Les deux compères sortirent de leur train de banlieue, à la gare de Lyon. Sur les quais interminables et gris, les gens couraient presque vers la sortie. L’odeur de poussière et de ferraille, chatouillait les narines et l’arrière-gorge de Wouatara Mama qui essayait de suivre le mouvement.
Lui qui pensait, que marcher plus lentement lui donnerait une belle démarche, fière, voilà qu’il s’apercevait tout d’un coup, que sa longue robe africaine était un peu trop voyante, ce qui le gêna beaucoup.
Demain il achèterait une tenue « européenne » se promit-il, car, il faut « faire comme les autres » !
Les deux hommes s’engouffrèrent dans les escaliers qui menaient au métro et, là, l’odeur parut presque insupportable au jeune africain, plus habitué aux senteurs de la savane brûlée de soleil, qu’à cet amalgame de poussières, de parfums à bon marché et de corps malodorants.
Son cousin le guidait, à travers le dédale des couloirs. Ils empruntèrent des escaliers qui « grimpaient tous seuls ! » et redescendirent plusieurs fois de la rame pour emprunter d’autres couloirs, d’autres escaliers et d’autres métros.
Enfin ils arrivèrent dans une station à ciel ouvert.
Les rues grouillaient, sous le flot d’un monde cosmopolite. Une enfilade de magasins attirait l’attention de curieux et de clients, qui s’agglutinaient devant les vitrines. Des mannequins en plâtre étaient posés, à même le trottoir. Des vendeurs, juchés sur des escabeaux, surplombaient la foule en hurlant et distribuaient des tickets, sur lesquels ils inscrivaient quelque chose, lorsque un client leur passait des vêtements.
TATI ! Facile à retenir ce nom ! se dit Wouatara en lisant l’enseigne rose et blanche à carreaux sur le fronton des magasins et sur les grands sacs imprimés, que portaient les gens qui en sortaient !
Au pied des arches grises du métro, Wouatara observa un attroupement où des vendeurs à la sauvette remballaient soudain avec célérité leur marchandise. Ouatouré lui expliqua qu’un « pisteur » venait de siffler trois coups longs, repris par d’autres guetteurs… signal qui indiquait à tout ce petit monde, qu’un policier, venait d’être repéré.
Ouatouré attendit que tout ce petit monde reprenne sa place et son négoce, pour indiquer un emplacement à son cousin, juste après le portillon et lui dit de s’installer, bien en vue, pour chanter en s’accompagnant de son djembé.
Wouatara un peu gêné au premier abord, commença à frapper sur son instrument, et puis, le rythme prenant le dessus, il finit par chanter en y mettant tout son cœur. Des gens peu à peu s’attroupèrent et frappèrent spontanément des mains. Ouatouré déposa, subrepticement, aux pieds du musicien, un carré de tissu rouge sur lequel il déposa, en essayant de ne pas trop se faire remarquer, la première pièce de deux euros. D’autres personnes en rajoutèrent, pendant que d’autres passaient pressés et comme si le musicien avait été transparent… Pourtant son djembé rythmait follement son chant… mais ce qui surprenait fort Wouatara c’était qu’on puisse lui donner quelques pièces, seulement parce qu’il chantait ! Oui Tout ça, juste pour chanter ? Juste pour ce plaisir qu’il offrait et qu’il ressentait ?
Puis midi sonna. Ouatouré ramassa le tissu rouge où tintaient quelques pièces, fourra le tout dans une des grandes poches de Wouatara et lui dit de le suivre, car il était temps de rejoindre le marché d’Aligre, afin d’arriver un peu avant la fin du marché.
Il était près de treize heures maintenant et les marchands commençaient à remballer, tout en servant encore les clients retardataires. L’ambiance était colorée, vivante, et toutes les odeurs se mélangeaient. Les hommes en vert, déjà à pied d’œuvre avec leurs balais et la manche à eau, nettoyaient les emplacements déjà laissés libres.
Ouatouré connaissait bien les marchands qui l’attendaient pour lui confier leur stand afin d’aller prendre un petit blanc ou un café dans le bistrot qui ne désemplissait jamais à cette heure. Tout en rangeant soigneusement dans les cageots ce qui restait encore sur l’étal, Ouatouré, surveillait la caisse posée entre ses jambes et disposait dans une caissette les fruits et les légumes que le marchand lui avait laissés sous les planches.
Au retour du forain, il fera de même avec deux ou trois autres marchands qui, assis sur des empilements de caisses, l’attendaient en discutant entre voisins.
Wouatara l’aida non sans cesser de s’extasier sur tout ce qu’il voyait. Il ne cachait pas sa surprise de voir ainsi traîner dans le caniveau, des fruits et des légumes qui lui semblaient encore beaux et bons !
De vieilles personnes, courbées sur les amoncellements de fruits et légumes laissés à terre, triaient les meilleurs et lançaient au loin les autres, ou les écrasaient comme si elles prenaient un malin plaisir à le faire. Ensuite, elles enfournaient leur collecte dans des cabas noirs ou dans les pans de grands tabliers.
Les derniers marchands, maintenant démarraient leurs véhicules, pendant que la place devenait le théâtre des balais et de l’eau. Les oiseaux eux aussi de la partie, grappillaient par-ci par-là des graines et ouvraient, à petits coups de bec rapides, un peu plus les fruits éclatés.
Les deux compères revinrent vers le métro les bras chargés, et refirent à l’envers le chemin suivi le matin. La gare de banlieue était presque déserte et cela contrastait à côté de sa fréquentation bruyante du matin.
- Il est encore tôt pour rentrer, lui dit son cousin. On va déposer les cageots à la maison et on redescendra dans le petit bistrot, chez Ali, où je te présenterai au Chef. C’est toujours chez Ali que Mamadou Ouelé tient conseil, et distribue logement et travail. Faut lui glisser quelques billets très discrètement et ne rien lui demander surtout devant tout le monde. Moi je te dirai s’il a quelque chose pour toi, je connais les signes ! Ses signes ! Il l’indique dans la main et si c’est le plus long de ses doigts qui accroche le mien c’est oui, si c’est avec le petit doigt, c’est non.
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