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Fantastique/Merveilleux
Twinkle : Le Parfum de l'Érable
 Publié le 07/05/08  -  6 commentaires  -  5032 caractères  -  23 lectures    Autres textes du même auteur

L'histoire du concours qui opposa le Quartier Ouest et le Quartier Est, et ce qu'il en advint.


Le Parfum de l'Érable


Le soleil se leva sur le concours qui opposait le Quartier Ouest et le Quartier Est. Les hommes s’affairaient à préparer la Pagode Bariolée où se tiendraient les épreuves.


À l’écart, Kang Kunlun, le champion de l'Ouest, contemplait le jardin, toute la nature tendue dans l’attente. La montagne n’était qu’un simple trait sur l’horizon. La lumière du soleil rayonnait à travers l’espace. Le vent traçait ses méandres dans le ciel. Les bruits de la cité parvenaient étouffés. Kang Kunlun perçut tout cela et comprit comment il devrait jouer.


Comme le pinceau qui anime la montagne.


Comme le ciel qui absorbe la lumière du soleil.


Comme le bambou qui dévoile le vent.


Oui, il jouerait comme cela, se dit-il en s’approchant de la Pagode Bariolée.


La foule acclama Kang Kunlun et se tut quand le champion de l'Est se présenta. C’était une frêle jeune fille, l’air modeste et le regard timide, qui s’inclina devant les jurés sans même dire son nom. Le sort désigna l’Ouest pour jouer en premier. Kang Kunlun sourit. Il ne doutait pas de l’emporter comme à l’accoutumée. Ses doigts se refermèrent sur les cordes. Il interpréta la Taille Verte également appelée Registre d’Invitation en mode de la. Il joua comme il l’avait voulu, redessinant le monde en notes intrépides. Le Quartier Ouest était sûr de gagner. Le Quartier Est était subjugué.


- Je connais cette pièce, murmura la jeune fille quand Kang Kunlun s’inclina devant elle. Je la joue également mais insérée dans l’air du Parfum de l’Érable.


Elle ferma les yeux et coula ses doigts sur le bois du pipa. Elle joua, et jouant redessina son cœur, emportant dans le flot de la mélodie le cœur de la foule. La Pagode Bariolée s’emplit de tonnerre et de pluie. Le parfum de l’érable envahit les esprits, quand ses feuilles rougeoyantes dévorent les chemins. Le silence suivit, que pas un applaudissement ne vint troubler. Les jurés hésitaient. Kang Kunlun n’y tenant plus, essuyant les larmes qui inondaient son visage, salua soudain la jeune fille. Ce fut un salut simple, le salut de celui qui reconnaît un maître et veut appendre de lui. La jeune fille se troubla.


- Que peux-tu apprendre de moi, demanda-t-elle. Ta musique est forte et puissante, elle explore le monde et lui donne sa saveur.

- J’ai toujours joué pour le monde, répondit Kang Kunlun, quand je t’entends je vois qu’il faut jouer pour soi. Apprends-moi cet équilibre entre une âme et un corps.


La jeune fille éclatant de rire dégrafa sa tunique. Sous la soie elle cachait une toile épaisse.


- Je m’appelle Duan, dit-elle clairement. Je suis moine au monastère voisin, mais n’ai pu résister à montrer mon art en participant à ce concours. Me voilà donc coupable de mensonge et d’orgueil. Comment pourrais-je prétendre former un disciple ? Kang Kunlun a gagné. Quant à moi je dois me retirer et faire pénitence.


La stupeur avait gagné la foule qui regrettait la belle demoiselle et n’appréciait guère le travesti. Elle le laissa partir et se dispersa en murmurant. Kang Kunlun resta seul dans la Pagode Bariolée.


La pluie vint et forma un rideau sur le Quartier Est. La pluie repartit et Kang Kunlun la suivit. Il contemplait avec dédain les reflets colorés qui naissaient au fil des flaques.


- Ma musique est comme ces illusions, pensait-il. Elle ne vaut rien. Duan a trouvé la véritable musique.


Le jeune homme se mit à étudier assidûment, méditant, jeûnant et priant pour mieux jouer, fuyant les honneurs. Mais rien de ce qu’il créait ne lui plaisait.


- Ça suffit, gronda-t-il un jour en posant son pipa si violemment que tout le Quartier Ouest sursauta. Puisqu’il y a un maître en ce monde et qu’il m’a été donné de le rencontrer, il doit m’enseigner, sous peine de perdre son talent.


Voilà le discours qu’il tint au portier du monastère, qui le répéta de cellule en cellule. Les rires ébranlèrent bientôt le bâtiment sacré.


- Hé Duan, tu vas perdre ton talent !


Le jeune moine consentit pourtant à rencontrer Kang Kunlun.


- Ne t’ai-je pas déjà dit que ta musique valait la mienne ? Je n’ai rien à t’apprendre et ton talent est égal au mien.

- Mon talent n’est qu’un humble reflet du tien, maître, répondit humblement Kang Kunlun. Quand bien même tous les courtisans me diraient le contraire, j’ai encore assez de sagesse pour ne pas les croire.


Ce jour-là Duan refusa encore. Kang Kunlun s’installa à l’entrée du monastère et déclara qu’il n’en bougerait plus jusqu’à ce que le maître lui enseigne. Le moine ne se laissa pas attendrir pour autant. Les jours passèrent. Duan vaquait à ses occupations quotidiennes quand une voix éraillée vint frapper son oreille. C’était Kang Kunlun qui chantait ainsi pour oublier le froid, la faim et les crampes qui l’envahissaient.


- Tu chantes vraiment faux ! s’exclama Duan. Il faut finalement que je t’apprenne un peu de musique.


Ainsi, Kang Kunlun devint l’élève de Duan, puis eut à son tour des élèves et d’autres encore, pour que vive la musique qui trace le cœur et délimite le monde.



 
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   strega   
7/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Ce texte c'est une petite bulle...

C'est vrai, ça ouvre une parenthèse, l'histoire en elle-même est belle, bien écrite, simple avec en prime une forme de morale.

J'aime ce genre de récits qui ne demandent rien, n'attendent rien, se suffisent un peu à eux-même.

Agréable moment zen Twinkle.

   widjet   
7/5/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Un texte assez apaisant il est vrai. Le moment où la jeune fille est en fait un homme m'a semblé confus, pas très clair. Sinon c'est bel et bien un texte zen (un titre fort joli) tout à fait en adéquation avec les Elements et le pays du Soleil Levant.

W

   xuanvincent   
12/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Un joli conte zen, comme je les aime. Bien écrit, avec de jolies images. L'histoire, se lit bien et m'a intéressée.

Petite remarque : dès lors que le moine musicien se présente, peut-être aurait-il été préférable de ne pas pas employer le "elle" (à la première lecture, cela m'a causé un moment de confusion) ?

La fin, amusante, dans l'esprit d'un conte zen, m'a bien plu.

   calouet   
12/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Pas mal du tout. je ne reviens pas sur ce qu'on dit mes prédécesseurs, mais je suis d'accord avec eux, notamment sur le "coming out" de Duan, qui peut-être largement amélioré. Merci pour cette lecture, belle ambiance.

   marogne   
26/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bravo pour avoir réussi à écrire une nouvelle si empreinte de philosophie asiatique, les thèmes y sont, le style est conforme, les images sont vraiment celles que l'on s'attendrait à ressentir en lisant un classique....

Juste un regret pour la fin, l'avant dernière phrase qui détonne un peu, mais si peu.

bravo encore.

Détails:

* peut être comme dans le texte "chasse au trésor" un style un peu trop détaché, surtout au début"

"Le vent traçait ses méandres dans le ciel": un peu trop "précieux" peut être.


j'ai bien aimé la série des "comme" au début, que je trouve tout à fait caractéristique d'une certaine approche orientale que l'on avait déja expérimentée dans la "pécheuse de la rivière Liu".

   Flupke   
14/11/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Twinkle,
Un peu consterné par la dernière phrase la musique qui trace le coeur et délimite le monde, n'empêche que si je l'avais comprise je l'aurai trouvée très jolie :-) . Au niveau de la révélation du changement de sexe j'aurais préféré « Je m'appelle Duan et je suis moine au monastère voisin. Je n'ai pu résister... ».
Mais à part ces deux détails c'est tellement bien fait qu'on dirait vraiment un conte Zen. Et c'est bien écrit aussi. Bravo Twinkle. Amicalement, Flupke


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