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Sentimental/Romanesque
Vilmon : Le troubadour et la gentille
 Publié le 09/12/24  -  1 commentaire  -  25790 caractères  -  22 lectures    Autres textes du même auteur

Les aventures et les péripéties d’une relation romantique entre un troubadour et une jeune dame de la haute société.


Le troubadour et la gentille


– 1 –


Sous les étoiles qui scintillent, il saute le mur, s'approchant dans les jardins d'une bastille. Un luth accompagne son chant.


– Belle, belle mademoiselle,

Chantant pour vous ces ritournelles,

Venez, venez ma belle oiselle,

Pour écouter chant passionnel.

Belle, je suis sous vos fenêtres

Voulant vous voir, si insistant.

Et pour sentir en moi renaître

Le feu de ce premier instant.

Touchant vos doigts durant la danse,

Charmé du bleu ornant vos yeux,

Mon cœur battait vive cadence.

Moment qui m'est des plus précieux.


Une ombre apparaît aux fenêtres et s'avance au balcon des roses. Un doute en lui elle fait naître pour la témérité qu'il ose. Perdant son courage, il recule, la voyant scruter contrebas. Entendant sa voix, tout bascule, son cœur en chamade s'ébat.


– Qui vous soyez, je suis charmée, vous priant de quitter ces ombres.


Plein d'ardeur, son cœur est armé, d'un pas, il quitte la pénombre.


– Troubadour à la voix si tendre, poursuivez pour sécher mes larmes qui ne cessent de se répandre. Votre chant agit tel un charme.

– Oh ! Mille pardons si mon chant ne vous cause que peine et pleurs.

– Comprenez que vos mots touchants m'évoquent un récent malheur. Je vous prie de continuer, car ce n'est pas vous que je blâme.

– Par mille coups je veux ruer celui qui vous peine et m'enflamme !

– Comme je tente tant d'en faire, oubliez-le ! N'en parlons plus…

– Oui ! Tenez ! Qu'il aille en enfer ! Je poursuis ce qui vous complut.


Jolie, jolie mademoiselle,

Dès lors comment vous oublier ?

Riez, riez ma belle oiselle,

Mon cœur toujours vous est lié.

Celle que j'ai vue en gamine

Est maintenant femme charmante.

Qui par sa beauté m'illumine

Et par son rire me tourmente.

De par le monde et mes voyages,

Jamais n'ai-je vu si soyeuse

Chevelure ni si doux visage,

Avec voix si mélodieuse.


Des roses, il la voit surgir ! Une lueur dans ses yeux s'amuse.


– Votre doux chant me fait rougir. Mais continuez.

– Fort bien, ma muse.


Plutôt que de pincer son luth, à sa main, il porte une fiole, et devant lui, il la culbute. L'air brille de mille lucioles ! La gentille tape des mains.


– Oh ! Quelle est cette fantaisie ?

– Un secret appris en chemin alors que des fées m'ont saisi. Je fus libre après mille chants. D’eux, je garde un peu de malice, rassurez-vous, rien de méchant, et surtout, tout de leurs caprices.

– Vous êtes par cette prestance un peu charmeur, un peu menteur. Comment puis-je donner créance à si merveilleux raconteur ? Je vous crois un peu saltimbanque. Pour ce, j’applaudis votre prose, car de l'esprit, il ne vous manque.


Elle cueille et lance une rose. Agile, il la saisit en vol et en boutonnière la porte. Et d’autres lucioles s'envolent, la gentille en rire s'emporte. Il la salue en élégance.


– Ah ! Je vois que vous appréciez, tout en soupesant les nuances. Je poursuis pour vous remercier.


Belle, belle mademoiselle,

Chantant pour vous ces ritournelles.

Venez, venez ma belle oiselle,

Pour écouter chant passionnel.

Comme le soir de ce grand bal,

Vous dansiez en grande parure.

Qu'à n'y penser, mon cœur s'emballe.

Votre départ fut déchirure.

Et vous m'aviez si enchanté,

Que depuis, je veux vous revoir.

Continuer à vivre et chanter

Sans vous, je ne peux concevoir.

Jolie, jolie mademoiselle,

L'ange qui vient pour me sauver.

Amour, espoir, ma belle oiselle,

À mon seul cœur se sont lovés.


En pinçant les derniers accords, du ciel, tombe une froide averse.


– Le climat semble en désaccord et nos projets il bouleverse. Trop souvent, il nous faut remettre. Patientez, car je reviendrai !

– Oh ! Revenir il faut promettre ! De tout cœur, je vous attendrai.

– Oui ! Sur ma vie, je vous le jure !


Il la quitte en sautant le mur, lançant au ciel quelques injures, mais l'espoir en son cœur murmure.


– 2 –


Encore, il rencontre la fille sautant les murs de la bastille. Sous son balcon, il sérénade comme fait le paon qui parade.


Belle, belle mademoiselle,

Je chante encore pour vous romance.

Voyez, voyez ma belle oiselle,

Mon cœur s'éveille de sa dormance.

Je ne vis qu'aux abords des nuits

Alors que j'aspire à vous voir.

Le jour n'est pour moi qu'ennuis,

Votre égard seul peut m'émouvoir.

Voyez, la lune est avec nous,

Elle nous chérit de ses rayons.

Témoin de nos cœurs qui renouent

Et de nos chants nous l'égayons.

Jolie, jolie mademoiselle,

Vous voir pour moi est un délice.

Venez, venez ma belle oiselle,

Délectons-nous à ce calice.


Mais il la croit un peu distraite et sonde ses pensées secrètes.


– Je sens du fond de ma poitrine que quelque chose vous chagrine.

– Ces aimables rendez-vous m'inquiètent un peu, je vous avoue. L'avis de mon père, je crains, puisse être interdit et contraint.

– Nos cœurs ne laissons intimer, l'amour sera légitimé. Et gardons-nous de ces torpeurs, soyons francs, forts, fiers et sans peur !

– Suite à ce que vous témoignez, ma grisaille s'est éloignée. Mes bons sentiments à mon tour je veux partager sans détour. J'aime tant vous lancer des fleurs pour chaque moment de bonheur. Votre cœur je veux chatouiller, mais mon rosier est dépouillé. Ne pouvant vous bénir de rose, je veux vous offrir une prose, à mon tour de faire la cour, mais je requiers votre concours. À ce luth, jouez le refrain pendant que je chante deux quatrains.

– Je ne m'attends qu'à succulence !


D'une voix juste, elle se lance :


– Mon beau, mon beau chanteur d'amour,

Je veux dédier ce chant pour vous.

Sachez, sachez mon troubadour,

Pour vous, mon cœur bat fort, j'avoue.

Chantez, chantez vos beaux discours,

Aux mots touchants, mon cœur soupire.

Voyez, voyez mon bel amour,

De joie, d'amour mon corps respire.


– Jolie, jolie mademoiselle,

Voyez comment je suis heureux !

Merci, merci ma belle oiselle,

J'ai moi aussi un cœur fiévreux.


Encouragé, il veut poursuivre, mais sa parole ne peut suivre voyant des gardes s'approcher, lances pointées pour l'embrocher. Sous les plaintes de la gentille, ils l'entreprennent et l'aiguillent, le poussant sans ménagement, vers un somptueux bâtiment. Dans le grand hall de la demeure, il est confronté au seigneur.


– C'est donc lui qui charme ma fille ? dit-il, le regard comme vrille.


À la porte apparaît sa fille qui entre et tombe à ses chevilles.


– Père ! Je prie votre indulgence, ce jeune homme n'est qu'obligeance. N'ayant commis aucun méfait, croyez-moi, tout n'est que surfait.

– Il enfreint murs de la bastille, et ce, pour courtiser ma fille ! Il n'est point d'une bonne engeance et ne mérite pas clémence. Forçons son cœur à la diète par quelques jours aux oubliettes.


Si tôt, le jeune est emporté. La fille, en pleurs, est escortée. À son cachot, l'un est traîné, à sa chambre, elle est parrainée.

Cloîtrée, sans nouvelle, mains poisses, depuis des heures elle s’angoisse. Son cœur s'affole et se débat croyant qu’on le passe à tabac. Soudain, un mot glisse à sa porte. Contre son cœur, elle l'emporte. Sachant d'espoir qu'il vient de lui, elle ouvre et lit, d'un œil qui luit.

Par poudre des fées, j'ai berné ceux qui voulaient m'encaserner. J'ai pris la poudre d'escampette par les égouts des oubliettes. Mon cœur de chagrin est plombé. Pour vous, j'ai le torse bombé. Le prix est fort pour vous aimer. De mon droit, j'ai trop présumé. Sans peur ! Mais quelle médisance ! Et je préfère mes distances plutôt que sombres oubliettes, car ma liberté m'inquiète. Belle, belle mademoiselle, j'en ai le cœur vraiment blessé. Douleur, chagrin ma belle oiselle, par peur pour nous il faut laisser.

Quel soulagement qu'il soit libre. Alors que son cœur de joie vibre, rage et pleurs, elle ne pardonne que leur destin les abandonne.


– 3 –


Il l'avait quittée sans l'oublier, son cœur au fer rouge est marqué. L'âme en peine, le dos arqué, il l'aime et ne peut plus le nier. Sous les ordres d'un grand seigneur, il est traqué et recherché, ce qui l'oblige à se cacher et se déguiser, l’œil lorgneur. Il se promène en inconnu. Parfois, errant devant la grille, cherchant à revoir la gentille, mais sans y être parvenu. D'autres fois, il la voit passer, elle est sous garde rapprochée. Il prend fuite pour se cacher, évitant d'être pourchassé. C'est lorsque le ciel vient obscur qu'il se ressaisit, prend courage, montant sur un toit du village pour chanter au-dessus des murs.


Belle, belle mademoiselle,

De vous mon cœur en est marqué.

Voyez, voyez ma belle oiselle,

Ma plaie au cœur, mon dos arqué.

Plus rien cette vie peut m'offrir

Depuis que je vous ai quittée.

Chaque jour, je ne peux souffrir

De vivre cette iniquité.

Je marchais vers contrées lointaines,

Mais j'ai dû rebrousser chemin

Et ce, après un jour à peine,

Car mon cœur est entre vos mains.

Belle, belle mademoiselle,

Par liberté, j'ai dû partir.

Voyez, voyez ma belle oiselle,

Par amour, j'ai dû revenir.

À la lune, je chante et prie

Afin que nous puissions nous voir

Et éviter que je sois pris.

J'espère pouvoir l'émouvoir

Et qu'elle vienne à notre aide,

Nous porter conseil et secours.

Pour notre amour, qu'elle intercède,

Qu'elle nous prête son concours.

Belle, belle mademoiselle,

Voyez la lune est avec nous.

Priez, priez ma belle oiselle

Pour que nos cœurs un jour renouent.

Pourquoi l'engeance importe tant

Alors que nous étions heureux ?

Pourquoi vivons-nous de ces temps

Au lieu de jours moins miséreux ?

Comment devenir important

Et riche aux yeux de votre père ?

Comment pouvoir lui plaire

Autant afin de paraître sincère ?

Belle, belle mademoiselle,

Faut-il qu'enfin je me déguise ?

Afin, afin ma belle oiselle

De nous aimer à notre guise.


Debout, à son balcon des roses, la gentille admire la lune. Par sa voix chargée d'infortune, sa supplique, elle lui expose.


– Oh ! Belle lune, entendez-moi. J'aimerais tant le rencontrer sous votre lumière feutrée. Raccorder mon cœur en émoi. Chaque soir avant le coucher, je l'entends par-delà des murs. Sa voix vient à moi en murmures, mais ses doigts je voudrais toucher. Faites nos cœurs se rencontrer, même par un seul court moment, pour m'apaiser de ces tourments, pour pouvoir rire et folâtrer. Des vers, je lui professerais, ces yeux je pourrais admirer, y voir mon amour s'y mirer. Sa joue ma main caresserait pendant qu'il gratterait son luth en me chantant douces ballades. Cœur et raison sont en chamade : l'ordre de mon père, je lutte, car je dois garder mon honneur, mais avec le temps qui s'égraine, l'interdit alourdit ma peine et m'éloigne de mon bonheur. Mon âme soupire toujours, car mon cœur entre deux vacille pour l'amour entre père et fille et celui pour ce troubadour. Ronde lune, venez à moi pour m'épancher sur votre épaule. Aidez-moi, deux devoirs m'enjôlent. Soulagez mon cœur qui larmoie. De tous vous clamant, j'en suis une qui vous implore la clémence pour sanctifier cette romance, sereine et envoûtante lune.


Et elle croit en sa fortune, car alors que son chant la berce, l’étoile filante traverse la collerette de la lune. D’un vœu, elle reprend espoir. Face au père, sa raison s'arme alors qu'elle sèche ses larmes. Leur union, elle veut y croire.

Depuis, chaque soir au coucher, son chant vole au-dessus des toits en paroles d'amour courtois vers celle qu'il voudrait toucher. Chaque fois, depuis son balcon, elle l'écoute de tout cœur, priant la lune en sa faveur d'engendrer des temps plus féconds.


– 4 –


La belle à son balcon des roses est d'une humeur bien morose. Plus aucun chant du troubadour vient la charmer depuis des jours. Inquiète ces dernières nuits, elle espère que nul ennui n'ait terni sa bonne fortune. Elle implore à nouveau la lune.


– Belle lune, me voilà triste, mais qu'advient-il de mon luthiste ? Faites qu'il se porte à son mieux, car je le sais si audacieux. Par un signe, rassurez-moi pour sécher mes yeux qui larmoient. J'aimerais à nouveau l'entendre me chanter de façon si tendre.


La lune cachée se dégage de son sombre écrin de nuages. Ses rayons touchent son rosier, elle le regarde, extasiée. Sous ses yeux doucement éclosent trois des boutons parmi les roses. Elle croit y voir bon augure et patiente pour leur futur.

Le troubadour avait quitté depuis plusieurs jours ce comté. Il cherche quelconque façon et s'engage comme échanson au service d'un autre fier afin de saisir leurs manières. D'eux, il apprend tout du langage, de leur société, les rouages. Puis, il court avec les fripouilles, par déguisement, il dépouille. Avec eux, il apprend la triche, à frauder et tromper les riches. Par fausses lettres de parents, il s'acquiert classe de haut rang. Par perruque et par maquillage, il trompe par deux fois son âge.

Trois longs mois, puis à la bastille, il revient ravir la gentille sous les traits d'un vieux personnage au très respectueux lignage. Dans un carrosse, il apparaît avec l'écu d'un banneret. À la présentation des lettres, on le convie à comparaître. Et sans tarder, s'ouvrent les grilles, on l'introduit dans la bastille, par geste bien respectueux, jusqu'à un salon somptueux où l'attend le seigneur des lieux, cette fois, nullement bilieux. À ses côtés se tient sa fille. À sa vue, son cœur se fendille. Son visage est si triste et pâle, voilé de peine comme un châle. Il se secoue, se ressaisit pour continuer sa fantaisie.

Face à cette personne affable comme prétendant vénérable, le père l'accueille avec zèle, mais ne charme la demoiselle. Nul éclat de récognition face à sa réapparition. Ce costume les berne bien à cette heure, mais pour combien ? Le seigneur l'invite à rester quelques jours pour se délester de la poussière du voyage, de la cour et son verbiage.

Bien qu'elle l'accueille à rebours, il l'entretient de calembours et la noie d'élogieuses proses. Mais, la fille reste morose. Chaque jour, il veut l'embrasser, toujours, il est embarrassé. Un soir, le seigneur doit quitter et laisser seul son invité. Profitant alors de l'absence, ils font plus ample connaissance. Il lui fait belle révérence afin de chanter sa romance :


– Belle, belle mademoiselle,

Un peu charmeur, un peu menteur,

Voyez, voyez ma belle oiselle,

Je reste votre serviteur.


La gentille, aux sourcils froncés, le scrute sans se prononcer. Ce visage lui est curieux, mais elle reconnaît ses yeux.


– Mon beau, mon beau chanteur d'amour,

Est-ce vous sous cette perruque ?

C'est vous, c'est vous, mon troubadour

Caché sous ces habits caducs ?

– Belle, belle mademoiselle,

C'est bien moi, votre troubadour.

J'aime, j'aime ma belle oiselle,

Prêt à tromper pour votre amour.


Enlacés jusqu'au lendemain, au père, ils vont main dans la main prononcer leur vœu marital et réclamer le legs dotal. Prompte et pompeuse victuaille. Tous, joyeux et contents, ripaillent pour ce mariage de roi, amoureux par triche et par droit.

C'est ainsi que le troubadour, par astuce et quelques détours, eut l'amour de sa demoiselle, lui donnant à son cœur des ailes. Chaque soir venu, par promesse, il chante sa douce caresse pour sa bien-aimée dont l'amour mire dans ses yeux en retour.


– 5 –


Ils traversent forêts et friches, poursuivis par bruyante courre. Le père a découvert leur triche, à toute haleine, tous deux courent. Tôt, ils ont quitté la bastille tout en secret, par les caveaux. Le troubadour et la gentille ont fui par chemins et par vaux. Fourbus, leurs chevaux sont tombés. Tourmentés par les aboiements, ils luttent près de succomber depuis deux lieues, péniblement. Arrivés à une rivière, ils sont bloqués et acculés. D'un bref regard à leurs arrières, ils voient la meute dévaler. Effrayés et désespérés, ils se jettent tous deux à l'eau. Leurs corps glacés et lacérés sont charriés par les puissants flots. Suffocants, ils sont ballottés dans les rochers et les rapides. Ils s'agrippent aux bois flottés jusqu'à un méandre placide. Épuisés et transis de froid, se hissant, la rive ils arpentent. Étendus, envahis d'effroi, pour se donner courage, il chante :


– Belle, belle mademoiselle,

Rien n'est encore perdu.

Du cœur, du cœur ma belle oiselle,

Est terminé le plus ardu.

Allons, reprends force et ardeur.

Viens que je t'enlace et t'embrasse

Pour te donner de ma chaleur

Et fuir tous ceux qui nous terrassent.

Jolie, jolie mademoiselle

Comment pourrais-je te quitter ?

Venez, venez ma belle oiselle

Trouvons endroit pour s'abriter.

Je t'en prie demeure éveillée.

Bientôt, il nous faut repartir.

Promis, sur toi, je vais veiller,

D'aucuns pourront nous départir.


Sa belle ayant la mort à l'affût, ses derniers mots sont en sanglot, engloutis par le fort raffut des chevaux venant au galop. Des hommes sautent des montures, se saisissent du troubadour, le ruant de coups et d'injures. L'un, à la fille, porte secours. Le père arrive sur la scène. Inquiet, sur sa fille il se penche, espérant qu'elle est sauve et saine. Il ordonne, plein de revanche :


– Allons ! Il ne faut pas qu'il meure ! Vivant, je le veux aux galères ! La douleur sera sa demeure quittant la douceur de mes terres.


Confiant pour la vie de sa fille, il l'emporte sur son cheval. Le jeune, lié poings et chevilles, en croupe, est traité en vandale. À leur retour à la bastille, au donjon, il est enchaîné. À sa chambre est cloîtrée la fille. Des douves monte un chant peiné :


– Belle, belle mademoiselle

Je vous adore abondamment.

Allez, allez ma belle oiselle

Il faut trouver meilleur amant.

À ce cachot où l'on m’enchaîne,

Je m'esquive de sa colère.

Mais alors passera la chaîne,

Je partirai pour les galères.

Belle, belle mademoiselle,

Je partirai sans revenir.

Laissez, laissez ma belle oiselle,

Je suis mort et sans avenir.


Ce chant éveille la gentille. Son cœur est flétri et fané. À ses yeux, des larmes scintillent pour l'amour désormais damné.


– 6 –


Enchaîné au fond de sa geôle, le troubadour s'inquiète d'elle. La fièvre ronge sa fidèle et les doigts de la mort la frôlent. Par fol espoir de l'esquiver, par les barreaux de la lucarne, la voix enrouée, il s'acharne à chanter pour la raviver. Son chant monte au balcon des roses, devient doux murmure aux oreilles de la gentille qui sommeille, alitée par fièvre et névrose.


– Belle, belle mademoiselle,

Vous qui êtes près du trépas,

Venez, vivez, ma belle oiselle,

Ce chant pour vous tel un appât.

Écoutez, je vous le conjure.

Ne laissez la vie vous quitter.

Je vous aime, je vous le jure

Et ce, malgré l'iniquité.

Même en exil, je suis à vous.

Votre cœur sera la chandelle

Comme celle des rendez-vous

À la fenêtre des fidèles.

L'amour parcourt toute distance.

Le mien volera jusqu'à vous,

Mais la mort sera ma pitance

Si vous me quittez, je l'avoue.

Belle, belle mademoiselle,

Un jour, nous nous retrouverons.

Venez, vivez ma belle oiselle,

Jurons que ces beaux jours viendront.


Doucement, ses yeux papillotent, son chant l'encourage et l'anime. Combattant ce qui l'envenime, son corps gauche comme vieillotte, son esprit perdu, cotonné, faisant fi des maux, elle se lève. Au balcon son chant la soulève, la ravive à s'y cramponner. Sa fièvre chassée par l'air frais, la voix calme sa forte angoisse. Dans son cœur, ses espoirs s’accroissent. Elle répond d'un ton discret.


– Mon beau, mon beau chanteur d'amour,

Par grand chagrin je pense à vous.

J'aime, j'aime mon troubadour

Et pour toujours, je vous avoue.

Comment vivre si loin de vous ?

Mon père vous met sous verrous.

Sa volonté, je désavoue

Et tous les maux de son courroux.

Pourquoi l'engeance importe tant

Alors que nous étions heureux ?

Pourquoi vivons-nous de ces temps,

Au lieu de jours moins miséreux ?

Pensant à vous, mon cœur s'afflige

Pour la chaîne venant vous prendre.

Pour toute l'horreur qu'on vous inflige,

L'amour prend d'étranges méandres.

Malgré tous ces coups et malheurs,

Je vous promets tout mon amour.

Je souhaite renouer nos cœurs

Par lendemain meilleur, un jour.

Jugée, punie je suis amour,

Car je choisis moins fortuné.

Malheur, malheur mon troubadour,

Notre destin se voit ruiné.


Elle s'assoupit au pied des roses. Au matin, tous sont consolés, la fièvre s'est envolée. Elle est guérie, mais bien morose.

Le même jour, se glisse un mot sous la porte de la cellule que vivement il dissimule et lit sous clarté en rameau. Il s'agit de son écriture, son parfum fixé au papier. Sa bien-aimée n'a point expié. Heureux, il en fait la lecture.

Mon seul amour, mon troubadour, un peu charmeur, un peu menteur, mais sans mérite de ce malheur, comment survivrez-vous ces jours ? Le bagne est un si lourd fardeau, qu'il mène souvent à la mort. J'en éprouve que des remords qu'aucune part n'est sur mon dos. Par amour, je veux partager ces douleurs qui viennent vers vous. Mon corps est fragile, j'avoue, mais j'ai l'esprit fort, enragé. Jurez-moi de tous vos pouvoirs de toujours m'aimer pour survivre. Car je crois que l'amour délivre si nous persistons à y croire. Et de mon côté, je vous jure de toujours vous rester fidèle et de maintenir la chandelle. Survivez ! Je vous en conjure !

La flamme en son cœur vacillait. Maintenant, il bat à tout rompre. Et rien ne peut plus le corrompre. Sa foi s'embrase à ce feuillet et en conviction, il murmure :


– Que la chaîne vienne et m'emporte, que la galère me déporte, je survivrai, je vous le jure !


Depuis, chaque nuit, monte un chant clamant un amour innocent. Du balcon, un autre descend, d'autant plus triste et plus touchant. Ils saisissent au mieux ce temps. La chaîne bientôt passera. Au loin, elle l'emportera vers un destin inquiétant.


– 7 –


Et un jour, la chaîne est passée. Son amour proscrit est chassé. Leur beau mariage est annulé. Et sa raison a basculé. Par la force, elle est mariée. Un riche et vieil usurier se cherchant une noble sotte pour engendrer et pour sa dot. Portant son enfant par dépit, son cœur tout en pleurs sans répit, par peur ou courage, elle fit pire : par poison, tuant son messire. Coupable, elle est incarcérée pour périr par cou lacéré. Malmenée par la garnison, l'enfant est mort-née en prison.

Et vient le jour du châtiment. Délavée de tout sentiment, renfermée dans son indolence, on l’emmène sans résistance. Attachée dans une charrette, d'injure la foule maltraite durant son parcours dans les rues, même ses amis sont bourrus. Accueillie à la grande place par chahut de la populace, on l’amène sur l'échafaud parmi quelques cris triomphaux. Et là, la gentille défaille. Son cœur saisi dans son poitrail en apercevant le bourreau. Sa providence est un escroc !

D'un geste, l'homme au chapeau rouge la cueille avant qu'autrui ne bouge. Dans la foule, c'est le silence, comme lors de ces circonstances. Connu comme bourreau chanteur, un peu charmeur, un peu menteur. Pour informer la populace, la sentence, il chante sur place. C'est pourquoi il est apprécié malgré la tâche dépréciée. Mais cette fois-ci, il étonne avec ce doux chant qu'il entonne :


– Belle, belle mademoiselle,

Voilà cruel destin pour nous.

Voici, voici ma belle oiselle

Comment châtier cœurs qui renouent.

Arrivé en Haute-Bretagne,

On m'offrit cette condition,

En marge en échange du bagne.

J'ai accepté ma reddition.

Et j'accomplis les hautes œuvres

En tentant de vous oublier.

J'ai le cœur brisé, il désœuvre

Pour ces corps que j'ai pendillés.

Jolie, jolie mademoiselle,

Comment occire de ma main ?

Voyez, voyez ma belle oiselle,

Je ne puis point, c'est surhumain.

Qu'autrui lève sa main sur vous

Est pour moi si intolérable,

Ce geste que je désavoue,

J'agrée, même si exécrable.

Votre nuque, je trancherai,

Mais pour moi, c'est sans lendemain.

Car si tôt, je m'embrocherai

Ayant votre sang sur mes mains.

Belle, belle mademoiselle,

Cœur et raison sont en duel.

Pitié, pitié ma belle oiselle,

D'agir de façon si cruelle.


À genoux, devant populace, tendre, dans ses bras, il l'enlace. Elle pleure et sur lui se penche. Elle lui répond d'une voix blanche :


– Mon beau, mon beau chanteur d'amour,

Chaque journée, je pense à vous.

J'aime, j'aime mon troubadour

Et pour toujours, je vous avoue.

Mon amour, quelle tragédie,

Alors qu'enfin je vous retrouve,

C'est à la mort qu'on m'expédie.

Malheur ! Encore on nous éprouve !

Jugée, punie je suis amour

Et à périr sous fil d'épée.

Malheur, malheur mon troubadour,

Par toi, ma vie est recépée.


Du socle, par coïncidence, l'épée chute tel par providence. Et la foule y voit là un geste béni provenant du céleste. Alors des murmures s'élèvent. Des mains, des fichus se soulèvent. À l'échafaud, les gens s'avancent. Ils scandent, toute voix s'élance :


– Grâce pour cette demoiselle !

– Oui, grâce, si c'est la donzelle des chansons de notre bourrel !

– Grâce pour lui ! Grâce pour elle !


Ces voix comme une mer immense poussent les juges à la clémence. Et la gentille est acquittée. Alors l'échafaud est quitté. Devant eux, un passage s'ouvre. Heureux, le bourreau se découvre. Pour cette fois, on le pardonne parmi les vivats qu'on chantonne. Et il l’emmène à sa masure au loin, à l'extérieur des murs. Ils sont dès lors bannis, honnis. Mais leurs vies, leurs cœurs, sont unis. Et au début de chaque nuit, quand le jour quitte ses ennuis, provenant du logis maudit, s'élève douce mélodie.


– Chantez, chantez vos beaux discours,

Aux mots touchants, mon cœur soupire.

Voyez, voyez mon bel amour,

De joie, d'amour mon corps respire.

– Jolie, jolie mademoiselle,

Voyez comment je suis heureux !

Merci, merci ma belle oiselle,

J'ai moi aussi un cœur fiévreux.


 
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   Cleamolettre   
15/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

J'ai lu jusqu'au bout bien qu'ayant trouvé l'histoire un peu longue, mais intéressée par la fin que je voulais connaitre, ce qui prouve que le texte m'a quand même embarquée. Ou bien je suis une indécrottable romantique !

Je ne peux que souligner la difficulté à écrire ainsi en rimes, que ce soit dans les chants du troubadour et ceux de sa dulcinée ou dans le reste du texte narratif. Et c'est assez bien fait à mon humble avis.
Ce n'est pas le style que je préfère et parfois j'ai trouvé que ça frisait l'overdose, surtout au début. Mais comme je pense être incapable de faire de même, je vous tire mon chapeau avec une petite révérence pour avoir tenté ce style bien particulier qui se marrie fort bien à l'époque du récit.

Même si je prise peu la poésie et que je n'y connais pas grand-chose en termes de vers, de rythme et de pieds (je crois), j'ai trouvé une sorte de rythme de lecture un peu lancinant, comme une ritournelle, qui finit par permettre de s’abstraire de la forme pour se concentrer sur le fond. Et à partir de là, la lecture en est devenue plus aisée.

Mais tout de même, les chants du troubadour sont trop présents et lents à mon goût, d'autant plus qu'il n'y a pas la mélodie qui, peut-être, permettrait de mieux les apprécier. Heureusement, ils sont aussi informatifs et font avancer l'histoire, ce qui m'a permis de ne pas les trouver rébarbatifs.

Bref, je ne lirais pas ce genre de texte tous les jours, mais j'ai bien aimé l'histoire de cet amour triomphant envers et contre tout, du fossé de rang social à la mort en passant par l'enfermement et les chaines.


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