Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
Vilmon : Les chaussons de la ballerine
 Publié le 21/08/24  -  3 commentaires  -  3844 caractères  -  52 lectures    Autres textes du même auteur

Récit hors concours n° 35.
Photo : les chaussons.


Les chaussons de la ballerine


Nous avons vécu des jours meilleurs. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas foulé les parquets de danse et les scènes de spectacle. Notre vie active est très éphémère, mais combien intensément active. Cependant, nos coutures se relâchent, notre tissu s’use et s’ébrèche, notre pointe se ramollit et nous devons alors laisser notre place à d’autres chaussons de danse tout fringants et soyeux. Notre carrière triomphale s'est terminée et nous sommes maintenant accrochés au miroir de sa coiffeuse. En souvenir du summum de sa prestance des plus élégantes et prestigieuses. Par la suite, nous avons assisté à l’usure et les blessures des jointures qui ont mis fin à son rêve de danseuse.


Nous l’avons accompagnée et soutenue durant l’année de ses plus grands couronnements : le cygne noir dans Le Lac des cygnes, Juliette dans Roméo et Juliette, la Reine des neiges dans Casse-Noisette et le rôle principal dans Carmen. Sa performance hors du commun a charmé le public et nous sommes fiers d’y avoir apporté notre humble contribution. À chaque pas de danse sur pointes, chaque arabesque, toutes ses cabrioles, ses grands jetés et ses sauts fouettés, nous nous sommes envolés avec elle, une danseuse toute voluptueuse et gracile. Parfois avec intensité et, dans certains cas, avec douceur, nous étions toujours là pour la porter vers le succès de ses interprétations.


Voilà plusieurs jours que nous ne l’avons pas croisée. Pourtant, à chaque nuit avant de s’étendre dans son lit pour s’endormir et rêver à nous, elle venait s’asseoir à la coiffeuse. Elle prenait sa brosse en ivoire au crin soyeux pour la passer pendant de longs moments dans ses cheveux d’argent, jusqu’à ce qu’ils soient lustrés pour refléter l’éclat de la Lune. Elle déposait alors sa brosse, portait son index et son majeur à ses lèvres pour y laisser un baiser. Elle étendait ensuite son bras vers nous pour nous offrir son amour en nous caressant tendrement. Notre présence lui remémorait ces instants glorieux. Ses yeux s’illuminaient à la pensée de tous ces merveilleux moments : l’exaltation du mouvement, l’effervescence du geste, l’enchaînement des pas, la diffusion des émotions, les applaudissements et les ovations du public.


Elle nous a quittés et nous restons là, seuls, accrochés à son miroir, un souvenir oublié de tous.


***


Un homme est venu nous cueillir pour nous remiser dans une boîte de carton. Pêle-mêle, nous sommes entassés tous ensemble, livres, photos, bibelots. Sans ménagement, nous sommes transportés, barattés, déposés, repris, lancés et nous nous écrasons parmi des milliers d’autres. Si nous n’étions pas enlacés l’un à l’autre, nous serions maintenant séparés définitivement, sans espoir de nous retrouver. Écartés à bout de bras, nous sommes entraînés avec tous ces divers débris orphelins de leur maître et maîtresse. Une ardente chaleur suffocante nous menace.


Notre satin de soie se recroqueville, nos rubans se racornissent, nos empeignes se déchirent, nos cambrions de cuir grésillent et, soudain, nos pointes s’enflamment. Nous disparaissons dans un grand brasier avec nos confrères et nos consœurs de fortune. Transformés en cendres et en fumée, nous nous élevons, entraînés par les chaleurs empruntant la cheminée. Et extase, nous sommes libérés dans le panache qui s’élève dans le ciel d’un bleu si pur et si évanescent. Le vent nous pousse, nous culbute en pirouettes et en cabrioles. Avec joie, nous retrouvons avec euphorie nos pas de danse et nous nous envolons dans une suite infinie de chorégraphies.


Nous sommes nés au travers de ses rêves, nous sommes devenus réalité pour danser avec elle et nous nous sommes sublimés en souvenirs au crépuscule pour terminer en esprit volage. Nous sommes éphémères, nous sommes oubliés, cependant, nous sommes éternels.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Cleamolettre   
21/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Habituellement, je ne raffole pas de la personnification des objets, mais ici, non seulement ça ne m’a pas dérangée, mais en plus j’ai trouvé que c’était poétique, touchant et bien vu.

Peut-être car ça me rappelle mes propres pointes de danse classique qui sont toujours accrochées, en guise de décoration désormais, sur le cadre du miroir de ma chambre (comme quoi…). Et sans doute à cause de cette idée finale de la fumée qui permet de danser à nouveau, que je trouve jolie et originale.

Peut-être que c’est un peu court et qu’on pouvait parler un peu plus des relations de la danseuse à ses chaussons, comme le fait de devoir les « casser » quand ils sont neufs, le fait qu’ils font souffrir et déforment les pieds, qu’ils peuvent faire chuter soit par glissement soit par cassure. Ça aurait permis de ne pas voir que du positif dans la relation, ce qui aurait rendu encore plus touchant le fait qu’elle les garde, comme une vraie relation : malgré les disputes et les couacs, c’est l’amour qui l’emporte (mais ce doit être mon romantisme qui parle :) ).

Et puis j’ai apprécié l’écriture, fluide, agréable à lire, sans anicroches à part ces petits pinaillages (trois fois rien) :

« En souvenir du summum de sa prestance des plus élégantes et prestigieuses » déjà le pluriel me gêne mais la phrase entière aussi, que je trouve complexe.

« à chaque nuit avant de s’étendre », il me semble qu’on dit « chaque nuit ».

« tous ces divers débris orphelins de leur maître et maîtresse », j’aurai mis le pluriel ici « leurs maîtres et maîtresses », notamment parce qu’en première lecture j’ai pensé qu’on parlait de la maîtresse des chaussons et que je me suis demandé qui était ce maître dont on n’avait pas parlé avant, je pense que le pluriel permet de comprendre de suite qu’on parle des débris d’autres lieux (en déchetterie sans doute).

Merci pour cette lecture en tout cas, délicate et tendre.

   papipoete   
29/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Vilmon
Je ne vous cacherai pas, que le nombre de caractères guida mon choix, sous votre texte.
Je suis nul en la matière, aussi ne vous inquiétez point, si je ne suis pas à la hauteur ?
Comment, une paire de chaussons de danse, qui furent au centre de la gloire de cette ancienne danseuse, viennent à sa mort à être jetés aux déchets ; partir en fumée d'un four crématoire : retrouver l'évanescence d'un éther accueillant...
NB déjà, ce qui me plaît c'est que deux " choses " parlent, et " réfléchissent " ( ceux qui me connaissent, savent de moi ce penchant pour bête, arbre, grain de sable )
Et face à la ballerine au rituel immuable, depuis qu'elle a raccroché, ces chaussons qui la contemplent ; se rappellent de l'époque bénie.
à la mort de l'héroïne, quand jetés en vrac dans un carton, les chaussures de satin purent mourir de détresse... heureusement, ils étaient par leurs cordons, enlacés l'un à l'autre.
un récit touchant, et fort original ;
la seconde strophe est d'une grâce inouïe, et l'avant dernière " notre satin de soie..." qui put être cruelle, resplendit particulièrement.

   Cristale   
29/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Vilmon,
Je viens sur la pointe des pieds souligner la voix poétique et gracieuse de ces chaussons de ballerine.
Objets avez-vous donc une âme ? (demandait... qui déjà ?)
Je pense que oui car je lis ici une histoire où se retrouvent mêlés aux souvenirs la joie, la douleur, le bonheur d'avoir été ces compagnons adulés, puis la nostalgie des grands galas, et la tristesse.
Le caractère affectif particulier qui unit les chaussons-objets à la personnalité humaine de la danseuse est particulièrement bien traité.
La note finale m'a emportée vers les étoiles, celles du firmament et près d'une étoile qui brille plus que les autres, la "danseuse étoile" disparue.

"Transformés en cendres et en fumée, nous nous élevons, entraînés par les chaleurs empruntant la cheminée. Et extase, nous sommes libérés dans le panache qui s’élève dans le ciel d’un bleu si pur et si évanescent. Le vent nous pousse, nous culbute en pirouettes et en cabrioles. Avec joie, nous retrouvons avec euphorie nos pas de danse et nous nous envolons dans une suite infinie de chorégraphies."

Une lecture très douce bien agréable, attendrissante.
Merci Vilmon.
(et merci papipoète d'avoir remonté cette nouvelle que je n'avais pas encore lue)


Oniris Copyright © 2007-2023