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Aventure/Epopée
TITEFEE : J'étais de là-bas aussi - suite 6
 Publié le 11/02/08  -  6 commentaires  -  12174 caractères  -  10 lectures    Autres textes du même auteur

Un jeune Africain, tel un insecte attiré par la lumière, va faire son apprentissage dans les rues de Paris... Va-t-il se brûler comme le papillon au culot de la lampe ?


J'étais de là-bas aussi - suite 6


Voilà déjà une heure que Wattara Mama est arrivé sur les lieux « en repérage ». Son cousin lui a surtout recommandé de ne pas rater cette première entrevue, car les artistes africains ont souvent la mauvaise réputation d’être ignorants de l’heure et de l’exactitude et en France la ponctualité est une politesse… La peur d’arriver en retard lui a fait quitter plus tôt l’emplacement où il se produit tous les jours.

Il déambule dans le quartier avec son djembé et regarde son reflet dans les vitrines des boutiques. Son cousin lui a prêté un costume gris et une cravate rouge coquelicot à pois noirs qui lui semblent du meilleur effet. Tout en observant la foule de gens pressés se hâter vers les escaliers du métro Barbès il écoute le bruit de la ville et va d’un attroupement à un autre en essayant de saisir au passage des bribes de son dialecte pour pouvoir engager alors conversation avec un « pays ».


Wattara Mama, depuis son arrivée dans la région parisienne, s’est familiarisé avec le quartier qu’il fréquente maintenant tous les jours. Il flâne avec plaisir dans les rues grouillantes d’une populace truculente et colorée. C’est comme si l’Afrique s’était donné rendez-vous dans le quartier de Château rouge dominé par le Sacré-Cœur et au pied de la butte Montmartre. C’est dans ces quartiers qu’il a noué connaissance avec le marchand de gris-gris, celui d’ananas et de bananes, et surtout la foule des anonymes africains.


L’ambiance ici est étonnamment bruyante. On ne se parle pas, on gesticule ! Cela se termine souvent en éclats de rire tonitruants. Certains parlent si fort et avec tant d'emportement qu'il est même difficile, au début, de distinguer s'ils discutent ou s’enguirlandent. Wattara a assisté souvent à ces palabres, comme ils en existent sur la place de son village à l’ombre du vieil arbre vénérable. Parfois les propos s’enveniment et le ton monte. L’on entend alors s’élever des voix, au débit infernal, tout cela accompagné de grands gestes théâtraux. L’on voit s’agglutiner, en quelques minutes, une foule bigarrée qui s’invective, puis rit, se frappe dans le dos. Tout cela est joyeux, bon enfant et les discussions se terminent généralement bien.


Wattara, serre dans sa main la carte de visite de son « producteur » et il a repéré la petite porte qui s’ouvre dans la rue des poissonniers, derrière l’étal d’une Mama à la poitrine opulente, qui vend des produits exotiques tels : cannes à sucre entières, sacs de jute emplis de riz de toutes sortes, épices fortes et poissons secs couverts de mouches dégageant une forte odeur de chair saumurée.


Il regarde la montre que son cousin lui a prêtée et franchit le seuil d’un immeuble gris aux fenêtres étroites dépourvues de volets, pour se retrouver dans un couloir qui sent le moisi et le poisson séché. Contre le mur sont entreposées des caisses, empilées les unes sur les autres, et toutes sortes d’objets hétéroclites. Un escalier aux marches de bois usées en leur milieu se dresse au fond du couloir et Wattara l’emprunte pour arriver au premier étage devant une porte exiguë sur laquelle est inscrit « Productions Frank Poupa Dioulé ».


Il frappe, d’abord timidement. Personne ne répond… S’enhardissant, il cogne plus fort et entend des pas s’approcher de la porte qui peu après s’entrouvre.


- Oui, c’est pourquoi ?

- C’est moi Wattara Mama. J’avais rendez-vous avec monsieur Frank à 20 heures.

- Je vais voir, attendez ici


Le jeune Africain qui avait entrebâillé la porte la referme au nez de Wattara qui attend patiemment qu’on vienne à nouveau lui ouvrir

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre à nouveau. La personne qui l’avait abordé dans le métro est là devant lui et l’accueille avec empressement. Il semble qu’il a refait un brin de toilette, car ses cheveux sont encore tout mouillés et une forte odeur de parfum en bombe se répand dans le long couloir que l’on vient de laver sans doute il y a un instant, car des taches d’humidité continuent de sécher par plaque.


- Veux-tu m’excuser j’étais au téléphone. Je mettais au point un contrat qui va propulser au firmament de la gloire un artiste dont on va parler longtemps. David Mandsouh, rappelle-toi bien de ce nom ! L’on étudie avec lui, en ce moment, le concept de l’album que nous allons produire. Cela demande beaucoup d’argent en investissement et malheureusement l’artiste et moi sommes obligés de mettre la main à la poche pour pouvoir le produire dans des concerts à travers toute la France et ensuite en tournée à l’étranger. As-tu une idée de ce que ça coûte un album ?

- Je crois que ça doit coûter beaucoup d’argent, mais j’en ai aucune idée, non, ça doit être beaucoup, beaucoup dis-donc, dis-donc.

- Sais-tu qu’on ne rentre dans notre mise qu’à partir de 30 000 albums et un artiste qui arrive à vendre 30 000 albums pour la première fois c’est un exploit. Tu vois, ce David c’est de l’or en barre, je le sens de la même façon que je mise aussi très fort sur toi car le talent je le renifle à bout de nez. Tu as l’étoffe des plus grands, mais, mais, mais… il te faudra être patient… Allez entre, on va discuter dans mon bureau. Aujourd’hui on ne pourra pas aller au studio d’enregistrement car il est occupé par un groupe du Zaïre, mais ça va nous donner plus de temps pour mettre au point ton contrat


Frank introduit Wattara dans une pièce encombrée et dont le bureau croule sous des piles de livres, de dossiers. Une odeur âcre que la bombe de désodorisant, pulvérisée sans doute il y a peu, n’arrive pas à masquer l’odeur caractéristique des mégots écrasés dans des gobelets où stagnent un reste de café... Les murs sont couverts de photos punaisées au mur d’artistes connus tels que Manu di Bango, Fally Ipupa et d’autres tels que Papa Madilu récemment disparu, et qui sourient sur chaque cliché, en compagnie de Frank.


- Comme tu vois, ce sont tous des amis… Ils pourront donner un coup de pouce et te prendre dans leur concert en lever de rideau ! Je leur en toucherai deux mots.

- Oh la la, Manu, dis donc, dis donc, c’est un Dieu chez nous, tu sais ! Jamais je n’aurai pensé l’approcher un jour

- Plus tard et à la condition de travailler dur et de ne pas être trop exigeant au début, ce sera toi qui donneras la chance à un autre jeune. Mais n’oublie pas que le chemin est long et difficile et qu’on ne peut pas le faire tout seul… Nous serons l’équipe qui gagne si tu me fais confiance. En attendant peux-tu, par exemple avancer une somme modeste afin de graver ton premier single ? Celui-ci sera suffisant au début, pour te présenter aux différentes personnes que j’ai en vue pour assurer ton lancement ? L’argent que tu avanceras ne sera pas de l’argent perdu, car après les 100 premières ventes, qui me reviennent pour rembourser les frais engagés pour assurer la mise en route et la production, tu recevras vite tes dividendes sur les autres disques... Connais-tu Geoffrey Oryema, le chanteur Ougandais ?

- J’aime beaucoup ce qu’il fait et mon cousin a un disque de lui avec des sons tribaux qui nous mettent en transe. C’est toi qui l’as lancé ?

- Non, mais je l’ai connu chez un autre ami producteur, qui l’avait accueilli à son arrivée en France. Hé bien maintenant il chante dans le monde entier, et il a fait fortune avec son album « Exil » alors que lorsqu’il a fui l’Ouganda, et Le sanguinaire Amin Dada, il a dû faire des petits boulots et a eu du mal à s’imposer. Regarde maintenant où il est arrivé ? Son "Yee Le Le" a servi de générique à une célèbre émission télévisée des années 90, le Cercle de minuit

- Je n’ai pas beaucoup d’argent, car je viens d’arriver mais dis-moi combien ça va coûter de faire un disque… un single tu m’as dit ? un single c’est un seul disque ?

- Non c’est un seul titre. Et c’est le moins cher et le moins risqué pour commencer. Tu rattraperas ta mise très, très vite, fais-moi confiance.

- Il faut combien ?

- Tu sais, aujourd'hui le marché du disque coûte cher, très, très cher. On dépense beaucoup pour le marketing, mais avec le piratage on n’en gagne pas facilement. Pour Doudé que tu vois ici sur cette photo, et qui pourtant débute, j’ai réussi, grâce à Dieu, à vendre plus de 60 000 albums. C’est énorme pour un artiste. OK, il était chef d’orchestre dans un groupe zaïrois, mais ici personne ne le connaissait. Je suis très fier car c’est la première fois que j’arrive à sortir un artiste inconnu pour le faire cartonner comme ça. On a vraiment fait un très bon travail. Doudé et moi. Il commence à plaire énormément et c’est, je te promets, un vrai produit marketing.

- Non, Je ne le connais pas. Je n’ai jamais entendu Doudé chanter. Il est vrai qu’il n’y a pas longtemps que je suis en France.

- Il tourne en ce moment dans toute l’Afrique et reviendra en Europe à l’automne. Il a avancé la somme de 10 000 euros et il a récupéré le double en seulement deux mois ! Je ne sais même plus combien il touche maintenant mais je sais qu’il ne se plaint pas.

- Mais je n’ai pas 10 000 euros, ça va être impossible pour moi, répond Wattara qui a une mine contrite et qui voit tous ces espoirs fondre en un instant.


Avoir touché au paradis, avoir presque atteint le soleil et retomber ainsi brusquement à terre, lui fait très mal tout à coup. Ses yeux s’embuent de larmes, et son sourire s’est évanoui.


- Bon, je vois que tu es un bon gars, et je te fais confiance. Tu n’auras qu’à te procurer 5000 euros et on commence l’enregistrement tout de suite… Ça te donnera le temps de trouver les 5000 autres et on te lance. Je pourrai dans un mois au plus tard te présenter à un directeur de salle qui m’est redevable car je ne lui ai fourni que de bons poulains qui ont fait la réputation de son établissement.

- Je vous promets de faire mon possible, mais tout de suite, j’ai à peine 1000 euros.

- Eh bien commence déjà par 1000 euros. Dans le métro, avec ton djembé, et en tapant tes copains, en quelques jours je suis certain que tu auras la somme.

- Je devais donner ce soir, les 1000 euros à l’ami de mon cousin qui m’a trouvé une chambre ! Je vais demander à mon cousin de me garder encore quelques jours. Il le fera, quand je lui dirai que je pourrai lui rendre dans quelque temps l’argent qu’il m’a déjà avancé et celui qu’il m’avancera encore car je lui donnerai une partie de ce que je vais gagner dès que je l’aurai !


Wattara tire de sa poche une petite bourse en cuir repoussé dans laquelle il a enroulé les billets tenus par un élastique et quelques pièces qu’il compte sur le coin du bureau


- 50 plus 10 et voilà, ça fait si le compte est bon 1060 euros, je garde les 60 euros pour moi et je vous donne le reste. Ça vous va Monsieur Frank ?

- Je vais te faire tout de suite un papier qu’on signera tous les deux. Ce sera comme un reçu et ainsi tu seras couvert

- Mais non, pas la peine d’un papier, je vous fais confiance.

- Jamais faire confiance, mon petit. Jamais ! tiens voilà, j’écris ton nom et le mien et la somme. Je signe… et toi tu signes là. J’inscris aussi la date et le tour est joué. Tu me téléphoneras au numéro qui est sur ma carte dès que tu as réuni le reste de l’argent et je t’inviterai au restau pour fêter ta future chance et ton succès. J’apporterai ton nouveau contrat et à toi la gloire.

- Oh merci monsieur Frank, vous êtes ma providence. Monsieur Doutoulé Yuku m’avait bien dit que j’allais rencontrer la chance, lorsque l’hiver porterait son bonnet sur l’œil. Nous sommes en fin février, la nature bientôt refleurira et l’hiver aura perdu son chapeau. Faut juste attendre que l’esprit du sang des arbres remonte jusqu’aux dernières branches. Et alors si Doutoulé Yuku ne s’est pas trompé, j’aurais gagné déjà assez d’argent pour aider ma vieille mère au pays. Merci mon bienfaiteur, merci, et que Dieu vous rende tout le bien et la joie que vous me faites.

- Ne me remercie pas, car avec toi la chance aussi a frappé à ma porte


Quelques minutes plus tard, la tête pleine de rêves et le cœur débordant de joie, Wattara se retrouve dans la rue, tout étourdi de projets et d’espoir, la nuit règne maintenant. Les boutiques ont fermé leurs devantures, les mamas ont replié leur étal et le jeune artiste se hâte vers la station Barbès.



 
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   David   
11/2/2008
Bonjour Titefee,

J'espère qu'il ne va pas se faire avoir Wattara parsque tout me dis le contraire...ça me tient un peu en haleine.

Les nombreuses références africaines animent la lecture (chanteurs, objets,..), elles ont l'air réelles ?

J'ai lu le précédent et ce Franck, j'ai été surpris qu'il soit lui aussi africain (mais c'est peut-être une inattention de ma part)

   pounon   
12/2/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ca sent de plus en plus l'arnaque. J'en ai les tripes qui se nouent. Dans le fond on trouve la même méthode avec les auteurs. Montre la couleur de ton pognon, tu vas devenir célèbre. J'espère un sursaut de bon sens de l'entourage...La suite !

   Manonce   
12/2/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Aie ! aie ! aie ! Franck ressemble en effet de plus en plus à ces éditeurs qui demandent aux auteurs de payer la fabrication de leur livre sans offrir un réel service de promotion. Pourvu que je me trompe !
Titefee ne nous fait pas attendre trop longtemps stp !
J’aime bien cette histoire.

   strega   
9/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Oui, moi aussi je connais plein d'artistes... punaisés à mes murs... Bon, je la sens mal cette histoire.

Bravo pour la plongée en profondeur dans le caractère de Wattara. Je me suis sentie aussi naïve et crédule. Bon, peut-être, on s'inquiète pour rien avec ce Franck...

J'ai juste trouvé cet épisode moins coloré, c'est difficile a expliqué. Peut-être parce que Wattara a troqué ses vêtements et son naturel, j'ai un goût d'amer, mais c'est l'histoire qui veut ça...

   Anonyme   
11/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Pauvre Watara !
Il devait être accompagné de son cousin, ne connaissant pas Paris. Tu n'expliques pas son absence.
J'ai tiqué à l'instant où j'ai appris que la salle d'enregistrement n'était pas libre alors que c'est précisément pour cela que Frank fait venir Watara à cette heure-ci.
J'aime beaucoup les "notes" africaines de ton texte.
J'aime moins les "l'on", préférant les "on" mais ça procure au texte un petit air décalé dans le temps.
Watara est très bien campé.
Je vais lire la suite.

   ANIMAL   
5/9/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Toujours une histoire très réaliste, on se promène dans les coins populaires de Paris, si l'on connaît.

Rien à dire sur la forme, ça se lit tout seul.


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