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Science-fiction
Thimul : Sauvez-moi !
 Publié le 24/10/17  -  23 commentaires  -  73564 caractères  -  292 lectures    Autres textes du même auteur

Venez assister au plus grand show télévisé du siècle.


Sauvez-moi !


Antenne dans une minute !

On y était. Depuis le temps que j’attendais ce moment, enfin, l’instant T n’avait jamais été si proche. Mon cœur battait la chamade. Je ne sais plus qui disait que pour ne pas être impressionné par quelqu’un, il suffit de l’imaginer sur ses toilettes, mais même en essayant de visualiser Robert Washington en train de vider sa vessie un air béat sur le visage, je ne pouvais m’empêcher d’être impressionné par le personnage.

Le plus célèbre animateur télévisé du pays, l’homme qui avait créé l’émission regardée tous les mois par plus de trente millions de Français, cet homme-là dégageait une force, une assurance et un pouvoir tels, qu’à côté de lui je me sentais absolument insignifiant. D’ailleurs, n’était-ce pas ce que j’étais, un homme sans aucune importance ?

Non, il ne fallait surtout pas que je pense comme ça. Surtout pas ! Après tout ce que j’avais enduré, après tous ces sacrifices pour être prêt, ce n’était pas le moment de me laisser aller à ce genre de sentiment. Si j’étais là, c’était justement pour prouver au monde entier que ma vie avait une certaine valeur. Pour que l’on me donne ma chance.

Debout derrière mon pupitre, je jetai un coup d’œil aux trois autres candidats. Ils n’avaient pas l’air en plus grande forme que moi. Plus jeunes, sûrement, mais pas plus en forme. La jeune femme juste à ma gauche avait dû être très belle : on le devinait encore sous le visage émacié et sous le maquillage. Elle avait des yeux absolument magnifiques. Je savais déjà qu’elle serait difficile à battre. Tout le monde allait fondre pour elle.

Comme le voulait la règle, j’allais découvrir son parcours en même temps que les spectateurs. De mon attitude, en partie, dépendrait la victoire. Ne pas s’apitoyer, j’avais autant le droit que cette femme de gagner. Autant qu’elle.


Antenne dans trente secondes !

L’homme à ma droite en avait fait un peu trop dans le genre « sauvez-moi ». Il était habillé d’un costume propre, mais juste un peu trop défraîchi. Il affichait la mine du type volontaire, mais digne. Quelquefois, une très légère grimace venait ourler sa lèvre supérieure genre : « Je souffre, mais je ne le fais pas voir ». Moi-même, j’avais du mal à y croire. Je le sentais trop « parfait » pour être honnête. J’espérais de toutes les forces qui me restaient que les téléspectateurs verraient aussi clair que moi dans son jeu, mais je dois dire qu’aux portes de la finale, je n’étais de plus en plus sûr de rien.

Le candidat qui m’inquiétait le plus, c’était le quatrième. À la droite du souffreteux. Il était majeur (les enfants concouraient dans l’émission du premier samedi du mois), mais il devait à peine avoir passé les dix-huit ans. La jeunesse, c’était un sacré avantage. J’avais relu toutes les statistiques du jeu, plus de trois fois sur quatre, c’était le plus jeune qui gagnait. Normal. À cet âge-là, tout est plus simple. On supporte tout plus facilement, on est dans l’émotion brute, moins feinte. Et c’était ce que voulait le public : de l’émotion, du rire et des larmes. Comme moi il était chauve, mais il s’était habillé comme un garçon de son âge : combinaison verte fluo, coutures à l’extérieur, casquette avec visière tournée à 143° sur la droite, et lunettes rouges. Je savais qu’il avait déjà dans la poche toutes les jeunes ados et une bonne partie des mères de famille.

Avec mes quarante-deux ans, j’allais devoir séduire tous les autres. Les femmes seules, les pères, les vieux. Ça faisait encore pas mal de monde. Même si je n’avais pas toutes les chances, il me restait encore quelques belles cartes. Et même une dernière que j’avais dans ma manche sans trop savoir si, ni comment, j’allais l’utiliser.


Antenne dans dix secondes !

Les hôtesses, qui terminaient les dernières touches de maquillages sur le nez de Robert et de quelques autres, s’éparpillèrent aussitôt comme une volée d’étourneaux. C’est fou ce qui peut défiler dans votre tête en dix secondes.


Je me revis devant la froideur du spécialiste qui m’annonçait qu’on était allé au bout de tout ce qui était possible financièrement. La dernière alternative, c’était le jeu. Sans cela, malgré toutes mes économies, plus rien n’était envisageable.

Je me revis postant ma candidature sur Internet. Sans grand espoir, car nous devions être des centaines de milliers à faire de même ce jour-là. Rien que le fait de remplir ce bon était déjà en lui-même une épreuve de sélection. Quatre heures. Pas question de le faire en plusieurs fois. Dès que le compte était créé, vous aviez deux cent quarante minutes pour remplir le questionnaire, pas une de plus. Et ceci comprenait la lettre de motivation qui terminait l’inscription.

Bien sûr, comme beaucoup, je m’étais fait aider. J’avais un pote psychologue et un logiciel d’apitoiement. Très efficace ce truc, mais il fallait s’en méfier. Celui que j’avais acheté en faisait un peu trop. J’étais d’ailleurs prêt à parier que mon voisin de droite en avait un similaire au mien. Mais lui ne savait apparemment pas remarquer les failles de son logiciel.


Deux jours plus tard, je recevais un mail. Puis il y avait eu les enquêtes de moralité et le casier judiciaire. Pas question que passe à la télé un type déjà condamné pour trafic de carcinolytiques frelatés. Ensuite, ils avaient pris des renseignements sur moi, mon entourage et mon passé. Histoire de vérifier que ce que j’avais mis dans le questionnaire n’était pas bidon. Enfin, les tests d’aptitudes physiques. Je les avais réussis de justesse. Il faut dire que ce jour-là, les douleurs étaient plus insupportables que d’habitude.


Mes pensées furent interrompues par la musique rythmée du générique de l’émission. La foule se mit à frapper dans ses mains. Quand sur les dernières notes, Robert sortit en courant de derrière un rideau pour se planter devant une caméra, les mouvements saccadés des mains se transformèrent en un tonnerre d’applaudissements.

Il écarta les bras, comme s’il apportait la bonne parole, et commença le sempiternel discours qu’il dispensait toujours en début de jeu.


— Bienvenue mes amis ! Et bienvenue chers téléspectateurs, fit-il en adressant un clin d’œil à la caméra.


Il était sur ma gauche, devant moi, mais un écran nous permettait de le voir de face comme toute personne vissée devant son poste oled de 250 cm pouvait le faire.


— Oui, continua-t-il. Bienvenue à tous pour cette nouvelle émission de fraternité. Une émission qui, une fois de plus, va transformer la vie d’un de nos concitoyens et lui permettre de triompher de son ennemi mortel. Et quel est cet ennemi ?


Et comme d’habitude, toute la foule hurla en même temps :


— LE CANCER !

— Oui mesdames et messieurs ! Cette affreuse maladie qui tue toujours autant d’hommes et de femmes malgré tous les progrès de la médecine. Car, vous le savez, les traitements coûtent cher et particulièrement la toute dernière invention des laboratoires Pastoglax, nés, je vous le rappelle, de la fusion des laboratoires Glaxo et Pasteur. Mais, qui d’autre que le président de cette merveilleuse entreprise qui sauve tant de vies pourrait mieux nous parler de la toute dernière trouvaille des chercheurs. Mesdames et messieurs, merci d’applaudir monsieur Hippolyte de la Prévotière.


Nouveau déchaînement du public tandis qu’un type pas plus haut qu’un mètre cinquante et précédé par son ventre faisait son apparition. Son front dégarni luisait déjà de sueur sous le feu des projecteurs. Moi-même, je remarquai que j’avais les mains moites. Mais c’était sans doute autant dû au stress extrême qui me tordait les entrailles qu’à la canicule qui régnait sur le plateau.


Washington serra énergiquement la main du petit homme replet et visiblement content de lui. Il mit sa main sur son épaule pour le conduire devant la caméra.


— Cher président, dites-nous ce que vos merveilleux chercheurs ont inventé.

— Un nouveau vaccin anti-cancer.


Murmure dans la foule.


— Et… Il est sûr, cette fois, demanda le présentateur.

— Je suppose que vous faites allusion à ce lamentable échec des laboratoires Lumserv dont le vaccin n’était manifestement pas très au point. Eh bien, sachez que, contrairement à notre concurrent, les laboratoires Pastoglax commercialisent cette nouveauté dans une absolue transparence et sécurité.

— Nous vous croyons cher président : je vous taquinais. Et dites-nous : combien coûte ce traitement révolutionnaire ?

— Il faut trois injections pour garantir une guérison complète et chaque injection coûte 1 348 795,57 euros. Soit un coût global de 4 046 386,71 euros hors frais d’hospitalisation.


Nouveau murmure impressionné dans la foule.


— Pouvez-vous expliquer à nos téléspectateurs la raison d’un tel coût ?

— Bien entendu. Tous nos médicaments, dans un souci de pureté absolue, sont fabriqués en apesanteur, dans l’espace. La fabrication et le transport expliquent à eux seuls le prix du traitement.

— Bien, merci monsieur le président. On applaudit les laboratoires Pastoglax.


Tandis qu’Hippolyte de la Prévotière repartait dans les coulisses, Washington se tourna de nouveau vers son public qui battait des mains à s’en casser les métacarpes. Il prit un air contrit, presque affligé.


— Eh oui, mesdames et messieurs, tout ceci est d’une cruelle réalité. Nos quatre candidats sont dans l’impossibilité de payer un traitement qui pourtant est le seul qui leur permettrait de poursuivre une vie qui, vous le verrez, est tout à fait prometteuse. Ces quatre personnes sont condamnées, oui, je dis bien condamnées, à plus ou moins brève échéance.


Silence dans la salle. Il n’y a pas à dire, Washington savait captiver son auditoire. Son jeu de scène était réglé au millimètre. Son visage se fendit alors d’un sourire et sa voix se fit plus forte.


— Mais heureusement pour chacun d’entre eux il y a l’espoir et pour l’un d’entre eux la guérison grâce à…


Et toute la foule de hurler :


— SAUVEZ-MOI !

— Ouuiiii ! Mesdames et messieurs, Sauvez-moi : le jeu de la vie, le jeu qui vous donne le pouvoir de tirer des griffes de la mort l’être qui aura conquis votre cœur, le jeu de la sincérité et de la charité. Car c’est vous, oui vous, qui êtes derrière votre écran, qui pouvez sauver l’un d’entre eux. Alors surtout, ne manquez pas le vote et composez à partir de maintenant et pendant les prochaines quatre-vingt-dix minutes le 8 000 (9,55 euros par appel). Leur avenir est entre vos mains. Nous revenons après quelques pages de publicité.


Le public était en ébullition. Les maquilleuses s’affairaient déjà autour du maître de cérémonie. Chaque candidat se faisait aussi repoudrer avant le début des hostilités. La mienne semblait lasse. Visiblement, elle avait fini d’être impressionnée de travailler au côté du grand Robert.


— Vous dégoulinez, c’est une horreur.

— Je suis désolé.

— Ne le soyez pas, c’est fait exprès, répondit-elle en me passant un tampon sur le front et de chaque côté du nez. Vous déstabiliser, c’est ça qu’ils veulent. Mais après tout, vous avez choisi.

— Qu’est-ce que j’ai choisi ?


Une petite sirène retentit. Antenne dans vingt secondes.


— De vendre votre âme.


Elle me regarda un peu plus durement tandis que le pinceau étalait un peu de maquillage pour colmater les dégâts. Elle partit avant que je puisse répondre. Jingle, et Washington reprit la parole.


— Merci d’être là avec nous. Et sans plus attendre, parlons des nouveautés du jeu.


Quelles nouveautés ? Je jetais un coup d’œil à mes voisins, ils étaient aussi stupéfaits que moi. Loin de me rassurer, cela ne fit que décupler mon inquiétude. Je décidai bien vite de me re-concentrer sur le discours de Robert.


— Depuis la création de ce formidable jeu, fit-il, nous avons reçu des milliers et des milliers de lettres d’encouragements et de félicitations. Je dois dire sans aucune fausse modestie, que « Sauvez-moi » est une émission d’une grande qualité qui fait l’admiration des chaînes du monde entier et qui est maintenant proposée dans d’autres pays.


Salves d’applaudissements. Il leva le bras et agita la main comme s’il voulait faire taire cette ovation.


— Mais, mais, mais… il y a tout de même quelques critiques qui, je dois l’avouer, sont entièrement fondées. Comme vous le savez, c’est vous, cher public, qui devrez décider de l’avenir de nos quatre candidats en jugeant leurs qualités physiques au moyen d’épreuves qu’ils devront affronter malgré leur affreuse maladie, intellectuelles par un quiz préalablement sélectionné et surtout morales grâce aux questions que je leur poserai et que vous leur poserez vous-même si la vôtre est sélectionnée. Et c’est là que le bât blesse mes chers amis.


Il prit un air profondément préoccupé, et s’approcha de la caméra un peu plus près.


— Comment garantir la sincérité des réponses de nos candidats ? Après tout, ne pourraient-ils pas émettre des avis pour vous émouvoir, sans les penser en leur for intérieur ? Bien sûr, ils jurent tous sur l’honneur de dire toute la vérité et rien que la vérité, mais sont-ils réellement sincères tout au long de l’émission ? Et c’est pourquoi la chaîne Pastoglax 2 a décidé de modifier quelque peu les règles de ce jeu merveilleux.


Une hôtesse arriva sur le plateau avec une boîte. Théâtral, Washington ouvrit cette dernière et en sortit quelque chose qui ressemblait à une montre.


— Voici, mesdames et messieurs, un bracelet de sincérité que je vais aussitôt passer aux poignets de nos candidats. Ce gadget astucieux nous permettra de confondre celui qui sera pris en flagrant délit de mensonge. Comme cette règle est nouvelle, nous avons décidé d’octroyer une affirmation fausse pour chacun d’entre eux. Cependant, le deuxième mensonge sera sanctionné par une élimination immédiate.


Instinctivement, je jetai un coup d’œil à mon voisin de droite. Comme je le prévoyais, il était blême. Moi-même, j’étais au bord de la panique. Toute ma stratégie s’effondrait. Il ne me restait plus que ma dernière carte. Je fus tiré de mes réflexions par le contact froid du métal sur mon bras. J’avais dû avoir l’air totalement absent et complètement idiot. Ça commençait bien !


Robert termina de nous passer les bracelets.


— Bien ! fit-il. Et maintenant, si nous faisions un essai ?


Il se tourna vers la femme sur ma gauche.


— Candidate numéro 1, voulez-vous, je vous prie, nous dire un pieux mensonge en y mettant tous les accents de la sincérité. C’est un test et ceci bien entendu ne comptera pas. Allez-y !


Elle prit une profonde inspiration.


— Je suis brune.


Un bruit de klaxon retentit, et le public explosa de rire.


— Bravo ! Magnifique ! Effectivement madame, tout le monde a pu remarquer que vos cheveux sont d’un splendide blond vénitien. Candidat numéro 2, c’est à vous.

— J’ai deux enfants, répondis-je.


Klaxon.


— Apparemment, vous ne nous avez pas dit la vérité, cher monsieur, fit Robert que cet intermède semblait beaucoup amuser.


Rires.


— Candidat numéro 3, c’est à vous.


Je n’entendis même pas la réponse des deux autres concurrents. Seul le bruit du klaxon vint s’immiscer dans mon esprit. La douleur commençait à poindre le bout de son nez. Je la connaissais par cœur depuis dix-huit mois. J’avais trente minutes devant moi avant qu’elle ne devienne intolérable. Pourtant, j’avais mis un patch de morphine ce matin. Je réalisai avec horreur que la sueur dont j’étais inondé sous ma chemise avait dû décoller le dispositif. J’étais tellement trempé que le patch de rechange que j’avais dans ma poche refuserait probablement d’adhérer à ma peau. Pas maintenant, mon Dieu, pas maintenant. Rien d’autre à faire pour l’instant que de se concentrer.


Robert Washington s’était à nouveau tourné vers le public et les caméras.


— Et maintenant, que le jeu commence !


Il fit brusquement demi-tour pour nous faire face.


— C’est parti ! Candidate numéro 1 vous avez quinze secondes pour vous présenter. Soyez brève et concise. Parlez après le… top !

— Je m’appelle Sandrine Joubert, j’ai vingt-huit ans, trois enfants et je suis atteinte d’une forme rare de cancer du pancréas. Je suis cadre infirmière à l’hôpital Paul Brousse. J’ai sauvé beaucoup de vies avant d’apprendre qu’à mon tour, j’étais atteinte par cette terrible maladie. Je veux voir grandir mes enfants.

— On applaudit Sandrine pour sa présentation très émouvante. Candidat numéro 2… top !


Blanc. La douleur. Cette fichue douleur. Il fallait que je dise quelques mots.


— Arsène Heurtaux. Quarante-deux ans. Cancer des os avec atteinte vertébrale. Informaticien. Divorcé, sans enfant.


Applaudissements polis.


— Voilà qui est bref et extrêmement concis Arsène. J’espère toutefois que vous ferez mieux dans la suite du jeu. Candidat numéro 3… top !

— Je m’appelle Gilbert Poussin (rires), j’ai trente-trois ans et je suis comptable. J’ai un cancer du testicule (gloussements). Je suis marié, j’ai quatre merveilleux enfants et…


Klaxon.


— Aië! Aïe ! Aïe ! Gilbert ! Vous venez de commettre votre premier mensonge ! Apparemment, vous êtes loin de considérer que vos enfants sont si merveilleux que cela (rires) ! Vous n’avez plus le droit à l’erreur Gilbert, ou vous serez éliminé. Candidat numéro 4… top !

— Jérôme Déjardin. J’ai dix-huit ans et j’ai une leucémie. Je suis actuellement élève à l’école spatiale de Toulouse. J’espère être spationaute, un jour.


Il parlait avec un naturel et une maturité déconcertants pour son âge. Il était très fort. Quant à Gilbert Poussin, il était proche de la liquéfaction. La douleur et un certain malaise m’empêchaient de me réjouir de ce qui lui arrivait.


— Félicitations jeune homme. Les téléspectateurs décideront, mais quoi qu’il en soit, votre parcours fait l’admiration de tous, moi le premier (applaudissements). Après une page de publicité, nous vous donnerons les premières impressions qui se dégagent de ces présentations. À bientôt et restez avec nous pour…

— SAUVEZ-MOI !


Le public était franchement au diapason. Les maquilleuses entrèrent à nouveau. Nous avions chacun la nôtre et je retrouvai donc celle qui m’avait balancé sa dernière réplique avec un certain mépris. Elle me tamponna encore une fois le visage.


— Vous cherchez à vous suicider ? demanda-t-elle.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Parce que vous parlez comme une machine. Les robots, on ne les répare pas ici : on les fout à la casse, pigé ?

— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire de toute façon ?

— Moi, ce que j’en dis…


La souffrance était encore montée d’un cran. J’avais comme un tournevis qui tournait entre mes omoplates. Pendant qu’une fine pellicule de poudre se déposait sur mon visage, celui-ci se décomposait.


— Ça ne va pas ?


Je crachai le morceau.


— Mon patch de morphine s’est décollé, répondis-je une pointe de terreur dans la voix.

— Pouviez pas le dire plus tôt ? Vous en avez un de rechange ?

— Dans ma poche.

— Donnez !


Je m’exécutais. Une voix off annonça : antenne dans vingt secondes.

Trop tard. Nos regards se croisèrent.


— Je reviens.


Elle fonça dans les coulisses tandis que je scrutais sur un écran le décompte des secondes.

10, 9, 8, 7…


Je sentis le rideau derrière moi bouger tandis que quelque chose frôlait mes jambes. Toutes les maquilleuses se dépêchaient de quitter la scène. Je baissai la tête pour voir la mienne se faufiler à quatre pattes sous un renfoncement de mon pupitre. Elle posa un doigt sur ses lèvres et me décocha le plus merveilleux des sourires. Je n’avais même pas remarqué qu’elle était belle.


Tandis que le générique reprenait et que Washington s’animait, je sentis ses doigts remonter le long de ma cheville puis le contact froid d’un coton que l’on frottait énergiquement sur ma peau et un léger parfum d’éther. Quelques secondes plus tard, le patch adhérait solidement. Je n’osais pas la regarder de peur que quelqu’un découvre notre manège. J’évaluais la situation autour de moi. Aucun signe que quelqu’un se soit aperçu de quoi que ce soit. Effet psychologique ou pas, la douleur refluait déjà.


— Voyons les premières impressions laissées par nos candidats. En tête avec 48 %, Sandrine, qui a su nous émouvoir et qui marque 50 points. En deuxième position, avec 29 %, Jérôme qui a su nous impressionner et qui récolte 30 points. Ensuite, avec 14 % Gilbert qui a su nous faire rire malgré lui ce qui lui vaut 10 points. Et enfin en dernière position Arsène qui, je dois le dire, nous a tous un peu surpris avec sa présentation et qui ne récolte que 9 % des voix et dont les compteurs restent à zéro. Mais rien n’est joué, car voici venir maintenant le…

— REMUE-MÉNINGES !

— Eh oui le remue-méninges, l’épreuve qui teste les connaissances. 200 points pour le premier, 100 pour le deuxième et 50 pour le troisième. Rien bien sûr pour le dernier.


Il me regarda. Illusion d’optique ? J’eus l’impression de voir ses lèvres se retrousser sur un sourire carnassier.


— Le thème de ce mois sera… people !


Tonnerre d’applaudissements et sifflets à l’américaine. Le public était en liesse. Moi, j’étais une fois de plus totalement effondré. Faut dire que le temps passé dans mon laboratoire, je ne l’avais pas consacré à lire les journaux, ni à regarder la télé.


— Le tirage au sort a désigné Gilbert pour commencer. Concentrez-vous, vous avez quinze secondes pour répondre. Si la sirène retentit, c’est que le temps est dépassé et la question sera comptée comme fausse. Cinq questions. Êtes-vous prêt ?

— Oui.

— … Top ! Quel est le nom de l’arrière-grand-père du rappeur Jo Smet ?

— Johnny Halliday.

— Quelle actrice a fait la couverture de ciné 3D le mois dernier ?


Blanc… Sirène.


— Que furent les dernières paroles du roi William sur son lit de mort le 31 janvier dernier ?


Blanc… Sirène.


— Quel est le nom du chien de la présidente du Mexique ?


Encore un blanc. Je risquai un regard vers mon voisin de droite. Il était au bord des larmes. Sirène.


— Et enfin quelle actrice a elle-même été atteinte d’un cancer et le raconte dans son livre « J’ai survécu, tant mieux ».

— Isabelle Deneuve.

— Deux bonnes réponses Gilbert. Le stress peut-être, car les questions n’étaient pas si difficiles. C’est bien sûr Ginette de la Prévotière qui était en couverture de ciné 3D. Le roi William a déclaré dans sa 84e année, quelques secondes avant de rendre l’âme : « Maman, je viens dans le tunnel avec toi », phrase qui a fait pleurer le Royaume-Uni tout entier. Enfin et c’était le plus facile, le prénom du chien de la présidente du Mexique est Washington en hommage à votre serviteur.


Il fit une révérence et déclencha l’hilarité du public déjà conquis.


— Et maintenant, nous interrogeons le jeune Jérôme.


Ce dernier fit un sans-faute et déclencha l’enthousiasme de la foule. Il savait que celui qui avait le record de téléchargement payant dans la première demi-heure de mise en ligne de sa nouvelle chanson n’était autre que Jo Smet himself, et tout un tas d’autres choses dont j’ignorais tout. J’allais me couvrir de ridicule, c’était certain.


Puis vint le tour de Sandrine. Elle ne commit qu’une seule erreur, celle de ne pas savoir que le plat préféré de Hiro Shimata, le champion japonais de sumo, était bizarrement le cassoulet toulousain. Mais personne n’est parfait.


— Eh bien il ne nous reste plus qu’à interroger Arsène. Vous êtes prêt ?


(Non.)


— Oui.

— Top ! Qui a dit : « Quand on n’a pas une Ferrari à trente ans, c’est qu’on est mal parti, et qu’on n’est pas près d’arriver » ?


Je n’en avais aucune idée. Je restai comme un idiot jusqu’au bruit fatidique de la sirène.


— Quelle est la passion de la chanteuse Funèbra du groupe DCD ?


Je ne savais même pas que ce fichu groupe existait. J’étais en train de me ramasser lamentablement. Re-sirène.


— Qui a célébré le mariage du président Hippolyte de la Prévotière avec le top modèle Isadora ?


Ça, je le savais, bon sang je le savais. Les secondes commençaient à s’égrener et plus j’essayais de réfléchir, moins j’arrivais à penser. Quand je sentis un index toucher ma jambe gauche et la parcourir en formant des lettres : J, P et un chiffre.


— Jean Paul IV !

— Qu’a offert le président Américain Mike D. Bush à son fils pour son 6e anniversaire ?


Là, pas besoin d’aide. C’était tellement con que ça m’avait marqué.


— Une Winchester 73 peinte en bleue.

— Et enfin quel fut, au point le plus haut, le score d’audience de l’émission « Sauvez-moi » du 21 novembre, c’est-à-dire le mois dernier ?


À nouveau, l’index dessina deux chiffres, une virgule sur l’intérieur de ma cuisse qui malgré moi me provoqua un délicieux frisson dans l’échine et ailleurs puis un dernier chiffre. Je regardai Washington droit dans les yeux. Je sus à cet instant précis que ce type ne pouvait pas me sentir.


— 78,3 %, dis-je d’une voix forte.

— Vous avez trois bonnes réponses, mon cher Arsène. Dommage que vous n’ayez pas su que la passion de Funèbra c'est le marbre noir que c’est le roi de la jet set Benoît Séguéla qui aime tant les Ferrari qu’il les considère comme indispensables.


J’obtins quelques applaudissements un peu plus nourris que lors de ma première prestation, mais à peine. Visiblement, je ne semblais pas plaire beaucoup à la foule. Je me voyais de plus en plus mal parti.


— Nous prenons le temps d’une pose publicitaire pour nous remettre de nos émotions. À tout de suite.


Dans l’effervescence qui suivit aussitôt la coupure du direct, je sentis ma sauveuse se faufiler à quatre pattes et repasser sous le rideau pour réapparaître quelques secondes plus tard avec les autres maquilleuses comme si de rien n'était. Elle se dirigea vers moi et recommença à me tapoter le visage.


— Alors, ça tient ? demanda-t-elle.

— Oui, et j’ai déjà moins mal, merci. Et merci aussi pour le coup de pouce, ajoutai-je en chuchotant.

— Je me demande ce qui m’a pris d’aider un loser tel que vous. Mon côté défenseur des causes perdues sans doute. Franchement, vous êtes vraiment nul.

— En people, oui. Mais je connais d’autres trucs.

— Oui bah, vos connaissances scientifiques, tout le monde s’en fout ici. L’important, c’est de plaire.

— Même si on vend son âme comme vous le disiez tout à l’heure.

— Si vous êtes ici, c’est que votre âme est déjà vendue, alors autant vous donner à fond.


Nouveaux coups de pinceau. Elle soupira.


— Si vous voulez mon avis, vous n’avez aucune chance.

— Ne vous inquiétez pas, j’ai un plan.


Elle me jeta un regard surpris, se demandant ce que je voulais dire par là. J’aurais aimé être aussi sûr de moi que j’en avais l’air. La voix off avertit que l’antenne reprenait dans vingt secondes. Elle rangea ses outils sans me quitter des yeux. Je me lançai juste avant qu’elle parte.


— Quoi qu’il arrive, je garderai un très, très bon souvenir de vos mains sur mes jambes.

— Très drôle, fit-elle en rougissant. Bon, bah… bonne chance quand même.


Elle disparut derrière le rideau sans me jeter un dernier regard. J’aurais pourtant bien aimé.

Robert se précipita vers la caméra.


— Et nous voici revenus dans ce jeu palpitant. Le jeu qui vous guérit du…

— CANCER !

— N’oubliez pas chers amis d’appeler le standard sur le 8 000. Vous n’avez plus que soixante minutes après il sera trop tard pour rattraper votre erreur. Imaginez un instant qu’une seule voix manque à l’un de nos candidats, ce pourrait être la vôtre. Réalisez ainsi l’immense responsabilité qui pèserait alors sur vos épaules. 9,55 euros par appel, dont 1 euro, oui je dis bien 1 euro sera reversé aux orphelins de la terrible grippe lunaire.


Le discours avait fait mouche et, dans la salle, certains avaient sorti leur mouchoir.


— Mais place au bilan de ces deux premières épreuves. Gilbert vous avez fini dernier du Quiz et vous en restez à un total de 10 points. Arsène vous vous êtes glissé en troisième position avec un total de 50 points. La délicieuse Sandrine n’a pu faire mieux que deuxième du Quiz et totalise maintenant un score de 150 points laissant ainsi la tête à Jérôme, fantastique dans cette deuxième épreuve et qui possède maintenant un capital de 230 points. On les applaudit tous bien fort.


La foule s’exécuta et, tout à coup, Washington prit un air beaucoup plus sérieux et encore plus théâtral.


— Voici venue maintenant l’épreuve qui est classiquement la plus redoutée par les candidats à la vie de ceux que nous ne pouvons que nommer des héros. Voici venu le temps des épreuves physiques. Pour vous prouver leur volonté de s’en sortir, ces trois hommes et cette femme ont accepté de repousser leurs limites en participant à des exercices qu’ils ne connaissent pas à l’avance et pour lesquels ils n’ont donc pas pu s’entraîner.


Sa voix redevint plus forte.


— Chers amis voici venu le temps du…

— BOUGE-TOI !

— Et la première épreuve sera ce soir de surmonter le terrible jeu du tourniquet.


Pendant qu’il parlait, une équipe amenait un gigantesque plateau monté sur roulettes et sur lequel étaient fichés quatre poteaux. Arrivées au centre de la scène, les roues furent escamotées. Robert se tourna vers nous.


— Je vais demander à chacun d’entre vous de se tenir à l’une de ces barres. Quand tout le monde sera prêt, nous ferons tourner le disque. Celui qui tombera sera éliminé. Ceux qui seront encore debout devront regagner leur place le plus vite possible. Le premier arrivé marque 100 points, le deuxième 50 et le troisième 25. Le dernier sera privé de points.


J’étais nauséeux rien qu’à l’idée d’imaginer ce qui allait se passer. La morphine n’arrangeait rien. Je suivis les autres à contrecœur, et choisis un des poteaux auquel je m’accrochai.


— Sandrine, Jérôme, Gilbert et Arsène, êtes-vous prêts ?

— Oui ! fîmes-nous à l’unisson.

— Et c’est parti !


L’envie de rendre mon maigre repas me transperça. Je luttai de toutes mes forces pour ne pas m’humilier de la sorte. J’essayai de m’accrocher à une pensée, n’importe laquelle pour ne pas m’épandre devant des millions de gens. Le visage de ma maquilleuse fut celui qui s’imposa. Et ça m’aida… un peu. Tout du moins jusqu’à ce que cette fichue roue infernale s’arrête. Quand enfin tout fut stabilisé, le décor tournait tellement autour de moi que je fus incapable de lâcher la barre. Les trois autres s’étaient lancés et titubaient pour rejoindre leur place. Le public hurlait de rire, et se gondola encore plus quand Gilbert décida de continuer son chemin à quatre pattes. Moi, je savais que si je tombais, ma vertèbre pourrie par le cancer n’y résisterait pas. Je me revoyais remplissant le questionnaire. Celui sur mes goûts en matière de distractions, de pôle d’intérêt. J’avais mis la case people en dernier. Je me revoyais remplissant le questionnaire médical et décrivant mes fréquentes nausées, l’état de ma vertèbre. Et c’est ainsi que je compris.


— Oohh ! fit Robert, il semble que Jérôme, notre petit génie, soit une fois de plus celui qui s’en sort le mieux. Bien mieux que Gilbert en tout cas qui rase le sol et qu’Arsène qui se refuse encore à quitter le tourniquet.


Rires.

École spatiale, les centrifugeuses. Les dés étaient pipés. Je m’étais fait piéger, moi et les deux autres. Tout était prévu pour que le môme gagne. Je sentis immédiatement une immense colère. De la colère contre cette ordure de présentateur, contre ce gosse qui pourtant n’y était probablement pour rien. Pas sûr qu’il fût au courant. De la haine pour cette populace qui riait de notre humiliation. De la haine pour cette maladie qui m’obligeait à m’avilir, à… vendre mon âme.


Le vertige avait cessé et les trois autres étaient déjà à leur pupitre quand je lâchai la barre pour regagner le mien, droit comme un i, sans vaciller. Surtout, ne pas leur laisser ce plaisir. Tout à coup, tout devint plus simple. Et je réalisai ce que les nouvelles règles impliquaient réellement.


— Eh bien, cher Arsène. Il semble que le courage de vous lancer vous ait fait défaut. Vous finissez dernier. Gilbert votre expédition très proche de la gent canine ne vous vaut que 25 points, la plus belle d’entre vous finit deuxième et gagne 50 points tandis que Jérôme, encore lui, est premier et engrange une nouvelle fois 100 points. Nous revenons après une page de publicité.


Le dernier regard que me jeta Washington mélangeait autosatisfaction et mépris. Sa vision fut rapidement masquée par une serviette qui me tamponnait le front. Ma maquilleuse était revenue.


— Mais qu’est-ce que vous fichez ? chuchota-t-elle agacée.

— C’est quoi votre prénom ?

— Hein ?

— On ne dit pas « hein » on dit « comment ». C’est quoi votre prénom ?

— Euh… Géraldine.

— Géraldine, je récupère mon âme. On peut se voir après ?

— Vous êtes dingue !

— Non, je suis amoureux.


Elle me regarda rouge de confusion.


— C’est bien ce que je dis : vous êtes dingue !

— Alors, disons que je suis dingue de vous.

— Arrêtez ! dit-elle en passant le pinceau. Vous êtes un mort en sursis, vous vous rappelez ? Et vu votre parcours dans cette saleté de jeu, ce n’est pas près de s’arranger !

— Ne vous inquiétez pas. Le temps de gagner et je suis tout à vous.


Pour une fois, je lui avais cloué le bec. Je la sentis désarçonnée et j’aimai ça.


— Antenne dans vingt secondes, fit la voix off.

— Allez, filez derrière votre rideau. J’aurais droit à un petit bisou après ?


Elle haussa les épaules.


— Vous avez complètement pété les plombs !


Elle s’en alla la tête un peu basse, et me jeta un dernier coup d’œil avant de disparaître de ma vue.

YES !!!


— Et nous revoici pour la deuxième épreuve du…

— BOUGE-TOI !


Quels cons ! Non, mais quels cons !


— Cette fois, c’est une question d’adresse qui va vous départager. Pendant la pause publicitaire, notre équipe a installé un panneau de basket-ball. Vous lancerez chacun cinq fois le ballon et nous ferons les comptes.


Bah voyons ! Ma tête à couper que ce sport devait faire partie des passe-temps de notre jeune prodige. Je n’en avais plus rien à faire. Sandrine ne marqua qu’un seul panier, Gilbert trois et, comme prévu, le fameux Jérôme n’en rata pas un seul.

Puis, ce fut mon tour. Je balançai le premier jet sans me soucier où il atterrirait, et il rata bien sûr son but. Au deuxième, je visai mieux, mais sans succès. Les troisième et quatrième furent tout aussi peu concluants. Ce ne fut qu’au cinquième lancer que le ballon arriva pile où je voulais : en plein sur la caméra qui me filmait. Le cameraman était totalement furax, mais tout le public riait aux éclats.

Washington me lança des regards de haine pure, et je lui fis un petit clin d’œil pour bien lui montrer que je l’avais fait exprès. Je le vis blêmir légèrement, mais son professionnalisme reprit bien vite le dessus.


— Eh bien, dites-moi Arsène : votre maladie ou vos traitements vous auraient-ils rendu myope ? J’espère que nos téléspectateurs n’ont pas eu de haut-le-cœur en voyant l’image bouger. Mais que voulez-vous, ce sont les aléas du direct. Arsène, votre petite performance vous classe quatrième, Sandrine troisième, Gilbert deuxième et enfin, nous commençons à y être habitués, Jérôme est encore une fois de plus premier. Ce qui nous donne : Jérôme qui caracole en tête avec 430 points, Sandrine qui est en embuscade avec 225 points, Gilbert qui s’accroche avec 85 points et enfin Arsène qui stagne avec 50 petits points. Mais, après la prochaine pause publicitaire, les choses se compliquent grâce à l’épreuve suivante. Attention, à partir de maintenant, c’est le public du studio 102 qui vote pour déterminer qui est…

— QUELQU’UN DE BIEN !

— À tout de suite, fit-il en accompagnant son invitation d’un clin d’œil.


Je guettai Géraldine qui semblait tarder à venir. Elle me manquait. Washington écarta d’un geste impatient les maquilleuses et fonça vers moi.


— Vous avez abîmé du matériel d’une très haute valeur. Vous l’avez fait exprès ?

— Devinez !

— Vous savez que la chaîne peut vous attaquer pour ça.

— Et comment croyez-vous qu’un mort puisse rembourser quelque chose ?


Je soutins son regard animal, et il finit par se rendre compte que les autres candidats le regardaient un peu gênés. Il prit sur lui et me quitta avec l’air de celui qui vient de se rendre compte qu’il a marché dans une crotte de chien.

Quand je détournai mes yeux de sa silhouette élancée, j’aperçus Géraldine à côté de moi qui s’apprêtait à me tamponner le front.


— Ils m’ont demandé d’attendre que Robert ait fini de vous parler. Ils se demandent à quoi vous jouez. Moi aussi d’ailleurs.

— C’est un jeu. Je m’amuse.

— Vous jouez votre vie.

— Je sais. Et vous, vous saviez que ce jeu était truqué ?


Elle me regarda, surprise, et mit quelques secondes à me répondre.


— Il y a des rumeurs. Pas de preuves.

— Bien sûr !

— Que voulez-vous faire ?

— Si je vous le disais, ils risqueraient de le savoir.

— Je ne suis pas une balance !

— Non, mais vous portez quelque chose que vous n’aviez pas tout à l’heure. La petite broche sur votre poitrine. Ils viennent de vous la mettre ?


J’attrapai sa main qui tenait le pinceau et me penchai vers le bijou bon marché.


— Robert ? Vous êtes là ? C’est pas très joli d’espionner les gens !


Je levai aussitôt les yeux vers le présentateur qui, au loin, s’était tourné vers moi en se touchant l’oreille. Il fit vite semblant de se concentrer sur ses fiches.


— Je suis désolée, dit Géraldine. Je n’ai pas eu le choix.

— Je ne vous en veux pas. Vous êtes toujours aussi craquante, répondis-je en souriant. Mais c’est vous-même qui m’avez rappelé qu’il faut savoir garder son âme.


Elle s’en alla tête basse tandis que la voix off nous rappelait à l’ordre. Robert touchait toujours son oreille en scrutant ses fiches. Il devait recevoir des consignes.

Une marionnette qui faisait bouger des marionnettes.

Jingle et retour de Robert à la vraie vie du plateau.


— Le moment que vous attendez tous est arrivé. Vous allez pouvoir vous faire votre opinion sur nos quatre candidats. Je vais leur poser les trois mêmes questions et ils devront y répondre en toute sincérité. Nous commençons par Jérôme. Êtes-vous prêt ?


Le jeune homme hocha la tête.


— Bien, je voudrais que vous me parliez de ce que vous pensez de la fidélité en amour, et avez-vous déjà été infidèle ?

— C’est primordial pour moi. Bien sûr, je suis jeune et je ne suis fiancé que depuis peu, mais je sais que mon amour est définitif et exclusif. Jamais je n’ai trompé ni ne tromperai celle qui sera ma femme, si vous me donnez la vie, ajouta-t-il en fixant la caméra.

— Croyez-vous en Dieu, et êtes-vous pratiquant ?

— Ma foi est profonde. Je suis catholique et je sais que ma croyance est ma sauvegarde. Rien n’est plus important que la certitude que quoi qu’il arrive, Dieu veille sur moi. Je vais souvent à l’église.


Je vis Washington hésiter légèrement avant de lancer la troisième question. Finalement, il se lança.


— Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de moi ?


Le jeune Jérôme haussa un sourcil. Cette question, visiblement, le surprenait. Il prit quelques instants avant de donner sa réponse.


— Je vous admire. J’avais douze ans quand l’émission a commencé. Jamais je n’ai raté un seul de vos rendez-vous mensuels. Pour moi, vous symbolisez toute ma jeunesse.


Tandis qu’il continuait de lui cirer les chaussures, je constatai avec consternation que l’absence de bruit de klaxon prouvait que ce type était convaincu de ce qu’il disait. Comment pouvait-on être aussi intelligent et bête à la fois ?

— Merci pour votre franchise Jérôme. C’était très émouvant et je suis rouge de confusion.


Déchaînement d’applaudissements.


— Maintenant, Sandrine va nous dire ce qu’elle pense de la fidélité.


La jeune femme famélique se redressa immédiatement et gonfla une poitrine qui devait avoir bien fondu depuis quelques mois.


— C’est très important. Jamais je n’ai trompé mon mari. Mais, je sais aussi que la chair des hommes est faible et qu’il faut savoir pardonner. Mon mari, un jour, m’a avoué sa faute. J’ai fini par accepter et depuis, nous sommes plus heureux que le premier jour de notre mariage.

— Bien, et que pensez-vous de la foi ?

— Je suis croyante, mais non pratiquante. Je suis très prise par ma famille. Je pense que l’on peut prier n’importe où. Par contre, tous mes enfants vont au catéchisme. J’estime que donner à ses enfants une éducation religieuse est un devoir.

— Dernière question : que pensez-vous de moi ?


Elle répondit sans hésiter :


— Je suis une de vos plus ferventes admiratrices. Et je trouve que vous faites un travail formidable.


Applaudissements.


— Merci pour ces compliments Sandrine. Et maintenant, je me tourne vers Gilbert à qui je pose la première question. Gilbert que pensez-vous de la fidélité et êtes-vous fidèle ?


Je sentis que mon voisin était stressé. Non, bien plus que stressé : complètement terrifié. Finalement, il prit la parole.


— Je… Je crois qu’être fidèle est la chose la plus importante qui soit. Moi-même je suis…


Le bruit de klaxon le fit sursauter.


— Mon Dieu ! fit Washington comme s’il était réellement catastrophé. Pourquoi donc avez-vous menti Gilbert ?

— Mais, je n’ai pas menti, je…

— Tss, tss… Le bracelet de sincérité, Gilbert. Lui, contrairement à vous, ne ment jamais. Je suis désolé, mais vous êtes éliminé.


Toutes les caméras fixaient le visage de cet homme hébété et catastrophé. Et tout à coup, il fondit en larmes. De vraies larmes de désespoir absolu. Des larmes de condamné à mort.


— Pitié, laissez-moi une seconde chance, parvint-il à articuler entre deux sanglots. Je ne l’ai trompée qu’une seule fois. S’il vous plaît !

— Non ! répondit Robert l’air contrit. Désolé, mais il n’y a pas d’exception à une règle pour laquelle vous aviez parfaitement été mis au courant. Allons mon ami, relevez la tête et restez digne. Vous vous êtes bien battu et vous n’avez pas démérité. Mais le jeu est le jeu et il faut un gagnant. Malheureusement, ce ne sera pas vous ce soir. Cependant, vous n’avez pas tout perdu puisque vous gagnez quinze jours d’hospitalisation dans l’unité de soins palliatifs de la clinique « Au bout du chemin » à Neuilly !


Le public acclama le désespéré que deux hôtesses aidaient à rejoindre les coulisses. Il tenait à peine debout.

Et c’est alors que je compris la raison de ces questions. Ils voulaient me forcer à mentir. Ils savaient que j’avais le choix entre ça et dire une vérité qui de toute façon me ferait passer pour un salaud.


— Un instant d’émotion magnifique. C’est cela, la beauté de…

— SAUVEZ-MOI !

— Et maintenant, revenons au jeu ! C’est au tour d’Arsène de nous parler en toute sincérité. Alors, Arsène, que pensez-vous de la fidélité ?


Je pris un instant de réflexion. Je les sentais lui, et les autres, suspendus à mes lèvres. Finalement, je me lançai.


— Bof !

— Comment cela, bof ?

— La fidélité, c’est important pour celui qui veut la pratiquer, les promesses de fidélité n’engagent que ceux qui les croient. Quant à savoir si j’ai été infidèle, mon divorce le prouve et je n’en ai aucun remords, Robert.


Le bougre était surpris.


— Deuxième question, mon ami ?


La foule murmurait. Je me foutais de les choquer. C’était devenu une affaire entre lui et moi. Une joute dont l’un de nous ne sortirait pas indemne et son expression me confirmait qu’il venait de le comprendre. Sauf que moi, je n’avais plus rien à perdre. J’étais déjà un mort en sursis. La peur que j’éprouvais au début du jeu m’avait quitté, et j’étais au contraire traversé par le désir sauvage de foutre un bordel monstre.


— Bon, eh bien question suivante : que pensez-vous de la foi, et êtes-vous croyant ?

— Si je l’étais, Robert, je ne serais pas là.

— Je ne comprends pas très bien.

— Je vous explique Robert, fis-je ironique comme si je parlais à un enfant de huit ans : quand on a la foi, on croit en une vie après la mort et en un monde meilleur. Dans ces conditions, pourquoi venir s’humilier et venir faire le guignol sur un tourniquet devant une assemblée de gens aussi débiles qu’inhumains ?

— Je vous prierais de respecter le public Arsène !

— Je suis désolé Robert, fis-je en levant le bras pour montrer mon bracelet. Mais, je dois dire la vérité sinon je suis éliminé. Cette réponse est la mienne.


J’entendais les murmures croissant dans la foule. Certains sifflaient, huaient. Je crus entendre quelques vilains adjectifs criés à mon encontre. J’adorais.


— Voulez-vous connaître ma réponse à la troisième question ? Voulez-vous savoir ce que je pense de vous, Robert ?

— J’aimerais beaucoup, répondit-il les dents serrées.

— Je pense que vous êtes un des plus grands professionnels de l’audiovisuel.


Je laissai passer un blanc.


— Et un des plus grands salopards que j’aie jamais rencontré.


La foule émit un « ooohhhh ! » unanime. Le salopard en question avait la teinte d’une mare au printemps.


— Continuez sur ce ton, grinça-t-il, et nous vous disqualifions !


Je levai une nouvelle fois mon bras.


— C’est le jeu, Robert ! Allez-vous me disqualifier pour avoir dit une vérité que vous m’obligez à dire sous peine de disqualification ?

— Vous insultez cette chaîne qui vous donne une chance de sauver votre vie, vous insultez les téléspectateurs venus ici pour vous soutenir, vous m’insultez moi !

— Je parle d’une chaîne qui m’exhibe comme un phénomène de foire, je parle d’un ramassis d’abrutis (clin d’œil à la foule) qui viennent voir quatre cancéreux aux portes de l’agonie, et je parle de vous qui faites des blagues à deux balles avec des personnes qui risquent leur vie.

— Qui êtes-vous pour oser vous ériger en juge ?

— Personne, Robert. Un type insignifiant que vous obligez à dire ce qu’il pense pour obtenir un traitement et sauver sa peau.

— Bon, eh bien nous vous remercions pour votre franchise, Arsène. Je suis certain que le public aura apprécié d’être traité de débiles inhumains et d’abrutis. Une longue page de publicité et ensuite, les résultats du vote du public.


Dès le signal, il fonça vers moi.


— Votre comportement est inqualifiable. Vous me le paierez cher !

— Ah ! Et comment ? Vous allez me tuer deux fois ?


Je me tournai vers les deux candidats qui restaient encore en lice. Ils avaient l’air extrêmement gêné sans qu’il me fût possible de dire si c’était moi ou bien les réactions véhémentes de mon ami Robert qui étaient la cause de leur trouble.


— Et c’est ce truc-là que vous admirez ? leur dis-je.


Ils baissèrent les yeux.

Le guignol abandonna temporairement la partie et se dirigea vers les maquilleuses en portant la main à son oreille. La vue de Géraldine acheva de me combler. Un rapide coup d’œil sur sa chemise me confirma que sa broche n’était plus là.


— Alors, plus de mouchards ? Rien ailleurs ?

— Non, fit-elle en me fixant d’un regard étrange. Vous avez foutu un sacré bordel. Ils sont surexcités parce que l’émission a explosé tous les records d’audience. Mais ils sont super inquiets parce qu’ils ne savent pas jusqu’où vous pouvez aller.

— À vrai dire, je ne le sais pas moi-même.

— Je suis envoyée pour vous proposer un compromis.

— Tiens, ça bouge on dirait. Et pourquoi vous envoient-ils, vous, la maquilleuse ?

— Parce qu’ils ne peuvent pas interrompre l’émission et qu’ils ne peuvent pas venir eux-mêmes sur le plateau. Ça paraîtrait louche aux yeux des autres candidats et du public.

— Et qu’ont-ils à me proposer ?

— Le vaccin. Ils sont prêts à vous l’offrir, si vous terminez le jeu sans faire d’histoire. Ils sont en train de rédiger un contrat. Vous pourrez le signer à la prochaine plage de pub.

— Je leur fais si peur que ça ?

— Disons que c’est mauvais pour l’image de l’émission qu’un mort en sursis se permette ce genre de fantaisie. Ils préfèrent de loin quand le type s’effondre en pleurant parce qu’il a perdu ou gagné. Votre réaction n’était absolument pas prévue au programme.


Elle parlait tout en continuant de me remaquiller. Personne ne semblait s’apercevoir de notre conversation à voix basse, mais j’étais certain que, de loin, nous étions très observés.


— Que feriez-vous à ma place ?

— J’accepterais. Après tout, vous êtes là pour ça, non ? Pour ce fichu vaccin ? Et vous qui vouliez que nous nous voyions après, vous aurez toute la vie devant vous pour en profiter.

— Dois-je prendre cela pour une invitation ?


Elle ne me répondit pas et me renvoya son sourire qui m’avait déjà fait fondre une fois, celui qui m’avait fait basculer en deux secondes. La voix off, cet empêcheur de flirter en rond, nous dispensa son refrain habituel. Géraldine me tendit la main.


— Bonne chance.


Je la saisis pour me rendre compte qu’un papier était plié dans sa paume. Elle fit descendre nos deux mains en dessous du pupitre de sorte qu’elles furent à l’abri des caméras, et referma mes doigts sur le message. Puis elle partit sans se retourner.

Il ne me restait que quelques secondes pour en prendre connaissance. Elle avait voulu être discrète, je devais l’être aussi. Il fallait que je trouve un moyen. Je pris dans la poche de ma veste un agenda comme si j’avais voulu y marquer un rendez-vous que la belle m’aurait fixé, et le laissai tomber par terre. Je m’accroupis pour le ramasser et en profitai pour déplier le bout de papier. En le lisant, j’eus l’impression que mon cœur allait s’arrêter de battre.

Un micro mieux caché. Désolée. La famille de Jérôme est influente. Surtout ne leur faites pas confiance. Les accidents, ça arrive.


Je sentis une sueur, froide cette fois-ci, me dégouliner entre les omoplates. Je m’étais bêtement imaginé que je pouvais les asticoter un peu et les mettre à leur tour sur le gril, mais ces gens-là n’étaient pas des plaisantins. En tout cas, leur sens de l’humour était peu développé. Si je perdais, j’étais mort, signature de contrat ou pas. Ma seule chance, c’était de gagner en leur rentrant dedans jusqu’à devenir intouchable. Ce n’était pas gagné.


Robert écarta grand les bras devant les caméras.


— Nous revoici pour la suite de notre formidable jeu. Voici le résultat du vote du public du studio 102 : Jérôme remporte une nouvelle fois l’épreuve avec 54,3 % des voix, Sandrine est deuxième avec 32,6 % des suffrages et enfin Arsène est bon dernier avec 13,1 %.


Plus de 10 % des gens avaient voté pour un type qui leur avait craché le mépris qu’ils lui inspiraient. Décidément, je ne comprendrais jamais la nature humaine.


— Voici donc le classement actuel : Arsène en queue de peloton avec 75 points, Sandrine 275 points et Jérôme toujours en tête avec 530 points. Mais, vous savez que tout est encore possible, car le dernier vote sera pour vous, qui êtes devant votre téléviseur. Mais pour l’instant, l’avant-dernière épreuve de notre jeu. C’est l’heure de :

— RÉPONDS-MOI !

— Oui, mes amis ! C’est un téléspectateur, choisi parmi toutes les personnes qui se sont inscrites sur Internet, qui aura la chance de pouvoir poser deux questions à chacun de nos candidats. Les réponses devront être courtes, précises et bien sûr totalement honnêtes sous peine d’élimination. Ensuite, le public du studio 102 se prononcera. Et tout de suite, faisons connaissance avec notre téléspectateur. Il s’agit de Jean-Louis !


Applaudissements nourris. Robert poursuivit.


— Bonjour Jean-Louis ! D’où nous appelez-vous ?

— D’Orléans.

— Et que faites-vous dans la vie ?

— Je suis assureur.

— Quel beau métier ! Allez-y : vous pouvez commencer à poser votre première question. Chacun y répondra à son tour.

— Je voudrais connaître les opinions politiques de chacun.

— C’est en effet une question très intéressante. Eh bien Jérôme, pouvez-vous me dire pour qui vous voteriez ?

— Oh, vous savez, à mon âge, je ne suis pas encore très fixé. Je trouve qu’Éric Tiberi, notre président, fait un travail formidable. Mais, il paraît qu’il tient cela d’un de ses ancêtres. Je crois que je voterai pour lui aux prochaines élections dans six mois.

— Rappelons que notre président est un fervent admirateur de notre émission. Sandrine, c’est à vous.


Sourire gêné.


— Je ne m’intéresse pas à la politique.


Klaxon.


— Ah ! Sandrine, vous nous cachez quelque chose. Je vous conseille de nous dire toute la vérité si vous ne voulez pas rentrer chez vous.

— C’est… c’est une question personnelle.

— C’est exact, madame, mais c’est le jeu. Nous vous écoutons.

— Je vote… Frontière Hexagonale, dit-elle finalement d’une voix éteinte.


Silence de mort dans la foule.


— Ooooh ! Se douterait-on à voir votre joli et doux visage, que vous êtes une ardente militante d’un groupe officiellement apparenté à l’idéologie nazie. Voilà qui est surprenant ! Allez, on vous applaudit tout de même pour votre franchise.


La belle Sandrine était effondrée. Elle savait que ses penchants politiques avaient comme une odeur de soufre. Ma tête à couper que la sélection de la question ne devait rien au hasard.


— Maintenant, c’est au tour du pittoresque Arsène de nous répondre.

— Je suis communiste.

— Vous voulez dire que vous êtes un admirateur d’une idéologie qui a fait au moins autant de morts que celle que soutient Sandrine ?

— Je n’ai pas dit que j’étais stalinien, j’ai dit que j’étais communiste. Ce qui s’est passé il y a deux siècles n’avait pas grand-chose à voir avec le communisme.

— Bah voyons ! Bien pratique ce genre de discours.

— Mais en tout cas sincère, fis-je en lui montrant une nouvelle fois le bracelet.


Il me rendit un sourire forcé, et enchaîna :


— Jean-Louis, nous attendons votre deuxième question.


L’homme parla aussitôt, comme s’il lisait un texte écrit à l’avance :


— Quel est, pour vous, le personnage le plus important dans l’histoire de l’humanité ?

— Excellente question ! cria l’animateur. Et nous écoutons tout de suite la réponse de Jérôme.


Le jeune homme se redressa, et bomba fièrement le torse.


— Pour moi, c’est incontestablement Albert Einstein. Il a révolutionné notre vision du monde. Après lui, l’univers n’était plus le même.

— Je vois que nous avons devant nous un passionné. Sandrine, quel est, pour vous, l’être humain le plus important ?


Elle regarda son bracelet. Et commença à trembler. Quand elle parla, ce fut avec des sanglots dans la voix.


— Adolf Hitler.


Robert siffla, mimant l’admiration. De la foule montèrent des cris d’indignation. Elle ne comprenait visiblement pas, cette foule, à quel point elle était manipulée.

Sandrine, la mère de famille nazie, n’avait jamais eu aucune chance. Ils savaient ce qui allait se passer avant même qu’elle ne s’installe devant les caméras. Son sort, comme celui de Gilbert, comme le mien, était joué d’avance. Jérôme était celui qui devait être sauvé, et les trois autres avaient été sélectionnés en fonction. La colère du public se mit brutalement à grandir jusqu’à se déchaîner. Des projectiles fusèrent des gradins. L’un d’eux frôla la jeune femme qui était maintenant terrifiée.


— Sandrine, il semble que votre réponse ne vous fasse pas que des amis.


Robert se tourna vers la foule et écarta les bras.


— Je vous en prie mesdames et messieurs ! Vous pouvez réagir en votant, mais pas en transformant notre candidate en cible vivante, même si ses propos vous semblent révoltants.


C’en fut trop pour Sandrine qui subitement arracha le bracelet de son poignet, le posa sur son pupitre, et quitta le plateau sous les huées de l’assemblée.


— Sandrine ! En quittant le plateau, vous déclarez forfait !


Mais la jeune femme était déjà hors de la vue de tous. Cette fille ne m’inspirait aucune pitié, mais ce lynchage public me révoltait tout autant. Cette gourde était tombée dans un véritable traquenard et elle n’avait rien vu venir.


— Pour la première fois, dans cette émission, nous avons donc deux éliminations, déclara Robert après que tout le monde se fut calmé. Le jeu continue avec les deux candidats restants et c’est donc au tour d’Arsène de répondre à la question qui a provoqué la chute de Sandrine. Alors, Arsène, quel est le personnage qui, selon vous, est le plus important pour l’humanité ?


Je pris le temps de la réflexion. Non pas, cette fois-ci, pour ménager un effet quelconque, mais pour être certain que ce que j’allais dire était d’une totale sincérité. Hors de question de déclencher le klaxon.


— Arsène, nous sommes tout ouïe !

— Il y a quelques jours, je vous aurais également répondu Adolf Hitler.


Nouveaux cris dans le public.


— Je ne vous comprends pas, Arsène. Vous vous déclarez communiste et vous admirez un homme qui en a tué des millions !

— Vous ne m’avez pas demandé quel personnage j’admirais le plus, mais celui qui à mes yeux était le personnage le plus important pour l’humanité. Hitler représente la folie des hommes poussée à son comble. Nous avons tous une parcelle d’Hitler en nous. Son action a transformé radicalement le monde dans lequel nous vivons. Depuis l’avènement et la chute de ce monstre, nous vivons tous dans la peur de ce que l’homme peut faire à ses semblables.


Il y eut un silence puis quelques applaudissements qui en déclenchèrent d’autres, jusqu’à ce que tout le public fasse de même, calmement. Robert grinçait des dents. Il tenta de reprendre l’avantage.


— Vous nous avez dit que cela aurait été votre réponse, mais ce que nous voulons savoir, c’est le nom du personnage le plus important pour vous à ce moment précis du jeu.

— Maintenant, je pense que l’homme le plus important pour l’humanité tout entière, c’est moi.


Gros éclat de rire dans le public. Après la tension des minutes précédentes, c’était plutôt bienvenu.


— Vous nous faites marcher ! fit Robert goguenard.

— Pas du tout. Je le voudrais que je ne pourrais pas, fis-je en montrant une nouvelle fois mon poignet comme on sortait un joker.

— Et qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes si important ?


Là, je le tenais une nouvelle fois. Je l’avais amené pile où je voulais.


— Parce que je détiens des informations vitales pour des millions de gens.


Il n’y a pas que lui que je tenais. En fait, à cet instant précis, j’avais la foule entière dans la main.


— Et quelles sont ces informations ?

— Ça, Robert, c’est la question aux trois vaccins. Vivant je la donne, mort je la garde.


Il me regarda et prit un air dégoûté.


— Vous seriez prêt à sacrifier des millions de vies humaines pour votre profit ?

— Vous inversez la question, Robert. Demandez à vos téléspectateurs si eux, sont prêts à sacrifier des millions de vies, et peut-être parmi elles certains de leurs proches, simplement pour avoir le plaisir de sauver la vie du petit jeune à côté de moi. Voyez-vous, comme je ne suis pas chien, je vous promets de vous donner un aperçu de tout ceci après la pub dans la dernière partie du jeu. Soyez content, monsieur Washington je suis certain que l’audience va encore grimper !


Il resta quelques secondes avant de pouvoir réagir. Je sentais la haine irradier de son corps. Puis, il reprit le contrôle de ses émotions et s’en sortit par une pirouette.


— Eh bien, puisque vous l’appelez de vos vœux, nous allons vous exaucer. La suite et la fin de cette passionnante émission après la pub, dit-il en fixant la caméra.


J’avais des centaines de paires d’yeux fixés sur moi. Après une certaine hésitation, Robert Washington s’approcha de moi et murmura les dents serrées :


— À quoi vous jouez ? La maquilleuse ne vous a pas transmis le message ? Bon sang, on peut vous sauver la peau si vous arrêtez de foutre le bordel !

— Et qu’est-ce qui m’assure que je ne vais pas avoir un stupide accident dans quelques jours ? Vous savez, des freins qui lâchent, des trucs comme ça ?


La sueur lui dégoulinait du front, et il sortit un mouchoir pour s’éponger. J’enfonçai le clou.


— C’est la chaleur, ou c’est moi qui vous fais suer ?


Il s’écarta de moi comme si j’avais la grippe lunaire, et se dirigea vers deux jeunes filles qui l’attendaient pour lui repoudrer le nez. Pendant ce temps, Géraldine m’attendait.


— Comment je m’en sors ? lui demandai-je.

— Ils ont envoyé le contrat sur l’écran de votre pupitre. Vous pouvez le signer en posant l’empreinte de votre pouce dessus. Au fait, j’ai toujours le micro sur moi. Ils écoutent ce que nous disons.


Je la regardai surpris.


— Ils ne vont pas être contents que vous ayez vendu la mèche.

— Qu’ils aillent se faire voir. Je démissionne. Quelqu’un ici m’a montré qu’il n’était pas le seul à vendre son âme. Pour le contrat, je leur dis quoi ?

— Dites-leur que je n’en ai pas besoin parce que je vais gagner ce jeu.

— Même si vous perdez, je veux bien passer le temps qu’il vous reste avec vous.

— C’est gentil ça ! Et si ça dure des dizaines d’années.

— Faut voir, dit-elle en souriant.


Dieu que j’aimais son sourire ! La voix off (j’aurais bien étranglé son propriétaire) sonna la retraite. Elle partit à reculons. Et me fit un dernier clin d’œil avant de disparaître derrière son fichu rideau. Mes yeux se posèrent alors vers les gradins et je m’aperçus que tout le monde m’observait.

Bien, il était temps de dégoupiller mes grenades.

Robert se pencha vers la caméra.


— Nous voici arrivés dans la dernière ligne droite. C’est l’heure de vérité pour nos deux candidats restants. Voici tout d’abord les résultats du jeu précédent. Jérôme a convaincu 45,3 % du public du studio 102, tandis qu’avec une manœuvre de dernière minute, Arsène obtient 54,7 % des voix. Pour une fois, c’est donc lui qui remporte ce jeu et empoche les 100 points tandis que Jérôme marque les 50 points de la deuxième place. Il est toujours en tête avec 580 points suivi de loin par Arsène avec 175 points. Et voici venue l’heure de la dernière épreuve. Celle qui teste l’humanité des personnes, celle qui nous livre le fond de leur cœur je veux bien sûr parler de :

— PARLONS-NOUS !

— Oui, mes amis ! Une discussion avec les personnes de son choix. Ces personnes viendront s’asseoir dans ce fauteuil, à côté de moi et le candidat leur parlera depuis son pupitre. Le moment d’émotion ultime, l’instant de vérité où nous avons vu des parents se réconcilier, des amours se déclarer, et même des pardons se donner. À l’issue de cette dernière épreuve, vous voterez. Ceux qui ont déjà voté pourront changer leur décision jusqu’à la toute dernière seconde. Ensuite, nous prendrons les pourcentages obtenus qui seront multipliés par dix, et le résultat sera ajouté au score déjà obtenu.


Il fit une pause. Il avait l’habitude de ces moments où il faisait monter le suspense.


— Jérôme, vous avez vingt minutes qui sont tout à vous pour vous adresser aux personnes de votre choix. Avec qui voulez-vous parler en premier ?

— Avec Lucie, ma fiancée.

— Mesdames et messieurs, il se trouve que Lucie, l’amour de Jérôme est ici, sur ce plateau !


La jeune fille arriva en pleurant et ne put s’empêcher de tomber dans les bras de son amoureux. Les hôtesses, délicatement, la prirent par le bras pour l’emmener jusqu’au grand fauteuil rouge. Tout ceci, même si ça sentait bon la préparation, était très émouvant. Il lui fit des déclarations d’amour éternel, puis parla à son père et à sa mère. Malgré tout, je sentais qu’une partie du public se désintéressait de ce déballage de sentiments et se concentrait sur moi.


Tous pleurèrent, je vis même les yeux de Robert s’humidifier. C’était vraiment très réussi. Les vingt minutes passées, une petite sonnerie retentit, et je vis le jeune Jérôme, poings fermés sous son pupitre, dresser ses deux pouces en signe de victoire. Et ceci acheva de m’enlever mes derniers scrupules.


— Bravo Jérôme pour tous ces échanges très beaux par leur simplicité et leur sincérité. Et maintenant, je suis certain que nous sommes tous dévorés de curiosité à l’idée de connaître les personnes auxquelles vous désirez parler, Arsène. Avez-vous arrêté votre choix ?

— Oui, je voudrais parler à un certain Cyril Bourgeois. Ne vous inquiétez pas, il est ici, dans le public.

— Pas de problème. Pouvez-vous simplement nous dire qui est cette personne ? Un parent ? Un ami ?

— Juste une connaissance. Il m’a contacté par Internet quand il a su que je participais à ce jeu. Depuis, je suis beaucoup moins bête et je compte en faire profiter un peu le public.


Pendant ce temps, un type était descendu des gradins et deux jeunes femmes l’aidèrent à monter sur la scène. Il s’installa dans le fauteuil et me fit un signe de tête. C’était le moment de vérité.


— Salut, Cyril. Ça va ? On peut y aller ?

— Allez-y, ça fait quelque temps que j’attends ça.

— Pourquoi m’avez-vous contacté ?

— Pour que vous sachiez que le traitement qu’on vous vend plus de quatre millions d’euros ne coûte pas si cher que ça à fabriquer.


Gros murmure dans la foule.


— Comment pouvez-vous dire ça ?

— Parce qu’il y a deux ans, j’ai vendu à Pastoglax un brevet pour la fabrication d’un purificateur utilisable sur Terre et qui permet de diviser le coût de production du vaccin par 10 000. Ce système a remplacé le précédent depuis un an. Mais il continue de le vendre très cher parce que cette émission génère de tels bénéfices qu’ils comptent d’abord exploiter le filon au maximum.


Robert ne put s’empêcher de nous interrompre.


— C’est n’importe quoi ! Vous osez porter atteinte à l’honneur d’une société qui sauve des millions de vie grâce aux nombreux médicaments que ses chercheurs inventent chaque jour.

— Est-il d’usage que la dernière épreuve soit interrompue par l’animateur ? demandai-je en feignant la surprise.

— C’est prévu dans le règlement si l’un des protagonistes profite de ces discussions pour se livrer à la calomnie. Ne pouvant mentir vous-même à cause de votre bracelet, vous vous servez de quelqu’un d’autre pour accomplir votre basse besogne !


Il était hors de lui, mais il venait de me tendre la perche que j’attendais.


— Cyril, accepteriez-vous de porter un bracelet de sincérité ?

— Aucun problème.


Je me tournai vers Robert qui avait la main collée à son oreille. Il était concentré puis ébaucha un petit sourire.


— Désolé, dit-il sans pouvoir cacher une pointe de satisfaction, chaque bracelet est programmé pour une personne précise. Il faut plusieurs heures pour cela, et nous ne disposons pas de ce temps. Si nous lui donnions un appareil de sincérité, il serait possible qu’il ne sonne pas si le mensonge est dit par un expert.


Je vis le visage de Cyril Bourgeois se décomposer. Ça tombait à l’eau. Je fixai la caméra et demeurai silencieux quelques secondes. Je me demandais bien comment ils avaient pu programmer mon bracelet sans que j’en fusse informé. J’avais encore quinze minutes. Je devais faire vite.


— Bien, Cyril, ce sera tout. Vous pouvez regagner votre place. Ne vous inquiétez pas, nous mettrons les preuves en ligne demain matin.


Le pauvre se leva, anéanti, et reprit place au milieu du public sous l’œil triomphant de Robert.


— Une autre personne ? demanda-t-il un brin moqueur. Un autre menteur ?

— Oui, vous !


Il devint livide.


— Co… Comment cela ?

— C’est bien simple, Robert. Je voudrais vous voir assis dans ce fauteuil et que nous bavardions un peu.


Je lus dans ses yeux un éclair de panique pure, mais il n’avait pas le choix. Il se força à sourire et prit un ton aimable.


— Comme vous voudrez, Arsène, fit-il en s’exécutant et en croisant théâtralement les jambes. Je suis tout à vous.

— Bien ! Robert, ce jeu est-il truqué ?

— Absolument pas ! Et permettez-moi de vous dire que je trouve vraiment votre attitude déplorable et mesquine. Seuls les tourments que vous procure votre maladie offrent quelques excuses à votre comportement inqualifiable de ce soir.


Je ne relevai pas. Je montrai un objet resté sur le pupitre de ma voisine de gauche qui avait disparu.


— J’ai ici le bracelet de sincérité de Sandrine. Voudriez-vous le passer à votre poignet et me redonner votre réponse ?


Il se leva d’un bond.


— Il n’en est pas question ! Je vous ai déjà dit que ce bracelet n’était pas fiable porté par une autre personne que celle pour qui il a été programmé.

— Non, Robert. Vous venez de nous dire que ce bracelet ne pourrait pas réussir à détecter le mensonge de quelqu’un doué pour cela. Vous ne risquez donc rien à le porter. De quoi donc auriez-vous peur ?


Je l’avais piégé. Il réfléchissait vite et surtout écoutait attentivement ce qui lui était dit dans l’oreillette.


— Soit, fit-il. En raison de mon profond respect pour ce jeu extraordinaire, j’accepte de porter ce bracelet et de répondre à vos propos insultants.


Je fis le déplacement et lui mis moi-même l’objet autour du poignet droit. Puis je regagnai mon pupitre. Il n’y avait plus un seul bruit dans le public.


— Commençons par tester l’engin, dites-moi un gros mensonge sur la couleur de vos cheveux qui sont d’un brun magnifique.

— Je suis blond.


Klaxon ! Le bruit fit sursauter l’animateur et une bonne partie des spectateurs du plateau 102. Le visage de Robert vira au gris.


— Mais dites-moi, m’exclamai-je faussement surpris, finalement, ça ne marche pas si mal que ça, ce bracelet ! Bien, je vous repose donc la question, ce jeu est-il truqué ?


Son regard n’était plus paniqué, il était désespéré. On allait maintenant voir s’il était un bon menteur. Je ne doute pas qu’il le fût dans des conditions prévues à l’avance, mais vu comment je l’avais asticoté, j’étais certain qu’il était au bord de l’implosion. Il suait, à grosses gouttes et sous les yeux de la France entière, il ferma les siens pour tenter de garder le contrôle de ses nerfs. Il les rouvrit et se lança dans le vide.


— Ce jeu n’a jamais été truqué.


Klaxon, bingo !

Robert Washington sauta du fauteuil et arracha le bracelet de son poignet. Dans la foule, certains commençaient à siffler.


— Tout ceci est ridicule. Le temps qui vous était imparti est terminé. Nous passons maintenant aux dernières secondes de vote.

— C’est faux ! hurlai-je, il me reste cinq minutes, vous n’avez pas le droit !


Le public hurla et conspua à son tour. Cette fois-ci, il était de mon côté. En professionnel, l’animateur leva les mains en l’air en signe d’apaisement.


— Mea culpa ! Excusez-moi, c’est une erreur. Il vous reste effectivement 3 minutes 45. C’est à vous.


Très vite, les bruits cessèrent. Ils voulaient tous savoir comment j’allais terminer monsieur Robert Washington, futur ex-animateur de télévision. Mais je n’avais plus beaucoup de temps et je devais encore gagner cette saloperie de jeu.


— J’aimerais maintenant parler à Jérôme, notre génie.


À nouveau, le silence fut de plomb. Le jeune homme marcha comme un automate jusqu’au fauteuil. J’attaquai aussitôt.


— Je n’ai pas beaucoup de temps aussi, je vous demande simplement de répondre par oui ou par non à deux petites questions.

— Je vous écoute, fit-il d’une voix qu’il voulait assurée, mais qui ne l’était pas tant que ça.

— Oui ou non, votre famille a-t-elle un lien quelconque de parenté, d’amitié, ou financier avec un des responsables de la chaîne ?


Il accusa le coup. Celle-là, il ne s’y attendait pas.


— Non !


Klaxon.


— Aïe ! Aïe ! Aïe ! Jérôme ! Vous venez de dire votre premier mensonge !


Je repensai à son signe de victoire sous le pupitre et je lançai mon dernier atout.


— Oui ou non, étiez-vous au courant que cette chaîne avait déjà organisé votre victoire en pipant les dés ? Je veux dire par là en sélectionnant des candidats ciblés et en établissant des questions ciblées.


Il était mort de trouille et restait silencieux. Jetant furtivement et successivement des regards désespérés à Washington et à la pendule dont les secondes s’égrenaient trop vite pour moi et trop lentement pour lui. Il fallait que je le bouscule un peu.


— Essaierais-tu de gagner du temps, petit ? Allez, réponds et montre que tu es un homme.


Il fut saisi d’un frisson et se redressa dans le fauteuil en me fixant d’un air de défi.


— Non, je ne suis au courant de rien de tout cela.


Le bruit de klaxon résonna comme un glas. Je me tournai vers un Washington effondré par le désastre


— Je crois que notre Jérôme vient d’être pris en flagrant délit de mensonge deux fois de suite. D’après le règlement, il me semble bien qu’il doit être éliminé. Je suis par conséquent le seul candidat encore en lice et donc le gagnant.


La foule explosa.


Il me faudrait tout un roman pour raconter la suite. L’envahissement du plateau, le bordel indescriptible et finalement la coupure de faisceau qui scandalisa encore plus la France entière.

La firme Pastoglax essaya de gagner du temps pour ne pas me donner le vaccin. Elle aurait bien voulu que je meure avant. Mais sous la pression médiatique, les dirigeants qui n’étaient pas encore derrière les barreaux finirent par céder. Ils ne pouvaient pas me tuer, pas tout de suite. J’étais beaucoup trop sous les feux des projecteurs. De cette fin de jeu, je garde le souvenir d’une main qui se posa sur mon épaule dans la confusion ambiante. Je me retournai pour voir une Géraldine qui me sauta au cou.


— Vous avez fait fort ! Quand vous voulez impressionner une femme, vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère !


Je fis une grimace en sentant ma vertèbre pourrie sur le point de céder, mais parvins tout de même à lui sourire.


— Alors, ça veut dire que vous m’aimez un peu ?


Elle enleva le bracelet de mon poignet et le glissa sur le sien.


— À la folie ! cria-t-elle en m’embrassant avec fougue.


Aucun bruit de klaxon ne tinta à nos oreilles.


L'ingénieur Cyril Bourgeois s'est suicidé quatre mois plus tard.

Ils auront probablement ma peau, un jour ou l’autre, quand ils m’auront tous oublié. Mais, j’aurai gagné un peu de temps.

Le temps de découvrir le corps de Géraldine.

Le temps peut-être de lui faire un enfant.

Le temps surtout de profiter de mon âme, celle que j’ai récupérée un jour, en décembre.


 
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   Jean-Claude   
29/9/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour.

Franchement, vu le sujet, j'ai eu peur des longueurs. Il y en a peut-être eu, mais elle ne m'ont pas gênées. Mon appréciation est claire sur ce point. Bien rythmé, bien mené. Bonnes critiques et caricatures.

Je trouve que le physique du patron de l'industrie pharmaceutique est un peu trop dans l'imagerie rétro et qu'un tel jeu avait plus de chance de naître ailleurs qu'en France.

Et il fallait que je trouve un détail (s'il y en a d'autres, j'ai zappé) : "Je ne sais plus qui disait que pour ne pas être impressionné par quelqu'un, il suffit de l’imaginer sur ses toilettes"

Au plaisir de vous (re)lire

   Anonyme   
3/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L'idée n'est pas vraiment originale, d'exposer les travers et les hypocrisies de notre société archi-consommatrice de médias par la présentation d'un jeu télévisé à peine caricatural. J'imagine très bien une émission de ce tonneau, n'a-t-on pas vu il y a quelques années un autre jeu où les candidats devaient réussir diverses épreuves pour que la chaîne verse de l'argent à une bonne cause dont on nous montrait, en cas de succès, un possible bénéficiaire bien attendrissant ? Là, simplement, l'intermédiaire est supprimé et le cynisme manipulateur se dévoile un peu plus crûment que d'ordinaire.

L'histoire m'a paru bien imaginée, bien construite, les péripéties vives et logiques. Je regrette que la longueur de votre texte risque à elle seule de décourager une partie des lecteurs d'Oniris ; elle n'a rien d'excessif à mon goût, pour tout dire à mesure que j'avançais j'avais de plus en plus envie de savoir ce qu'il allait se passer. De ce point de vue, je trouve que vous avez fort bien réussi. J'aurai toutefois un bémol sur le fait de transformer un récit montrant toute l'abjection écrasante de la société face à l'individu en une success-story où l'on assiste à la victoire dudit individu (même si cette victoire a toutes les chances, c'est dit, de se révéler éphémère) ; mais bon, c'est votre choix.

L'écriture m'a paru par moments (au début du texte si je me souviens bien) un peu chargée, comme ici :
payer un traitement qui pourtant est le seul qui leur permettrait de poursuivre une vie qui
Ensuite, cela s'est arrangé pour moi, soit parce que j'étais prise par l'histoire, soit parce qu'effectivement, après un "temps de chauffe", votre voix s'est éclaircie.

Ah oui, et bien vu, je trouve, les mêmes patronymes de gens célèbres qui ressortent dans cette vision de l'avenir ! Une manière élégante d'exprimer que les people resteront les people et formeront leurs dynasties, coupés des gens ordinaires...

   Asrya   
3/10/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un style d'écriture et un panache qui me rappelle quelqu'un ; en tout cas, j'ai beaucoup, beaucoup apprécié l'histoire.
L'écriture est rudement maîtrisé, le rythme du récit est parfaitement agencé, les dialogues sont percutants, les délires bien transcrits ; on sent petit à petit l'ambiance se modifier, chez votre personnage, chez le présentateur, chez le public ; tous.

Elle est un peu longue et peut dissuader à la lecture, mais je ne pourrais qu'encourager les lecteurs potentiels à s'abandonner dans cette nouvelle afin de passer un bon moment.

Bien que la chute soit un peu prévisible (et ce sera mon seul bémol), le scénario, la trame, l'ensemble est extrêmement bien ficelé, bien détaillé, bien orchestré : bravo.

On voit l'ensemble des scènes à la lecture, c'est très visuel, on sent l'ambiance du plateau, de votre personnage, des autres candidats, de la maquilleuse et du présentateur. On sent un tout qui sonne vrai derrière tout ce faux que vous narguez d'humanisme.

Derrière, évidemment, une grosse critique de la société, du fric et de certains passes droits obtenus, on ne sait par quelle faveur divine, par des privilégiés. Tout se ressent, peut-être est-ce trop d'ailleurs et que cela manque de subtilité.
Peut-être était-ce trop difficile de déguiser ce que vous souhaitez faire passer comme message, peut-être que vous auriez pris le risque de ne pas capter le lecteur, je ne sais pas, quoi qu'il en soit, je pense que le côté "héros", "sauveur de l'intégrité de chacun" de votre personnage aurait pu être plus discret, en tout cas, moins affirmé, moins assuré et être davantage disséminé en filigrane.

J'ai beaucoup aimé les échanges entre la maquilleuse et votre personnage principal ; ils sonnaient doux, tendres et beaux, on ne peut le nier. Improbable certainement, mais dans votre contexte, peu importe !
Le dernier paragraphe, "le temps de découvrir le corps de Géraldine" est à prendre avec un bonheur démesuré.
J'avais probablement besoin d'un tel écrit aujourd'hui,
Un grand merci.

J'ai pris un grand plaisir à vous lire et espère que votre texte sera sélectionné, au quel cas, sachez que j'ai passé un très bon moment,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Tadiou   
3/10/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
(Lu et commenté en EL)

Une nouvelle de plus de 70 000 caractères en ligne, il fallait oser !!

J’ai tout lu d’une traite, happé par le suspense avec une superbe
maîtrise de l’écriture qui démonte la machination lentement, progressivement,méthodiquement et inexorablement.

L’attitude de Géraldine est totalement inattendue quand elle se glisse à quatre pattes la première fois pour coller un patch à Arsène.
Puis se dessine doucement une certaine histoire d’amour.

Le fond est horriblement sordide. J’ai des réminiscences de description analogue de jeux-télé cruels et totalement truqués dans deux films (noms non en tête).

Ici la force de l’écriture permet une solide narration totalement accaparante et envoûtante.

Belle dénonciation de la crapulerie de certains médias, fictifs ou non.

Bravo !

Tadiou

   Anonyme   
24/10/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bravo
L'atmosphère de cette histoire me fait penser à deux films "Le prix du danger" et "Masques", il y a du suspens, des moments jubilatoires, une critique juste de cette société du spectacle abrutissant la masse, du pouvoir invraisemblable de l'industrie pharmaco chimique, grand plaisir à la lecture de ce qui pourrait être un super film....

   Anonyme   
24/10/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Thimul,

Je viens de passer un excellent moment de lecture. Long et bon. L’haleine tenue de bout en bout avec beaucoup de plaisir. A vrai dire, je me trouvais en train de regarder un film, tant vos possédez l'art de la narration.

Tout y a contribué. En vrac, l’écriture maîtrisée, le suspens, l’histoire bien menée, l’intrigue intéressante, la psychologie des rouages d’une telle entreprise rondement cernée et biensûr, la romance qui se dessine en toile de fond entre Géraldine et Arsène. J’adore les histoires d’amour !

Bref, tout se tient et l’attention monte crescendo et sans relâche.

Le côté SF du jeu télé donne des sueurs froides. En 2017, nous n’en sommes pas si loin. Cela participe au fait d’immerger encore mieux le lecteur dans une réalité imprégnée d’une forte vraisemblance.

C’est donc un passionnément +, pour votre talent sans faute d’auteur, ainsi que pour votre belle imagination qui tient la distance.


Cat, admirative

   plumette   
24/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
histoire haletante!
j'avais un stylo pour prendre quelques notes de lecture mais j'étais tellement prise par ce récit que j'ai arrêté de m'en servir après 3 ou 4 pages.
j'ai relevé des broutilles comme le mot "bon" pour l'inscription au jeu que j'aurais plutôt nommé " bulletin", comme le fait que vous évoquez un logiciel d'apitoiement sans rien en dire ( je trouve que l'idée est bonne) ou encore par cette idée qui m'a parue scientifiquement contestable qu'un vaccin peut conduire à la guérison?
Mais quel brio dans ce récit! c'est très visuel,la tension monte pour le lecteur en même temps qu'elle monte pour Robert.
Je ne vous cache pas que j'ai eu au début un mouvement de recul ne sachant pas trop comment accueillir cette histoire qui peut être reçue comme atrocement cynique et puis, j'ai pris de la distance avec la réalité du cancer et j'ai pu apprécier toutes les trouvailles et l'imagination qu'il a fallu déployer pour que ce texte tienne la route de bout en bout.

Bravo!

Plumette

   GillesP   
24/10/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Génial! Je viens de finir votre nouvelle et c'est le mot qui me vient, à chaud, sans analyse. Et je n'ai envie d'en faire aucune, en ce moment. Je sais simplement que j'ai été happé par votre récit, de bout en bout. Tout se tient, tout est fait pour maintenir le lecteur en haleine, rien n'achoppe à la lecture. On s'attache très vite au héros, on déteste tout aussi rapidement l'animateur, acteur principal d'un monde qui fait froid dans le dos, mais auquel on croit car le cynisme larvé de notre société peut très bien devenir la dystopie que vous décrivez.
Bravo. J'ai adoré.
Au plaisir de vous relire, vraiment.
GillesP

   Alexan   
24/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Superbe !
Quelle démonstration ! et quel cynisme dénonciateur !
Certes le sujet n’est pas ultra original, et on ne peut s’empêcher de noter quelques descriptions ou propos légèrement clichés, mais cela n’empêche que c’est une intéressante critique de notre époque.
J’avoue qu’au début, malgré le titre, je ne m’attendais pas du tout à cela. J’ai été captivé par la bonne humeur de l’écriture que je trouve dynamique et entrainante. Et, j’ai doucement commencé a me douter de quelque chose.... Surtout à partir de la description du candidat qui, tout comme le narrateur, est chauve. Ce détail m’a en effet mis sur la voie, jusqu’au fameux : « Cancer ! »
Les questions et réponses nous permettent de découvrir cet environnement du futur, avec quelques petits clins d’œil amusants.
La maquilleuse complice apporte beaucoup à cette histoire, et j’ai bien aimé les échanges entre elle est le narrateur ; ce même narrateur que l’on decouvrait tout d’abord maladroit angoissé, et qui évolue au fur et à mesure que l’histoire avance, en devenant désinvolte séducteur, avant de finir en triomphe !
J’ai beaucoup aimé cette phrase qui résume bien son état d’esprit:
« La peur que j’éprouvais au début du jeu m’avait quitté, et j’étais au contraire traversé par le désir sauvage de foutre un bordel monstre. »
J’adore.
Et par la suite, j’ai trouvé la révélation du traquenard impeccablement amenée.
Un excellent moment.

   widjet   
25/10/2017
 a aimé ce texte 
Pas
Waow.


C’est donc ça le texte qui a récolté 5 plumes ? Sans déconner ?


Sérieusement, je commence vraiment à croire que je suis un lecteur à part sur Oniris. 

Je le dis comme je le pense.
 Je suis a-ba-sour-di, groggy. 

Désolé, mais je vais être très sévère (sur le texte, ma critique ne concerne en rien l’auteur) et particulièrement compte tenu de l’engouement suscité. Vraiment. OK, on ne critique pas les avis, c’est normal, mais franchement, j’estime être un lecteur qui mérite mieux que ça.

J'ai trop lu, trop vu, de textes, de films qui secouent vraiment pour m'émouvoir d'un machin aussi mollasson.

Oui, oui, bien mieux.


J’avais écrit un texte similaire (Risque et Périls) sur le même sujet, y a quelques années.
Oui, je sais, je parle de moi, mais c’est l’effet que ça m’a fait quand j’ai lu texte, j’ai pensé au mien en me disant que j’avais fait autrement mieux alors que mon texte était à peine correct.



Bref, parlons de celui-là.



Pour une immersion réussie surtout pour un jeu télévisé façon Prix du Danger (ou Running man pour la version US) il faut une ambiance. Ici, c’est simple, y’en a pas. Elle se résume à des murmures du public, des applaudissements et des « ohhhh »…Cela semble à suffire à beaucoup.

Pas à moi. 


Aucune description du décorum. 

Aucune description sur l’état des malades en phase terminale.

Aucun effort pour plonger le lecteur dans ce show.


("show du siècle" d'après l'incipit)

En parlant de show, vous vous êtes senti dans un show ? Au coeur du spectacle ? Sérieusement ?
 Pas moi, pas une seconde. Quoi de plus normal : l’auteur n’a élaboré aucune mise en scène !
Il est question d’une émission, mais y’a zéro mouvement de caméra (pas de zoom, pas de plan, pas d’effets….)

Tout est désespérément statique. Silencieux. Éteint.


En matière de mise en scène, moi, j’appelle ça de la paresse. Oui, de la paresse. 
Et ici, elle est criante et colossale.

 (quant aux dialogues, nom de dieu, sonnent tellement faux avec des expressions poussiéreuses)

Alors, je vois pas comment être mal à l’aise, comment se sentir oppressé quand il n’y a RIEN pour vous faire plonger (ni même imaginer) dans l’arène. 



L’auteur a clairement décidé de choquer en capitalisant sur…les dialogues (70% du texte).

Et quels dialogues ! D’une indigence rare ! 
Quel irrévérence dans le trash !
Quelle mièvrerie dans le sentimental ! (j’ai même honte de citer les exemples).

C’est bavard, bavard, bavard pour dire.... rien. Rien qui effraye, qui glace, qui fasse rire (même jaune).



Les épreuves ?
Des questions (oui car si vous cherchiez de l'action comme le Orix du Danger faut oublier ! Sauvez moi c'est plus Question pour un Champion pour mal portants)

Enfin, ce qui m’a gêné, c’est que ça colle pas en terme de cohérence comportementale.
Je m’explique.
Le jeu, le concept abject du jeu laisserait supposer que les gens (habitués) aient des comportements extrêmes, mais en adéquation (soit froideur clinique soit exubérance).
Mais non, ils (le public ou la maquilleuse) agissent émotionnellement comme nous le ferions aujourd’hui, quais normalement. Ce décalage nuit en plus à la crédibilité.



L’humour ? Une catastrophe, un tsunami de dénonciations à la sauce tiédasse (je m’attendais au moins en guise d'intermèdes à des pubs irrévérencieuses, que tchi). Il ne sauve pas l’ensemble, il l’achève : il est réchauffé, fossilisé, has-been au possible.

L’audace, le risque, la cruauté (alors que le thème l’est) sont inexistants. 



En revanche, c’est bien de la SF.
Mais… à l’envers. Un genre de futur…. TRES antérieur !



Sauvez moi est un texte en tous points neurasthénique.
La critique sociale est grossièrement traitée (mais paradoxalement sans grossiéretés).
L'histoire d'amour collerait un infarctus à Barbra Cartland.

L'auteur a peut-être mis du temps à l'écrire, mais moi je constate que l'écriture est d'une pauvreté stylistique. On frise l'anémie.

Le texte a 5 plumes et je ne veux surtout pas changer ça.
C'est trop rare (pour les nouvelles en tout cas).
Je n’évalue pas.



Désolé Thimul.
Je suis méga dur, je le sais, mais je suis en colère, t'imagine pas.



W
(consterné)


   Zorino   
25/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Thimul,
Je me suis de suite dit : plus de 70.000 caractères ! En faisant de nombreuses pauses, j'en ai au moins pour la journée à la lire.
Et bien non, je l'ai lu d'une traite et je n'ai pas vu l'heure passer.
J'ai tout apprécié. L'histoire, l'écriture, l'humour, l'histoire d'amour, le final.
Votre nouvelle m'a fait penser à 2 films :
"Le prix du danger" avec Piccoli et Lanvin
- "Les secrets professionnels du Docteur Apfelglück", la scène du jeu télévisé avec Chabat et Giraud
Franchement, vous devriez l'élaborer et en faire un scénario. Je suis certain que ça pourrait donner un bon film.
Merci pour le partage

   Alcirion   
25/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Thimul et bravo pour ce texte.

Comme d'autres commentateurs, j'ai pensé au Prix du danger (je l'ai vu gamin et ça m'avait impressionné). Ton texte a une ligne générale différente, en prophétisant ce que pourrait devenir la téléréalité. Je trouve l'option assez réaliste vu le décrépissement éthique et l'abrutissement général produit par les mœurs libérales : tout ce qui produit un bénéfice est envisageable, y compris dans le domaine de la santé (vente d'organes, procréation pour autrui...).

Les personnages sont crédibles et les détails bien ficelés. Tu sais mettre en forme ton imagination en quelque sorte, puisque la structure de la nouvelle est très cohérente. Le texte est très vivant, facile à lire et tient bien la longueur (pas si évident que ça à l'écran.)
Je me sens proche de ta philosophie de l'écriture qui s'applique particulièrement à l'imaginaire : concevoir d'abord une bonne histoire à suspens.

A te relire.

   Louison   
27/10/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
J'ai trouvé que c'était long (trop) et que ça manquait de descriptions. On est sur un plateau de télé mais on pourrait être n'importe où. A part les maquilleuses, je ne voit rien du plateau télé.

Murmure dans la foule.
Nouveau murmure impressionné dans la foule.
Silence dans la salle.
Salves d’applaudissements.

Cette façon courte de montrer l'ambiance sans la décrire m'a semblé un peu facile.

Quant à la fin, on la sent venir de très loin.

J'aime tellement vos écrits habituels que je me sens lésée sur ce texte.

   Shepard   
25/10/2017
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour Thimul,

Avec ce texte je pense que avez eu le mérite de générer des lectures de personnes qui ne lisent usuellement pas ce genre d'histoire (ni de cette longueur), ce qui est en soit une belle réussite. Je pense que vous avez su instaurer un très bon rythme dans votre écriture, sans fioritures (peut-être même pas assez diront d'autres) – mais malheureusement, pour moi, ça s'arrête là. Les jeux télévisés malsains, que ça soit la chasse à l'homme en direct ou le combat pour la survie, j'en ai lu/vu un paquet de fois (difficile d'inventer de nos jours, je suis d'accord... et ce n'est pas le problème). Maintenant, tout dépend du traitement et des personnages. Dans l'ensemble ce n'est pas assez trash, trop lisse, pas assez terrifiant, pas assez viscéral... La faute à mon avis à cette fin trop 'happy'. J'espérais tant un système qui l'emporte, possiblement exposé au lecteur, mais sans conséquence pour l'histoire, broyant le personnage en direct (le public devrait être si dégénéré et malsain qu'on ne comprend pas pourquoi il se trouve choquant que l'émission soit truquée – le but n'est-il pas de se régaler de l'absurde souffrance des candidats ?). Comment le vieux requin de la télé accepte t-il seulement de passer ce fameux bracelet et n’étouffe pas proprement l'affaire en disqualifiant le candidat (pour une quelconque raison), c'est un gourou qui s'adresse à une foule de fidèles sanguinaires après tout, voilà l'ambiance que je n'ai pas trouvé dans le texte – la folie pure et simple des personnages. En fond, une romance que j'ai trouvé déplacé avec cette maquilleuse beaucoup trop humaine compte tenu de la situation, on s'imaginerait plutôt un personnage aux sentiments morts depuis longtemps autrement je doute qu'elle ne supporte plus d'une seule émission. La résolution elle-même est un peu pratique avec les infos sur la tricherie qui arrive en direct, un 'godsent' pour permettre au personnage de l'emporter. En résumé, pour moi, le tout manque vraiment de noirceur – dommage vu le sujet...

Détail... Parce que ce n'est pas le point de l'histoire... Mais purification de vaccin en apesanteur ???? La gravité n'a rien à faire avec la purification de n'importe quel composé. Je pense que vous n'auriez pas du évoquer ce genre de détails techniques (pas utile pour l'histoire) qui vont juste faire rigoler un possible publique connaissant les sciences médicales.

A vous relire parce que vous savez faire accrocher et que je ne me suis quand même pas ennuyé, juste pas emballé du tout et j'ai plutôt eu un grincement de dents que ressenti l'horreur psychologique.

   Cairote   
25/10/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Le texte est bien construit et ne manque pas de trouvailles ingénieuses, mais j’ai été assez déçu par le peu de vraisemblance de certains passages, et par le côté un peu naïf « bons contre méchants », « feel good », de toute la nouvelle. Le style me semble un peu terne aussi. Ceci dit, j’ai quand même lu jusqu’au bout…

   Anonyme   
26/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Prenant. Une chronologie rationnelle du récit. Clair. On aurait pu se perdre dans cette réalité à peine romancée.
Je pense à ce scandale qui émerge, ralenti entre autres par l'Ordre des Médecins : La maladie de Lyme.
Le bracelet de vérité ne sera pas nécessaire devant l'ampleur des dégâts.

Si pour me museler ils ont des camisoles
Et pouvoir absolu de me tordre le cou
Ne croyez un instant qu'à ce point je sois fou
Pour inventer, ainsi, de telles fariboles.

   trevorReznik   
29/10/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Comme certains l'ont souligné, le sujet n'est pas forcément le plus original du monde : mais ça n'est pas parce que j'ai déjà lu Running Man (un exemple parmi d'autres) que je ne peux pas apprécier Sauvez-moi. Sinon j'arrêterais de regarder des westerns parce que j'ai vu Le bon, la brute et le truand.
Cette dénonciation contre les dérives des médias m'a semblé parfois un peu facile, certaines réactions de personnages peu crédibles (l'animateur qui accepte de mettre le bracelet ?) mais en même temps, j'adhère totalement au propos, donc je finis par ne retenir que les qualités de votre nouvelle : elle est très bien structurée (ça se lit d'une traite), et très "cinématographique" (malgré peu de détails, on visualise facilement certaine scènes).
Merci pour cette lecture.

   Mokhtar   
5/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Autant je peux apprécier les longueurs descriptives des romans de Balzac, autant, pour la nouvelle, j’apprécie plus particulièrement la brièveté, la concision, la précision au service de la préparation de la chute.
C’est donc persuadé d’un abandon probable en cours de route que j’ai entamé le pensum.
Et je n’ai pas décollé le nez de mon écran, pris au piège, comme lors de l’assujettissement à un bon polar. Et c’est bien là pour moi le critère qualitatif premier d’une bonne nouvelle : qu’on ne puisse s’en détacher.
Après on peut gloser, notamment après une deuxième lecture. (Mais le genre n’exclut-il pas une seconde lecture ?). On trouvera très certainement quelques invraisemblances, quelques redondances.
Mais il reste que la satyre acerbe de la téléréalité et des présentateurs « gourous » d’assemblées subjuguées sonne vrai. L’impudeur du thème du jeu flirte hélas avec le vraisemblable. La mise en spectacle des misères humaines fait de plus en plus recette.
Plus vrai que vrai, c’est l’art de la caricature, dont on doit s’accommoder des nécessaires excès. L’auteur a fait le job.
S’adonner à ce genre de texte nécessite plus d’être d’une humeur « bon public » que « pinailleur ». C’était mon cas et je ne le regrette pas.
Merci et bravo.
NOTA : Pour l'épilogue, j'aurais précisé : On retrouva l'éditeur Cyril Bourgeois "suicidé" quatre mois plus tard.

   Anonyme   
16/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Antenne dans une minute!
Dès les premières phrases de cette nouvelle, j'étais intrigué, ma curiosité titillée, mes sens éveillés! Je me demandais, mais, qu'est-ce qu'il va nous pondre-là!
Et je n'ai pu que me laisser glisser au fil des paragraphes au coeur de l'ambiance et de l'univers que tu nous livres là! Le thème, très original, aurait en effet pu très bien souffrir de longueurs et à première vue, on pourrait se demander ce qui en ressortirait! Mais le rythme est parfaitement maîtrisé, pour nous proposer un texte plein de suspens, certes long, mais qui se lit d'une seule traite, tant on veut connaître le dénouement des aventures de ce personnage à la fois antipathique et attachant!
Même cet amour soudain naissant est bien retranscrit et coule sans accrocs!
J'ai beaucoup aimé, ce que j'ai lu!

   matcauth   
29/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je m'arrête donc sur ce texte qui a suscité chez moi un mélange de ce qu'il a suscité chez les autres : d'une part, le côté caricature de notre société, vraie et qui fait peur. Le tout sur un ton enlevé.

D'autre part, le reproche du côté manichéen, le côté improbable d'un jeu qui, réaliste, serait impossible à remettre en cause.

Le plus important, pour moi, est effectivement le côté vivant de ce texte, que l'on pourrait presque utiliser comme scénario, à condition d'en savoir plus sur le contexte, qu'on se représente assez mal finalement. Mais il y a beaucoup d'inventivité, les ficelles utilisées par le héros sont faciles, irréalistes, mais néanmoins pleines d'imagination.

C'est ce que je retiendrai le plus ici, ce côté riche d'un travail d'inventivité, ce qui n'est pas le plus facile. D'autant que c'est rare, dans les nouvelles que je peux lire.

Votre texte présente des qualités assez rares, celles de faire vivre plusieurs personnages sans pause, sans souffler, avec des rebondissements, un suspense intéressant, c'est un travail ardu qui est réussi ici, et c'est le plus important.

   jfmoods   
27/11/2018
Je suis un peu dérouté par ce passage...

"je n’étais de plus en plus sûr de rien."

J'ai du mal à comprendre comment la négation catégorique (n'... de rien") peut s'acoquiner syntaxiquement avec l'idée de progression temporelle ("... étais de plus en plus"). Il me semble beaucoup plus idiomatique de faire disparaître la locution adverbiale "de plus en plus" et d'exprimer par un verbe l'idée de progression temporelle...

"je finissais par n'être plus sûr de rien."

Par son aspect caricatural, cette nouvelle ouvre une très intéressante réflexion sur les dérives de la télé-réalité.

I) Un jeu télévisé post-moderne

1) Le choix de l'obscénité radicale

Utilisant le cancer comme un fonds de commerce ordinaire, "Sauvez-moi !" donne au public un droit de vie et de mort sur les malades. Ce concept, cynique et à la logique purement comptable ("55 euros par appel, dont 1 euro, oui je dis bien 1 euro sera reversé aux orphelins de la terrible grippe lunaire"), est présenté sous un jour héroïque ("Une émission qui, une fois de plus, va transformer la vie d’un de nos concitoyens et lui permettre de triompher de son ennemi mortel.").

2) Un évangéliste très médiatique

Tel le puissant gourou d'une secte, Robert Washington, figure emblématique de la modernité triomphante ("Le plus célèbre animateur télévisé du pays, l’homme qui avait créé l’émission regardée tous les mois par plus de trente millions de Français"), entame son prêche devant son parterre habituel de fidèles décérébrés ("Il écarta les bras, comme s’il apportait la bonne parole, et commença le sempiternel discours qu’il dispensait toujours en début de jeu.").

II) Une équipe de choc

1) Un candidat diminué mais déterminé

Au fil de la première partie de la nouvelle, Arsène laisse planer un certain suspens en faisant comprendre au lecteur qu'il a un atout dans sa poche pour venir à bout de ses coriaces adversaires ("Même si je n’avais pas toutes les chances, il me restait encore quelques belles cartes. Et même une dernière que j’avais dans ma manche sans trop savoir si, ni comment, j’allais l’utiliser.", "- Ne vous inquiétez pas, j’ai un plan.", "Le temps de gagner et je suis tout à vous").

2) Une alliée providentielle

La maquilleuse n'est pas indifférente au charme d'Arsène. En effet, si elle semble, au début, lui montrer un brin de mépris ("Mais après tout, vous avez choisi.", "De vendre votre âme."), elle s'inquiète bientôt pour lui ("- Vous cherchez à vous suicider ? demanda-t-elle.", "- Ça ne va pas ?"). Elle lui porte secours au moment le plus critique ("-Alors, ça tient ? demanda-t-elle.") et finira même par l'aider à répondre aux questions. Arsène va également être séduit par la jeune femme.

III) Un plastiquage en règle

1) Une tractation impossible

Voyant qu'Arsène menace de dynamiter l'émission, les organisateurs lui proposent une transaction ("- Je suis envoyée pour vous proposer un compromis.", "La maquilleuse ne vous a pas transmis le message ? Bon sang, on peut vous sauver la peau si vous arrêtez de foutre le bordel !"), mais notre homme demeure méfiant ("- Et qu’est-ce qui m’assure que je ne vais pas avoir un stupide accident dans quelques jours ? Vous savez, des freins qui lâchent, des trucs comme ça ?").

2) La vérité ou la mort

Arsène n'a plus d'autre alternative, pour espérer survivre, que de gagner le jeu tout en le démystifiant. Pour cela, il va obliger Robert à reconnaître le trucage de l'émission et dévoiler la connivence éhontée de Jérôme avec les organisateurs ("- Je crois que notre Jérôme vient d’être pris en flagrant délit de mensonge deux fois de suite. D’après le règlement, il me semble bien qu’il doit être éliminé. Je suis par conséquent le seul candidat encore en lice et donc le gagnant.").

Merci pour ce partage !

   Pierresavean   
22/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une nouvelle qui fonctionne bien, une narration assez classique mais efficace.
Ca aurait pu aller plus loin dans l'indécence et la cruauté du jeu télévisé, l'hypocrisie du commentateur et du public, dans l'humour noir qu'on devine et qui fonctionne mais qui ne prend jamais le pas sur l'aventure, et le suspense.
Le saut dans le registre de l'improbable, voire de l'impossible, qu'ont souligné d'autres commentateurs (un sabotage d'émission en direct, sans que personne n'intervienne, un animateur vedette et ultra-puissant qui se prête au jeu dangereux d'un quidam, enfin l'effondrement complet d'une immense entreprise pharmaco-médiatique et de ses dirigeant sur la base de l'action d'un seul individu dans une émission) aurait peut-être semblé plus acceptable si la satire était plus évidente à la lecture, et si le ton se voulait moins réaliste, moins "aventure palpitante"...
La bluette avec la maquilleuse, improbable et vaguement macho (bonjour les techniques de dragues...) enlève aussi un peu de violence au dispositif, en lui donnant un aspect un peu hollywoodien, sans forcément apporter grand chose.
Le langage télévisuel pourrait être plus étudié et plus précis (j'ai l'impression que certaines expressions font un peu vieillies...) ainsi que le dispositif en tant que tel: les panneaux pour indiquer au public les moments où applaudir, les moments où crier... Les caméras qui choisissent ou non de filmer quelque chose sur un plateau... Le service d'ordre qui encadre tout ça...
La vision du complot oligarchique est également un peu caricaturale et surtout incohérente: dans le cadre d'une société ultra-capitaliste comme on la devine, il est probable qu'une famille comme celle de Jérôme,capable de manipuler un jeu télévisé de grande ampleur, a aussi les moyens de payer ou d'obtenir le fameux traitement, fut-il mirobolant... Ou bien c'est un traitement qu'absolument personne ne peut se payer. Peut-être eût-il été intéressant de proposer une manipulation plus réaliste et plus proche de la télé d'aujourd'hui: on sélectionne des candidats pour avoir une histoire sexy à raconter, avec les gagnants prévus, les faire-valoir et les antagonistes, comme on écrirait un scénario ou une nouvelle.
Finalement, l'intérêt du lecteur est surtout tenu en haleine par les propos du personnage principal, brillant, habile, intelligent, anticonformiste, et qui sait prendre à contre-pied ses interlocuteurs. Le côté vengeur de la parole marche à plein. Ça, c'est magnifiquement écrit.
Merci pour cette lecture,
PS

   cherbiacuespe   
28/4/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime beaucoup
Par tous les saints, quelle histoire, quelle maestria, quelle malice... Stop, j'arrête là. Mon enthousiasme me mènerait trop loin. J'adhère des deux mains et des deux pieds. La forme est quelquefois déroutante, mais pardon, le fond est tellement réussi que c'en est dérisoire, anecdotique. Je plussois vaillamment!


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