne sais même pas si elle a entendu ma réponse. Elle est déjà partie papillonner ailleurs. Tant mieux.

Je poursuis mon inspection. Jusque-là, je n’ai pas encore réussi à le voir. Je suis certain qu’il va se pointer. Aussi certain que deux et deux font quatre. Finalement, je finis par le repérer assis à une table. Insignifiant, il griffonne une nappe en papier blanc entre une gigantesque corbeille de fruits et un grand plat de cadavres de poulets élevés à la mode Auschwitz. Rien que ce dernier détail me donne envie de distribuer des baffes à tout le monde.


— Salut, Kevin.


Il décolle son nez pour m’examiner derrière ses lunettes en cul de bouteille.


— Tu me reconnais ? dis-je en prenant un siège pour m’installer à côté de lui.

— Euh, Benoît, je crois.

— Dis pas je crois, Kevin... Dis pas je crois. Je sais parfaitement que tu sais qui est qui dans toute cette putain d’assemblée. Alors, toujours dans tes formules de math ?

— Oh, juste un petit problème que j’ai trouvé.

— Pourquoi t’as pas fait prof toi qui étais si bon ? Merde, Kevin, t’étais un crack. Tu ne descendais pas en dessous du dix-huit sur vingt à chaque interro. Même moi qui étais une pointure j’avais du mal à rivaliser. Comment t’as fait pour te retrouver scribouillard à l’URSSAF. T’as gâché la marchandise mec !

— Je… Je perds un peu mes moyens quand je suis en public.

— Ouais, c’est vrai que t’étais pas le plus causant de tous les trou-ducs de terminale. T’avais pas non plus beaucoup de copains à l’époque.


Il ne me regarde plus et s’est remis à noircir la nappe.


— Tu sais, j’ai longtemps cru que t’étais autiste.


Il ébauche un sourire triste.


— On me l’a déjà dit.

— En fait, je crois que t’étais juste timide. Timide à en crever.


En lui causant, mon regard s’attarde sur trois types au fond. Ils n’ont pas franchement l’air de se bidonner.


— Tiens regarde, là-bas, il y a trois types de la bande des cinq. Je me rappelle qu’ils nous en faisaient baver ces petits nazis de mes deux. Est-ce que toi aussi ils t’ont coincé un jour dans les chiottes pour te foutre du bleu de méthylène sur la bite ? Hein, dis-moi, Kevin, qu’est-ce qu’ils te faisaient à toi ? C’est sympa de voir que sur ces trois connards, deux ont pris du bide. Ils sont plus gras que moi, maintenant. Au fait, sais-tu ce que sont devenus les deux autres ?


Il continue de se taire et de gribouiller, mais je sais qu’il m’écoute attentivement.


— Sont morts mon pote. Mohamed s’est jeté du huitième étage de son immeuble, et Steve s’est fait buter dans un règlement de compte à Marseille. Les Pieds Nickelés doivent en parler en ce moment. C’est sûrement pour ça qu’ils tirent une gueule d’un kilomètre. Quand j’ai appris la nouvelle, putain, les deux fois, je me suis ouvert une bouteille de champ'. Et du bon, je peux te l’assurer. La vie est quand même sympa des fois. Pas toujours, mais des fois.


Les mains de Kevin tremblent légèrement.


— Tu veux que je te dise un truc Kev' ? Cette terminale : entre ceux qui nous torturaient, ceux qui les regardaient en se marrant et ceux qui laissaient faire parce que c’était pas leurs oignons, eh bah c’était la plus belle assemblée d’enfoirés qu’un lycée ait jamais concentrée dans une classe.


Je vois une goutte de liquide tomber sur le papier blanc crayonné. Puis une autre. Ça fait de petites taches grises qui s’étalent en auréoles. Quelques reniflements viennent compléter le tableau.


— Le pire dans tout ça, Kev', c’est que je te déteste de ne pas avoir bougé ton cul comme les autres et que de ton côté, ça doit être réciproque. J’ai beau me dire que t’étais une victime comme moi, y a rien à faire, ça vient me chercher au fond des tripes. C’est comment pour toi, Kev' ?

— À peu près pareil, répond-il en balayant la morve qui lui coule du nez d’un revers de la main.

— Bon, bah comme qui dirait que sur ce plan-là on est à égalité. On devait être trente-quatre ce soir. On est vingt-deux. Tu as une idée de ce que sont devenus les autres ?

— Ch'ais pas, fait-il en haussant les épaules.


Je sors un petit calepin de ma poche et commence à le feuilleter.


— Voyons voir… C’est qu’il s’en est passé des choses depuis dix ans. Tu me pardonneras, mais je n’ai pas tout remis dans l'ordre. Ah, c’est là ! Sandrine, la copine de Steve : morte dans un accident de voiture. Défaillance du système de limitation de vitesse. Le concessionnaire et le garagiste n’ont rien compris. Hugo, celui qui te réclamait ses vingt euros tous les lundis matin : déchiqueté par le TGV Paris-Bordeaux. Cyril, le copain d’Hugo qui se marrait tout le temps : suicide par arme à feu. Kimberley, la meuf d’Hugo : noyée dans sa piscine. Elle était complètement bourrée. Manuel, le Portos, s’est mangé une pierre qui lui est tombée sur la gueule sur un chantier. Je te rappelle que Manuel c’est ce salopard qui t’avait pissé dessus le dernier jour pendant que ses deux potes Tom et Paolo te maintenaient plaqué au sol. Ces deux pédés sont morts cramés dans leur chalet de montagne l’hiver dernier. Amélie, la gothique qui m’avait écrasé les burnes avec ses talons, s’est électrocutée dans sa baignoire. Pierre, le culturiste analphabète qui s’amusait à nous envoyer valser sur le mur du préau, a fait une overdose. Enfin le meilleur pour la fin : Julie. J’en étais amoureux à l’époque. C’était avant qu’elle me fasse croire que je l’intéressais pour mieux m’humilier devant ses copines. Elle a été retrouvée démembrée l’année dernière. Le crime a été imputé au boucher de Neuilly, car le mode opératoire était le même, mais ce bâtard a reconnu six meurtres et refusé d’avouer celui de la petite salope. En comptant les deux autres dont je t’ai parlé tout à l’heure, ça fait douze, le compte y est.


Je prends le temps de me servir une des nombreuses pommes qui trônent dans la corbeille de fruits. J’adore ça. J’en mâche consciencieusement plusieurs bouchées.


— T’es toujours avec moi, Kev' ?

— Je t’écoute, dit-il en continuant de garder la tête baissée. Il ne renifle plus.

— Bon, alors toi qui es fort en math, j'ai un problème à résoudre, tout à fait dans tes cordes. D’après toi, quelle est la probabilité que sur une classe de trente-quatre élèves dont trente-deux raclures, douze d’entre eux décèdent de mort violente dans les dix années qui suivent ?


Il lève enfin son regard vers moi. Son visage est devenu de marbre.


— Si on se base sur la statistique, pas des masses.

— C’est exactement ce que je me suis dit ! Vois-tu, quand il y a quelques mois par pure curiosité je suis allé voir ce qu’étaient devenus tous ces pourris, et que je suis tombé sur plusieurs avis de décès, j’ai creusé un peu. Je suis inspecteur à la crim', Kev', et j’adore remuer la merde. Je suis même payé pour. Je suis plutôt bon à ce petit jeu. Bref, j’ai fini par rassembler les pièces du puzzle, et me dire que sur le nombre de disparus, il devait y en avoir un paquet dont la mort avait été anticipée. Après, suffisait de se pencher sur le mobile. Autant de monde, ça ne peut être qu’une vengeance. Et comme le point commun de toute cette viande froide c’est la terminale, il s’agit de quelqu’un qui règle des comptes avec cette classe. J’ai beau prendre le problème par tous les bouts, il n’y a que deux personnes à qui la mort de ces salopards fait plaisir, Kev' : toi et moi. Et à moins que je sois atteint d’Alzheimer précoce, je ne me souviens pas avoir tué quelqu’un ces dix dernières années. Ce qui fait de toi un putain de tueur en série, mec !

— Tout ça, ça reste à prouver.

— Bah, c’est là que tu te goures mon pote. En France, pas besoin de preuves pour coffrer un type. Faut deux choses : un juge convaincu de ta culpabilité qui t’envoie aux assises, puis un jury certain en son âme et conscience que tu es un assassin. Peu importe qu’il se base sur ta tronche, des ragots ou l’âge de ma grand-mère. J’enquête depuis environ dix-huit mois. Pour les meurtres les plus anciens, je n’ai pas beaucoup de billes, mais pour au moins les trois derniers je peux prouver où tu étais, au moment de leur mort. Chaque fois tu vadrouillais dans la même ville que les victimes à plusieurs centaines de kilomètres de ton propre domicile. Toutes ces coïncidences, ça va être difficile à expliquer. Je vais faire exhumer quelques cadavres en train de pourrir pour des analyses supplémentaires. Et quand on racontera au jury ce que ces enculés t’ont fait subir, il n’y en aura pas un qui ne te croira pas coupable, fais-moi confiance.

— Tu vas me boucler ?

— Mets-toi à ma place Kev' : premièrement je suis sur la liste comme les autres donc, à un moment donné, il est probable que ta chasse à l’homme va me tomber sur le coin de la gueule. Ce qui veut dire que si je te laisse à tes petites affaires, je vais passer le restant de ma vie à regarder derrière mon épaule. Des trucs à finir avec un torticolis. Deuzio, je suis jeune inspecteur. Imagine l’avancement que ça va me faire d’être à l’origine de l’arrestation d’un serial killer.


J’y suis. Dans mon métier, je ne connais rien de plus jouissif que de faire comprendre à un type que j’ai toutes les cartes en main et que je vais le couler. J’adore lire à cet instant dans son regard la peur et le désespoir. On pourrait y voir par là une satisfaction de bien faire mon boulot, mais je dois avouer que je n’en ai strictement rien à foutre de la justice. Quand j’en coince un, il me venge de tous les autres : ceux qui détenaient le pouvoir quand j’étais le gros Lambeurk.


— Tu vas me suivre bien gentiment, sans faire d’esclandre. De toute façon, je suis certain que tu te fais chier autant que moi au milieu de ces caves.

— Tu n'as pas changé depuis ces dix dernières années. J’ai toujours su qu’au fond tu étais un type rempli de haine.

— Parle à mon cul ma tête est malade ! C’est pas moi qui ai trucidé douze personnes, mon p'tit père.

— Ils ne sont pas morts parce que je les détestais. Ils sont morts parce que je n’avais pas le choix. D’ailleurs, je ne suis pas responsable des douze disparitions, mais de onze. Le premier, Manuel, c’était vraiment un accident. Enfin je suppose parce que je n’y suis absolument pour rien. Mais après tout, c’était un tel salopard qu’il est possible que quelqu’un d’autre lui ait réglé son compte. Tu sais, à l’époque, j’étais en pleine déprime parce que mes nuits étaient un enfer. À cause des rêves. Manuel revenait fréquemment. Presque chaque soir. Dès que j’ai appris sa mort, mes cauchemars ont disparu. Incroyable, non ? Et puis au bout de quelques mois, les insomnies et les rêves ont recommencé, avec les souvenirs d’un autre tortionnaire : Steve.


Il plante son regard dans le mien et son expression trahit une exaltation intérieure quasi incontrôlable. C’est alors que je me rends compte que j’ai en face de moi un des plus gros cinglés qu’il m’ait été donné de rencontrer.


— Je suis persuadé qu’on voulait me montrer quelque chose. Il fallait que je vérifie si ce que je suspectais était vrai. Alors, je me suis procuré un flingue et j’ai réglé son compte à cette petite frappe de Marseille. Les flics n’ont pas cherché beaucoup quand il a reçu son stock de balles dans le buffet. Mon sommeil s’est à nouveau amélioré, jusqu’à ce que Sandrine à son tour vienne m’empêcher de dormir. Je ne suis que l’instrument de quelque chose de bien supérieur. Je n’y prends personnellement aucun plaisir.

— Eh bah, t’es vraiment passé du côté obscur, toi ! Je resterais bien là, à discuter de l’existence du Père Noël ou des lutins de Cornouailles, mais va falloir qu’on se bouge un peu les fesses. Je t’emmène tranquillement, à moins que tu veuilles que je te passe les menottes, ici, devant tout le monde.


Sans discuter plus longtemps, il se lève docilement de sa chaise et m’accompagne à l’extérieur. Je suis vanné et vaguement nauséeux, mais je suis satisfait. Il a fini par causer et avouer quelques-uns de ses crimes. Mon iPhone enregistre tout. Il y avait pas mal de vérité et un peu de bluff dans ce que je lui ai balancé mais ça a marché. Les frappadingues, faut toujours qu’ils finissent par l’ouvrir. La salle est dans un village et nous avons pas mal de route à faire jusqu’à la première ville digne de ce nom pour trouver un commissariat de police. Pas question que je dépose mon colis à la gendarmerie. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Il s’installe à côté de moi et nous gardons le silence bien après la sortie de ce nid de bouseux.

La route est monotone et je suis plus claqué que je le croyais. Vivement que j’aie livré le bébé. Mais de toute façon, vu la paperasse qui m’attend, je ne suis pas près de fermer l’œil. Si je m’écoutais, je m’arrêterais bien sur le côté de la route, juste pour un petit break. Je jette à mon prisonnier quelques regards à la dérobée. Il fixe la route éclairée par les seuls phares de ma BM.


— T’es pas causant mon pote. T’es vexé de t’être fait pincer ? Tu croyais pouvoir continuer à zigouiller de la terminale jusqu’à la Saint-Glinglin ?

— La question ne se pose pas comme ça. Quand les cauchemars commencent à arriver, je sais qu’ils ne céderont plus tant que je n’aurai pas fait ce qu’il faut. Je serais le premier ravi si tout ceci s’arrêtait.

— Et de qui rêves-tu en ce moment ?

— De toi. De toi me regardant pendant que Manuel dans les chiottes me pisse dessus. De toi qui manges ta pomme et qui ne vas même pas chercher le gérant du bar. Je me souviens très bien de ton regard ce jour-là. J’y ai lu le soulagement de ne pas être à ma place. C’était le jour des résultats du bac, il y a pile dix ans : leur façon de me dire adieu. Je me souviens encore du goût de l'urine quand Tom et Paolo m’ont ouvert la bouche.


Sa voix est monocorde, elle me berce. Mes paupières pèsent des tonnes. Dans un virage, je sens la voiture partir et les mains de Kev' se saisir du volant pour la rattraper. Je freine par pur réflexe et la bagnole finit par s’immobiliser sur le bas-côté.


— Au fait, je voulais que tu saches ; j’ai piraté ton iPhone il y a un an. Tu n’as rien enregistré du tout. Fatigué, Benoît ?

— Qu’est-ce que tu m’as fait, enfoiré ?

— L’ego a toujours été ton problème. Ça et ton goût immodéré pour les pommes. Tu en bouffais tout le temps, sous toutes les formes : nature, mais aussi en beignets (surtout en beignets), en tarte ou en compote. Quand j’ai réalisé que tu commençais à me surveiller, je me suis dit qu’il y avait toutes les chances pour que tu viennes me parler pendant cette belle journée commémorative, histoire de me prouver ta grande intelligence. On avait beau être tous les deux harcelés par une bonne partie de la terminale, ça t’emmerdait profondément que je sois meilleur que toi en math. J'étais certain que tu n’allais pas rater l’occasion de prouver ta supériorité. C’est moi qui ai apporté les pommes de la corbeille à fruits. Celles du dessus sont bourrées de Midazolam. Pas suffisant pour t’endormir profondément, mais assez pour te rendre un peu moins fringuant. Si d’autres personnes en mangent, ça n’aura pas de grandes conséquences. Elles iront simplement se coucher un peu plus tôt et seront déçues d’avoir manqué une partie de cette fête minable.


Il soulève mon bras droit. À travers ma veste, je sens une piqûre dans le creux de l’aisselle. Même pas mal.


— Et là, je viens de te faire le complément. Avec ça, tu ne vas plus bouger du tout. Je te souhaite une bonne nuit, Benoît.


J’aurais dû fouiller ses poches. Il continue de parler, mais je n’entends plus rien. J’ai sommeil.


La lumière aveuglante est là, sur la gauche. Elle me tire de la nuit. Un bruit immonde me transperce les tympans. Un enfer de crissements métalliques et un signal sonore puissant, abominable, qui m’oblige à entrouvrir les yeux.

Je suis dans ma voiture.

Des barrières sont baissées.

Oh merde ! Qu’est-ce que je fous sur un passage à niveau ?


 
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   GillesP   
25/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
La première chose qui me vient à l'esprit est celle-ci: l'histoire est réussie, sordide à souhait. Le renversement de situation est bien vu. Je ne m'en suis pas douté.
La seconde chose concerne l'écriture: simple, efficace. C'est un deuxième bon point.

J'ai néanmoins trois réserves:
- D'abord, dans le cadre du concours, la chanson de Bruel ne joue pas un grand rôle. Elle apparaît au début, puis plus rien. On a l'impression qu'elle a été ajoutée au dernier moment pour respecter le cadre du concours.
- La réaction de Kévin, ensuite, lorsque le narrateur lui révèle qu'il sait tout. Elle manque de force. On a l'impression que Kévin accueille cela comme si on lui annonçait quelque chose de banal. Certes, il sait qu'il va gagner, au final, mais il pourrait feindre un peu plus l'angoisse d'être découvert, au lieu d'avouer, presque tranquillement, qu'il a tué onze personnes.
- La narration à la première personne, enfin: j'ai toujours un peu de mal à apprécier un récit dont le narrateur meurt à la fin. Par définition, le narrateur, étant celui qui raconte l'histoire, ne peut pas mourir à la fin, sauf dans des cas très précis (dans la nouvelle Les Fourmis de Boris Vian, par exemple).
GillesP

   plumette   
25/11/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Je n'ai pas réussi à adhérer à cette histoire. Pourtant, elle a du rythme, et je suis convaincue du savoir faire de l'auteur.
Je crois que c'est le ton qui ne m'a pas convaincue :ce mépris que l'on sent d'emblée chez le narrateur et son langage vulgaire. Bien sûr c'est "raccord" avec cette histoire de haine cuite et recuite mais un peu trop caricatural à mon goût.
Le ton ne m'ayant pas emportée, je me suis donc attachée à la crédibilité . De ce côté là, je pense que les 12 morts violentes en dix ans dans une même classe aurait obligatoirement été relevées aussi par les autres membres de la classe!
Benoît et Kevin, deux boucs émissaires face à 32 autres élèves de toute une classe, cela me semble également un peu lourd.

Vous l'avez compris, j'aurais aimé plus de nuances pour entrer plus doucement dans cette histoire.

j'aime assez le retournement de la fin, même si on s'y attend, même si j'ai toujours un peu de mal avec des narrateurs d'outre tombe qui viennent nous raconter leur histoire.

   SQUEEN   
25/11/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Réjouissant, dés le début, écriture impeccable construction de l'intigue nickelle, dénouement un peu rapide mais efficace. Et puis évidemment le ton, sarcastique tout bien comme il faut. Bruel doit se retourner dans sa tombe. Ah! il est pas mort?
Merci.

SQUEEN

   Tadiou   
28/11/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
(Lu et commenté en EL)

Un langage souvent grossier qui heurte ma délicatesse ( !) : je suis un sensible, moi !!!!

Bon, on sent beaucoup de rancœur (haine ?) de celui qui avait été rejeté, moqué et qui était à l’écart. Puis ça s’éclaire doucement, savamment, avec la noirceur qui donne peu à peu toute sa mesure : très bien fait pour cette montée du sordide.

La fin est bien imaginée, le suspense aura duré jusqu’au dernier crissement de frein.

La crédibilité ? Peut-on imaginer une classe de Terminale avec de telles maltraitances ? Bon, c’est de la littérature. Quel monde ! : Cyniques, tarés, cruels. Que viennent faire les maths dans toute cette horreur ?

Beau boulot dans le tragique, l’abjection (du coup le langage colle bien avec ces ambiances). Belle maîtrise de la montée de l’angoisse.

Une remarque qui a beaucoup d’importance pour moi :

« un grand plat de cadavre de poulets élevés à la mode Auschwitz » : cette évocation d’Auschwitz me choque beaucoup ; j’imagine que c’est pour indiquer que les poulets ont été maltraités et grillés…
Je trouve cela d’un extrême mauvais goût. Combien de personnes ont été torturées et exterminées dans ce camp de concentration nazi ? Cela me fait penser aux blagues antisémites de le Pen du style « Durafour, crématoire » pour lesquelles il a été condamné.

Sans cette évocation, pour moi inacceptable, j’aurais indiqué « J’aime beaucoup ».

Ici j’indique « un peu ».

Tadiou

   Louison   
29/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
L'histoire est plutôt bien ficelée. Le langage employé m'a souvent gênée. Les mots sont souvent crus, j'aurai aimé que ce soit plus subtil dans le dégoût de ces ex-"terminales".
Je trouve que Kev est quand même bien docile pour suivre Benoît dans la voiture, mais bon, pourquoi pas.
Un bon moment de lecture.

   vb   
13/12/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai bien aimé ce texte. Je trouve que le ton méchant et sarcastique est bien rendu. Le langage outrancier ne me gène pas du tout. Il fait partie de la description du narrateur! Je n'ai rien non plus contre la mort du narrateur à la fin. Il s'agit d'un procédé litéraire tout à fait normal (Cfr. p.ex. Les choses de la vie, de Claude Sautet).
Par contre le retournement de situation à la fin m'a déplu. Ca m'a semblé trop théâtral. Je n'imagine pas un autiste comme Kevin planifier l'assassinat de Lambert de telle manière (le piratage du téléphone portable, etc.)
Un aspect qui m'a aussi déplu est le fait que personne à la police n'ait fait le lien entre ces meurtres en série.
Pour ce qui est de la forme, j'ai trouvé la longue énumération des meurtres un peu monotone.
PS: Heureusement que Bruel n'est pas mort en même temps qu'Ormesson, sinon on aurait eu un shitstorm de plus.

   Zorino   
13/12/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
J'ai franchement adoré votre nouvelle. L'idée, le rythme, le vocabulaire utilisé en adéquation avec la situation, le twist final. Bref, un vrai régal !
Je pense savoir qui se cache derrière ce texte. J'ai hâte de savoir si mon intuition a fait bonne ou fausse route :-)
Bonne chance à vous pour le concours et merci pour ce beau partage
Olivier

   trevorReznik   
13/12/2017
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai vraiment aimé le début (particulièrement le petit aparté sur Bruel).
Et même si j'ai senti le vent tourner pour le narrateur aux trois-quart de la nouvelle, ça ne m'a pas empêché d'apprécier la suite de la lecture.

Quelques petites coquilles j'ai l'impression (mais je peux me gourrer), dans la conjugaison sur un passage :

"de toi qui manges ta pomme et qui ne vas même pas chercher le gérant du bar. "
>> "de toi qui mange ta pomme et qui ne va même pas chercher le gérant du bar. "

"ça t'emmerdais profondément"
>> "ça t'emmerdait profondément"

   LenineBosquet   
13/12/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
J'ai aimé ici la langue du narrateur que j'ai trouvé tout à fait dans le ton et c'est un exercice difficile en soi, ça pourrait paraitre artificiel, forcé, là j'ai trouvé ça juste.
A la pomme qu'il croque, j'ai senti le truc venir. Bon, ça arrive, ça a marché chez d'autres et fallait bien amener le poison hein...
Le truc du téléphone truqué, bof, on pourrait s'en passer sans que ça bouscule l'histoire.
Le reste, impec', c'est fluide, on y croit.
Merci.

   Bidis   
16/12/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le début est accrocheur. C'est toujours intéressant de voir ce que deviennent les uns et les autres quand on a été adolescents ensemble.
Par la suite, j'arrête toute projection. Si je retrouvais des camarades de ces années-là, ce serait amusant et/ou instructif mais cela ne tournerait pas certainement pas au thriller. Et ce serait sans doute beaucoup moins distrayant.
Donc, j'ai passé un bon moment d'autant que la gouaille du narrateur est bien plaisante.

   hersen   
18/12/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Ah, une enquête policière classique !

j'ai bien aimé l'idée d'amener tout ça, cette rencontre décennale, et j'avoue que je n'ai pas vu grand-chose venir.
Par contre, et c'est dommage car ça me gâche un peu la "fête", j'ai du mal à comprendre pourquoi, étant donné des soupçons si lourds, le flic est tout seul comme un grand et embarque son sérial killer sans plus de cérémonie; pour moi, c'est trop léger, d'autant plus qu'il y a des preuves et donc, cela m'empêche d'adhérer.

mais dans les enquêtes policières, c'est souvent ainsi, car c'est voué à être une machine bien huilée et le moindre grain de sable...

mais j'ai quand même apprécié la lecture, merci !

hersen

   Jean-Claude   
26/12/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
Décidément, cette chanson a du succès.
L'histoire de base et les idées sont bonnes.
C'est peut-être la difficulté d'être lu par des gens qui écrivent aussi mais la fin est sans surprise, téléphonée même.
Il y a trop de clichés, ce qui n'aurait pas été gênant s'il s'était agi d'un pastiche, mais ce n'est pas le cas : la façon de penser/parler du flic, la victime/tueur en série, les différents personnages, les pensées qui viennent d'ailleurs.
Dommage.
Bonne chance.

   toc-art   
28/12/2017
Bonjour,

J'aime bien le ton du texte. Je suis plus réservé sur l'intrigue elle même, le manichéisme des personnages et des situations la rend trop improbable et la fin tourne au burlesque, je trouve ça bête parce qu'il y avait moyen de faire beaucoup mieux avec l'idée de base. Mais bon, c'est votre choix d'auteur.

Bravo pour avoir participé au concours.


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