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Réalisme/Historique
wancyrs : La méprise
 Publié le 11/11/24  -  8 commentaires  -  3874 caractères  -  51 lectures    Autres textes du même auteur

Celui qui donne au pauvre prête à Dieu, qui le lui rendra abondamment.

Proverbes 19 : 17


La méprise


La Mercedes noire se stabilisa délicatement sur le bord du chemin, à quelques centimètres du trottoir. La vitre de la portière côté passager refléta l’éclat du soleil – au zénith de sa course à cette heure de la journée – dans les yeux du mendiant assis non loin de là, sur les marches menant à l’institution bancaire. Celui-ci ne porta même pas son bras vers sa face pour se protéger des rayons nocifs, aveugle comme une taupe. Le chauffeur redémarra et avança de quelques mètres, jusqu’à ce que l’homme sur le perron n’ait plus le visage inondé de lumière, même s’il savait que son geste n’avait pas d’importance. Près de lui, sa fille de seize ans, absorbée dans la lecture d’un magazine pour adolescente, ne leva la tête que pour comprendre le but de la manœuvre, puis se replongea dans ses images. Il était midi, et malgré son empressement à aller présider au repas familial, Yitschaq ben Youssef faisait une escale.


– Dinah ?

– Oui papa ?

– Prends mille shillings dans la boîte à gants et va donner au monsieur assis sur les marches là-bas.


La fille, dérangée dans son activité, fit la moue. Tout en gardant un œil dans son magazine, elle ouvrit machinalement la boîte à gants, plongea sa main et ramena un billet ; son père la regarda faire, sans broncher. Elle ouvrit la portière, les yeux toujours dans son périodique, posa un pied au sol.


– J’ai dit mille shillings ! lança le père toujours calme. Puis : oublie un peu ta lecture pour l’instant, nous sommes attendus à la maison !


L’adolescente porta attention au billet qu’elle avait sorti et se rendit compte qu’elle tenait un cent shilling. Cette fois-ci elle regarda dans le coffret et sortit un mille shillings.


– À quel monsieur faut-il aller le donner ?

– Au monsieur assis sur le perron de la banque.

– Le mendiant ?


Son père la fixa avec des yeux sans reproches, lui sourit, et dit :


– À l’homme assis sur les marches.


Elle sortit en laissant la portière ouverte derrière elle. À cette heure de la journée, les rues de Dar-es-Salam étaient presque vides, les gens étant attablés chez eux pour le repas de midi, ou dans les restaurants de la ville. Yitschaq suivit Dinah des yeux jusqu’à l’homme ; hier encore elle n’était qu’une enfant dont les cris d’excitation et les jeux juvéniles remplissaient leur maison. Aujourd’hui, plus rien de tout cela. Elle passait des heures scotchée à ces magazines pour adolescentes, lorsqu’elle pouvait se détacher de ses séries télévisées.

« Je la gâte un peu trop, pensa-t-il ! »


Dinah arriva devant le mendiant qui sentit une présence humaine. Les yeux de celui-ci, où l’iris avait disparu, sondaient l’espace en tendant l’oreille pour capter un son indiquant la position de son interlocuteur. L’adolescente laissa tomber le billet en disant « ramasse ! » puis se tourna et dévala les marches à la course. L’homme tâtait le ciment tiédi des marches pour trouver ce qu’on lui avait intimé de ramasser. D’habitude on lui jette des piécettes dans son bol…


– Qu’as-tu fait ? lui lança son père lorsque la jeune fille se fut assise dans l’auto.

– J’ai fait ce que tu m’as demandé ; je lui ai donné l’argent…


Le mendiant cherchait encore à tâtons le billet que le vent léger avait propulsé à un mètre de lui, là-bas sur le perron.


– Sais-tu le courage que ça prend à un humain pour mendier ? demanda à sa fille le père d’une voix où le décibel venait de monter d’un cran. Sais-tu l’humiliation que ressent cet homme à chaque pièce qui frappe les rebords de son plat ?

– …

– Tu vas ressortir, aller ramasser ce billet, et le donner dans la main du monsieur ! fit le père avec une intonation qui surprit son enfant.


Elle s’exécuta ; non sans bouder. L’homme se confondit en remerciements, et l’écho de ses bénédictions embaumait encore l’air, comme une odeur agréable d’encens, longtemps après que son bienfaiteur fut parti…


 
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   MarieL   
14/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Un récit touchant, très moral, belle leçon d'humanité à une jeunesse insouciante et égoïste.

Le vrai sens du mot "fraternité" illumine ces lignes sobres et belles.

   Donaldo75   
21/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Le fond est très intéressant. La forme lui rend hommage même s'il y avait peut-être de la place pour plus de développement. Cependant, ce n'est pas gênant car il y a dans ce récit une forme contée qui expose bien le thème. Le style d'écriture reste sobre et cela contribue à l'intérêt de cette lecture.

   hersen   
22/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Si je suis en quelque sorte d'accord avec la morale véhiculée dans ce texte, je regrette le côté bien-pensance qui donne toute la place au père et renvoie l'adolescente à ce qu'elle est, une ado préoccupée par autre chose que de choisir la valeur du billet dictée par le père, qui ne se tracasse pas de savoir si le mendiant aveugle réussira à récupérer le billet ou non.
On peut le voir comme le rôle du père qui veut instiller la charité dans l'esprit de sa fille, OK, mais je ne crois guère qu'un ado apprend à partir de ça.
Être généreux vient de soi-même, le père pouvait lui-même donner le billet au mendiant. Puis il pouvait ensuite ouvrir une conversation avec sa fille. Mais pas l'obliger à faire ce que son père pense bien de faire. Elle doit avoir ses propres choix.
Ceci mis à part, je trouve que la nouvelle a du corps, qu'elle est bien écrite. (on n'a pas besoin d'être d'accord sur tout dans une nouvelle pour lui reconaître une bonne écriture !)

   Malitorne   
11/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une histoire moraliste pas déplaisante mais un peu trop vite expédiée. Davantage de développement lui aurait apporté plus de consistance. J’ai bien aimé le dépaysement de la mendicité, façon de nous rappeler que la pauvreté n’a pas de frontière.
Deux réserves. L’incipit qui tend à suggérer qu’il faut être chrétien pour donner, et l’adolescente avec des magasines au contraire d’un smartphone plus approprié.

   Robot   
11/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Dans les années 1960 les journées scolaires débutaient par une maxime écrite au tableau noir. Ce récit me fait penser à certains textes que l'on nous proposait à l'école primaire pour illustrer ces leçons de morale (républicaine).
Ici, un père veut inculquer à sa fille la notion de générosité avec un plus concernant la manière de donner.
En accord avec le fond j'aurais souhaité que les personnages soient présentés avec plus d'épaisseur. Ici, ils font assez "clichés"

   Vincente   
11/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J'aime bien la concision de l'écriture, très ciblée mais tout de même avec une focale attentive, assez ouverte et fine, qui du coup permet d'inscrire ce petit moment de vie, et de réflexion, dans un texte facile à lire, pertinent dans sa forme.

Je suis par contre très réservé par l'orientation à laquelle invite l'incipit.
D'abord parce que ce côté qui donne pour ensuite récupérer, du type retour sur investissement me dérange vraiment ; le beau geste altruiste, gratuit lui le vrai, se trouve "gâché" par ce nécessaire pendant en retour qui validerait le don, celui-ci n'étant donc plus un don mais un prêt, une sorte de donnant-donnant avec Dieu (d'autres diraient gagnant-gagnant…). C'est tout le problème avec la charité chrétienne.
D'autre part le lecteur est invité à retrouver dans ce préalable, les ingrédients qui le démontrerait dans la mise en scène. C'est dommage de ne permettre une lecture vierge, exempte de préconisation, voire de prédication. C'est aussi dommage de limiter le texte qui suit à cette orientation alors qu'il est plus que cela : un regard sur une posture éducative (en cela bien intéressante narrée de cette façon très propre ; j'ai apprécié le respect du père, qui semble sincère et juste, pour "l'homme assis sur les marches", de même sa conscience que la mendicité est une souffrance en elle-même). Dommage aussi que l'auteur n'ait pas instillé quelques doutes sur le fait que si l'ado est si aveugle face à ce mal-voyant, c'est bien autant parce qu'il est absorbé par ses dépendances aux écrans que parce que le modèle parental n'a pas été assez manifeste pour lui, peut-être trop transparent dans ce cas avant.

   Dameer   
11/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Hello wancyrs,

Un bon récit, qui convie une morale propre aux religions : se préoccuper des pauvres, leur venir en aide. redistribuer un peu de sa richesse. C'est vrai chez les chrétiens, c'est vrai en Islam, et certainement aussi dans d'autres religions.

Faire la charité n'est pas quelque chose inné, elle nécessite un apprentissage régulier auprès des enfants, par l'exemple des adultes : le père ou la mère doit pousser son enfant dès son plus jeune âge à donner lui-même aux déshérités, que ce soit de l'argent ou de la nourriture.

Si ce père commence à inculquer la charité à sa fille à 16 ans, je me dis que c'est trop tard !

J'ai malheureusement relevé deux incohérences dans ce récit ;
Cela se passe à Dar es Salaam (ville que je connais bien), les noms des personnages sont juifs : il n'y a pas de juifs en Tanzanie !
Pour la couleur locale, c'est raté.
Il aurait été si facile de choisir des noms chrétiens, ou musulmans, ou encore indiens !
Concernant la somme de 1000 Sh : cela représente aujourd'hui 0,35 € une somme dérisoire ! Un billet de 10.000 Sh ne serait pas de trop.

Dommage...

   Provencao   
11/11/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour wancyrs,

Très beau texte, avec une émotion toute particulière sur la communion, la charité et la bonne intelligence, qui offre et dit simplement que cette générosité exige en chacun de nous de devenir ce que nous sommes et ce que nous pensons, et être ce que nous devenons.

Au plaisir de vous lire
Cordialement


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