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Aventure/Epopée
Vilmon : Pour la duchesse
 Publié le 09/11/24  -  4 commentaires  -  11600 caractères  -  36 lectures    Autres textes du même auteur

Une nouvelle de cape et d'épée. D'ordinaire, les récits d'action ne sont pas tellement choyés ici. En espérant que celui-ci pourra vous intéresser.


Pour la duchesse


D’un grand geste, il fait voler la cape sur ses épaules et épingle la broche d’argent. Éblouie par la grâce de ce mouvement ample et empli d’orgueil, elle le regarde tendrement, les mains ramenées sur son cœur, retenant les pans de dentelle de son déshabillé. Il se penche pour récupérer le chapeau décoré d’une large plume, il l’avait largué avant de rejoindre son étreinte. Il le cale sur sa longue coiffure bouclée en lissant la rémige. Il se tourne vers elle, une main sur le pommeau de son épée, et la dévisage d’un sourire narquois tout en roulant entre ses doigts une pointe de sa fine moustache.


– N’avez-vous pas un bonsoir à me chuchoter avant que je vous quitte, madame ?


Assise à son lit, la dame se détourne, son visage tourné vers la bougie près d’elle, feignant une moue de tristesse.


– Oh ! Je ne sais aucunement, preux mousquetaire, mon cœur est déchiré d’ainsi vous voir partir si brusquement.


L’homme s’empresse, s’approche d’elle, s’agenouille et saisit ses mains, la suppliant.


– Madame ! C’est pour protéger votre honneur que je vous laisse si promptement avant le lever du jour. Si votre mari, le duc, me surprenait ici, nous subirions son horrible courroux et je ne pourrais pas supporter de vous voir souffrir à cause d’une imprudence de ma part.


Ravie par la sollicitude qu’il lui témoigne, elle s’approche de son visage et l’embrasse plusieurs fois.


– Ce nez pour que vous puissiez flairer toute ruse, ces joues pour vous faire rougir de joie, ce front pour vous éviter de déraisonner d’amour et ces lèvres pour que vous gardiez en vous ces sentiments de passion qui vous animent.


Le regard plongé dans l’autre, les mains entrelacées, ils se lèvent et avancent ensemble vers la porte. Avant de l’ouvrir, il lui baise les mains, les relâche avec regret et approche l’oreille contre le panneau. Il acquiesce de la tête, lui jette un dernier regard en souriant et tourne doucement la poignée. Il ouvre lentement la porte, se penche pour observer le couloir et s’engage dans les ombres.


– Soyez prudent, mon amant.


La dame est surprise de le voir reculer d’un pas, le dos droit, la tête haute. Elle fait un écart et aperçoit la pointe d’une épée sous le menton de son amour. Une main étrangère s’appuie à la porte pour l’ouvrir en grand pendant que le mousquetaire poursuit à reculons. La faible lueur de la bougie près du lit leur dévoile le duc qui passe le seuil, une étincelle dans les yeux, les sourcils froncés, les lèvres sévèrement pincées.


– Ainsi c’est ici que je vous retrouve, Du Trisiac, à faire la cour à ma femme pendant que je parcours mon duché. Aurais-je trop abusé de votre loyauté pour me tromper de telle sorte ?


La duchesse lève la main vers son mari, bouche bée, incapable de vocaliser sa supplication. Il l’observe un instant et lui verse toute sa haine dans ce seul regard. Un moment d’inattention qui suffit au mousquetaire pour d’un geste fouetter sa cape, écarter la lame qui le menace et s’esquiver en tirant sa rapière du fourreau.


– C’est pour la protéger des malveillants que je suis passé m’enquérir de la duchesse, mon seigneur.


Le duc avance d’un pas en allongeant la pointe de sa lame vers le soupirant.


– Quel mensonge éhonté !


Le mousquetaire pare facilement l’estocade et fait glisser les armes vers le côté.


– Et pourtant, c’est pour la préserver que je suis présent.


Ils échangent quelques coups adroits et s’éloignent un peu, s’observant sous la blafarde lumière.


– Une piètre couleuvre que vous voulez me faire avaler. Comment se méprendre de vos intentions sous cette faible lueur et l’accoutrement de ma femme ?


Le mousquetaire contre-attaque en battement, sans vouloir s’engager avec force. Il penche un peu la tête de côté, en réflexion.


– Très juste, mon seigneur, difficile de trouver une excellente excuse lorsque les circonstances sont plutôt évidentes.


Le duc ramène la pointe devant lui, fait un petit moulinet et étudie son adversaire.


– Je vais vous occire pour cet affront à mon honneur, Du Trisiac !


La duchesse s’éloigne d’eux, angoissée par cette conjoncture et déconcertée d’être le trophée de ce duel. Afin d’éviter leur lame, elle rejoint son lit et s’agrippe à une colonnette du baldaquin comme une naufragée.


– Mon seigneur, il est indigne de votre part de maintenir ainsi recluse dans cette tour une si jolie dame.


Le propriétaire du château lève le nez et plisse les yeux, observe avec dédain l’homme qui le réprimande.


– Elle est ma femme, je fais comme il me sied et il est de mon devoir de la protéger des vauriens. En garde !


Le duc raffermit sa poigne sur le pommeau, met sa main à sa taille et place ses pieds en position d’engagement.


– Vous me provoquez en duel, mon seigneur ?


Il reçoit comme confirmation une série d’attaques qu’il écarte habilement.


– Je t’embrocherai de la barbe au cul comme un porc que l’on veut rôtir, déloyal serviteur.


Telle une danse, ils avancent et reculent, renversent chaises, tables et potiches. Les lames se croisent dans une cacophonie de fer, reluisent sous la lueur de la bougie et pétrifient la duchesse accrochée à son lit. Les fentes, les ripostes et les feintes se succèdent : les primes, les secondes, les quartes, les sixtes et les octaves se combinent pour tenter de prendre l’avantage. Le mousquetaire s’enhardit, il se meut avec agilité, s’adapte à la cadence, gagne en confiance et nargue son opposant.


– D'estoc et de taille, pour trouver la faille. Dans les parades, la rage escalade. En une volée, tout peut s'envoler. Il faut se relancer et recommencer.


Le duc grimace et souffle, il maîtrise la situation avec difficulté, cependant un regard vers sa femme le convainc de redoubler d’efforts.


– Tes parades d’arme et de paroles n’arriveront pas à me défaire, je suis dans mon droit, Dieu saura guider ma lame pour m'accorder Sa justice.


Tel un saltimbanque, le mousquetaire s’élance vers le sol et fait une roulade tout en contrant et en esquivant les coups de son opposant.


– Échange de mots, sa charge de maux. Car chaque réplique a sa propre pique. Entrer dans la danse, suivre la cadence. Mener la tendance avec impudence.


Face à cette insolence et cette extravagance, le duc gronde de colère. Il repousse de justesse une offensive bien menée et s’alarme d’être ainsi submergé.


– À moi, la garde !


Dans un fracas, la porte s’ouvre d’un bond et deux soldats, rapière tirée, se précipitent dans la chambre. La duchesse s’écrie d’horreur en les voyant fondre vers son amant. Celui-ci se déplace vers un coin pour éviter d’avoir un adversaire derrière lui. Il tire une main-gauche de sa ceinture et mène une série de coups et de ripostes pour contrer les attaques. Sa parade est si agile qu’elle est tel un bouclier.


– D'un pas en arrière, briser les barrières. D'un pas en avant, prendre les devants.

Chaque coup et botte peut donner un vote. Et toute tirade a ses camarades.


Le mousquetaire trouve une ouverture, il fait un appel, le choc de son pied contre sol distrait l’un des soldats, il lui perce le poignet et le désarme. Cette surprise lui permet d’avancer d’un pas et de frapper le second garde à la tempe, l’envoyant au sol. Il recule aussitôt en s’abaissant, laisse siffler la lame du duc au-dessus de sa tête et, d’une botte, lui transperce le torse. Il approche son visage près de celui de son seigneur.


– Tirer révérence dans la confidence. Concéder victoire sans perdre sa gloire.


Voyant les deux autres tenter de le charger et le renverser, il agite sa lame en parade circulaire, leur fouette les membres et le derrière lorsqu’ils s’enfuient, la tête basse. Le duc s’appuie au mur et s’échoue au sol en laissant une traînée de sang sur l’élégante tapisserie. Il murmure d’incompréhension.


– Comment puis-je ainsi être trahi ? J’étais pourtant dans mon droit, étant la victime. Il n’y a aucune justice…


Du Trisiac essuie le fer de sa rapière de façon nonchalante en la passant sur la tunique de son seigneur agonisant et la remet à son fourreau. Il l’observe s’incliner lentement à chaque souffle rauque, une main sur le pommeau de son épée et l’autre tournant sa moustache entre les doigts.


– Vaincre sans excès, jouir du succès. Offrir son respect, préserver la paix.


Les yeux de la duchesse sont écarquillés par le spectacle de son mari qui se vide de son sang. Elle pousse un cri d’horreur en voyant son amant impassible et se précipite aux pieds du duc qui expire. Le mousquetaire recule d’un pas pour la laisser pleurer sa perte. Il retire son chapeau et s’incline pour leur rendre hommage.


– Mon seigneur, madame, je vous tire ma révérence, il est plus que temps pour moi de vous quitter.


Il prend la direction de la sortie en scrutant sa cape et ses vêtements à la recherche d’entailles. La duchesse se redresse, ses yeux lui lancent des dagues.


– Comment osez-vous me laisser ainsi !


Il se retourne et la salue dignement d’une révérence, une main contre son cœur.


– Je suis maintenant un paria et je dois partir loin de ces contrées. Croyez-moi, mon amour, il y en va autant de ma survie que de la vôtre. Je vous conseille de m’accuser de vous avoir violentée, qui pourrait le contester à part votre défunt mari et votre fidèle amant ? Laissez-moi un moment pour rejoindre ma monture et passer le pont-levis.


Il ramène vers lui sa cape, lui souffle un baiser et se faufile en silence par la porte. Elle se relève, le front soucieux, les mains pendantes, promène son regard de son mari vers les meubles et les décorations renversés. Elle agrippe le col de son déshabillé, le tire violemment plusieurs fois pour le déchirer à divers endroits. Elle s’approche de son lit, y arrache quelques voiles du baldaquin, projette les draps au sol. Elle retient son souffle, applique ses ongles sur la peau tendre de son cou, les presse et lacère sa chair. Elle reprend le long de ses cuisses et de ses flancs, frappe son visage avec son poing pour le tuméfier. Elle se prépare mentalement un scénario plausible et puis, finalement, s’écrie en quittant sa chambre pour sonner l’alarme. Quelques douleurs pour sauver son honneur et conserver son titre de duchesse.

Du Trisiac lance son cheval au galop, il est à quelques pas de la herse lorsqu’il entend les appels de la garde du pont-levis. Il maugrée sa malchance.


– Sale voyou de garçon d’écurie, il m’a retardé et me voilà au mauvais endroit lorsque sonne l’alarme.


Il donne des coups de talon à sa monture pour la presser davantage lorsqu’un cri le surprend.


– Pour la duchesse !


Un jeune homme agrippé au bout d’une corde se balance loin devant le cheval et le dépasse vers sa droite. Le mousquetaire le regarde parvenir au bout de sa course en pendule et revenir vers lui. Il ne peut l’éviter, le jeune s’écrase contre lui et le désarçonne. La monture poursuit sa course, passe la herse et traverse le pont-levis pendant que le mousquetaire chute, roule et s’étend sur le dos, sous l’immense grille de fer. Il la voit s'abattre sur lui, l’empalant de ses pointes acérées. Il gémit de douleur, aperçoit son curieux agresseur s’approcher et le frapper de coups de pied en s’écriant :


– Pour la duchesse ! Vous l’avez souillée et déshonorée !


Avant que les embruns de la mort ne l’emportent, il reconnaît le jeune neveu du duc. Un garçon complètement amouraché de sa tante. Avec son dernier souffle, il s'adresse à lui :


– Quelle étrange manière de mourir, peux-tu pardonner mes fautes, mon garçon ?


 
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   MarieL   
15/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Un récit intéressant et bien mené qui ferraille agréablement de la plume.

On s'y croirait ! C'est tout à fait réussi !

Un fin plaisir léger et badin.

   Cox   
20/10/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

Petit aparté pour commencer: dommage, cet incipit, dont le ton de victimisation assez caractéristique annonce immanquablement l'auteur... Le texte s'en passerait bien à mon avis.
Revenons à nos moutons.
J'avoue que j'ai eu du mal à rentrer dans la lecture du corps de texte en lui même, quoique je sois plutôt friand de récits de cape et d'épée en général. Par contre, à partir du meurtre, j'ai apprécié ce côté anti-héros amoral et nonchalant qui rattrape le texte pour moi et lui donne un regain d'intérêt. J'aurais préféré que cet aspect soit un peu plus présent en cours de récit, ce qui aurait pu relever le reste de ma lecture.
Les touts derniers paragraphes, en revanche, m'ont un peu troublé. La rupture du ton me laisse un peu dubitatif: un neveu s'improvise Tarzan, rate sa cible dans un premier balancement, pendouille et oscille jusqu'a ce que l'autre lui fonce dedans sur le chemin du retour pour aller s'empaler sous une herse qui décide de tomber pile à ce moment-là : ça m'évoque un peu un gag des Looney Toons de type bip bip et vil coyote (je soupçonne que la herse soit manufacturée par ACME). Ça ne colle pas tellement à l'ambiance du reste et je ne sais pas si c'était intentionel. En tout cas ça m'a laissé un peu perplexe quant à la tonalité d'ensemble.

Mes problèmes avec le corps du texte:
- Quelques maladresses ou lourdeurs ("Le regard plongé dans l’autre", "Sa parade est si agile qu’elle est tel un bouclier.", "la blafarde lumière", etc...)
- Des répliques vraiment bizarres, comme le duc qui s'imagine qu'un type dans la chambre de sa femme à moitié nue était là pour lui "faire la cour" (perso je ne crois pas qu'il lui lisait des poèmes...). Ou le mousquetaire qui s'enquiert "Vous me provoquez en duel, mon seigneur ?"après plusieurs passes d'armes dans un duel déjà explicitement reconnu comme tel dans la narration. Ou bien encore "Aurais-je trop abusé de votre loyauté pour me tromper de telle sorte" (est-ce que l'auteur voulait dire "pour que vous me trompiez de la sorte?")
- Dans l'ensemble, une impression indéniable de cliché qui fait penser à une reprise trop proche des classiques, en moins réussi. L'échange de bottes et de répliques qui se croisent est très représentatif de ce sentiment d'imitation. Surtout quand il tombe dans du rimaillage peu abouti, qui évoque un Cyrano vraiment pas dans son assiette. Certaines rimes ont à peine de sens, ou alors il m'échappe ("Chaque coup et botte peut donner un vote. Et toute tirade a ses camarades. ")
- J'aime bien ça les bonshommes qui se foutent sur la gueule avec des machins pointus, mais pour le coup l'action ne m'a pas convaincu. Elle ressemble trop souvent à un auteur qui livre en vrac ses recherches de vocabulaire d'escrime ("Les fentes, les ripostes et les feintes se succèdent : les primes, les secondes, les quartes, les sixtes et les octaves se combinent"). Quand on est plus spécifique, c'est vraiment pas super convaincant: "le choc de son pied contre sol distrait l’un des soldats" (Difficile d'imaginer un soldat de métier qui se laisse distraire en plein combat par un mouvement de pied de son adversaire). Un peu plus loin, après embrochage du premier: "Cette surprise lui permet d’avancer d’un pas et de frapper le second garde à la tempe" (quelle surprise? Une touche dans un combat à l'épée n'a rien de très surprenant, sutout pour un soldat. Pourquoi est-ce que toucher l'un des gardes lui permet automatiquement d’assommer l’autre sans plus d’explication?)

Bref, j'ai eu des difficultés à me laisser emporter par le coeur du récit qui ne m'a pas emballé. En revanche, encore une fois, l'attitude infecte du personnage à la fin donne une couleur inattendue à ces péripéties et offre un angle plus intéressant. Maintenir une certaine surprise quant au peu de sympathie qu'inspire le perso était peut-être une bonne idée, d'ailleurs. Mais je regrette juste un peu que l'essentiel du texte se lise comme un récit générique qui ne bénéficie pas directement de l'originalité de ce mousquetaire décadent et cruel pour héros.

Cox

   Provencao   
9/11/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
Bonjour Vilmon,

J'ai lu plusieurs fois cette nouvelle, mais je n'ai pas accroché avec cette histoire. Cela m'a paru long très long sans grand rebondissement.
J'ai eu des difficultés à donner un sens au texte.

J'en suis désolée.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Dameer   
10/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Hello Vilmon,

Pastiche des récits de cape et d’épée d’autrefois, à l’action enlevée, ça ferraille de tous côtés et l’hémoglobine jailli joyeusement.

Après avoir tenté une analyse conventionnelle, j’ai fini par réaliser que ce récit avait la qualité de ses défauts : tout est dans la vanité, la fausseté, l’outrance du mousquetaire, jusqu’à ce retournement de situation improbable à la fin : le neveu jaloux de sa tante qui surgit de nulle part comme Tarzan au bout de sa corde pour empaler l’outrecuidant sous une herse (le cheval est sauf, on respire !)
C’est du cinéma, du grand n’importe quoi !

Côté humour, il y a cette phrase du mari :
– "Je t’embrocherai de la barbe au cul comme un porc que l’on veut rôtir,"
Il vient d’inventer sans le savoir le BBQ !

Il y a aussi la façon qu’a le mousquetaire de poétiser toutes ses phrases (tout en ferraillant, et certainement essoufflé) :
– "D'estoc et de taille, pour trouver la faille. Dans les parades, la rage escalade. En une volée, tout peut s'envoler. Il faut se relancer et recommencer."
"Échange de mots, sa charge de maux. Car chaque réplique a sa propre pique. Entrer dans la danse, suivre la cadence. Mener la tendance avec impudence."
etc..
Galimatias incompréhensible, bien sûr, mais tout est dans l’imitation, l’outrance, la parodie, la caricature !


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