Un matin lumineux accrochait ses taches de soleil sur le mur de la pièce où je m’étais assoupie… Les oiseaux pépiaient à qui mieux mieux dans les marronniers et les vaches repartaient aux champs, car l’on entendait tinter les campanes pendues à leur cou...
Finalement je m’étais endormie comme une masse et me réveillai au petit matin, ne sachant pas pendant quelques secondes où je me trouvais.
Le feu était éteint dans la cuisinière et je mis un moment à le rallumer, me jurant que j’irai chercher à la ville voisine, à 42 Kms de là, un petit réchaud pour faire plus facilement chauffer mon petit déjeuner. J’achèterai aussi des rideaux orange pour égayer les fenêtres et être moins visible de la rue...
Et comme je n’avais rien d’autre à faire, je fermai le logis et l’école, tirai la lourde grille de la cour et me dirigeai trois rues plus loin vers le centre du village.
La petite épicerie était ouverte et une femme sortait sur des tréteaux, cageots emplis de fruits et de légumes. Des journaux étaient déjà à l’étalage, j’en pris un et j’achetai tout ce qui me manquait à la maison.
La femme était peu loquace et me regardait à la dérobée
- Je suis Mademoiselle Sensal, l’institutrice. Savez-vous où je pourrais trouver un poste d’essence car ma voiture est bientôt à sec ? - Vous en trouverez qu’à Saussignac maintenant et il vous faut faire au moins 30 Kms... Vous feriez bien de prendre un bidon de réserve car parfois ils sont dévalisés et réapprovisionnés que le lendemain.
Arrivée à la maison, je rangeai les affaires dans le petit placard et inscrivis sur ma liste :
- petit réfrigérateur d’occasion, - réchaud, - essence et bidon, - rideaux
Et je dépliai le journal sur la table…
Les nouvelles nationales étaient identiques à celles de la veille ou presque… Et je tombai en quatrième page sur les rubriques régionales. Le nom du village me sauta aux yeux car un grand titre et une photo y tenaient une grande place :
Aucune piste pour l’instant sur la disparition de Coraline, à Vinargue les recherches continuent.
Suivait un article entourant la photo d’une fille de douze ans environ, souriante, la tête légèrement tournée vers la droite et les yeux plissés sans doute sous la morsure du soleil.
Fort étonnée du silence du village alors qu’un drame s’y jouait, je me perdis en conjectures… Les habitants étaient-ils tous à la recherche de cette enfant pour que je n’en n’ai croisé que deux : le maire et l’épicière ?
Mais le niveau de ma jauge d’essence étant préoccupante et la perspective de la rentrée des classes le lendemain me décida à partir sur l’heure.
Je n’eus aucune peine à trouver le chemin de Saussignac, là où l’on m’avait dit que je pourrais faire le plein et acheter un bidon d’essence.
La route était agréable et vallonnée. Des champs de tournesol montraient des têtes lourdes aux cœurs déjà bruns qui penchaient, et des champs d’aulx aux hampes fleuries de grosses boules blanches.
La radio dispensait de la musique douce mais je m’interrogeais encore sur cette ambiance délétère qui me rendait fort mal à l’aise.
L’année que j’allais passer là me pèserait sans doute car j’ai toujours été entourée d’amis et mes parents m’aidaient en toute circonstance par leur présence. Mais Papa était de santé fragile car son cœur avait connu cette année quelques faiblesses. Lui qui se faisait une joie de venir m’aider à prendre possession de mon nouvel appartement et m’aider à y faire des travaux, en était dispensé.
Le petit village apparut derrière un vallon planté de peupliers. Une rue principale et à l’entrée un poste à essence attenant à un commerce faisant entre autre ; dépôt de pain, épicerie et bar. La salle du bistrot était bondée car elle servait aussi de point de rencontre pour ceux qui prenaient le car faisant le trajet à travers la contrée trois fois par jour.
Mais au poste d’essence hélas, plus d’essence et cela jusqu’au lendemain.
Je repartis donc à petite allure en espérant bien que j’arriverai quand même à Vinargue sans subir de panne sèche.
Les informations de dix-neuf heures venaient de commencer lorsque ma voiture hoqueta et s’arrêta en mourant près d’un bois de feuillus épais
« M… me voilà bien ! »
Je cherchais sur mon portable le seul numéro que je connaissais au village, celui du maire ! Mais c’était dimanche et à la mairie personne ne me répondit ! De plus j’avais oublié mon attestation d’assurance afin d’appeler le service de dépannage.
Qu’à cela ne tienne, je passerai la nuit dans la voiture et à 5 heures me mettrai en route afin d’être à l’heure à la rentrée des classes.
Je mangeai une orange et allais terminer un paquet de galettes dans le petit sentier qui s’enfonçait au creux de la forêt. La nuit n’allait pas tarder à arriver et je ne m’aventurais pas très loin car les bruits devenaient de plus en plus alarmants au fur à mesure que je marchais ainsi.
Je dois dire que j’ai toujours eu une imagination un peu aventureuse et surtout fantastique. Et voilà que je me surprenais à parler aux arbres et à l’esprit des bois ! Les yeux fermés j’écoutais le vent et les bruits ténus que faisaient les oiseaux diurnes rejoignant leur nid pendant que les oiseaux nocturnes allaient prendre bientôt le relais.
Et soudain j’entendis un craquement de branchages très près de moi. Je sentis mon cœur s’emballer et mon sang descendre dans mes jambes… Figée de peur, je crus apercevoir une silhouette trapue et noire que je pris pour un jeune sanglier. Prenant mes jambes à mon cou, je rejoignis vite la voiture et me fermai à l’intérieur, l’œil aux aguets. Mais la bête avait dû avoir aussi peur que moi car je ne vis rien d’autre dans le chemin que l’ombre d’un grand chêne que la lune pleine venait d’éclairer tout en haut !
Prendre la route à ce moment-là, je n’en avais pas le courage, mais je programmais mon portable pour cinq heures estimant que demain matin la route ne serait pas trop longue à parcourir et qu’après une sommaire toilette je serai à la grille pour accueillir mes premiers élèves.
Finalement j’étais réveillée avant cinq heures et me mis en route avec mon sac à provisions qui au fur et à mesure de la route pesait de plus en plus et me sciait la paume de la main. Mais à mon grand dam, je ne voyais toujours pas se profiler le paysage qui m’indiquait que je n’étais pas très loin du village de Vinargue…
Il était déjà 7 h 30, la rentrée était prévue pour 9 heures ce premier jour !
Dans la grande descente la voiture des gendarmes me croisa, et ils reculèrent pour me demander si j’avais besoin de quelque chose. Je leur expliquais mes déboires et ce sont eux qui m’amenèrent à l’école.
- De toute façon nous y allions aussi, me dit l’un des gendarmes. On va procéder à l’interrogatoire des copains de la petite qui a disparu. Vous ne seriez pas la nouvelle institutrice par hasard ? - Oui c’est moi, Mademoiselle Sensal, lui répondis-je - Hé bien vous arrivez dans un drôle de moment ! Si jamais vous entendiez dans les conversations des enfants des choses qui pourraient être des indices, vous seriez aimable de bien vouloir nous les communiquer. On sera là vers 10 heures, j’espère que ça ne gênera pas trop la rentrée. L’on reviendra sans doute demain au moment de la récréation.
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