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Fantastique/Merveilleux
TITEFEE : La malédiction
 Publié le 19/09/07  -  4 commentaires  -  11514 caractères  -  45 lectures    Autres textes du même auteur

Qu'en est-il encore ???


La malédiction


Ce fut pendant une froide nuit de décembre, alors que la neige tombait molle et dense dans cette station des Alpes, que j’assistais pour la première fois à une veillée improvisée.


Dans le bar illuminé, les derniers attardés étaient maintenant bloqués par les congères. Un vieux berger, qui venait tous les soirs siroter sa bouteille de liqueur de genièvre, était en train de boire son café à la diable. Soudain il prit la parole, d’abord en chuchotant, mais suffisamment fort tout de même pour nous intriguer… en effet nous ne l’avions jamais entendu parler !


Ce chuchotement ténu, imposa peu à peu le silence. Nous comprîmes que le vieux Benoît en fait nous racontait une histoire… comme dans le temps le faisaient les conteurs dans les veillées.


La lumière, comme si elle avait compris qu’elle n’était pas de mise ici s’éteignit. S’éteignirent aussi toutes les lumières de la station car la neige avait sans doute endommagé un poteau dans la montagne.

La patronne apporta de grosses bougies allumées sur les tables et Le père Benoît éleva un peu plus la voix dans le silence. Nous étions devenus soudain très attentifs à ses paroles.


« Je vais vous conter l’histoire d’une malédiction qui a défié le temps, dit alors Benoît. Elle se perd dans les brumes du Nord et nous est parvenue oralement, lors des longues veillées où les conteurs fascinaient les villageois par leurs récits. »


Tout le monde se serra autour du narrateur dans la salle communale aux odorants effluves de vin chaud à la cannelle et écorces d’orange. Les bûches que chacun avait amenées pour entretenir le feu dans la grande cheminée crépitaient et éclairaient les participants…


« C’était le temps où l’on se rencontrait encore et où se perpétuaient les légendes… Maintenant, entre la télé et les ordis, on ne voit plus personne, sauf l’hiver à la station au bar… reprit après une interruption dans son récit le père Benoît pour finir son café bien arrosé… Oui cette histoire a commencé il y a fort longtemps, sans doute au IXe siècle. À cette époque l’on croyait fort aux sorcières, succubes, fantômes et à la véracité des prophéties… mais on entraînait aussi au bûcher celles ou ceux qui faisaient commerce de sorcellerie. Or il existait dans un pays de brume et de neige une sorcière… comment se nommait-elle ?... Qu’importe d’ailleurs son nom… appelons-la Ahriman ou Artémise…


- Ahriman, ce devait être sans doute son nom, s’écria une jeune-femme brune qui s’était rapprochée de son ami, déjà impressionnée par la perspective d’une histoire de sorcellerie.


- Va pour Ahriman, répondit Benoît…


« Donc cette sorcière, reprit le vieux berger, était belle et convoitée par les hommes du village qui auraient donné leur âme au diable pour seulement lui voler un baiser et avoir ses faveurs… Les femmes du village en étaient fort jalouses et l’une d’elles, plus jalouse que les autres sans doute, l’avait dénoncée pour pratiques de sorcellerie...

Ahriman fut traînée devant un tribunal populaire et les fioles, talismans, cartes ésotériques et un vieux grimoire trouvés chez elle la confondirent. Elle fut jugée sans même avoir pu se défendre et la condamnation tomba : le bûcher !


Sans avoir pu prononcer une parole, elle fut emmenée sans attendre, sur la place du village où l’on planta un poteau en plein milieu et disposa des fagots tout autour…

Attachée fermement au poteau, la tête portant la couronne d’infamie, la jeune femme regardait les villageois de son regard perçant mais résigné…


Tous ces hommes qui l’avaient aimée, ces femmes qu’elle avait aidées à ne pas mettre au monde le fruit d’un amour illégitime, ces vieillards qui venaient prendre chez elle des potions qui les ragaillardissaient encore dans les jeux de l’amour, tous la regardaient sans baisser les yeux, pour ne pas trahir leur émotion et se signaient par précaution…


On alluma le feu, Les flammes crépitèrent mais le feu ne put vraiment consumer le corps de la sorcière qui, brûlé en partie seulement, était noirci mais semblait intact depuis la taille jusqu’à la tête.


Un homme rasant les murs vint de nuit décrocher le corps de la sorcière et emporta son cadavre. L’expression qui déformait le visage calciné de la sorcière était terrifiante tant la haine et la douleur l’avait déformé… mais cela ne fit pas reculer l’homme qui emmena chez lui le cadavre, roulé dans un drap de grosse toile bise.


Qu’allait-il en faire ?


Nul ne le sut jamais mais, bien des années plus tard, apparut sur le marché un livre à la peausserie noircie par les flammes d’un bûcher… La première personne qui lut les premières pages parcheminées découvrit le titre écrit en lettres brunes, comme écrites avec du sang séché :


« Grimoire d’Ahriman »


Les beaux caractères gothiques et enluminés du texte, donnaient plus de solennité aux recettes de magie noire que ce grimoire contenait...

L’on raconte encore maintenant que la couverture de cet ouvrage était faite de peau humaine, aussi fine que peau de femme !


Était-ce la peau de la sorcière suppliciée ? Nul ne le sut. Mais je reviens à l’époque du début...


Rappelez-vous, nous étions au tout début du IXème siècle... Aix-la-Chapelle pavoisait pour le couronnement de Charlemagne et l’empereur reçut des mains d’un haut dignitaire de la ville le livre inquiétant dans un geste de déférence…


Mais était-ce bien un geste qui se voulait accueillant ou était-il hostile ?


On rapporte dans les récits qui nous sont parvenus jusqu’ici que ce livre, cadeau précieux, fut exposé bien plus tard dans une vitrine fermée, contenant tous les cadeaux que reçut Charlemagne le jour du sacre...


Mais un jour, le conservateur de la salle des trésors découvrit la vitrine brisée et le livre gisant à terre. La salle était hermétiquement close... Personne, au grand jamais, n’avait pu pénétrer dans ces lieux si bien gardés ! Ce vol était un mystère !


Le Diable devait sans doute écrire la nuit dans ce livre des signes cabalistiques maudits, pensa l’homme glacé d’effroi…


L’homme se signa, pris d’un sinistre pressentiment…


Il sentit confusément que ce livre qui avait traversé le temps était maléfique et qu’il s’attachait à lui un drame ou un quelconque sortilège...


Il enferma à double tour le livre dans une armoire en fer dans laquelle voisinaient des bijoux trop précieux pour être exposés de jour devant un public inconnu et peut-être mal intentionné.

Or, quelques jours plus tard, en arrivant dans la petite salle aux écussons, le rideau, derrière lequel est dissimulée aux regards l’armoire en fer, gisait sur le parquet, arraché ; l’armoire éventrée avait été forcée et ne manquait dans l’amoncellement des objets précieux que le grimoire !


Le conservateur, amateur de bons vins et déjà bien malade par la boisson fut pris d’une crise d’apoplexie et mourut quelques jours plus tard.


On ne retrouva pas la trace de ce livre et ce n’est que quelques longues années plus tard qu’il réapparut… un peu plus noirci car on le retrouva dans les décombres encore fumants de l’échoppe d’un brocanteur qui mourut, brûlé vif, dans l’incendie.


Nul ne sut non plus par quels chemins ce curieux livre était parvenu entre les mains de cet antiquaire ! Le fait est qu’il ne lui avait pas porté bonheur…


On perdit encore la trace du livre maudit lorsqu’aux environs du XVIe siècle, je crois même que c’était l’année 1566, on le retrouva chez un diamantaire d’Amsterdam. Un homme fort bavard ma foi, et qui disait à qui voulait l’entendre que ce grimoire possédait des forces maléfiques et qu’il en avait fait l’expérience.


En effet, il avait voulu nettoyer son livre encore plus noirci de fumée car il en avait marre de se laver constamment les mains maculées de noir dès qu’il le prenait en mains. Mais à peine avait-il entrepris de frotter la tranche que le livre fut diaboliquement arraché de ses mains par une force invisible et atterrit dans la vasque remplie d’eau fraîche qui était face à lui...


L’eau, l’instant d’avant encore fraîche, aussitôt se mit à bouillonner !


L’homme retira avec des pincettes le grimoire de l’eau bouillante, mais le livre en sortit sans la moindre trace d’humidité !


Étrange phénomène !...


Le diamantaire n’ayant jamais connu dans sa vie d’heure de gloire malgré son métier qui nourrissait fort bien ses concurrents, parla à tort et à travers de cette ahurissante histoire, ce qui lui valut de nombreux clients dans sa boutique…


Or, son bavardage avait sans doute ravivé la malédiction car peu après un voleur pénétra dans son échoppe, l’assomma, le laissant pour mort et s’empara du grimoire damné...


Et l’on n’entendit plus parler une fois de plus de cet étrange livre…


Passent deux autres siècles d’oubli… et on retrouve à nouveau sa trace à Prague. C’était une ville réputée pour ses sorciers et ses nécromants, d’après les dires de l’époque. Le grimoire se trouvait dans les mains de deux frères qui en avaient hérité tous deux... Leur bonne entente fraternelle ne résista pas à la convoitise de posséder un ouvrage ancien, si curieux et, le XVIII e siècle étant fameux pour les combats singuliers, nos deux frères se défièrent en duel. Le plus jeune des frères blessa mortellement son aîné mais emporta sans le moindre remords le manuscrit. Il le déposa bien en vue sur le manteau de la belle cheminée de sa maison, située rue des Alchimistes. Puis se campa dans son fauteuil bien décidé à admirer cet ouvrage de longues heures dans le rougeoiement des flammes crépitant dans la cheminée.


Le lendemain les voisins faisaient la chaîne pour éviter à l’incendie de sa belle maison bourgeoise de se propager à tout le quartier.


L’homme était mort dans l’incendie assis dans le grand fauteuil de brocard qu’il avait posé face au livre.


Ce n’est qu’au XXe siècle que l’on retrouva à nouveau la trace de ce maudit manuscrit.


Curieusement, il était inscrit dans les registres de la célèbre compagnie d’assurances Lloyds ! Un célèbre milliardaire l’avait fait assurer, à prix d’or, avant d’embarquer sur un magnifique transatlantique. John J. Astor car c’est de lui dont il s’agit avait enfermé ce livre dans un coffre plombé et hermétique, aux multiples serrures pour le protéger de tout incendie.


Et le Titanic emporta, outre de nombreuses personnes émigrantes pour les États-Unis, des hommes et des femmes de la haute société, des artistes et un équipage rôdé par de nombreux voyages sur ce bateau que l’on disait… insubmersible !


On connaît maintenant le sort de cet orgueilleux paquebot qui rencontra dans la nuit un iceberg dérivant et disparut dans les flots se refermant sur les 1513 passagers… et le maudit grimoire


Nul ne sait encore s’il reviendra à la surface ce dangereux Grimoire ! On sait seulement que le renflouement du Titanic a déjà ramené à la surface des objets appartenant aux familles des naufragés…


L’eau a-t-elle combattu le feu de la sorcière ? A-t-elle enfin éteint la douleur et la morsure des flammes du bûcher… Son âme est-elle en paix ?...


Benoît se leva. La lumière venait de revenir. Nos yeux habitués à l’obscurité clignèrent un peu devant la violence des lampes, mais nous gardions encore à l’esprit l’histoire et les images qu’elle avait fait naître en nous...


La route avait été dégagée par les chasse-neige et peu à peu les gens se séparèrent pour s’enfoncer dans une nuit « blanche » car la lune éclairait les congères de neige. Et cette clarté bleutée rendait le paysage fantasmagorique…



 
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   Liry   
23/9/2007
Une histoire très prenante à l'atmosphère mystérieuse.

Le texte est fluide et les différents passages s'articulent très bien. J'ai apprécié les différents moments où le livre apparaît tout en gardant son mystère et son caractère maudit.

J'ai passé un très bon moment.

   Bidis   
25/9/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Titefée ou Titsorcière ? Conteuse de talent en tout cas, et l'atmosphère en prime...

   Togna   
10/4/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ah ! ah ! Ahriman est toujours là ! L’ange déchu, esprit du mal du Zoroastrisme, prend la forme et les traits d’une belle sorcière dont la peau deviendra grimoire. Alors là, tu as fait fort Titefee, parce que quand même, le Titanic…
Tu nous narres là une belle légende. C’est vrai, les anciens content encore, à la veillée, dans les tavernes de nos régions. Et c’est bien.

   xuanvincent   
22/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Une étonnante histoire, que celle de ce manuscrit maudit !

L'histoire me paraît bien écrite et m'a plu. J'ai apprécié en particulier le récit du conteur.

Pour le fond, arriver à partir du Moyen-Age à la tragédie du Titanic me paraît assez fort et réussi.

Petits détails :
"la neige tombait molle et dense" : "molle" et "dense" me semblent ne pas trop aller ensemble ; "chuchotement ténu" me semble redondant et la virgule de trop ; "Tout le monde se serra autour du narrateur" ("conteur" me paraît plus adapté dans ce contexte) ; la "trace de ce livre maudit" est répété plusieurs fois.

J'ai apprécié la fin.


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