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Humour/Détente
Velias : Partie de pétanque
 Publié le 26/08/19  -  13 commentaires  -  7585 caractères  -  123 lectures    Autres textes du même auteur

Quelque part dans le sud de l'Hexagone, une soirée sous la chaleur des platanes et le chant du mistral.


Partie de pétanque


Toute l’après-midi ils avaient ferraillé tels des chevaliers s’affrontant en duel. Les boules de pétanque et les bobs avaient remplacé les lances et les hauberts. Sous un soleil de plomb, les esprits, d’abord appliqués et graves, s’étaient peu à peu échauffés. De part et d’autre, dans le pays, résonnaient quelques « tron de Dieu » ou « carogne » pour ne citer que les épithètes les moins offensants.

De ces longues heures de patience et de passion, il en résultait un quarteron de généraux de la boule d’acier, bien décidés à en découdre pour le sacre suprême. Ce trophée, obtenu de haute lutte, consacrerait la suprématie de trois d’entre eux sur la masse des perdants, honteux et déconfits, maintenant amassée autour du terrain sablonneux.

Parmi les finalistes, il y avait une triplette d’illustres inconnus. Des vacanciers égarés qui, voulant faire bonne figure aux us et coutumes du pays, s’étaient engagés, bien imprudemment sans doute, dans l’aventure. Il y avait là un père accompagné de son fils, un jeune dégingandé d’environ seize ans et l’oncle de ce dernier. Probablement des Parisiens car selon les dires du Gûte :

« Ils avaient l’accent pointu ! »


Le Gûte, dont ce n’était pas le véritable prénom, devait ce sobriquet à son père, qui le tenait lui-même de son père, qui lui-même… Ainsi se transmettent les héritages familiaux.

Personnage généreux et sympathique, il était une sorte de célébrité pour ses reparties tout aussi prodigues que lui. Les poings enfoncés dans les poches de son jean, il ne manquait rien de la tragédie qui était en train de s’annoncer. Appuyé à la buvette qu’il soutenait dans l’hypothèse où un coup de mistral la fasse tomber, il se régalait par avance des algarades prochaines.


Les malheureux, inconscients, allaient être confrontés à la pire triplette de toute la région. De mémoire bouliste on n’avait jamais rencontré pareils mauvais joueurs et tricheurs.

Il y avait là Perdriol, tout « carri bossu ». Entendez par là : maigre de corps et d’esprit, voûté, la démarche de guingois, bégayant et postillonnant à l’envi, et portant des lunettes épaisses comme des culs-de-bouteille.

Onésime Pelloux, dit Bacchus, son deuxième comparse, était lui une sorte de géant avec un poitrail de taureau. Sa figure était burinée par le soleil, le vent et le vin. Les bras éloignés du corps lorsqu’il se déplaçait et les épaules toujours relevées lui donnaient l’allure de manquer d’air et donc de cou. Ce qui faisait dire au Gûte, toujours inspiré :

« C’est pas une tête qu’il a, c’est un seau ! »

Le trio était complété par La Quinque, un petit homme effacé, parlant peu, à l’air mou mais réputé pour ses colères retentissantes.


Solennellement les deux équipes se dirigèrent vers le centre du terrain. Thomas Gerfand, le maire du village, afin d’éviter tout conflit prématuré, sortit une pièce de sa poche et tira à pile ou face. Le hasard faisant bien les choses, du moins pour trois d’entre eux, les vacanciers eurent le privilège de démarrer la partie. Un cercle dessiné à la va-vite, le cochonnet jeté aux six mètres minimum réglementaires et la partie commença.


Spectateur attentif, le pépé Chiron, les deux mains appuyées sur sa canne et grelottant dans son chandail malgré les 28° nocturnes, ne cessait de répéter :

« Attends voir, attends voir ! L’ont pas encore gagnée celle-là, cette bande de gougnafiers ! » Il ruminait par procuration une vengeance depuis qu’il avait été mis Fanny, en 1983, par la triade locale. Défaite honteuse et ô combien injustifiée qui lui avait valu les quolibets de tout le village, ou presque, six mois durant.


Les trois compères, fidèles à leur réputation, se montrèrent irascibles et tricheurs dès que leur souveraineté fut mise à mal. Le cas se présenta sur une boule litigieuse où il fallut l’intervention d’un volontaire courageux et impartial, en l’occurrence Monsieur le Maire (il avait bien fait de rester celui-là !). Le premier magistrat donna raison à la triplette étrangère et par là un point décisif. La Quinque, le visage violacé de colère, menaça l’édile d’aller le pendre au platane du coin pour son ignoble trahison. D’un geste éloquent il mima une corde que l’on attachait, accompagnée de son hypothétique victime.

Bacchus, décrétant que sa boule tueuse n’accrochait pas assez lorsqu’il tirait, alla l’affûter sur le mur de l’église. Le raclement de l’acier sur la pierre fit se dresser les cheveux de toute l’assistance. Marie et le petit Jésus, endormis au fond de leur sanctuaire, s’en retournèrent sans doute sur leur socle se demandant si la grâce divine ne les aurait pas abandonnés.

« Attends voir, attends voir ! Waterloo, c’est rien à côté de ça ! » répétait le pépé Chiron se délectant de la débâcle de ses ennemis jurés. Pendant ce temps-là sa femme le tirait par le gilet en lui disant :

« Rentre donc, va ! Ta soupe va finir par être froide ! »


Le Gûte qui avait abandonné, pour un instant du moins, la buvette à un destin, que peut-être un mistral vengeur et sournois lui réservait, laissait tomber quelques commentaires de son cru :

« Sa boule à Bacchus, à force de la frotter, c’est plus ronde qu’elle va être mais carrée. Remarque, vu comme il joue, il pourra toujours aller faire une partie de dés ! »

L’intéressé, muni d’une ouïe à faire pâlir d’envie un accordeur de piano, lui lança :

« La boule, dans la figure, tu la préfères ronde ou carrée ? »

Le Gûte, sentant que le vent tournait, s’en fut rejoindre les charmes de dame buvette et, accessoirement, ceux de la serveuse qui s’y trouvait.

Pendant ce temps-là, Perdriol éructant et postillonnant aplanissait le terrain du bout de son espadrille afin d’en effacer les faux rebonds :

« C’est le bib qu’est pas bon ! C’est le bib ! On a pas idée de fabriquer des bibs en Chine ! I-z-y connaissent quoi, les Chinois à la pétanque ? »


Alors que la partie tirait sur sa fin, une fin que les trois acolytes méritaient bien, le Zoum déboula sur un vieux biclou sans freins. Les pneus, mis à mal par la masse corporelle de son passager, ressemblaient à ces sortes de galettes appelées matefaims. Son arrivée intempestive détourna pour quelque temps les spectateurs du drame qui se jouait. Essoufflé et rouge de contrariété il expliqua, entre deux ahanements, qu’il avait surpris les gamins du coin en train de tirer au lance-pierres sur les poires du père Eugène. Un désastre ! Les fruits en étaient tellement grêlés que l’on pouvait y voir à travers ! Comble de l’incivilité de cette bande de malfaisants, lorsqu’il les avait menacés de lourdes représailles, incluant la venue des gendarmes et peut-être même la prison, ces galapiats, en guise de contrition, n’avaient rien trouvé de mieux que de montrer leur postérieur avant de s’enfuir dans de grands éclats de rire.

Le Gûte, plein d’entendement, laissa tomber une vérité dont il avait le secret :

« La grêle, de cailloux ou d’eau, elle tombe toujours au moment où on s’y attend le moins. Et jamais au même endroit ! Aussi bien elle est en train de tomber sur tes coucourdes en ce moment, comme je te le dis ! »


Bébert Ferrand, qui arrivait toujours quand les choses se finissaient, ou plus communément était toujours en retard, décréta que la partie, perdue par les trois coupe-jarrets, méritait bien une ou deux tournées de « pernod ». Il y convia Le Gûte et le pépé Chiron, qui oubliant sa soupe refroidie, jubilait d’avoir enfin obtenu justice après tant d’années de déshérence. Le Zoum, fataliste, se joignit au groupe tout en pensant que la grêle de cailloux, si elle devait tomber, c’était sans doute déjà fait.


 
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   poldutor   
27/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Très amusante nouvelle à la manière de Marcel Pagnol !
Pour avoir vécu dans un pays où la pétanque est une institution, je peux témoigner de la réalité des échanges...entre-coupés en général de tournées de pastis...
J'adore, c'est très bien écrit, un petit bémol sur la fin un peu "facile".

Cordialement.
poldutor en E.L

   cherbiacuespe   
31/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Amusante "pagnolerie". J'ai bien ri. Le classement en humour/détente n'est pas usurpé. C'est court, bien raconté, ça claque. J'ai apprécié.

Un bon moment qui va satisfaire ceux qui aiment se détendre, affalé sur un fauteuil, un pastaga dans une main et l'autre agile avec les olives à l'ail.

   hersen   
6/8/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
C'est une nouvelle gentillette qui peine à me convaincre.

Le problème sur ce sujet est qu'il est difficile de faire du nouveau et très aisé de tomber dans le cliché. Plus ou moins, à chaque action, on s'y attend; l'auteur n'a pas su me surprendre sur un sujet où c'était pourtant essentiel, pour sortir des garrigues battues.

La partie de pétanque en elle-même est réduite à fort peu, on mesure la distance du cochonnet et hop, fini la partie ! les Parisiens gagnants ne sont qu'un prétexte à la description des villageois avé l'accã bien de chez eux.
mais le tout est un peu trop caricatural.

   wancyrs   
16/8/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour à vous,

Texte très difficile à suivre et à visualiser. La narration y est pour quelque chose, le style aussi. La multitude de personnes, aussi, pour un si petit texte, n'aide pas à bien se familiariser avec les protagonistes, du coup, on entre pas vraiment dans l'intrigue. D'ailleurs je me suis demandé jusqu'à la fin où le texte voulait en venir... ça va dans tous les sens, peut-être pour faire diversion et surprendre avec la finale ? Si c'est le cas, cela n'a pas marché pour moi, désolé !

Bonne continuation !

Wancyrs en EL

   maria   
26/8/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Velias,

Chouette ! Une partie de pétanque racontée de manière originale, décalée : des chevaliers, des lances, des hauberts, et un quarteron de généraux !

J'ai très vite déchanté, j'ai eu droit aux clichés habituels : les parisiens et leur accent pointu, le pastis préféré à la soupe préparée par la femme...

Mais j'ai lu avec grand plaisir la description des personnages, et avec moins de plaisir le déroulement de la partie et la fin.

Même si cette nouvelle est très bien écrite, elle ne s'épanchera pas en moi.
Désolée.

Merci pour le partage et à bientôt.

   Donaldo75   
26/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Vélias,

J'ai trouvé cette nouvelle pittoresque, un peu comme une forme de témoignage d'une réalité socio-culturelle que nous les Parisiens ne connaissons pas. Du coup, ce récit s'avère intéressant et je ne me suis pas pris la tête à me poser la question de la caricature, de la juste observation ou je ne sais encore quelle autre dimension. J'ai lu ce texte et ai bien aimé cette lecture.

De toutes manières, je ne joue pas à la pétanque.

   senglar   
26/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Velias,


La scène est amusante mais manque d'audace dans l'ensemble ; la bande locale est cependant pittoresque, jolie triplette, auditoire typé. On aurait aimé en savoir un peu plus sur les vacanciers (mais on devine que ce n'est pas, sans doute à tort - imaginez les effets de contraste - le propos). On aurait aimé suivre les péripéties de la partie (ce qui n'est pas vraiment le cas), entendre fuser les réparties, s'effarer du mauvais esprit des compères (tout ça manque aussi) ; le trio local ne semble pas non plus former une équipe exceptionnelle.

J'ai aimé la description physique des compères, les caractères, l'épisode de la boule carré, l'exotisme de la situation et des lieux, le soleil.

Il m'a manqué une vraie bagarre comique et l'esprit de Pagnol soufflant sur la Provence. Aussi suis-je resté sur ma faim, ma soif (le pastis est plutôt rare) chez des coupe-jarrets qui en sont restés au Pernod et qui n'ont pas coupé grand-chose côté boules et cochonnet ayant noyé sans doute leur anisette avec un peu trop d'eau. Les poires non alcoolisées n'ayant pas vraiment échauffé l'atmosphère sont également apparues quelque peu intruses dans cette partie-ci.
L'histoire est restée trop gentille sans beaucoup d'envolée sans doute faute encore de Mistral.
Frédéric ! Enfile ton Marcel !...

Euh ! Frédéric, Marcel et Velias ! C'est cette triplette-là qu'il aurait fallu opposer à nos compères :)))


Senglar

   Robot   
29/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Un récit prétexte à nous présenter des personnages truculents et sympathiques.

J'ai aimé l'écriture vive et imaginative suffisamment pour retenir le lecteur.

Si je devais trouver un défaut à ce récit ce serait en demandant: quelle histoire a-t-on voulu nous raconter ? Car en dehors des descriptions et des interventions intéressantes des personnages, l'action est assez sommaire.

   BeL13ver   
1/9/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Ce texte donne le sourire et est plein d'entrain. C'est un bon point que je ne saurais lui retirer. L'auteur connaît bien la langue de ces contrées, développe des (stéréo)types intéressants, exploite à fond les personnages, plante un décor qui donne envie de sourire.
Pour ce qui est de l'histoire, elle n'a ni queue ni tête. Il n'y aucune unité d'action, ou peut-être qu'il y en a une, mais on n'arrive pas à savoir quelle est réellement l'intrigue. J'ai réellement accroché avec le début de l'histoire, qui est bien écrite, avec une vraie introduction. Mais ou est la conclusion ? Il y en a bien une, mais elle n'est pas vraiment logique et tombe comme un cheveu sur la soupe.

   plumette   
2/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
je suis contente de lire cette nouvelle le jour de la rentrée car elle prolonge un peu les vacances.

terroir, coutumes, et personnages truculents qui en rajoutent pour la galerie ! La langue est bien en rapport avec ce récit sans prétention, distrayant.

je dirais cependant que l'auteur nous décrit une scène mais pas vraiment une histoire et que la fin n'en est pas vraiment une.

mais qu'importe !

   Alcirion   
8/9/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Vélias,

Le texte est bien écrit, l'ambition "truculence méridionale" réussie. Il y a un soin pris pour chacun des personnages mais ils sont un peu trop nombreux pour un texte court : sur la fin de la nouvelle, j'ai dû m'accrocher pour savoir qui était qui.

J'ai cherché l'histoire jusqu'au dernier paragraphe... qui m'a surpris en laissant le récit en plan. L'effet pictural est réussi mais il manque une intrigue et une chute à votre texte. Un moment agréable néanmoins.

   jackplacid   
21/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Té! Vé! On s'y croierait a la fraiche sur la place du village, j'ai même entendu le bruit des boules ! comme quoi la pétanque peut mener a la bonne litterature

   Robertus   
2/12/2019
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai rit plusieurs fois aux répliques de ce sacré Gûte.

Le début est bien rythmé et la description des personnages est colorée. J'apprécie particulièrement le réalisme et la simplicité de ce genre de " scènes de vies quotidiennes " agrémentées d'images parlantes. C'est raconté avec assez de neutralité pour que l'on se sente comme faisant aussi partie de l'histoire, regardant la scène par dessus l'épaule d'un de ces brave villageois.

Cet effet pourtant s'est un peu brisé à mon sens par la phrase entre parenthèse (il avait bien fait de rester celui-là !) comme si je reprenais ma place de lecteur distant, bousculé par un narrateur "éclair"

Pour ce qui est de la fin je ne vais pas m'étaler, je vois que d'autres commentaires en parlent déjà beaucoup. Je dirais juste que dès que zoum apparaît, le rythme à mon sens est cassé.

C'est difficile de trouver une chute pour un texte qui a comme but de nous faire vivre une scène réaliste et simple. J'ai été confronté au même problème.

Maintenant que j'y pense, terminer par une phrase imagée qui décrit la scène quand les terrains de pétanque se vident " jusqu'aux prochaines joutes " en reprenant les métaphores du début pourrait être une bonne idée, comme pour " encadrer " le texte ?!

Merci pour cette lecture, je me suis vraiment cru là bas, l'espace de quelques minutes.


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