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Sentimental/Romanesque
virevolte : La vieille dame et le danseur [Sélection GL]
 Publié le 07/09/22  -  8 commentaires  -  5645 caractères  -  47 lectures    Autres textes du même auteur

Un moment dans une maison de retraite.


La vieille dame et le danseur [Sélection GL]


De beaux yeux, malgré l’âge. Des yeux bleus, profonds, qui regardent au bord de s’étonner, qui découvrent, qui pensent. Ses yeux seront au cœur de la scène, les scènes. Il y en aura plusieurs. Pièce de théâtre en un acte, elle passe à la télévision. Mais ce ne sont pas les caméras qui l’intéressent, pas plus elle que les autres d’ailleurs ; s’il y a eu surprise elle est passée très vite. La télévision pour eux ce n’est rien, ils ne la regardent plus, une fenêtre sur du vide.

Ils sont pour la plupart en fauteuil roulant. Elle, elle marche en s’appuyant sur une canne. Certains sont recroquevillés, enroulés, la tête sur la poitrine ou sur l’épaule ; les jambes crispées repliées, remontées, soudées ou dispersées, de droite, de gauche ; les vieilles mains ne s’ouvrent plus. Elle, elle se tient droite autant qu’elle peut, fine, frêle dans sa robe trop large. Elle serait un peu tordue aussi parfois, mais elle se déplie vite, les jambes minces et fragiles bougent, elle a encore de la souplesse.


Depuis qu’ils sont là, l’équipe de télévision et le danseur, tous les yeux peu à peu se sont éveillés, se sont posés sur ce jeune corps qui danse, qui allonge ses bras, ses jambes, s’étire, saute, les touche au bras, aux cheveux, les caresse, emporte leur cœur, leurs émotions, tout ce qu’ils ont encore, même au-delà du grand âge, de danse naturelle en eux.

Ils regardent, écoutent, ils s’enchantent du rythme et le battent des yeux, d’un pied, d’un doigt sur un fauteuil, mais elle, elle peut danser.

Il la prend dans ses bras, la tient, la soutient, la fait tourner, elle suit en confiance, ballerine portée, le pied tendu, légère. Elle est belle. Les autres la regardent comme si c’étaient leurs propres corps qu’elle leur montrait.

Quand il invitera l’une des autres vieilles dames, pas trop handicapée encore, elle n’osera pas tout de suite : « Il faut demander à votre compagne. Oui, là-bas, celle qui dansait avec vous. » Et puis elle ajoutera : « Mais je ne suis pas libre, vous savez, je suis mariée. » Il la rassurera : « Ne vous inquiétez pas, venez. » Il joue le jeu tout en gardant la distance qu’il faut pour que le réel et le rêve ne se confondent pas.

Mais cet éveil de la danse, c’est pour tous le rappel de l’amour.

S’y laisse-t-elle prendre ? Elle l’attend chaque matin. On sent qu’elle se veut sa préférée. Elle resplendit quand il se penche sur elle. Elle le tutoie. Elle dit « nous ». Quand il lui demande si elle a des moments de bonheur ici, elle réfléchit : « Ici, tu veux dire, dans cette maison de retraite ? À part toi ? Non, jamais… » Elle termine : « Cette ambiance de merde. » Elle ne supporte pas qu’on l’oblige à chanter « À la claire fontaine » et encore moins « Plaisir d’amour ». Leurs rengaines, dit-elle. Elle ne supporte pas qu’on les ait mis à part, jetés ensemble, des vieux dont nul ne veut dans la vraie vie. Des vieux dont on veut faire de moches enfants gâteux.

Mais elle n’a pas la force de prononcer ses phrases en entier, il manque des mots, elle le sait, secoue la tête, lui jette un regard implorant : « Tu es trop jeune. »

Son âge, à elle ? Elle ne s’en souvient pas. « Plus de quatre-cinq, je crois, mais après ? »


Un vrai oubli ? Une coquetterie ? Pour ne pas être trop loin de ses 40 ans à lui ? Ou a-t-elle cessé de compter pour ne jamais avoir à dire un « plus de 95 ans » indécent et rédhibitoire ?

Elle dit : « Toi et moi. Tu crois ? » Il sourit.


Cela dure sept jours. Sept danses. Sept fois leurs corps s’embrassent. Sept fois ils se retrouvent et se disent au revoir, à demain. « Tu reviens demain ? » Vers la fin, elle est fatiguée. Elle ne mange presque pas, on la gronde, elle reste dans son fauteuil, allongée sur son lit, à côté de celui, vide, de sa voisine. À son âge, quand on n’est pas riche, on n’a pas une chambre à soi.


Elle sait qu’il va venir. Inutile d’aller à sa rencontre. Et puis tous ces jours où il était là, elle a réussi à abandonner sa canne, mais aujourd’hui elle n’a plus de force. Elle ferme les yeux. Peut-être une minute ou deux, elle dort.

Il vient, il frappe à la porte. « Vous êtes fatiguée ? » Elle lui sourit. « J’ai trop dansé. » Elle est sur le fauteuil, il s’assoit sur le lit. Face à face. Elle sourit, sourit encore. Elle dit : « Qu’est-ce qu’ils ont pensé les autres ? Tu es trop jeune ! » Et lui : « Vous croyez qu’ils ont pensé ça ? » Elle ne sait pas. Une impression. Elle dit : « Mais nous ce n’est pas possible ! » Elle ne pleure pas, le visage ouvert, offert, ses grands yeux bleus qui pensent. Et lui il lui prend la main, la serre un peu, puis la lui rend.

Il s’est informé sur elle. Elle a vécu dans un milieu artiste très libre à Montmartre. La voit-il un instant là-bas, dansant dans d’autres bras, sous des yeux désirants. Il pense qu’il reste quelque chose de ce passé. C’est en elle, ça vit. Il pense que ce qu’il leur a apporté à tous c’est un réveil, l'espoir. Il y a jusqu’à la mort du possible, des découvertes, des émotions, l’amour. De la vie, jusqu’au bout.

Elle tend les mains vers lui, plusieurs fois, les laisse retomber, les tend, il les attrape, les tient. Elle dit : « Je t’aime. » Ne pleure ni ne rit. Rien. Je t’aime, ça suffit.


– Il faut vous reposer maintenant. Vous êtes fatiguée. Vous avez beaucoup parlé aujourd’hui.

– Oui, je vais m’allonger. Tu t’en vas ?


Il se penche vers elle, l’aide à se lever, l’embrasse sur les joues, la tient contre lui un moment puis l’aide à s’installer au lit.


Demain que sera-t-il pour elle, qu’en sera-t-il de ces sept jours dans sa mémoire qui défaille et ses rêves qui viennent de si loin. Elle sourit en s’endormant. Demain on verra bien.


 
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   Vilmon   
15/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Un joli moment de tendresse bien décrite et bien raconté. À bien y penser, on oublie que ces vieilles personnes ont eu une vie entière avant de se retrouver en foyer de retraite. Et je crois aussi que de petits gestes peuvent leur amener de petits bonheurs et des retrouvailles surprises avec les souvenirs. J'ai apprécié ce jeu de création d'espoir et de retenu pour éviter les faux espoirs. La ligne est fine entre les deux et le récit le précise bien. J'évite souvent les histoires de ces milieux, certainement que j'ai une crainte de me retrouver un jour dans la même situation. J'ai bien apprécié celle-ci, elle m'apporte un peu d'espoir que tout n'y pas noir.

   Anonyme   
7/9/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

Une nouvelle qui nous plonge dans l’univers des vieux avec leur arsenal de cannes, fauteuils roulants et autres rhumatismes. La vedette est une mamie encore verdissante qui passe à la télévision pour danser avec un jeune homme. Ca a un côté un peu pathétique, foire aux monstres décatis, mais la grand-mère a encore une part de rébellion en elle. Je regrette un peu que le passage où l’on parle de qui elle était, jeune, soit juste survolé et que la fin n’en soit pas plus dense mais j’ai lu votre texte avec un plaisir relatif.

Anna en EL

   senglar   
7/9/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Madame, Monsieur, Bonsoir,


On a ici deux personnages merveilleux et crédibles. Crédible aussi la maison de retraite, ses us et coutumes. Il y a beaucoup de pudeur dans cette nouvelle, de respect aussi pour le grand âge ; tout le monde fait ce qu'il peut, personne n'est réellement mauvais.
"Demain on verra bien."
L'abbé Pierre en tutu ou pas, quelle danse pratiquaient-ils, un rock au ralenti, un slow rocké ? cet abbé Pierre reviendra mais probablement le lit sera-t-il vide, en tout cas la mémoire sera partie et il faudra tout recommencer. C'est peut-être ça l'éternité.

senglar en EL

Sous le charme et la charmille
Vous dansez ?

   papipoete   
22/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien
sentimental/romanesque
Dans cette maison, où l'on redevient enfant, mais avec la santé en moins bien, l'entrain et l'envie enfuis, un danseur jeune invitera à danser une aïeule qui fut une reine de la piste...
NB ce ne sera pour lui bien sûr, qu'une page retrouvée dans le journal intime de celle qui fut... le danseur le sait, mais pour la vieille dame, une " perfusion " de bonheur qui ne durera que le temps d'un flacon... mais quelle ivresse !
Une bluette qui se lit le sourire aux lèvres !
papipoète

   Cyrill   
8/9/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour virevolte,
Je suis bien embêté parce que j’ai vu à la télé un docu de Valeria Bruni Tedesci pile poil retraçant l’histoire que vous nous contez. Du coup je me dis que vous auriez dû renseigner votre inspiration en exergue, si toutefois tel était le cas. J’espère que vous nous renseignerez en ouvrant un fil au sujet de ce ce dont il s’agit et ce dont il est question, et qui me questionne.
À moins que vous n’ayez eu la même idée totalement fortuitement et immédiatement. En tel cas je lis la nouvelle à l’aune de l’ignorance de l’auteur mais c’est pas simple de se départir de cet a priori.
Ça pleure à chaudes larmes, ça danse et ça se soutient, ça parle d’amour illégal entre une vieille assez pourrie mais tellement sublime et un danseur tellement glamour que je n’y crois pas.
Je me demande si un vieux décati de l’epad aurait eu le même accueil auprès d’une belle jeunette professeure de danse et/ou d’un narrateur enclin au féminisme.
Attention de ne pas coller à ce point à l’actualité et dans le sens du vent qui se fourvoie souvent.
À côté de ça je trouve l’écriture moyenne, trop explicative sur ce que l’on a compris, du moins moi, dès le presque début.

   Anonyme   
8/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une nouvelle profonde, pleine d'une tendresse inouïe et d'un respect infini.
On ne peut qu'être touché par la délicatesse avec laquelle est abordé le naufrage où l'on va tous ou presque sombrer. C'est beau et si triste à la fois.
Ce jeune (tout est relatif) homme de quarante ans a tout compris de la vie. Son regard admirable sur la vieillesse qui est le lot de toute jeunesse qui le mérite, est d'une justesse remarquable. Les non-dits à foison donnent une densité à peine soutenable à l'émotion qui saute à la gorge. Laisser seulement entrevoir ce que fût la vieille dame avant est bien vu. C'est la clé de voûte de l'histoire où chacun pourra laisser jouer à donf son imagination.

   Donaldo75   
2/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonsoir virevolte,

Rien que pour le thème et la manière dont il est exposé, je me suis dit que j'allais commenter cette nouvelle. Il y a tellement d'empathie et dans l'histoire et dans la narration que j'ai lu l'ensemble d'un trait d'un seul. Le style d'écriture n'en rajoute pas des tonnes inutilement, ce qui permet au format de rester court et de dire en finalement peu de caractères ce qui est intéressant dans l'histoire, ce fond dont le titre scintille comme un emblème dans ce qui était la nuit pour la vieille et se transforme en sa journée.

Merci pour cette humanité.

   Anonyme   
1/11/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’ai trouvé beaucoup de tendresse et de nostalgie dans cette nouvelle. Le theme de la vieillesse n’est pas toujours facile a traiter sans tomber dans l’apitoyement. C’est réussi ici par l’écriture pleine de légèreté. Un bon moment de lecture pour moi. Bravo !


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