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Réalisme/Historique
victhis0 : Non
 Publié le 10/11/07  -  15 commentaires  -  6547 caractères  -  59 lectures    Autres textes du même auteur

Une exécution militaire, dans les règles de l'art...Qui ne se passe pas exactement comme elle devrait se passer.


Non


Finissons-en. Il fait froid et j’en ai marre. Je ne veux pas les regarder mais je sais que les gars qui sont à côté de moi pensent la même chose. On respire même pas, tellement l’heure est sordide, tellement on a envie de se déconnecter pour ne pas avoir à s’en souvenir, plus tard.


Quelle merde. Qu’est-ce qu’on fout là ? Pourquoi c’est tombé sur moi ? On est quand même quelques milliers d’imbéciles dans ce trou à attendre on ne sait trop quoi. Puis ce grand con de Laviccello est venu dans notre piaule et a désigné de ses gros doigts boursouflés de paysan épais deux nouveaux, au hasard, en gueulant un « toi » et puis un autre, avec sa voix aiguë et alourdie par un accent picard grossier. Puis il a scanné la chambrée de son regard liquide, il a dévisagé Kowlasky que ça avait l’air d’amuser. Il s’est arrêté et a tendu son index à l’équerre, pointé sur ma poitrine. Sans même me regarder, il a très distinctement articulé mon nom à quatre syllabes, l’une après l’autre, pour être sûr que j’en profiterai bien, tout en regardant les autres afin de mesurer l’impact de son effet théâtral. Succès garanti. Comme quoi on peut être aussi con qu’une miche de pain et posséder une intelligence ciselée de la cruauté.


Et nous voilà douze heures plus tard, huit pauvres types cueillis au petit matin, étrangement calmes, l’arme au pied, bien protégés du monde par nos uniformes. Un jeune officier maigre et pâle, tout frais sorti de l’école militaire est à notre gauche. Il n’exprime rien. Ne regarde rien. N’existe pas plus que nous, sauf que lui, il va devoir s’animer bientôt, remplir son devoir. Il a été formé pour ça et personne ne l’envie.


Je n’ai pas dormi de la nuit mais je n’ai pas sommeil ; je n’ai rien avalé depuis le déjeuner d’hier mais je n’ai pas faim. Pourtant je sens battre mon cœur, lentement et puissamment et ça me rassure.


Un bruit de pas cadencé progresse dans mon dos. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale comme une décharge électrique à chaque nouveau pas. Je baisse la tête.


Les pas se rapprochent et passent à ma gauche : je découvre deux silhouettes longilignes recouvertes d’un uniforme impeccable. Au milieu d’eux un type grassouillet et pas très grand, en chemise, qui traîne la patte droite et soulève quelques grains de poussière à chaque passage de son godillot. Un petit nuage de vie timide et éphémère est le seul signe vivant lors de ce matin du vingt-huit mars.


Les deux silhouettes passent devant nous, tenant par l’épaule le grassouillet qui n’oppose aucune résistance. On le place devant une poutre de bois noircie et courtaude, solidement fichée dans le sol.


Un des gars avait une cordelette à la main, il s’en empare et ligote les mains molles du condamné derrière la poutre. L’autre silhouette prend un bandeau blanc grossièrement découpé dans un drap et s’approche du visage du ligoté qui refuse avec mépris qu’on le prive de la vue un peu trop vite, un peu trop tôt. Panique sur la face de la silhouette en uniforme qui du regard cherche les ordres parmi nous. On la méprise, on ne la quitte pas des yeux cette mauviette, aussi perdue qu’un agneau qu’on va égorger. L’officier voudrait parler, gueuler un ordre mais les mots ne sortent pas. Il ouvre la bouche, les veines de son cou sont toutes gonflées de sang, les muscles de son visage sont bandés à se rompre…Mais rien n’y fait, pas un mot de sortira, trop saturé par l’émotion. Il fait un geste de la main pour écarter les silhouettes, comme on ferait pour écarter un moustique en été. Les deux fantassins s’empressent de disparaître de la scène, presque en courant. Tout le monde les hait.


L’officier se saisit d’une lettre qu’il déplie en la déchirant presque. Plein de fureur, en tremblant, il hurle presque les motifs du châtiment qui va frapper le gars attaché devant nous. L’officier a décidé qu’il ne fléchirait pas. Qu’il saurait faire oublier sa faiblesse passagère, il y a quelques secondes, il y a déjà très longtemps.


Pendant ce temps, le condamné est calme. Il nous regarde comme si nous étions ses enfants. Un petit sourire lui marque le bas du visage. Il est apaisé. Il doit revivre une heure tiède de son enfance, le timbre de la voix sucrée de sa mère. Le rire d’une fille, l’odeur d’une pièce humide en automne. Ou l’éclat du soleil qui vient heurter la pupille lorsque l’on tire les rideaux de la chambre, au matin d’un été rieur. Il sait qu’il va mourir dans quelques minutes mais il est plus vivant que nous. Je peux distinguer un petit rictus triste qui dure une fraction de seconde, peut être le regret d’un acte manqué, d’une phrase en trop ou d’une phrase trop attendue et qui n’est jamais venue. Ou bien un mépris facile, une méchanceté assumée. Près de cinquante années revisitées qui se sont concentrées dans un clip ultime.


Il me fixe de ses petits yeux gris. Je n’arrive pas à esquiver ce regard qui me pardonne avant que je ne l’aie frappé. C’en est trop. Je ne peux pas le supporter. Les ordres secs et bruyants hurlés par le jeune officier se succèdent au rythme de la routine militaire. Tout le monde réagit avant même la fin du mot prononcé, aussi court soit il, presque à l’anticipation du geste suivant, inéluctable. Tous les gars s’agitent pour faire le boulot et foutre le camp d’ici, vite.


Je ne bouge pas. Je reste au garde à vous, à essayer de capter un message du pauvre type qui est à moins de vingt pas de moi. Quelques larmes lourdes glissent sur ma joue rasée de près. Je ressens les effluves de savon bon marché qui remontent à la surface de ma poitrine, et c’est assez étrange.


Un bruit massif et ramassé claque dans la cour, je tremble de tout mon être. Il résonne quelques secondes puis disparaît.


Au pied du poteau cinglé par les balles, un corps replié sur lui-même et quelques spasmes qui s’espacent puis finissent par laisser le corps supplicié en paix. Une flaque d’un rouge presque noir qui vire au rouge vif et qui se répand en rigoles dyslexiques. L’officier avance comme un robot. Il se saisit de son arme de service, toute neuve, bien huilée, brillante dans cette atmosphère mate. Il tremble de tout son corps. Une détonation sèche fait sursauter tout le monde. Il se retourne vers moi et me dévisage, hésite : je n’ai pas obéi à son ordre. Tout le monde s’est sali et moi j’ai refusé. De quel droit ? Je m’en fous. Si ils veulent m’exécuter à mon tour et bien tant pis. Après tout, le type qui gît en face de moi est mort pour le même acte que celui que je viens d’accomplir. Et dans ces temps de peur et de haine, ça ne pardonne pas.



 
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   Bidis   
11/11/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Cruel et tendre, bien écrit.
Quelque chose qui s'est passé - qui, personnellement, me dépasse.

   aldenor   
12/11/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Dans l'ensemble je trouve ce texte bien senti, bien décrit, bien écrit.
Le début me dérange un peu. "J'en ai marre" ne m'a pas l'air approprié. Pourquoi pas de "ne" à "on respire pas"? Pourquoi "Quelle merde"; "Qu'est-ce qu'on fout là?" suffisait.
Et à la fin on regrette de ne pas trouver d'indices pour situer "ces temps de peur et de haine..."

   Anonyme   
1/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Très bien écrit, très bien décrit. C'est excellent. On vit l'action, on partage les sentiments de ce soldat. Des phrases courtes qui claquent comme des salves. La scène du choix de ceux qui feront partie du peloton est remarquable. Tout est dit. Pas un mot de trop. Un texte à mettre parmi les meilleurs du site

   Btakan   
19/12/2007
J'ai bien accroché, ce qui m'a le plus étonné c'est le rythme des phrases qui est bien contrôlé et le fait qu'on arrive remarquablement bien à s'imaginer la scène et à se mettre très vite dans l'ambiance.
Bravo.

   jensairien   
28/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
D’accord avec Pissavy, très bon texte, très bien écrit. Ca commence comme un coup de marteau et ça finit sur une détonation.

Et puis c’est encore mieux si ce n’est pas situé dans le temps. Ca prend une valeur universelle, intemporelle

   widjet   
20/1/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Difficile de ne pas penser à un de mes textes. Bref, efficace, toujours actuel. Et plutot bien écrit même si le personnage principal (enfin sa psychologie) pouvait être davantage développé(e)

Widjet

   Anonyme   
23/8/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
"dans ces temps de peur et de haine" : je n'ai pas ressenti cette peur et cette haine dans le texte. Je trouve le style conventionnel à force de vouloir être un peu original. Par exemple, j’avoue ma réticence devant des formules comme "regard liquide" ou "rigoles dyslexiques".
Il y a aussi quelques clichés : le frisson qui parcourt (forcément) la colonne vertébrale...
Et puis les souvenirs d’enfance qui sont donnés m’ont crispé, en particulier "l’éclat du soleil qui vient heurter la pupille lorsque l’on tire les rideaux de la chambre, au matin d’un été rieur". Là, et c’est certainement ma sensibilité qui parle, on est dans le ricoréisme…
Le dernier paragraphe est très beau. Dommage que la peur et la haine n'aient pas été mieux cernées...

   daphlanote   
13/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le ton du récit est pas mal. Mais trop artificiel. Il y a les éclairs qui ressortent et qui devrait pas, je trouve.

J’aime pas le « finissons-en ». C’est archi mélodramatique... et ça ne correspond pas avec le ton du truc. Idem pour « sordide ».

Après, les « gros doigts boursoufflés de paysan épais », c’est lourd. Très lourd même. Pas pire que si j’avais dit « le miroir abscond des pensées chirurgicales aux abois ». Mais au moins pareil (l’exemple est nul mais bon).

J’ai beaucoup aimé le « il a très distinctement articulé mon nom [...] bien ».

« Le intelligence ciselée de cruauté » me parait vachement déplacé quand même.

[Et je fais ma pose, là].

Sinon, c’ets très accrocheur. Un joli rythme, bien tapé, bien foutu, agréable à lire. Ca ne résiste pas (j’aurais du dire « ça coule tout seul »). Plaisir quoi.
Quelques machins incongrus (comme cités ci-avant) mais ça n’entrave pas la lisibilité du texte.

Un (vraiment) joli moment que ce texte, donc.

Encore (osé-je).

   marogne   
24/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Etonnant ! Nous avons évoqué sur le chat d’oniris, il a quelques jours avec Ciberax, une page de Franquin (Idées noires) qui est presque la contraposée de l’idée ici présentée ici : « toute personne ayant volontairement provoqué la mort d’une autre personne, sera condamnée à mort » (je ne garantis pas l’exactitude de la citation, mais c’est l’idée qui compte).

Un texte que j’ai apprécié dans son ensemble, surtout l’évocation des petits moments de bonheur dont le fusillé pourrait se souvenir au dernier moment : « l’odeur d’une pièce humide » ou « l’éclat du soleil le matin », qui lui donnent une parure poétique.

Je trouve que la description de ce qui empêche le narrateur de tirer est peut être un peu rapide et pas suffisante pour y adhérer complètement. Bravo par contre pour la description du sous-officier et de l’officier.

Ps : Si vous ne le connaissez pas encore, je vous proposerais de jeter un coup d’œil au livre « La bataille de Salamine » qui prend pour prétexte un épisode de la guerre civile espagnole.

   Flupke   
10/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très bien écrit. Raisonnablement court. Le titre me plaît.
La lecture génère un malaise léger mais efficace.
Quelques remarques subjectives :
Il me semble qu’il y a une recherche d’intemporalité dans le récit.
Je trouve donc un peu dommage la phrase : « près de cinquante années revisitées qui se sont concentrées dans un clip ultime. Le mot clip détone.
Ca fait un peu trop vidéo clip et donc il me semble que cela diminue fortement l’intemporalité. Le narrateur écrit au 3ème millénaire sur ce qui aurait pu se passer en 1914 ou en 1940 par exemple mais avec une expression 2008ème.
Est-ce que l’argot est vraiment indispensable dans cette narration ? Il me semble que cela décrédibilise légèrement le jugement du protagoniste. S’il est contre la violence physique, pourquoi de la violence verbale ?
J’ai trébuché sur Kowlasky. J’ai googlisé « kowlasky site :.pl » 7 hits alors que « kowalsky site :pl » retourne 17 700 hits.
J’aime bien la chute. Le condamné zigouillé pour refuser de zigouiller et le héros qui va subir le même sort. Petit dessert à la fin. Merci Victhis0

   Anonyme   
14/2/2009
Ca glisse tout seul, c'est parfait à tout point de vue. C'est maîtrisé et limpide.
C'est parfait. Et pourtant il s'agit de la mort d'un homme condamné parce qu'il n'a pas tué.
Alors je vais dire que c'est beau.

   Anonyme   
11/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai beaucoup aimé cette histoire, cruellement bien écrite.
Une chute remarquable de cruauté et d'ironie. Un style vif, rapide, bravo

   Menvussa   
11/4/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Au delà d'une écriture très correcte, sans fioriture presque "froide" comme un peloton d'exécution le texte nous pose une vraie question : Et nous, qu'aurions-nous fait ? Bien malin qui peut répondre.

   Anonyme   
23/3/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Un plaidoyer contre la peine de mort qui dit ce qu'il a à dire, sans en faire plus.


Une intemporalité bienvenue.


On sent très clairement chez l'auteur le goût de la recherche de formules et j'aime ça, mais il y en a pour moi autant de ratées que de réussies (avis personnel, bien entendu).

Bon :

"Finissons-en." (j'aime bien ça, pour l'entame; dommage, quand même, l'absence d'exclamation).
"que ça avait l’air d’amuser"
"huit pauvres types cueillis au petit matin"
"Un petit nuage de vie timide"
"gueuler un ordre"
"Tout le monde les hait."
"il y a quelques secondes, il y a déjà très longtemps"
"une heure tiède de son enfance"
"un mépris facile"

Pô-bon (avis personnel, j'insiste) :

"il a scanné la chambrée"
"de son regard liquide"
"une intelligence ciselée de la cruauté"
"comme une décharge électrique"
"s’approche du visage du ligoté"
"Panique sur la face de la silhouette en uniforme" (souci de cohérence entre, d'un côté, de l'identifié (panique sur la face) et, de l'autre, de l'indistinct (silhouette))
"aussi perdue qu’un agneau qu’on va égorger" (l'agneau sait-il qu'on va l'égorger ?)
"le timbre de la voix sucrée de sa mère" (cette juxtaposition en un même ensemble d'un son et d'une saveur ne me parait pas très heureux)
"concentrées dans un clip ultime"
"en rigoles dyslexiques"


Surpris par l'imparfait dans "Un des gars avait une cordelette à la main". Il y a une certaine logique, certes (encore que, au moment où il s'en empare, la cordelette est encore dans la main du type), mais ça m'a sorti trop brutalement du présent.


"Mais rien n’y fait, pas un mot de sortira, trop saturé par l’émotion." Problème de syntaxe, me semble-t-il. "trop saturé par l'émotion" se rapporte à quoi ? A quelque chose qu'il faut aller rechercher deux phrases plus tôt.


"Plein de fureur, en tremblant, il hurle presque les motifs du châtiment qui va frapper le gars attaché devant nous. L’officier a décidé qu’il ne fléchirait pas."
Dans la deuxième phrase, j'ai eu un doute sur le pronom "il" (j'ai eu l'impression d'abord qu'il désignait le gars attaché). Ce n'est pas une erreur de syntaxe, il désigne bien entendu l'officier, mais ceci produit un effet désagréable.


Texte plaisant, mais néanmoins largement perfectible, pour moi. On sent trop l'intention de bien faire sans y parvenir tout à fait.

   in-flight   
18/7/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Dans le deuxième paragraphe, j'ai cru que Laviccello choisissait les deux victimes à exécuter
Non, il choisit les tireurs, dont au moins un se considère comme une victime de faire ce sale boulot.

Une coquille:.
"Mais rien n’y fait, pas un mot de sortira"--> NE sortira

Merci


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