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Réalisme/Historique
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 Publié le 24/07/21  -  11 commentaires  -  2524 caractères  -  121 lectures    Autres textes du même auteur

Jean revient de la guerre. Que dire de plus...


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Les Américains lui avaient permis de prendre une douche, et, quand il monta dans le train de Cologne pour Liège, il se sentait presque propre. Les prisonniers rentraient chez eux. Certains affichaient leur plaisir, chantaient, buvaient. Il leur préférait les taciturnes. Ceux dont les silhouettes grises se fondaient dans les ruines.

À la frontière, au milieu des vivats, il fut content, mais ne dit rien. Il avait survécu. Il avait gagné la guerre. La police militaire ne le contrôla pas.

Gare de Vigné, il n’y avait personne ; mais passé le pont Benin, des enfants de Habay vinrent à sa rencontre à vélo. Ils avaient grandi : il ne les reconnaissait pas, ne sourit pas, se tint droit, comme si son cabas ne pesait rien. Benin, lui-même, sortit de sa baraque pour lui serrer la main, mais il marchait d’un bon pas et était déjà loin. Rue du Canal, les gens venaient dire bonjour. Il lui fallut ralentir, se laisser souhaiter la bienvenue.

La vieille Johat, le fermier Libens, le fils Jeuris, ceux de la rue Michel et puis aussi les habitués des rouges qui sortirent du café pour le faire entrer prendre une goutte, tous virent que Jean Beuhels, en cinq ans, avait vieilli de dix années. Son sourire avenant, sa lippe épaisse, ses sourcils qu’il relevait naguère pour souligner une blague, tout était là, bien là ; mais on sentait la distance, la fatigue, comme une misanthropie latente. Il refusa le verre qu’on lui offrait, on le laissa poursuivre son chemin, rentrer chez lui. On se reverrait tout à l’heure quand il viendrait prendre son verre.

La mère, émue, les yeux rougis par les oignons et les vapeurs de cuisine, sécha ses mains moites sur le tablier et le serra dans ses bras. Elle ne l’avait jamais fait. Il ne sut où déposer son cabas, resta figé, raidi, perpendiculaire au sol carrelé, au plafond blanc de chaux. Petite, courbée, ratatinée – vieille ? –, elle pressait son visage contre la poitrine de son fils, contre le tissu rêche de la veste kaki.

Lui, ne sachant que faire de ses bras, regardait son père. Beuhels avait jadis la même taille. Dans le cadre de la porte du fond, Jean vit que son père avait rapetissé. Le vieux prit une poire, un couteau dans le tiroir sous la table et s’assit pour se couper une tranche de pain. Elle leur servit de l’eau, apporta le beurre. Ils mangèrent sans rien dire. Jean se sentait mieux. Un peu. Au cours de sa vie, il ne fut jamais plus proche d’une confession. Les horreurs qu’il avait vécues, c’est durant cette minute-là qu’il prit la décision de les taire.


 
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   ANIMAL   
25/6/2021
 a aimé ce texte 
Bien
C'est un peu court, dommage, car ce retour au pays d'un prisonnier de guerre est intéressant. Combien on été marqués à jamais et, comme Jean, sont devenus des "taiseux". Le traumatisme est bien rendu grâce à l'ambiance donnée par cette écriture précise et descriptive.

Quand on ne sait pas exprimer ce que l'on ressent, quand on ne veut pas laisser resurgir certains souvenirs, ne reste que le silence et le secret. Jean ne sera plus jamais le même, c'est certain, et son attitude restera une énigme pour son entourage.

J'aurais aimé en savoir plus.

   Anonyme   
26/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La guerre, n’importe laquelle change les hommes, bouleverse leur vie jusque dans ses tréfonds. Et surtout, les terribles émotions vécues chaque jour feront à jamais peser l’oppression sourde des cauchemars et des insomnies. Comment lui, le survivant puisse parler de l’horreur, son cortège de douleurs, des cadavres pourrissant sur place, des visages amis à jamais disparus ? Comment réintégrer cette société qu’il a quittée cinq ans plus tôt et qui a changé sans lui, dans laquelle il n’entre décidément plus dans le cadre car devenue trop grande pour lui ? Au fond de ses yeux, il n’y a plus rien, qu’un corps inerte, entièrement vidé de toute substance. Et si cette envie légitime de partager son vécu l’avait d’abord effleuré à la vue de ses parents, des gens peu habitués aux effusions -le père surtout, un taiseux- mais qui semblaient malgré tout heureux de le revoir ; son incapacité à communiquer l’enfermera à double tour, le condamnant irrémédiablement à la solitude.
Toutefois, des expressions m’interpellent, car j’ai peut-être mal interprété le sens de l’histoire et de sa chute surtout, car on y parle de « confession », Et puis il y a aussi « il se sentait presque propre » sur laquelle j’ai buté au début de ma lecture, et encore ce « il fut content, mais ne dit rien. Il avait survécu. Il avait gagné la guerre. La police militaire ne le contrôla pas. » Et si notre « héros » se taisait par honte qui lui ferait taire l’inavouable ; car comment raconter à une mère une rafale tirée à l’aveugle sur un ennemi, un fils du même âge que lui ; ou comment raconter à un père, la mort de ses camarades, ces fils dont les parents ne verront pas le retour ?
Bon, j’ai hâte de connaître le retour de ce texte qui ne s’embarrasse pas de fioritures inutiles et que je juge fort bien écrit.

Merci pour cette lecture qui me plaît bien même si je n'ai pas tout compris (mais c'est moi qui...).

   Anonyme   
29/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Un instant de la vie d'un prisonnier de guerre, libéré, révélé...

Qu'il est dur ce retour à la vie civile. Hanté par les horreurs de la guerre et des camps de prisonniers, ici le personnage principal reste pudique, face aux siens, ce monde qu'il ne reconnaît plus, mais qui le reconnaît lui, comme à peine changé...

Le format, très court, en dit long sur la capacité des 'envahis' à relativiser, à oublier les horreurs de la guerre, tandis que ceux qui les vivent ne peuvent les ignorer. Et quand ces deux mondes se rencontrent, c'est le désir d'oubli et de paix qui l'emporte.

Un texte fort.

En EL.

   Cristale   
30/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Terrible. Et tellement vécu. À l'époque, pas d'unité d'aide psychologique aux traumatisés de guerre. Encore moins pour un pauvre français de l'Afrique de l'Ouest. Trop douloureux pour en parler à ses proches.
Se taire.
Combien ont gardé en eux la mémoire des atrocités auxquelles ils ont assisté, qu'ils ont subies, ou même fait subir ?
Une nouvelle courte et bien menée. Images, sensations, émotions, tout se met en place à la lecture, comme une évidence.
Oui "que dire de plus?"
Cristale
en E.L.

   Corto   
24/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Oser le 'court' est une belle audace. Ici parfaitement réussie.

Il n'est pas l'heure de se raconter, le vécu résonne trop fort dans l'intimité du narrateur. On l'entend si bruyant, si assourdissant, qu'il est urgent de se taire. D'être là tout simplement, et c'est déjà beaucoup.

Bravo à l'auteur. Le talent et la densité sont au rendez-vous.

   Myo   
25/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un état d'âme, une atmosphère parfaitement rendue dans ce retour sur les terres natales où tout semble identique et pourtant tellement différent.
Une blessure qui restera enfouie au creux de la pudeur ou de l'indicible.
Il faudra faire comme-ci...

Un texte court mais d'une rare puissance et émotion.

Un grand bravo

   plumette   
26/7/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour vb,

Un texte d'une grande densité, très ancré dans un lieu , qui à ce titre, parle peut-être encore plus à ceux qui le connaisse.

une bonne progression dramatique, un effet visuel avec cette arrivée dans le quartier.

L'homme est réservé, silencieux, peu communicatif, plutôt passif et intériorisé "Il lui fallut ralentir, se laisser souhaiter la bienvenue."

j'ai trouvé que la scène de retrouvailles avec les parents était très forte et émouvante. Le fils est comme anesthésié, mais comment peut-il en être autrement avec un père aussi distant et ce qu'il vient de vivre?

il y a dans ce texte ce qui est dit, et ce qui se devine qui est aussi chargé !

bon retour sur Oniris!

   Anonyme   
9/8/2021
J'aurais mieux compris cette écriture désarticulée à la première personne, peut-être, mais là, sans le contexte d'une narration plus large, j'ai le sentiment que ces phrases qui peinent à souffler et ces constructions tantôt sèches tantôt alambiquées, sont des marques d'un manque de travail sur le texte. Je n'ai rien contre le style moderne un peu bref (bien que les envolées lyriques d'un Gracq lorsqu'il écrit sur la guerre me soient d'une supérieure splendeur aux petits coups de couteau d'un Céline), saccadé et sauvage, mais je sens là un manque de percutant, avec parfois des phrases comportant un mot en trop, un mot qui n'est pas le plus juste pour frapper la lecture, un mélange des temps sophistiqué — qui en dit beaucoup — se mariant mal à cette écriture nerveuse et énergique. Le début et la chute de ce passage sont superbement frappés, veux-je dire, ce presque propre et ce moment de se taire, se faisant écho et donnant toute sa puissance au récit.
Je crois que la construction narrative est excellente, mais tous les mots ne me paraissent pas à garder tels quels.

Je n'espère pas ce commentaire méchant, mais constructif.

Bien à vous.

   vb   
10/8/2021

   hersen   
10/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Revenir de la guerre.
Ce n'est pas parce qu'on quitte l'enfer qu'on entre au paradis.

Ce qui me fait complètement adhérer au texte, c'est sa retenue. tout est retenue, tout est retenu. Des gestes esquissés, faute de savoir quoi dire.
Dans tout ce village qui défile sous nos yeux, où l'on comprend que la vie, celle qu'on voit, reprendra le dessus pour le soldat de retour, il y a cette fin terrible, la décision de ne pas dire, ne pas commencer, sinon ce serait un puits d'atrocités dans lequel il a trop plongé déjà. Alors le soldat redevenu civil, toute sa vie, restera à contempler le fond de ce puits, en partageant les repas avec des taiseux.
la transcription, dans laquelle tout est présenté au lecteur de façon si simple, si humble, fait ressortir l'insurmontabilité de reprendre une vie, là où elle avait été laissée à l'annonce de la guerre.

merci pour cette lecture.

   Cyrill   
15/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour vb,

Voilà un récit dont j'ai beaucoup aimé l'économie de mots, taiseux comme ses protagonistes.
Tout est dans le "presque", car comment être propre quand on revient de guerre ? C'est peut-être dans ce léger à-peu-près que le silence se justifie.
On fait un tour succinct des témoins du retour, juste ce qu'il faut pour camper une atmosphère, un léger malaise.
Et puis, si Jean décide de se taire, on voit bien que ses parents ne l'encouragent pas non plus à s'épancher. Trop dur à dire, et trop dur à entendre aussi. Le père préfère s'occuper de sa poire, la mère ne sait qu'embrasser et nourrir. Et la raideur de Jean fait le reste.
Un texte très fort, maitrisé et retenu.

Merci !


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