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Réalisme/Historique
Tiramisu : Craquement
 Publié le 05/04/20  -  10 commentaires  -  29901 caractères  -  104 lectures    Autres textes du même auteur

Histoire inspirée de faits réels.

« … Je veux être utile à vivre et à rêver… »
Chanson : Utile. Paroles d'Étienne Roda Gil – Musique de Julien Clerc


Craquement


D’un coup d’épaule, je pousse la porte, trois enjambées étirent ma jupe droite, je lance mes documents, ils glissent sur le bureau. Les chemises colorées et les papiers noircis par des heures à l’ordinateur s’étalent en éventail et s’écrasent en bout de piste contre des dossiers soigneusement empilés. Les strates de papiers enchevêtrés s’effondrent et basculent dans le vide, se répandent sur le sol en une marée sale. L’effet m’apaise. Mon sac à main me tend ses anses. Il est dix heures du matin. Je m’en vais.


+++


De l’herbe fraîche sous mes pieds déchaussés, mon regard planté dans le ciel azur zébré de fins nuages blancs, je serre les poings.

Le square parisien est désert. Normal, à cette heure-ci, tout le monde bosse. Combien de fois ai-je traversé cet espace vert pour aller du métro au boulot et du boulot au métro ? Platane, marronnier, catalpa, désolée, je n’ai jamais levé les yeux vers vous ! Vous avez été témoins de cette petite fourmi besogneuse qui passe et repasse sous vos ramures. Toujours la tête tournée vers le sol, toujours occupée par des objectifs à atteindre, des problèmes à résoudre, et des urgences à régler, sur fond de peur de mal faire ou de ne pas faire assez ! Un pigeon se saisit d’une miette et s’envole, je le suis des yeux. Mais qu’est ce que j’ai fait ? Comment en suis-je arrivée là ? Moi, si engagée, si consciencieuse, si loyale vis-à-vis de mon entreprise. Je ferme les paupières.


+++


Je me souviens…


C’est lors d’une réunion mensuelle avec mon hiérarchique que tout a commencé, je crois. Comme souvent, Paul Casta, DRH, a changé trois fois notre heure de rendez-vous, et a fini par trouver un créneau à dix-neuf heures passées, ce qui m’a contrainte d’annuler un dîner.


Je rentre dans son bureau, je le salue et évite désormais de lui serrer la main car la première fois où nous avons été présentés, il a broyé la mienne. En revanche, je suis attentive à le regarder bien en face avec un grand sourire. Une fois, il m’a demandé machinalement si ça allait, j’ai eu le malheur d’esquisser une grimace, je commençais à souffrir du rythme et de la charge de travail qu’il m’imposait. Il s’est fâché en me disant que ce n’était pas une manière de répondre. Je n’ai rien osé répliquer.


Assise à sa table ronde, face à lui, j’admire sa cravate violette qui tranche sur sa chemise blanche. Il porte des vêtements coûteux qui le mettent parfaitement en valeur. Sa main sèche et nerveuse passe dans ce qui lui reste de cheveux tout en lisant ses notes. Il me montre son côté pile, le moins joli. Le bas de son visage est plissé sur son menton. L’espace de peau entre les narines est distendu. L’affaissement général de sa figure donne l’impression d’un homme chagrin et mécontent. Il lève son visage vers moi et me montre son côté face. Il est rayonnant. Ses yeux verts me saisissent et ne me lâchent plus. Pas question de détourner le mien sous peine d’être soupçonnée d’avoir quelque chose à cacher. Ses traits se lissent sous le port de tête droit et fier. Le menton apparaît volontaire et conquérant. Du haut de mes vingt-quatre ans, je n’ai jamais rencontré un visage aussi duel.


– Élodie, nous avons du pain sur la planche ! Vous allez devenir mon adjointe et prendre en charge le projet de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, dit-il avec un large sourire.


Une grande bouffée de plaisir m’envahit. Depuis son arrivée, un an auparavant, Paul Casta me fixe de nombreux objectifs bien éloignés de mon poste de chargée de recrutement. Il m’arrive de saturer mais la motivation reste toujours la plus forte. Enfin, j’ai un vrai job en lien avec mon master RH, plus rien à voir avec les stages et les petits boulots passés. Travailler avec lui m’apprend beaucoup, j’adore découvrir de nouveaux sujets, je ne supporte pas la routine, et je compte bien devenir DRH dans dix ou vingt ans. En suivant ses traces, j’ai toutes mes chances.

Fille de boulangers à Tours, j’ai vu mes parents travailler dur pour élever leurs cinq enfants. Tous deux veulent nous voir faire carrière pour gagner confortablement notre vie, et nous offrir tout ce dont ils ont été privés.


– Mais ce projet ne doit-il pas revenir à Pierre ? dis-je dans un sursaut d’honnêteté vis-à-vis du responsable de formation qui a une plus grande expérience et ancienneté que moi.

– Pfft ! Il a déjà du mal à assurer son travail. Il a la quarantaine triste, vous ne trouvez pas ?


Je trouve surtout que Pierre Chaussoy a l’air de plus en plus fatigué. Homme discret, il ne s’épanche pas sur ses difficultés.


– Peut-être a-t-il des soucis personnels ?

– Possible, ça ne nous regarde pas. La direction générale n’attendra pas qu’il résolve sa vie privée, hein !


Je hoche la tête. Je sais qu’un projet de fusion est dans l’air, assez commun dans notre secteur. Notre DG attend des ressources humaines de mettre à plat les activités pour faciliter le futur travail d’intégration des deux sociétés. Le temps est compté et le désir de conquête, de mon hiérarchique, phénoménal. Il s’agit de mettre les bouchées doubles.


+++


Je viens d’enlacer un platane. J’imagine la sève chaude couler derrière l’écorce. Je pose ma joue. Le contact est doux et tiède.


+++


Mon temps personnel se réduisait à une peau de chagrin.


Mon patron veut l’excellence pour le département RH. La fusion va supprimer des doublons, les plus concernés sont les services supports dont les ressources humaines. Et surtout, il ne restera pas deux DRH. Un seul remportera le poste ! Son combat est aussi personnel.


Il y a mon téléphone portable, offert par ma société, toujours allumé. Si c’est mon patron, je dois répondre immédiatement. Je suis sur le pont de 7 h du matin à 23 h. Sans compter l’accès à ma boîte mail professionnelle en permanence, mes week-ends sont studieux.


Je ne vois plus mes amis et ma famille. Mon dernier petit copain a rompu avec moi pour cause d’absences répétées et de conversations réduites à un seul sujet : mon travail.


Il y a pire.


Très vite, le projet GPEC* prit une orientation précise, il ne s’agit plus simplement de mettre à plat les activités, d’identifier les compétences et d’anticiper leurs besoins à moyen ou long terme, former les gens pour les faire évoluer. Non, il faut repérer les personnes susceptibles de faire partie d’un plan social.


J’ai commencé à mal dormir. Je me réveille à deux heures du matin pleinement alerte, je suis dans un tel état de vigilance que je me mets au travail. Ce régime finit par m’épuiser, je suis allée voir le médecin qui m’a donné un léger somnifère rapidement inefficace. Je retourne le voir et il me regarde d’un air embarrassé :


– Mademoiselle, il va falloir calmer ce stress ! À ce régime-là, vous risquez un burn-out !

– C’est passager, après la fusion, nous n’aurons plus la même charge.

– Vous savez, je ne suis pas médecin en temps, moi ! Je ne peux pas vous en donner du temps !


Il soupire devant mon air navré.


– Bon, je vous prescris un autre somnifère pour une durée très limitée. Et je vous conseille d’en parler avec votre hiérarchie.


Mon médecin a pleinement raison mais… Je veux assurer en toutes circonstances devant mon patron, pas question de paraître faible. Pour lui, les soucis de santé ne sont pas admissibles. Pour lui, le monde se partage en deux catégories : les forts sur qui il peut compter, et les faibles qu’il méprise. Je me souviens de son rictus lorsque son ex-assistante a téléphoné pour annoncer un arrêt de travail d’une semaine pour cause d’épuisement. À peine revenue, elle a donné sa démission.

Si je me montre faible, moi aussi, je risque de tout perdre. Perdre quoi ? Perdre des missions intéressantes, l’acquisition de nouvelles compétences, une évolution professionnelle potentielle, certes, et surtout, par-dessus tout, perdre sa reconnaissance, je ne veux en aucun cas que son regard devienne méprisant vis-à-vis de moi. Je veux rester du bon côté de la ligne. Faire partie, des bons, des forts, de ceux qui réussissent… Ne pas devenir cet affreux « looser » – terme courant dans sa bouche – au bord de la déchéance…


+++


Je me retourne, je m’adosse à mon arbre. Il me soutient. C’est bon de sentir ma colonne vertébrale retrouver une verticalité. J’ai tendance à me voûter ces derniers temps. Par trop de charges, par trop d’heures à fixer l’écran de mon ordinateur, par trop de peines… C’est drôle le mot « peine » signifie à la fois l’effort et la tristesse… L’effort a masqué ma tristesse car je ne me souviens pas de l’avoir ressentie. Elle devait pourtant s’insinuer lentement en moi comme une légère fuite d’eau qui contribue à mon mal-être.

L’eau remonte jusqu’à mes yeux, je les ferme.


+++


J’ai pourtant cherché des soutiens…


Mes parents m’appellent régulièrement de Tours. Ils sont fiers de leur fille aînée. Je réalise leur rêve, je suis une cadre promise à un bel avenir, j’ouvre la voie à mes frères et sœurs. Je tente de leur expliquer que c’est difficile. Tous deux me disent que l’on n’a rien sans rien. Je dois travailler beaucoup pour faire ma place au soleil. Qu’est-ce que je crois ? Que cela va tomber tout cuit dans ma bouche ? Et j’ai droit à un long couplet sur leur propre vie de labeur, grâce à elle, ils ont acheté cette magnifique boulangerie en centre-ville. Impossible de leur expliquer ce que je vis, mes tentatives se heurtent à un mur réprobateur. Le problème n’est pas la charge de travail, le problème est ailleurs. Mais où exactement ? Je suis bien incapable de le dire. Les appeler me conforte dans mon chemin tracé, je dois tenir le coup et cesser de me plaindre.


+++


Le soleil apparaît entre les grandes et belles feuilles du catalpa, il me chauffe le front.

C’est délicieux. Je reste ainsi appuyée contre mon arbre solide dans la chaleur matinale. Je ramasse une feuille au sol, elle est douce et duveteuse.


+++


Cette fameuse journée, passée avec le comité de direction France, est à marquer d’une pierre blanche et… noire.


Je suis hyper-enthousiaste car c’est pour moi la première fois que je suis conviée au comité de direction. Je fais partie des élus. Mon patron m’a demandé de préparer un plan de réduction de cinq pour cent des effectifs. Je me suis donc attachée à identifier un nombre de personnes à qui on peut proposer un départ en retraite, à supprimer des remplacements suite à des démissions, à éviter des créations de poste. J’arrive à une proposition qui tient comptablement et surtout humainement la route.

Je suis très impressionnée de devoir faire une présentation devant les directeurs que je côtoie de loin. Ils ont tous une aura prestigieuse pour moi. Au début, je tremble un peu, je me suis tellement entraînée devant ma glace que l’aisance vient naturellement.

Le directeur général m’a félicitée pour ma prestation soignée et claire qui va leur permettre de faire un plan social intelligent. Il me propose gentiment de rester toute la journée avec eux.

Après le déjeuner servi dans une salle attenante à celle du comité de direction, les directeurs se lèvent et échangent en attendant le café. Je ne me sens pas à ma place dans leurs discussions informelles. Je préfère me rendre à la salle de pause me servir un thé et me délecter de mon succès.

Lorsque je pénètre dans la pièce, le silence se fait immédiatement. Deux choses m’étonnent, l’une est l’arrêt des conversations, l’autre est de voir échanger ensemble des équipes qui ne se regroupent jamais. Comme l’huile et l’eau, les différents services ne se mélangent pas. Même les fêtes de fin d’année, bien arrosées et dansantes, ne parviennent pas à les réunir. Quelques gouttes d’huile vont se répandre dans l’eau et vice versa, très vite, les deux masses liquides se reforment l’une à côté de l’autre. Je repère tout de suite mes collègues de la RH, Pierre Chaussoy et Marie Laurent, chargée de la communication interne, puis aussi des membres du contrôle de gestion, de l’informatique et du marketing. Marie Laurent, petite blonde aux cheveux frisottés, s’adresse à moi avec sa manière effrontée qui m’égratigne souvent :


– Alors, on est en train de décider du destin du monde !


Encore sur mon petit nuage rose d’avoir si bien réussi ma présentation et de m’être faite remarquée positivement par tout le comité de direction, je réplique platement :


– Que veux-tu dire ?


L’attention tendue de toutes les personnes présentes alourdit un silence pesant.


– Vous êtes en train de décider d’un plan social, et nous, tu vois, on est en train de se demander si nous sommes sur la liste, ça t’étonne ? demande-t-elle d’un ton piquant.


Mon nuage rose me laisse choir sur le sol, le contact avec la réalité est rude. J’ai un devoir de confidentialité et ne peux me permettre de diffuser une seule information, même positive. Je bredouille que je n’ai rien à lui dire, et j’introduis une pièce dans la machine.


– Il est vrai que toi tu ne risques rien, si proche du DRH…


Ni son ton, ni son insinuation ne me plaisent. Je lui fais face. Pierre Chaussoy a posé une main lasse sur le bras de la jeune femme.


– Arrête Marie, Élodie est une salariée comme nous, elle fait son travail, c’est tout.

– Pas tout à fait, elle, elle est protégée, fayote comme elle est, elle ne risque rien. Elle fait tout ce que lui demande « Pète-sec », et il adore ça.


Bien que je sois la plupart du temps enfermée dans mon bureau à travailler ou en réunion avec des opérationnels, j’ai déjà eu l’occasion d’entendre le DRH se faire appeler ainsi par son équipe. Je reconnais que ce qualificatif lui va bien. Et moi, suis-je une fayote ?


– Bon allez, on remonte, on a du travail… dit Pierre d’un ton ferme en entraînant la jeune femme.


Le reste des troupes suivent, je reste devant la machine à fixer mon gobelet rempli. Je perçois pleinement ma solitude. Je ne suis pas un dirigeant qui est seul du fait de son statut. Je suis seule car je suis adjointe d’un dirigeant. Je suis seule car l’ensemble des salariés a peur du plan social et que je fais partie de la direction qui va décider de leur sort. Et pouvoir de tous les pouvoirs, je détiens l’information.


Pensive, je rejoins les membres du comité de direction qui discutent près de la table recouverte d’une nappe blanche où est servi le café accompagné de macarons de toutes les couleurs.

Je m’approche de Paul Casta, il vient d’éteindre son portable.


– Eh bien, ça pas l’air d’aller, Élodie ? demande-t-il en fronçant les sourcils.

– Je viens d’avoir des échanges avec des salariés. Ils sont inquiets. Je crois qu’il faudrait communiquer très rapidement…

– De qui s’agissait-il ? demande-t-il d’un ton inquisiteur.

– Oh ! Il y avait plusieurs services, pour une fois, ils étaient réunis ! Quand communique-t-on ?


Je lui livre quelques noms en pâture car je sais qu’il va insister. Au fond, ils n’ont rien fait de mal, ils ont peur, c’est tout. J’évite de reporter les propos précis de Marie Laurent.


– On finalise notre proposition cet après midi, et le DG la présente à la maison-mère pour validation très rapidement. Nous ne pourrons communiquer qu’après…

– Plus on attend, plus cela risque de créer une sale ambiance.


Le DRH fait sa petite moue du côté droit, ce qui signifie qu’il s’en moque. Du côté gauche, la moue indique une désapprobation. Durant tout l’après midi, j’ai senti une boule au fond de mon ventre. Plusieurs choses accentuent mon malaise. D’abord, la déclinaison des effectifs par département, il ne s’agit pas de pommes ni de poires mais d’êtres humains. Derrière chaque chiffre, il y a une vie, une famille à faire vivre. Derrière chaque chiffre, il y a des personnes qui aiment leur travail, et qui n’imaginent pas quitter celui-ci avant longtemps. Puis, on en en vient au nominatif. Le choix de personnes à qui on proposera une mise à la retraite se fait d’abord sur des critères d’expertises nécessaires à conserver. Puis, sur les personnes jugées moins compétentes, plus lentes, avec des soucis de santé récurrents… et surtout quelques règlements de comptes. Il y a cette petite phrase incisive du directeur de production :


– Malheureusement tous les bras cassés et empêcheurs de tourner en rond ne sont pas proches de la retraite ! Quel bon nettoyage de printemps on aurait pu faire !


+++


Je suis assise au pied de mon arbre, une de ses racines me sert de petit banc, j’ai la tête dans les mains. J’ai choisi la voie des ressources humaines pour sa partie « humaine », et non pour sa partie « ressources » qui n’est au fond qu’une variable d’ajustement. Je crois… plutôt je croyais que l’on pouvait réunir l’économique et l’humain, trouver un rapport gagnant-gagnant entre les objectifs de l’entreprise et ceux des salariés. Je ramasse un morceau d’écorce du platane, je le plie en deux, il craque dans un bruit sec.


+++


Le pire est toujours certain, paraît-il.


Je reviens de quinze jours de vacances bien méritées. Mon patron m’a encouragée à les prendre car nous étions prêts, nous attendions la validation de la maison-mère, et le travail allait être colossal après le feu vert. Il me voulait très en forme pour cette période décisive.


Ce sont mes premiers congés depuis plus d’un an. Je me retrouve face au vide, qu’allais-je faire de tout ce temps ? J’ai joint plusieurs amis à qui je n’avais pas donné de nouvelles depuis longtemps, du jour au lendemain, personne n’est évidemment disponible pour partir avec moi. J’ai dormi comme une souche la première semaine, la seconde, je suis descendue dans le sud de la France, à Sanary. Désœuvrée, j’ai beaucoup marché, plutôt tourné en rond, en bord de mer et dans la ville, je me trouvais souvent hébétée à regarder l’eau, les vitrines ou le vide. À nouveau, j’ai beaucoup dormi. Ma messagerie professionnelle m’attirait comme un aimant, je me suis contrainte à ne pas l’ouvrir. En revenant, j’étais dans une meilleure forme physique et j’avais hâte de reprendre le travail.


Le jour de mon retour, c’est avec une ferveur empressée que je parcours ma longue liste de mails. Un courriel de mon patron attire immédiatement mon attention. Il s’agit du plan social définitif. Très bien, la maison-mère a validé. Je clique dans la pièce jointe. Je commence à lire d’abord en diagonale pensant retrouver les propositions élaborées lors du comité de direction. Mais une liste de noms apparaît qui ne correspond nullement à celle finalisée. Peu sont proches de la retraite. Avec effroi, je vois apparaître Pierre Chaussoy et Marie Laurent. Ce n’est pas possible, je suis en train de vivre un cauchemar. J’appelle immédiatement mon hiérarchique sur son portable. Il me répond de sa voix pressée :


– Bonjour Élodie, vos vacances ont été bonnes, bien reposée ?


Sous-entendu, vous êtes prête à mettre les bouchées doubles.


– Oui très bien, je viens de voir un mail présentant le plan social, je ne comprends pas !

– Ah oui, c’est vrai, il s’est passé beaucoup de choses durant votre absence… dit-il d’un ton évasif.

– La liste des noms ne correspond absolument pas à celle prévue initialement, il doit y avoir une monstrueuse erreur !

– Je ne peux pas rentrer dans les détails là, voyons-nous à dix-sept heures, je vous expliquerai tout ça…


Je suppose qu’il n’est pas tout seul. Je passe la journée à ressasser dans ma tête les données du problème. Je comprends que la maison-mère a refusé la proposition de plan social faite par la France, pour quel motif ?


À l’heure précise, je me présente à son bureau. Il n’est pas là. Je l’appelle sur son portable, il me dit qu’il arrive. J’attends une heure. Je le rappelle. Il est en ligne, il me recontacte. Cela dure ainsi jusqu’à vingt heures où il finit par conclure que l’on ne pourra pas se voir ce soir mais demain à huit heures. Je passe une nuit exécrable.


Enfin, nous sommes face à face dans son bureau.


– Bon, on se voit sur quoi déjà ? Ah oui ! J’ai besoin que vous me recherchiez plusieurs cabinets d’outplacement afin de montrer aux partenaires sociaux que nous accompagnons correctement les salariés licenciés.


Il a complètement zappé qu’il doit me donner des explications sur ce changement de plan social. Je suis habituée avec lui à ce qu’il suive son idée du moment, et oublie ce qu’il vous a demandé de préparer la veille. C’est un homme de l’instant. Le passé n’existe plus, et l’avenir est ramassé dans les minutes présentes. Combien de fois ai-je consacré une soirée entière à préparer un rapport dont il n’a plus eu besoin le lendemain !


– Pourquoi a-t-on changé de plan social ?

– Ah oui, c’est vrai ! La maison-mère a refusé notre proposition car les effets étaient sur trois ans. Elle veut que toutes les personnes soient sorties des effectifs dans trois mois maximum. Il faut montrer un signe fort aux actionnaires.

– Je ne comprends pas.

– Mais si bien sûr, si chaque filiale d’ici quelques mois montre une réduction de coût de personnel conséquente, cela rend les actionnaires optimistes pour leur dividende. Et cela démontre une entreprise saine pour une fusion.

– Ah ? Mais les gens ! J’ai vu la liste. Pourquoi eux ? Comment expliquer ?

– Je me suis attelé à la tâche, j’ai pris les derniers rentrés, ce qui fait des primes de départ pratiquement nulles, et puis les incompétents et les emmerdeurs… Cela vaut le coup de payer pour s’en débarrasser !

– Pourquoi Marie Laurent et Pierre Chaussoy ?

– L’une, c’est une véritable emmerdeuse, et Chaussoy, il ralentit quand on accélère, il n’est plus dans le coup. Il faut faire passer la pilule aux partenaires sociaux, on sort les personnes des effectifs tout en garantissant plusieurs mois de salaires pendant lesquels ils cherchent un emploi, c’est pourquoi il nous faut un bon cabinet qui les replace au plus vite…

– Mais, mais… on augmente sérieusement les coûts réels, au bout du compte, ce plan social nous reviendra plus cher que celui préconisé.

– C’est possible, c’est le prix à payer pour des actionnaires heureux ! Et être en bonne place pour négocier avec l’entreprise avec laquelle on fusionnera.

– On supprime les postes de responsable formation et chargé de communication interne. Légalement, on ne pourra pas les remplacer. Comment va-t-on faire ?

– C’est une belle opportunité pour vous, je prévois de vous nommer responsable du développement RH, vous reprendrez leurs missions et avec la fusion, on vous trouvera des collaborateurs.


C’est absurde économiquement mais royal financièrement, c’est ça la logique. Les conséquences humaines me choquent profondément. La mort dans l’âme, je retourne dans mon bureau. Tout cela n’a pas de sens pour moi. Tout cela n’a de sens pour personne ! En même temps, je ressens un plaisir insidieux qui s’infiltre doucement par les dernières paroles de mon hiérarchique. Il m’offre un poste inespéré, c’est un véritable tremplin pour devenir DRH.


Le plan social est annoncé comme prévu, j’ai participé à sa rédaction et à sa diffusion. Contrairement à ce que je craignais, il n’y eut pas de révolte, plutôt un silence de mort.


L’ambiance est lourde. Les personnes me saluent poliment sans aucun commentaire. Je me sens isolée et coupable, comme si j’étais responsable de ce plan social. Bien sûr, tout le monde ignore qu’il y a eu un premier plan et que j’en étais à l’initiative. En revanche, chacun sait que j’ai participé au second.


Lorsque je tente d’évoquer mon malaise à Paul Casta, il me répond :


– Élodie, vous êtes jeune. Cela fait partie des expériences indispensables pour devenir DRH.

– Oui mais être DRH, c’est aussi faire preuve d’humanité !

– Mais voyons c’est ce qu’on fait ! Vous nous avez trouvé le meilleur cabinet d’outplacement, nous rendons service à ces personnes, elles vont retrouver un poste plus intéressant et mieux payé ailleurs. C’est une belle opportunité qu’on leur offre !


Je me fais à cette idée, cela serait absurde de me sentir responsable des règles du capitalisme. Mon patron a raison, face à la situation, nous avions fait le maximum. Oui mais…


Un matin, j’apprends la nouvelle brutalement. Pour une fois, j’ai fermé mon portable depuis la veille au soir, pris un somnifère, et j’ai dormi comme un loir, j’en avais besoin. Je croise Marie Laurent qui fonce littéralement sur moi.


– Tu es fière de ton plan social ?

– Ce n’est pas MON plan social, tu peux t’adresser directement à Monsieur Casta, dis-je froidement.

– Pour ça, il faudrait le voir, il n’est jamais là ou il n’a jamais le temps, je lui ai demandé un rendez-vous qu’il reporte de jour en jour, tu es bien son adjointe, non ?


Je me suis préparée à son attaque dès l’annonce nominative des salariés.


– Si tu souhaites me parler, allons dans mon bureau…


La tension monte, je ne veux pas d’un esclandre dans le couloir.


– Non, j’ai compris que te voir, toi ou ton DRH ne servira à rien. Vous êtes certains d’avoir raison. Vous avez décidé sereinement de la vie ou de la mort des personnes.

– La vie ou de la mort ? Tu ne crois pas que tu exagères, là ? Nous offrons les meilleures conditions de reclassement.

– Oui et sur quels critères vous m’avez choisie ? J’ouvre ma grande gueule trop souvent, il vous faut des béni-oui-oui, des esclaves corvéables à merci, c’est ça ?

– Je n’ai pas choisi les personnes, dis-je un peu trop rapidement.

– C’est pas toi, c’est lui, je sais… Toi, tu te contentes de lui obéir et faire ses basses œuvres, j’aimerais pas être dans ta peau !


Que dire ? Rien, je ne peux rien dire. Nous restons à nous regarder comme deux chiens de faïence.


– En tout cas, je te considère responsable de ce qui vient de se passer, toi autant que lui.

– Qu’est-ce qui vient de se passer ?

– Ah ? T’es pas au courant ?

– Au courant de quoi ? dis-je l’estomac contracté en pensant à mon portable éteint au fond de mon sac.

– Pierre Chaussoy s’est suicidé !


Sur ce, elle me tourne le dos, et disparaît dans le couloir. Une douche glacée me pétrifie sur place. J’ouvre mon mobile, je vois plusieurs appels de Paul Casta. Je n’écoute pas ses messages, je le rappelle immédiatement. Il répond tout de suite et m’ordonne de le rejoindre dans son bureau avec divers dossiers.


Il a la mine sombre, le côté pile.


– Je viens d’apprendre pour Pierre Chaussoy…

– Oui, il va falloir communiquer, expliquer que ses problèmes personnels l’ont amené à ce geste insensé.

– Quels problèmes personnels ?

– Sa femme a un cancer avec des rémissions, cela dure depuis deux ans.

– Ah ? Mais je ne savais pas…

– Il m’en avait parlé pour aménager ses horaires pour ses enfants lorsqu’elle était hospitalisée.

– Cela explique sa fatigue, ses soucis…

– Et son geste…

– Oui enfin, être sur le plan social, ça a dû aggraver…

– Mélangeons pas tout, hein ! Il était fragile, un suicide c’est personnel. En aucun, cas l’entreprise ne peut être tenue pour responsable.


Je suis assommée par la nouvelle et la façon dont mon patron en parle. Il finit par me demander de préparer une note générale expliquant le geste de Pierre Chaussoy par ses problèmes familiaux. Puis, il passe à d’autres sujets. Tout se brouille dans ma tête, je ne l’écoute plus. Je prends des notes machinalement.


+++


Après cet entretien, je suis partie.


– Mais mademoiselle que faites vous là ? dit une grosse voix autoritaire.


Mes yeux s’ouvrent et voient un homme trapu en tenue de jardinier, les mains sur les hanches. Son regard mécontent va du banc où j’ai laissé mon sac, passe par mes vernis échoués dans l’allée, et enfin moi, en petit tailleur, uniforme de femme cadre, les pieds en bas nylon sur sa sacro sainte pelouse ! Je suis ramassée sur moi-même, les genoux dans les bras au pied de mon arbre. Je regarde autour de moi, les bancs sont occupés de loin en loin par des mères avec des enfants en bas âge. Elles font mine de ne pas me voir. Comme si mon attitude pouvait passer inaperçue ?!


– Venez mademoiselle, vous ne pouvez pas rester là, dit-il d’une voix radoucie.


Ses gros sourcils noirs et fournis s’agitent d’une manière comique au-dessus de ses grands yeux sombres un peu tombants. J’obtempère plus par respect du travail d’autrui que par accord réel. Il m’aide à franchir le fil de fer haut de quinze centimètres comme s’il s’agissait d’une véritable barrière. Il me tient toujours le coude tandis que je remets mes chaussures par crainte que je m’écroule. Je dois vraiment avoir un air piteux.


– Allez, venez vous asseoir à l’écart pour vous remettre… dit-il d’une voix embarrassée.


Je ne ressemble sans doute pas au profil des gens qu’il appréhende habituellement. Je n’avais rien de l’adolescent insolent ou du SDF aviné… Après m’avoir fait asseoir sur un banc à l’écart, loin des regards, il m’observe avec curiosité et bienveillance. Son attitude chaleureuse me touche.


– Qu’est-ce qui vous met dans cet état-là ? Un chagrin d’amour ?

– Non, c’est le travail.

– Le travail ?!


Ses sourcils haussés d’étonnement, son air éberlué me font prendre conscience de l’absurdité de ma réponse. Se rendre malade à cause du travail ?!

Je n’ai pas su voir l’essentiel. Le visage fatigué et soucieux de Pierre Chaussoy vient de me traverser l'esprit. Je ne suis pas responsable de sa mort, bien sûr. Mais… J’ai préféré être un bon petit soldat plutôt que d'aller échanger avec lui, petit geste humain comme le fait ce jardinier.

Petit geste touché-coulé dans la charge et le rythme.

Petit geste dérisoire au regard des grands enjeux d’entreprise.

Petit geste qui par son absence a contribué à changer le cours de ma vie.


Une parole d’une chanson insiste dans ma tête : « Je veux être utile à vivre et à rêver ».



___________________________________________________

* GPEC : Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences.


 
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   maria   
11/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

L'auteur(e) précise que "l'histoire est inspirée de faits réels", sa lecture ne laisse aucun doute la dessus.
Les préoccupations des dirigeants d'une grande entreprise : "réduction du cout du personnel conséquente, cela rend les actionnaires optimistes pour leur dividende"."
Pour réaliser les objectifs : il y a "les forts sur qui il peut compter, et les faibles qu'il méprise".
Tout est dit.
Le personnage de la jeune cadre dynamique est très crédible, complet.
On offre à Elodie, 24 ans, "fille de boulangers à Tours...fiers de leur fille ainée", "un poste inespéré, c'est un véritable tremplin pour devenir DRH".
Elle n'écoute pas son médecin, "vous risquez le burn-out". A peine rentrée de vacances elle a "hâte de reprendre le travail".
Elle fonce mais se remet en question lorsqu'elle apprend le suicide de son collègue : "j'ai préféré être un bon petit soldat plutôt que d'aller échanger avec lui"

Elle finit par craquer : "il est dix heures du matin, et je m'en vais".
Elle se réfugie au square, déçue : "je croyais que l'on pouvait réunir l'économique et l'humain, trouver un rapprt gagnant-gagnant.

L'histoire est clairement racontée et l'auteur(e) en a soigné la présentation, mais la construction de cette nouvelle ne m'a pas vraiment plus.
Je crois que j'aurais préféré lire le récit de l'évolution et de la mise en place du plan social, sans coupures, et les réflexions, les ressentis d'Elodie au square réunis en une seule partie.

J'ai trouvé cette nouvelle très intéressante, et tellement réaliste : "le plan social...il n'y eut pas de révolte, plutôt un silence de mort" !
Merci du partage et à bientôt.
Maria en E.L.

   plumette   
5/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La souffrance au travail est un vrai sujet.
Elodie a la candeur de sa jeunesse et ne se rend pas compte qu'elle est manipulée. Sincère, engagée, portant l'ambition parentale et la revanche de leur condition, elle exprime son credo: "j'ai choisi la voie des ressources humaines pour sa partie « humaine », et non pour sa partie « ressources » qui n’est au fond qu’une variable d’ajustement. Je crois… plutôt je croyais que l’on pouvait réunir l’économique et l’humain, trouver un rapport gagnant-gagnant entre les objectifs de l’entreprise et ceux des salariés. " au moment où elle réalise la très douloureuse réalité.

En contrepoint, il y a ce DRH, au 2 visages, un personnage froid, distant, efficace et sans affect apparent, et ça fonctionne bien!

J'ai beaucoup aimé ce récit avec cette alternance temporelle: la jeune fille craque, elle va chercher du réconfort auprès de la nature, elle partage avec le lecteur ses sensations du moment et évoque de manière rétrospective le chemin jusqu'à ce coup d'arrêt.

Une alternance qui donne une belle forme à ce récit et qui conduit à cette chute sensible du "petit geste".

je trouve que tu as réussi , dans une forme brève, à faire passer toute la tension des enjeux capitalistes.

c'est bien écrit! ce qui n'est pas la moindre des qualités.

   Donaldo75   
5/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Tiramisu,

Même sans l’exergue, je me serais douté qu’il s’agissait d’une histoire inspirée de faits réels.

Pourquoi ?
Tout simplement parce que la narration, l’écriture, l’émotion qui s’en dégage sonnent plus qu’authentiques voire carrément personnels.

Pour ma part, je ne suis pas un fan des nouvelles traitant de la vie dans l’entreprise ; peut-être est-ce du à mon job de consultant où j’en vois déjà assez dans la journée pour ne pas me coltiner ce genre d’histoire dans mes phases de détente, celles où je tente de voir le monde autrement. Mais comme je ne suis pas consultant en ressources humaines, je me suis laissé aller à cette lecture. Et je ne m’en plains pas, loin de là.

Don

   hersen   
6/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Le burn-out, cette impression que l'entreprise tire du travailleur toute sa substantifique que moelle et qu'il ne reste plus rien pour la vie personnelle, peu importe la place qu'il occupe dans l'entreprise.

J'aurais peut-être préféré un autre équilibre, à savoir moins de précisions dans la narration de ce qui se passe dans l'entreprise, comment la narratrice se retrouve dans le piège qu'elle a en partie créé, c'était son job, puisque c'est globalement connu. C'est plus d'Elle, que j'aurais aimé. Il ne lui est consacré, hors de son boulot, que peu de place, en quelque sorte. Peut-être qu'être allé plus profondément dans ce qu'elle ressent aurait donné (pour moi) plus d'intérêt.
Tel quel, chaque étape est devinable, donc il n'y a pas de surprise. Je me doute que l'auteur ne l'a d'ailleurs pas spécialement recherchée, pour les raisons dites plus haut. Mais il aurait fallu contrebalancer : le froid de l'entreprise, le chaud des ressentis (qui à mon sens ne sont pas assez représentés)

Ceci dit, le texte se tient parfaitement et la narration est bonne.

merci de la lecture.

   Anonyme   
9/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Tiramisu,

Craquement : un burn out. Oui, Elodie a élaboré un plan social intelligent et humain... mais les contraintes financières sont tout autres.

Le texte est riche comme le vécu peut l'être. Ecrasée par les obligations de résultat, jusque parentales, écartée, probablement à dessein par un chef pour qui humanité rime avec absurdité, elle est broyée par une machine dont elle est elle même un rouage...

Le retour à la nature, même un semblant de nature toute citadine, lui fait renouer avec le vivant, intégrité que malgré ses efforts, sa volonté de bien faire, elle avait perdue. Une reconversion est vitale...

   ours   
7/4/2020
Bonjour Tiramisu

Ce que je retiendrai de ta nouvelle, c'est d'abord l'histoire d'une grande désillusion. Quand on vient d'un milieu modeste, que l'on pense qu'il faut ou qu'il suffit de travailler pour accomplir de grandes choses dans le respect de ses valeurs, puis l'on se rend compte que tout ça n'est que chimère particulièrement dans le monde des grandes entreprises ou bien des enjeux financiers ou de pouvoir dépassent le moindre de nos actes.

Elodie n'est pas naïve pour autant, elle sait ce qui lui arrive et comprend le monde qui l'entoure, alors pourquoi ? à cause de la pression sociale, de l'obligation de résultats que l'on s'impose comme un modèle, de la peur de décevoir, bien d'autres raisons pourraient être invoquées pour expliquer son implication.

Tu nous offres une nouvelle très réaliste en cela qu'elle saura résonner pour quiconque aura vécu cette expérience : avoir le sentiment de n'être pas à sa place finalement, même après tant d'efforts pour y arriver.

J'ai aussi aimé la narration qui propose une mise en scène très visuelle presque cinématographique apportant du dynamisme à l'ensemble. Comme un vertige lors d'une prise de conscience abrupte.

Merci du partage.
Au plaisir de te lire.

EDIT : un élément auquel je pense concernant Paul, ce personnage double, duel ne serait-il pas autant en combat avec lui même qu'avec le monde qui l'entoure. D'un côté l'homme dans son rôle de DRH impitoyablement désabusé, de l'autre l'homme fatigué las d'être ce qu'il se doit d'être, car sans retirer sa responsabilité propre c'est aussi ça l'aliénation, lorsque l'on se fait consommer par le rôle qui nous est imposé.

   Catlaine   
7/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Je trouve que ce texte s’apparente plus à un témoignage qu’à une nouvelle, aussi bien dans la construction que dans l’inspiration puisqu’il est précisé dès le début qu’il est « inspiré de faits réels ».
Je comprends très bien la position des parents d’Elodie qui ont travaillé dur pour réussir et en même temps qui sont si éloignés de ce qui est demandé à leur fille, ils ne peuvent pas comprendre ce qu’elle traverse.
A mon avis, on ne peut pas dissocier la notion de ressources et la notion d’humanité, ce n’est pas aussi simple de définir « ressources comme une variable d’ajustement ». Car la ressource, c’est ce dont l’entreprise a besoin pour exister et la ressource humaine est sa plus grande richesse, sans elle, elle n’est rien.
Peut-être qu’Elodie pourra trouver un poste dans une entreprise à taille humaine où elle s’épanouira en représentant le lien indispensable entre l’employeur et les employés pour le bon équilibre de tous.
Ou peut-être fera-t-elle le choix d’une reconversion.
On lui souhaite le meilleur, elle le mérite.
Quant au suicide, il peut être lié à de multiples facteurs et dans le cas de Pierre Chaussoy, l’entreprise est l’un de ces facteurs et n’est certainement pas imputable à Elodie, son « hiérarchique » en porte davantage la responsabilité. D’autant plus que j'ai l'impression qu’il ne s’agissait pas de finances dans le nouveau plan social mais plutôt de règlement de compte.
Lorsque le directeur de production dit : « Malheureusement tous les (bras cassés) et empêcheurs de tourner en rond ne sont pas proches de la retraite ! »
Et le DRH de reprendre plus loin « les emmerdeurs » pour justifier les noms, sans compter qu’il a choisi, comme par hasard, les deux personnes citées par Elodie lorsqu’elle rend compte à Paul Casta de la tension régnant dans la salle de repos, c’est-à-dire Pierre Chaussoy et Marie Laurent.
J’ai apprécié ce texte, je me suis laissé embarquer dans le tourbillon d’Elodie et je pense que tout ce qu’elle ressent est bien résumé en conclusion, pour contrebalancer ce que est dit dans un autre commentaire sur le peu de place accordée à Elodie, Elle en avait si peu, c’était une machine happée, broyée par le système, coincée entre les espoirs de ses parents et ses rêves initiaux.
J’ai trouvé ce récit bouleversant, d’autant plus que ma fille vise le poste de DRH dans une entreprise en pleine expansion. Heureusement, la situation n’est pas la même partout.
J’ai beaucoup aimé la fin et la référence, fort à propos, à la chanson de Julien Clerc « Utile » que j’adore.

   Alfin   
9/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Tiramisu,

Cette nouvelle est très forte car elle parvient à captiver son lecteur en narrant les péripéties de la vie professionnelle d'un bureau. L'écriture est très bien dosée et l'absence d'information sur la personnalité, sur la vie sociale d'Elodie est normale, lorsque l'on prends la pente de la perte de sens et de l'épuisement professionnel, il n'y a pas de place pour la personnalité ni pour la vie sociale. Le burn out est incompréhensible pour ceux qui ne l'on pas vécu et le rendu du vide des vacances, de l'incompréhension du changement de plan social... Vraiment très finement écrit.

Bravo pour cette belle réussite, j'ai vraiment apprécié la lecture de cette nouvelle. Merci beaucoup

   matcauth   
10/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

J'ai lu un peu les autres commentaires, et il ressort, d'une part, la qualité de l'écriture et de l'histoire, et, d'autre part, le côté trop réaliste et pas assez romancé, peut-être, de ce texte.

Difficile de contredire cela, même si l'aspect peu romancé n'est pas un argument, dans la catégorie réalisme. D'ailleurs, c'est ce réalisme qui fait la qualité du texte. Cela contraste fortement avec ce qu'on lit d'habitude sur ce sujet.

J'ai donc apprécié lire, pour la qualité d'écriture, épurée, sans lourdeurs, sans volonté de diriger le lecteur vers un jugement dont il ne voudrait pas. Une écriture pleine de maturité, en somme.

J'ai regretté qu'ait subsisté l'écueil manichéen, les méchants capitalistes sans coeur et leur dividendes. Que ce soit vrai ou non, peu importe, mais j'aurais préféré que cela soit davantage suggéré plutôt que clairement exprimé. Les quelques dialogues manquent un peu de subtilité et tombent eux aussi dans le tout noir d'un côté, tout blanc de l'autre.

Est-ce dû au fait que c'est une nouvelle, avec peu de temps pour développer. Je serais curieux dans savoir plus là-dessus.

Mais dans l'ensemble, cela reste un texte de qualité.

   Anonyme   
30/4/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
L'univers déshumanisé des entreprises et du monde du travail est très très bien rendu et malheureusement d'actualité encore et toujours. Cet univers est par ailleurs aussi bien critiqué...dans son absurdité, dans le "dégagisme" ambiant, la loi des loups...les laissés pour compte, les winners et loosers, la finance à tout prix...
En somme l'auteur aurait pu appeler cette courte nouvelle "burn out"...Il faut rendre hommage à l'écriture pure et à l'expression, tout est bien soupesé, cadré, rien ne dépasse, tout retombe sur ces pattes...le suspens est haletant, les rebondissements virevoltant...
Vous m'avez rappelé une lecture récente, "Cleer " de Kloetzer, dans le même univers impitoyable des multinationales et l'excellent "Cadres Noirs" de Pierre LEMAITRE qui a été mis en scène au travers d'une série "DERAPAGES"...Un système libéral qui bien trop souvent broie les individus sitôt que ces derniers ne soient plus rentables. Ou bien encore le film "CORPORATE"...excellentissime, à voir...

Plusieurs petites choses ont éveillé mon esprit critique cependant: ...j'ai moi même connu cette situation mais avec une cheffe, féminine, et croyez moi...Les femmes ont la même dureté dans l'entreprise et des projets tout aussi démesurés dans le style "girl power", peuvent faire souffrir autant les hommes. Tout cela pour dire que la déshumanisation de l'entreprise n'a pas de sexe, ni les victimes un profil particulier et/ou type, ni la finance carnassière un seul tropisme masculin.

Quelques remarques qui n'engagent que moi sur l'intertextualité
( ce qui n'est pas vraiment dit mais ce que ressent le lecteur/lectrice et des comparaisons avec d 'autres récits sur les mêmes thèmes):

Certes les thèmes principaux sont traités sous un angle de vue , il fallait bien en choisir un, l'auteur aurait pu tout aussi bien choisir un modeste employé broyé par le système, brimé et moqué qui cherche à monter les échelons et augmenter son modeste salaire...
Il y a un traitement du récit qui aurait pu être plus Hugolien ou Dickensien, transposé en 2020, perso j'aurais préféré...Mais là c'est une jeune femme diplômée, ambitieuse, assujettie à un processus de maturation professionnelle et personnelle, et cerise sur le gâteau, cadre... Il y aurait apparemment plus mal loti dans la souffrance au boulot et plus à plaindre, je pense.

J'ai trouvé à mon sens beaucoup de poncifs et de stéréotypes, un côté obsessionnel, à moins que ce ne soit une marotte, par exemple, sur les détails de l'apparence physique ( voir les champs lexicaux) mais cela colle bien avec les exigences de l'entreprise, le côté maniaque à outrance : le style working girl, le tailleur, les yeux verts, la quarantaine triste (on n'est pas foutu et moche à 40 ans), le master en RH, cadre supérieur, l'excellence, le stress etc ...Tous ces poncifs apportent -ils quelque chose de plus à l'intrigue? Sont ils indispensables? dans la mesure où ils ne sont que des détails "banals" du conformisme de notre époque et société, qu'on accepte sans sourciller...

La narratrice, semble à mon sens, être emportée par la fougue de sa jeunesse au sein de l'entreprise, où au final elle n'a pas véritablement d'expérience et se la joue "très légèrement" compte tenu de sa position hiérarchique...ce qui la rend moins sympathique et accessible:
soupesez ceci:
"J’obtempère plus par respect du travail d’autrui que par accord réel".
et encore
"je ne ressemble sans doute pas au profil des gens qu’il appréhende habituellement. Je n’avais rien de l’adolescent insolent ou du SDF aviné…"
(sous- entendus... tu vois moi je suis une jolie poupée super bien habillée,avec une super situation.!!..)


Il faudrait beaucoup plus de dialogues, de situations cocasses, où son humanité et sa modestie transparaîtraient davantage par rapport à ses collègues de travail, ainsi que des prises de position plus marquées, un caractère plus affirmé voire un côté rebelle par rapport au positionnement de ses chefs. Elle parait plus spectatrice et observatrice au final dans le déroulé des faits, que parti prenante et/ou engagée,plus empreinte de commisération qu'autre chose. C'est très certainement le problème d'une nouvelle courte, d'un récit court, devant de tels enjeux et aspects sociétaux qui demandent à être développés, que d'être limitée à quelques lignes.


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