Ce texte est une participation au concours n°6 : Collaborations estivales (informations sur ce concours).
7 avril 2008
Mon journal,
Il y a tellement à te raconter que je ne sais pas par où commencer. C’est mon artiste qui a eu cette idée. Elle dit qu’une vache en peluche pleine de vie comme moi c’est si rare que je dois écrire toutes mes aventures. Je crois surtout qu'elle veut me forcer à m'entraîner au dessin, elle a bien veillé à prendre un journal avec de belles pages blanches. Ce n’est pas une artiste pour rien !
Bon, je vais commencer par me présenter. Je m’appelle Margueritte, avec deux "t" pour faire plus joli. Je suis une vache en peluche, mais ça, vous le savez déjà. Une vraie vache normande, blanche avec des taches noires. J’habite dans l’atelier d’une artiste qui m’a achetée en souvenir d’un beau char de carnaval. Comme c'est la première page de mon journal, elle a accepté de le dessiner pour moi. On s'entend vraiment bien toutes les deux !
Quand l’artiste m’a adoptée, elle ne se doutait pas qu’elle devrait m’offrir un journal. À l’époque j’étais endormie presque tout le temps, comme la plupart des vaches en peluche. C’est un secret, mais après tout personne ne lira ce journal à part l’artiste et moi, alors je peux l’écrire sans souci. Nous, les peluches, nous dormons toute la journée et presque toute la nuit. Presque, car quand minuit sonne nous nous réveillons et nous jouons jusqu’à 2h du matin. À ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, nous avons brusquement une terrible envie de dormir. Il faut vite que nous regagnions notre place avant de succomber au sommeil. Ça se passe toujours à la même heure, 2h22 ça doit être une heure un peu magique.
Quand l’artiste m’a ramenée chez elle, la première nuit j’ai eu une belle surprise. Je n’avais jamais visité un atelier d’artiste, c’est plein de tableaux, de papiers bizarres, de pots de peintures, de crayons de couleurs... Pour s’amuser on ne fait pas mieux, ça me changeait du magasin ! Et en plus, je n’étais pas toute seule. Il n’y a rien de pire que se retrouver seule sur une étagère, on finit vite par s’ennuyer. Dans le magasin j'étais la seule peluche, alors je passais mon temps à lire les livres de voyage vendus à l'étage au-dessus. Ça faisait un paquet de marches à monter ! Heureusement, dans l'atelier il y avait plein d’autres peluches autour de moi. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Nemo, Nestor, Octave, Gontran, Mimi, Sophie, Avicenne et Mini Bill.
Je vous parlerai d'eux une autre fois, parce que là il me reste plein de choses à écrire et je commence à être fatiguée. Je n’ai pas l’habitude.
Ce qui est compliqué quand on commence un journal, c’est qu’il faut écrire en une seule fois tout ce qui s’est passé pendant tous les jours où on n’avait pas de journal ! Enfin, mon artiste dit qu’il faut juste écrire les choses les plus importantes. J’espère que je fais bien comme il faut ! Je dois encore vous raconter pourquoi je ne dors plus autant, et comment j’ai appris à dessiner. Ce sont deux choses vraiment importantes pour moi.
Je sais bien qu'Octave pense que je me suis réveillée parce que je m'ennuyais avec les autres. Ce n'est pas vrai du tout. C'est juste qu'un soir, il y a un mois, j’ai ouvert les yeux et j'ai aussitôt entendu une grosse voix humaine parler. Ça nous a tous fait une sacrée peur, personne n'osait bouger. Il vaut mieux que les humains ne sachent pas que nous nous réveillons chaque nuit. Ils sont tellement étranges que ça pourrait les mettre en colère. Heureusement, Nestor qui est vraiment malin a vite compris qu'il n'y avait rien à craindre. La voix venait de la radio que l'artiste avait laissée allumée. Moi j'ai bien aimé la radio, c'était la première fois que je l'entendais. Le monsieur racontait les aventures d'un capitaine qui avait fait le tour du monde avec un voilier. Il avait rencontré des monstres marins, essuyé des tempêtes et combattu des pirates avant de réussir. Une belle histoire, et bien longue en plus. J'étais si captivée que j'ai oublié de m'endormir. Je me rappelle que Nestor et Mimi ont essayé de m'avertir, pile au moment où le capitaine allait retrouver sa fiancée. Je ne les ai même pas entendus ! Quand l'histoire s'est terminée, j'ai levé la tête. Tout le monde dormait et l'horloge marquait 2h23. Ça doit être aussi une heure magique, depuis que je l'ai vue je n'ai plus envie de dormir toute la journée.
Comme je n'avais pas sommeil et que j'avais des images plein la tête, j'ai voulu les dessiner. J'ai pris un beau stylo bleu et j'ai commencé à faire les vagues de la mer, le voilier, les monstres marins et la fiancée du capitaine qui pleurait sur le quai. Et là aussi je me suis fait avoir ! La nuit est passée en un éclair et au petit matin l'artiste est entrée dans l'atelier. Quand elle m'a vue en train de faire des gros gribouillis avec le stylo elle a vraiment eu peur. Après elle a essayé de me faire croire qu'elle avait eu peur que je sois en train d'abîmer son dessin, mais la vérité c'est qu'elle n'avait jamais vu une vache en peluche bouger.
Bon, moi j'ai eu peur aussi. Elle aurait pu décider de me jeter ou de me donner à des scientifiques pour faire des expériences. Je tremblais tellement que le stylo a fini par faire des trous dans le capitaine. J'ai même essayé de me cacher derrière le pot à crayons. Heureusement que c’était une artiste. Elle a arrêté d'avoir peur avant moi et elle a pris mon dessin. J'ai bien vu à sa grimace qu'elle ne le trouvait pas très beau. Et là elle a dit :
- Salut la vache en peluche. Tu es Margueritte de l'étagère ou une hallucination ? En tout cas tu ne dessines pas très bien.
Alors moi j'ai répondu que j'étais Margueritte de l'étagère et que je n'avais jamais appris à dessiner. C'est comme ça qu'on a fait connaissance : elle a décidé de me donner des cours.
Ce jour-là, pour mon premier dessin j'ai croqué des fleurs des champs aux crayons de couleurs. Je ne les ai pas dévorées ! Croquer ça veut dire pareil que dessiner, mais c'est un mot plus rigolo. Je me suis bien amusée !
Bon, maintenant je suis vraiment fatiguée, j'ai la patte toute crispée autour du stylo. Mon artiste se moque de moi, elle dit que si j'écris autant de pages par jour, mon journal va devenir aussi long que les romans de Proust. Je ne sais pas qui c'est, mais je vais arrêter quand même.
À demain.
8 avril 2008
Bonjour journal,
Tu as bien dormi ? Moi oui, j'ai une jolie chambre dans un coin de l'atelier. Je vais la dessiner comme ça tu verras les progrès que j'ai fait en un mois de cours de dessin.
C'est quand même mieux que mon premier dessin non ?
Maintenant que j'ai résumé toutes mes aventures depuis mon réveil, il faut que je raconte ma journée d'aujourd'hui. Il paraît que c'est comme ça qu'on fait un journal ! Je t'ai montré à mes amis peluches. Ils étaient très contents de se voir marqués. J'ai dit à l'artiste que j'allais écrire tout sur eux aujourd'hui mais elle pense que c'est une mauvaise idée. Déjà, ça ne serait pas vraiment un journal.
En plus, même en passant la journée à écrire je ne pourrais pas tout dire. Elle a eu une meilleure idée, elle veut que je fasse un portrait par jour. Elle ne rate jamais une occasion de me faire travailler. Je trouve quand même que c'est une bonne idée, alors ce soir je vais demander à mes amis s'ils sont d’accord !
L'artiste en a profité pour me donner une leçon de portrait. Il faut que le sujet reste longtemps sans bouger, alors je peindrai mes amis pendant qu'ils dorment. Pour la leçon nous avons travaillé sur un nain de jardin qui a bien voulu nous aider. Je vais écrire les instructions ici pour bien me les rappeler.
D'abord il faut faire les lignes de constructions, après mettre les ombres et les volumes.
Pour faire ce portrait, je me suis bien concentrée et au bout d'un moment avec l'artiste nous avons été tellement fatiguées que nous faisions n'importe quoi. Le nain, il en avait un peu marre aussi, mais quand il a vu le dessin il n'a pas pu s'empêcher de rigoler. Heureusement qu'il n'est pas susceptible !
Ensuite, l'artiste nous a invités à prendre un goûter en regardant les dessins animés. Le nain a préféré retourner dans le jardin. Comme il pleuvait fort, moi j'ai accepté et j'ai regardé les aventures de Violette et du Dragon en buvant du chocolat chaud.
C'était une drôlement belle journée !
9 avril 2008
Mes amis ont adoré l'idée du portrait. Il a fallu tirer à la courte paille pour savoir par qui je commencerais. Mimi a été la première. Elle est timide mais vraiment gentille. Nous l'aimons tous beaucoup sauf quand on joue à cache-cache. Dans ces cas-là elle va toujours se cacher dans des petits trous où il est impossible de la trouver, alors elle gagne toujours. Ce n'est pas juste de toujours gagner !
Enfin, Mimi était un peu gênée d'être la première à avoir son portrait. Pour lui faire plaisir je lui ai dit que je pourrais la peindre en reine. Avant, Mimi vivait chez une vieille dame qui adorait la reine d'Angleterre. La nuit elle lisait à haute voix sa biographie et Mimi, qui entendait tout, a été impressionnée. Mon artiste m'a aidée pour ce portrait : elle m'a prêté un grand châle rouge pour le fond, et dans son coffre à jouets nous avons déniché une couronne de reine. Nous avons même fabriqué un petit sceptre en pâte à modeler. Mimi nous a bien expliqué que la reine d'Angleterre avait toujours un sceptre sur les portraits officiels.
Rien que pour préparer tout ça, nous avons mis toute la matinée. Après j'ai passé l'après-midi à faire des croquis puis j'ai commencé le dessin en couleur. C'est pratique d'avoir un modèle qui ne bouge pas.
Pendant ce temps, l'artiste qui est plus rapide que moi a eu le temps de me dessiner sous tous les angles. Je vais coller un de ses beaux dessins ici :
10avril 2008
Bonjour mon journal,
Aujourd'hui tu vas être court. J'ai passé la journée à finir le portrait de Mimi. J'espère vraiment qu'il va lui plaire. Qu'est-ce que tu en penses ?
1 avril 2008
Bonjour,
Quelle belle journée aujourd'hui. J'ai eu deux surprises alors que ça n'est même pas mon anniversaire !
La première surprise c'est que Mimi a vraiment aimé son portrait. Ces moustaches ont tremblé quand elle l'a vu. Tous mes amis ont applaudi et ils se sont disputés pour être le prochain. Finalement pour les départager nous avons fait une course autour de l'atelier et c'est Octave qui a gagné. Il veut que je le dessine dans un décor de forêt à l'automne. Il est un peu compliqué : on est au début du printemps ! Je ne sais pas comment je vais me débrouiller.
Je suis quand même un peu triste parce que j'espérais que le portrait et la course donneraient aux autres l'envie de ne pas s'endormir. Mais à l'heure habituelle, ils sont tous allés se coucher. Je crois que je ne suis pas une peluche très normale.
La deuxième surprise c'est qu'en rangeant le coffre à jouets de l'artiste j'ai trouvé une belle toupie en bois. Elle est bien plate et elle tourne vraiment bien. Ce que j'aime c'est qu'il y a un planisphère imprimé dessus, quand je la regarde j'ai l'impression de voir la Terre tourner !
12 avril 2008
Journal,
Hier il m'est arrivé une grande aventure, et aussi un grand malheur. Avec l'artiste nous avons passé toute la journée à nous ronger les sangs. Tout ça à cause de la toupie du coffre à jouets. Je la trouvais tellement belle que je l'ai montrée à mes amis hier soir. Quand il l'a vue Nestor a froncé les sourcils. Nestor c'est le plus sage et le plus vieux d'entre nous. Il a appartenu à l'artiste quand elle était petite, et avant à la mère de l'artiste, et avant encore à son grand-père. Il connaît beaucoup de choses. Quand il a regardé la toupie avec un drôle d'air nous avons tous compris qu'il y avait un truc.
- Ma foi, a-t-il dit, je ne savais pas qu'elle l'avait gardée. Cette toupie est encore plus vieille que moi, elle a au moins cent ans.
Ça c'est déjà une aventure. Personne n'avait jamais touché quelque chose d'aussi vieux. Nestor ne s’est pas arrêté là.
- Est-ce qu'elle t'a montré comment la faire marcher ? Je parie qu'elle a oublié ! Les enfants oublient tout en grandissant ! Cette toupie m'a fait faire le tour du monde vous savez.
Là nous avons tous fait une drôle de tête. Octave a même cru que Nestor devenait gâteux.
- Vous allez voir, a-t-il continué. Fermez les yeux. Nous allons tous penser à un endroit où nous voudrions être en disant je veux y être, je veux y être, je veux y être ! Toi Margueritte, fais tourner la toupie.
Nous avons tous obéi parce que nous croyions vraiment que Nestor était le plus sage. Maintenant je n'en suis plus si sûre. J'ai fait tourner la toupie sur ma patte en pensant à une belle prairie et en disant je veux y être, je veux y être, je veux y être ! Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais dans une belle prairie, avec des montagnes et un magnifique ciel étoilé. Le problème c'est que j'étais toute seule, j'ai vraiment eu peur ! Alors j'ai pensé à l'atelier et j'ai fait tourner la toupie en disant encore une fois je veux y être, je veux y être, je veux y être !
Je me suis retrouvée dans l'atelier. J'aurais dû fermer les yeux comme disait Nestor car tout tournait autour de moi. Il a fallu longtemps avant que je me remette d'aplomb. Mais j'étais toujours toute seule !
Je suis allée réveiller mon artiste. Au début elle a cru que je lui faisais une blague, elle était de mauvaise humeur. Nous avons cherché partout nos amis, sans les retrouver. Alors j'ai demandé à mon artiste d'essayer la toupie, mais avec elle ça n'a pas marché. Je crois qu'elle ne voulait pas assez que ça marche ! Pour la convaincre je lui ai fait une démonstration. J'ai utilisé la toupie pour aller chez le boulanger et lui ramener un croissant tout chaud. J'ai fait ça car je sais que les boulangers travaillent la nuit, et que l'artiste avait besoin de quelque chose pour se réconforter.
Nous avons beaucoup réfléchi aujourd'hui, et notre idée c'est que tous nos amis ont pensé à des endroits différents et qu'ils y sont tous allés. Comme j'étais la seule à tenir la toupie dans ma patte j'ai pu revenir mais eux ils sont vraiment coincés ! Il faut que j’aille les chercher, ils risquent d'être en danger ! Je ne sais même pas où ils sont allés, quand j'y pense ça me donne envie de pleurer encore. Mon artiste elle me dit d'arrêter. Elle trouve que ça n'est pas ma faute et que je vais réussir à tous les sauver. Il faut d'abord que je réfléchisse à où ils ont pu aller.
Moi je suis allée dans une prairie parce que je suis une vache, alors je pense que les autres sont retournés aussi dans leur pays. Je vois bien que l'artiste est très triste aussi, même si elle ne connaissait pas les peluches aussi bien que moi. Je sais qu'elle aimait beaucoup Nemo, c'est le plus fragile d'entre nous. Demain je vais aller le chercher.
À suivre…
Texte Mathilde Pascal (Twinkle)
Illustrations Colette Pitance (Colette)
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