Marguerite vient à peine d’entamer la montée qui l’amènera dans moins d’une heure à destination, lorsque dans son rétroviseur elle aperçoit l’estafette bleue des gendarmes pénétrer dans l’allée menant à la ferme.
Néanmoins elle continue sa route car elle a juste le temps de passer à la poste et d’arriver à l’heure sur son lieu de travail.
Mais elle est fort soucieuse de ce qu’allait donner l’entrevue de Gilles avec les gendarmes concernant l’altercation du matin avec leur voisin et elle ne peut qu’extrapoler les renseignements recueillis par les gendarmes sur Coraline, sa mère, les différents témoignages.
Elle voudrait bien savoir aussi ce qu’avait bien pu dire le Père Mathieu à la gendarmerie. Elle projetait d’aller rendre visite à ce dernier le lendemain avec une photo de Coraline qu’elle avait tirée en plusieurs exemplaires sur son imprimante.
Depuis le départ de Coraline et devant l’étrange silence qui s’en est suivi, elle échafaude mille histoires où elle imagine Coraline dans les griffes de pervers ou alors victime d’un chauffard l’ayant laissée pour morte, dissimulée sous des taillis.
Elle ne peut s’empêcher de percevoir en chaque fourré et chaque sentier s’enfonçant dans la forêt de possibles cachettes du corps de Coraline et ce stress répété a réveillé depuis deux jours sa migraine et son ulcère.
Elle demandera demain à son médecin un arrêt de travail afin de rester à la ferme pour se soigner mais aussi lui permettre d’avoir du temps pour des démarches qu’elle ne peut accomplir tant elle est prise par ses obligations professionnelles.
Sur le tableau de bord elle a posé en évidence l’enveloppe qu’elle vient d’écrire à l’avant dernière famille d’accueil qui avait recueilli Coraline. Elle demande de bien vouloir lui communiquer tous renseignements sur un éventuel endroit où la jeune fille aurait pu se réfugier. Elle a aussi insisté sur le caractère angoissant qu’a sa supplique et a glissé dans la lettre la photo la plus récente de la jeune fille prise le jour de ses quatorze ans. C’est en effet une ravissante jeune fille, aux yeux brillants et aux lèvres pulpeuses. Son sourire s’ouvre sur deux rangées de dents blanches et bien rangées. Tout en elle indique la joie et l’intelligence. Marguerite indique aussi que Caroline lui avait affirmé avoir vu dans leur famille, sa mère pour la dernière fois, venue lui rendre visite un jour de Noël, l’année de ses six ans, semble-t-il…
Or depuis qu’elle est chez les Gaucher, Coraline n’a eu aucune nouvelle de sa mère. La dernière carte postale qu’elle a reçue, remonte à son sixième anniversaire. Elle la conserve précieusement avec les trois autres reçues de sa mère auparavant.
Quatre pauvres liens qui n’ont cessé de lui faire espérer que sa mère viendrait la chercher et qu’elle lui expliquerait pourquoi elle ne l’avait pas prise avec elle depuis tout ce temps et pour quelles raisons elles ont été séparées…
Aux dernières informations, les gendarmes n’ont toujours pas retrouvé la trace de la maman de Coraline. Cependant Marguerite n’a jamais eu de doute sur l’efficacité des moyens d’investigations mis en place par les services de gendarmerie et de police. Elle a l’espoir que bientôt ils pourront recueillir des renseignements précieux qui éclaireront ce mystère alarmant…
Mais tous les jours d’incertitude s’ajoutant, elle ressent une angoisse difficile à contenir maintenant…
Marguerite lui avait promis qu’un jour elle l’accompagnerait dans ses démarches mais qu’il fallait un peu plus de détails. Pour le moment, les recherches sur le Net ne donnaient pas grand-chose car les Dupuy étaient légion dans tout le département.
Une issue heureuse lui apparaît de jour en jour plus lointaine car Coraline ne l’aurait jamais laissée ainsi sans nouvelle depuis tout ce temps !
Marguerite arrête sa voiture sur la place du village et grimpe les quatre marches du bureau de poste, demande un recommandé avec accusé de réception pour sa lettre.
La douleur de son estomac est très vive et un goût acide dans la bouche lui brûle le tube digestif et elle a l’impression que son estomac se révulse et s’auto-digère. Elle se dirige rapidement vers la pharmacie et achète une boîte de Maalox en présentant son ordonnance renouvelable.
La pharmacienne alertée par le visage défiguré par la douleur de Marguerite lui tend un verre d’eau et lui donne dans la main un comprimé pris dans la boîte de Maalox.
- Vous êtes toute blanche ! Ça n’a pas l’air d’aller Madame Gaucher ? Voulez-vous vous asseoir et attendre que ça passe ? Si vous voulez, vous pouvez téléphoner à votre mari pour qu’il vienne vous chercher. À mon avis vous ne pouvez pas conduire dans cet état là… Cette transpiration n’annonce rien de bon, vous pouvez avoir un malaise…
- Non ça devrait aller avec le médicament. Dans vingt minutes la douleur aura cédé… et en plus je ne suis pas encore passée au bureau. On m’y attend.
- Voulez-vous que je leur téléphone pour les avertir ?
- Non, ça va aller, j’ai l’habitude, vous êtes bien gentille Madame Dupré, je me sens déjà un peu mieux.
- Vous êtes encore toute blanche et vos mains sont moites… reposez-vous encore un peu.
- Non je vous assure ça va aller. J’ai déjà bien récupéré. Je vous remercie.
Sur ces paroles Marguerite se lève et esquisse un pauvre sourire à la pharmacienne qui sert un client lui montrant une brûlure sur la main…
Elle traverse la place les jambes flageolantes et la migraine qui vient encore ajouter à sa douleur. Elle grimpe les marches en bois de l’escalier en colimaçon qui l’amène à son bureau vitré, et aperçoit sur sa table de travail, deux piles de courrier en retard qui l’attendent.
Elle pense en son for intérieur que ses deux collègues auraient pu prendre un peu de cette tâche pour la soulager mais depuis l’arrivée de madame Fayolle, c’est chacun pour soi et l’ambiance n’est pas à l’entraide. . Quelques instants après l’arrivée de Marguerite et après qu’elle ait commencé à traiter les premiers dossiers, leur chef, Madame Lignac vient s’enquérir du motif du retard.
Devant la mine défaite et le teint terreux de Marguerite elle lui conseille de passer voir le médecin tout de suite et de rentrer chez elle.
- Ne t’inquiète de rien Marguerite, je vais donner le travail en souffrance à tes deux collègues… aujourd’hui Yvonne n’a que des travaux de photocopie à terminer et Marie est aux archives mais ses recherches peuvent attendre.
- J’accepte ta proposition Paule, car c’est vrai que je ne me sens pas bien. Je ferai mon possible pour être là demain.
- Soigne-toi d’abord et on verra… on peut pour l’instant se passer de toi. Les feuilles du troisième tiers sont parties…
Des questions pourtant brûlaient les lèvres de Paule. Cependant elle n’osait plus demander des nouvelles de la petite disparue, car si Marguerite ne disait rien cela laissait à penser qu’elle n’en avait pas et que sa peine et son inquiétude n’avaient pas à être ravivées par des questions indiscrètes et inutiles…
D’autres, moins discrètes s’en chargeaient déjà, et les bruits de couloir allaient s’enflant chaque jour.
Paule Lignac avait dû remettre à leur place deux jeunes femmes qui supputaient les pires choses concernant le mari de Marguerite, affirmant qu’elles les avaient apprises de la bouche même de « personnes » qui savaient !!!
Mais qui savaient quoi ?
Eh bien que la petite était traitée comme une esclave, qu’elle accomplissait les pires besognes, et que Gilles l’avait battue un soir de saoulerie, elle et Marguerite…
Or Paule Lignac avait souvent rendu visite à la ferme, aux Gaucher, car elle était une amie d’enfance de Marguerite. Elle connaissait bien la petite et sa joie de vivre et la façon toute familiale et tendre dont elle était traitée. Et qui plus est, sur la table il y avait bien une bouteille de vin, mais elle n’avait jamais vu Gilles s’en servir d’une façon inconséquente.
Et Marguerite se serait confiée à elle si son mari était alcoolique ! Ça elle en était sûre, car son amie lui avait parlé des déboires de Gilles à Créteil et elle savait bien, que si pareille chose se savait ici, dans ces petits villages refermés sur eux-mêmes et empêtrés dans leurs histoires paysannes, cela aurait fait beaucoup de mal au jeune couple
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