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Science-fiction
xuanvincent : À la recherche du Scribe d'Or
 Publié le 30/07/08  -  10 commentaires  -  39461 caractères  -  32 lectures    Autres textes du même auteur

Il était seul. Perdu dans le désert. À la recherche du Scribe d’Or. Il avançait péniblement, ne sachant vers où diriger ses pas. Qui était véritablement le Scribe d’or et où, comment le trouver ?


À la recherche du Scribe d'Or


« Si éclairants soient les grands textes, ils donnent moins de lumière

que les premiers flocons de neige. »

La plus que vive - Christian Bobin


« Nous passons notre vie devant une porte sans voir qu'elle est déjà ouverte

et que ce qui est derrière est déjà là, devant nos yeux.

L'éloignement du monde - Christian Bobin



Nouvelle inspirée librement du roman et de chansons de Benjamin Sanchez


1. Gillem


Le jeune homme roulait à bonne allure dans les rues de Paris, en direction du front de Seine. Il ne voulait pas arriver en retard à son rendez-vous. À huit heures trente, il franchit une des entrées de l'enceinte du ministère, situé près de Bercy. L'un des deux agents en faction, vêtu de l'uniforme arlequin réglementaire, voyant qu'il n'avait pas de laissez-passer, l'orienta vers l'accueil puis lui indiqua le parking à cycles le plus proche. À l'accueil, une jeune femme, vêtue du costume tailleur rose bonbon des hôtesses de terre, vint le chercher au bout de quelques instants.


- Vous êtes Monsieur Etxeberri ?

- Oui.

- Je vais vous conduire au bureau 8013.


Sans prononcer d'autres paroles, la jeune femme, une jolie brunette aux yeux bleus maquillés légèrement, l'amena au lieu indiqué, au huitième et dernier étage. Malgré ses talons aiguilles, elle grimpait l'escalier d'un bon pas. S'apercevant que le jeune homme peinait à le suivre, elle lui sourit et lui dit :


- Au début, j'aurais bien voulu emprunter l'ascenseur. Mais vous connaissez les restrictions d'énergie actuelles... Vous verrez, vous vous y ferez vite !


Arrivée devant le bureau 8013, l'hôtesse frappa deux coups secs à la porte, de couleur rouge écarlate comme celles des autres bureaux de l'étage. Une voix féminine affable les pria d'entrer.


- Bonjour, Madame Flatters. Je vous amène Monsieur Etxeberri.


Sur ces entrefaites, l'hôtesse de terre prit congé. L'instant suivant, Madame Flatters salua le jeune homme, en lui adressant un sourire amène. Il lui répondit par un léger sourire. Cheveux auburn, silhouette mince, visage maquillé avec soin, la cinquantaine avenante, c'était encore une belle femme, pensa Gillem Etxeberri.


- Bonjour, Monsieur Etxeberri, je suis Élisabeth Flatters, chef du bureau CEO. Nous sommes heureux de vous accueillir dans le service. Alida, notre secrétaire, vous présentera dans la matinée l'équipe. Voulez-vous un café ?

- Volontiers.

- Je vais vous montrer votre travail. Il s'agit de vérifier les catalogues de la région Extrême-Orient. Ils vous arriveront tous les matins par le réseau interne.


À ces paroles, le jeune homme eut un regard inquiet que sa responsable remarqua.


- Que devrais-je vérifier précisément sur ces documents ?

- L'orthographe. Vous aurez à signaler toute coquille qui s'y serait glissée.


Cette réponse parut le rassurer. La responsable poursuivit :


- L'Adjoint vérificateur Duhamel, qui reviendra de congé lundi, est chargé des illustrations, notamment du choix des clichés et du bon équilibre des couleurs. En tant que responsable du bureau des catalogues d'Extrême-Orient, mon rôle consiste à vérifier ensuite la maquette de ces catalogues.

- Vous n'avez pas de document papier ?

- Non. Comme vous le savez peut-être, le ministère des Loisirs est l'un des organismes les plus avancés du pays pour l'application du "tout sans papier". Aussi ne cherchez pas de rame de papier ou d'imprimante, vous n'en trouverez pas.


Un peu plus tard, Madame Flatters lui montra la procédure de vérification orthographique des catalogues. Pour une personne qualifiée comme il l'était – Gillem Etxeberri était titulaire d'une maîtrise de lettres modernes – le travail était des plus simples. Après que la secrétaire l'eût présenté au service – comprenant une cinquantaine de personnes –, le jeune homme commença son travail d'Adjoint vérificateur. Il s'installa à son poste, en face de sa responsable. La journée s'écoula tranquillement. Toutefois, à mesure que le soleil approchait du zénith, la chaleur envahit le bureau, devenant difficilement tenable, en dépit de l'ouverture des fenêtres. Si seulement il pouvait être rafraîchi par un ventilateur... Mais seuls les établissements hospitaliers et quelques rares organismes gouvernementaux étaient à présent habilités à les utiliser. Un moment, Gillem Etxeberri regretta de n'avoir pas été affecté à un des étages inférieurs, là où la température était plus tempérée. À 18 heures – on suivait l'horaire d'été – les employés étaient tenus de quitter leur bureau. Sa journée finie, Gillem Etxeberri éteignit son ordinateur, un vieux modèle des années 2060 et se dirigea vers l'escalier. Huit étages à monter quotidiennement sans ascenseur, il n'avait encore jamais connu cela... Mais il fallait bien s’y faire !


Sur le chemin du retour, Gillem Etxeberri se réjouit à l'idée de retrouver sa tranquillité. La journée lui avait paru un peu longue et pénible du fait de la canicule. Toutefois, à sa surprise, elle s'était bien passée, sa responsable ne lui ayant pas fait de remarque désobligeante. Puisse cela durer... De plus, avant même sa prise de poste, le ministère des Loisirs lui avait attribué un studio de fonction, meublé, à une quinzaine de minutes seulement de son travail à scooter, à la porte d’Ivry. Une chance inespérée, les prix de l'immobilier étaient devenus tellement prohibitifs que bien souvent trois générations devaient cohabiter sous le même toit. Ce soir, à trente-deux ans, il pourrait enfin quitter le domicile familial et avoir son chez-soi... Bientôt, il escomptait se remettre à l'écriture de son premier roman, débuté un mois auparavant. Avec un peu de chance, peut-être pourrait-il le présenter bientôt à son petit cercle d'amis et pourquoi pas, si l'histoire plaisait, à des éditeurs, dans deux ans, à la rentrée 2075 ? À ces pensées, ses yeux brun vert prirent une curieuse teinte violette. L'écriture, c'était sa fidèle compagne depuis l'adolescence, sans elle bien vite il ne serait plus que l'ombre de lui-même... L'instant d'après, il retrouva son expression habituelle, plus sereine. L'écriture, ce serait pour un peu plus tard... En attendant, il devait déballer ses cartons, afin d'aménager son studio. Cela l'occupa une bonne partie de la soirée. Ce fut le couvre-feu de juillet qui l'obligea à se coucher à vingt-deux heures trente.


La semaine passa à une lenteur exaspérante. Le vendredi soir, Gillem Etxeberri se réjouit à l'idée d'être en week-end et de retrouver Olivier, son vieux pote de lycée. Ils s'étaient donné rendez-vous à dix-neuf heures au "Au gai causeur", leur bar favori, situé au cœur du Quartier Latin. Arrivé le premier, Gillem commanda une bière.


- Salut Gillem ! Cela me fait plaisir de te voir ! Alors, cette première semaine de travail au ministère des Loisirs, tu en es content ?


Reconnaissant Olivier, Gillem Etxeberri lui adressa un sourire chaleureux, sans doute le premier véritable de la semaine.


- Bien, plutôt bien... Et toi, comment s'est passée ta journée ?

- Je suis fatigué, de n'avoir rien fait... Je pensais rendre visite à David aujourd'hui mais la journée a passé à toute vitesse et me voilà...


À ces mots, Gillem – aussi brun que son ami était blond – eut un sourire complice. Son ami ne changeait décidément pas. Le temps lui filait à travers les doigts et toujours il s'étonnait de n'en avoir rien fait... Gillem demanda au serveur de leur servir une bière et une assiette de tapas. Olivier reprit :


- Parle-moi plutôt de ton nouveau job, cela s'arrose !

- Je suis surtout content d'avoir un boulot sûr qui me permettra d'écrire tranquillement mon roman. (après un léger silence) On ne m'a encore jamais causé de problème, cela me surprend... J'ai le sentiment que pour la première fois, on ne me rejette pas...

- Je suis sacrément content pour toi, Gillem ! On dirait que tu as enfin trouvé le bon poste ! Il est temps que l'on t'apprécie tel que tu es, à ta juste valeur...

- À mon avis, ma responsable n'a pas perçu qui je suis vraiment... Elle me paraît surtout soucieuse de sa beauté et d'être remarquée par ses supérieurs... D'ailleurs, personne ne m'a invité à déjeuner durant la semaine. Comme pour mes précédents postes, je déjeune seul. Ma foi, ce n'est pas plus mal ainsi...

- Je te comprends, Gillem. Ils n'ont pas l'air sympa, tes collègues... Et ton boulot au moins, il te va ?

- Rien de bien passionnant... Imagine qu'on me demande de vérifier l'orthographe de catalogues de vacances du ministère... J'ai eu peur qu'on me demande de vérifier les couleurs et que l'on découvre mon handicap...

- C'est sûr, cela aurait été drôlement ennuyeux pour toi... C'est quoi, au juste ces catalogues ? Tu as peut-être moyen de te payer des voyages pas trop chers par le ministère ?

- Cela ne risque pas... Ce sont des vacances pour richards, par avion, en Extrême-Orient... Tout ce que je pourrais m'offrir avec ma paie d'Adjoint échelon basique, c'est une pastille "Indonésie" ou "Birmanie"... Mon arrière-grand-père a voyagé pour de vrai dans ces pays durant sa jeunesse. À quatre-vingt-dix ans tout juste, il a la nostalgie du bon vieux temps comme il dit, à l'époque où tout le monde pouvait encore se déplacer en voiture et où il était encore facile de voyager en dehors de l’Europe.

- Le voyage au Tibet dont nous rêvions ados, ce n’est donc pas pour demain... Et ton roman, "À la recherche du Scribe d’Or", où en es-tu ?

- J'aimerais le reprendre bientôt. Pour l'instant, je suis dans les cartons... J'attends d'être bien installé pour me remettre à l'écriture. Cela te dirait de partager une baleine blanche ? J'ai pu m'en procurer une, de la meilleure qualité...

- Avec plaisir, cela fait une éternité que je n'en ai pas pris !


Les deux jeunes gens s'installèrent dans un coin plus tranquille du bar et fumèrent la baleine blanche. Cette poudre d'une blancheur éclatante, qui se consumait en laiteuses volutes, avait pour particularité de faire partir les personnes dans le trip de leur choix. Ce soir, Gillem et Olivier choisirent de voyager ensemble dans le lieu où, encore lycéens, ils avaient vécu les émotions les plus fortes de leur vie. Enfermés volontaires dans leur bibliothèque de quartier avec une copine, une férue de littérature comme eux, à leur amour des livres s'était joint un trouble naissant, imprévu, pour Angelina, leur blonde camarade... À l'aube, les deux garçons ne savaient plus trop, des livres ou de la jolie Angelina, vers où leur cœur battait le plus... La belle, amusée par les émois qu'elle provoquait chez ses deux copains, leur avait dit qu'elle ferait son choix une fois qu'ils seraient sortis de la bibliothèque. Néanmoins, peu après cette mémorable nuit blanche, la jeune fille était sortie avec un vieux, un homme âgé de trente-cinq ans, auteur de romans policiers à succès. Navrés, les deux adolescents s'étaient dit que les nanas étaient parfois surprenantes... Depuis, Gillem avait eu quelques succès auprès des femmes mais le plus souvent celles-ci coupaient vite court à la relation... Olivier, qui aimait avant tout sa liberté, était actuellement célibataire comme son vieil ami. Se remémorant ces moments, Olivier et Gillem continuèrent à discuter à bâtons rompus dans le bar.


L'heure du couvre-feu approchant, Olivier rentra chez ses parents en proche banlieue et Gillem gagna son tout nouveau studio. Retrouver son vieux copain de lycée lui avait mis du baume au cœur. Qui d'autre que lui pouvait aussi bien le comprendre ? Olivier avait suivi ses aventures sentimentales, aussi toutes ses galères professionnelles. Dès lors que l'on ne se fond pas dans le moule, songea Gillem, il est bien difficile de s'intégrer dans le monde du travail... Âgé de trente-deux ans comme Gillem, mais plus chanceux que lui avec les filles, il était toujours à la recherche d'un emploi, de professeur de lettres. Mais les postes de fonctionnaires s'étaient réduits à peau de chagrin ces dernières années et seule une élite pouvait encore espérer décrocher de tels emplois. Les parents d’Olivier heureusement le logeaient et subvenaient à ses besoins. Il ne craignait donc pas de se retrouver à la rue et, un jour d'y mourir comme tant d'indigents sous le regard indifférent des passants... Sur ces pensées, Gillem regagna son domicile.



2. Laura


Le samedi en début d'après-midi, Gillem se rendit à la Bibliothèque Nationale. Là, sans doute trouverait-il des ouvrages rares pour l'écriture de son roman. Cela faisait longtemps qu'il ne fréquentait plus ce lieu, aussi préféra-t-il consulter le plan des étages, affiché à l'entrée. Celui-ci indiquait :


. Étage 1 : jeunesse


. Étage 2 : littérature sentimentale, policiers et succès littéraires récents


. Étage 3 : documentaires, magazines et journaux


. Étage 4 : littérature grand public anciens (avant 2030)


. Étage 5 : littérature ancienne (avant 2030), très bons lecteurs


. Étage 6 : poésie et romans poétiques, théâtre, philosophie,

écrits satiriques (bons lecteurs)


. Étage 7 : accès interdit au public


Après avoir pris connaissance du document, Gillem considéra que le sixième étage correspondait le plus à sa recherche. À mesure qu’il gravissait l'escalier, la chaleur devenait plus pénible. Quelques instants plus tard le jeune homme arriva à cet étage. Fichus escaliers, songea-t-il, il fallait vraiment qu'il fût motivé pour accepter de grimper plus de trois étages... Une lourde porte, d'une couleur qu'il ne pouvait identifier avec certitude - était-elle verte ou brune - restait encore à franchir.


- Bonjour, Monsieur, que puis-je faire pour vous ?


Surpris, Gillem se tourna en direction de la voix, d'une tonalité douce et jeune. Son regard croisa celui d'une jeune femme au visage angélique, aux yeux bleu gris, encadré par une courte chevelure d'un joli blond cendré. On aurait dit l'incarnation de l'héroïne de son roman... Perdu dans cette pensée, son regard sombre, comme frappé de stupeur, prit soudain une coloration violette qui inquiéta la jeune femme. Celle-ci, vêtue du costume tailleur mauve des bibliothécaires, fut tentée de demander au jeune homme s'il se sentait bien. Elle se contenta de baisser les yeux et de réitérer sa question. Les visiteurs étaient si rares à son étage... Lorsqu'une personne se présentait, elle avait à cœur de bien l'accueillir. Cette fois, Gillem, qui paraissait s'être remis, lui répondit en lui adressant un franc sourire :


- Bonjour Mademoiselle. Auriez-vous des ouvrages de Christian Bobin ?

- Il me semble que nous en avons trois de cet auteur. Je peux vous montrer leur emplacement, si vous le souhaitez...


En réalité, le règlement ne stipulait nullement que les agents d'accueil de l'établissement fussent tenus de se déplacer de leur poste pour aider les lecteurs. Une borne présentant la base de données de la bibliothèque, située à chaque étage, était en effet destinée à orienter les personnes dans leurs recherches. Pourtant, les journées de la jeune bibliothécaire, rythmées par l'arrivée de quelques rares lecteurs, lui paraissaient si longues que souvent, elle n'hésitait pas à leur montrer où trouver les ouvrages qu'ils recherchaient et à échanger quelques paroles.


- Volontiers, répondit Gillem en lui souriant. Cela fait un bail que je ne fréquente plus la Bibliothèque nationale... Pourtant, on y trouve des perles...

- À condition de ne pas vouloir trop remonter au-delà des années 1980... précisa la jeune femme. Ma grand-mère m'a raconté le terrible incendie de l'ancienne Bibliothèque nationale de France, en 2030, qu'on appelait aussi Bibliothèque Mitterrand. Elle l'a vu de ses propres yeux. Elle avait alors vingt-sept ans et quand m'a raconté cet incendie, trente ans plus tard, elle en avait encore les larmes aux yeux... La Bibliothèque nationale conservait alors encore des ouvrages papier uniques du XVe au XXIe siècle. C'était sa jeunesse, des pages entières de la littérature qui s'étaient envolées en fumée... m'avait-elle expliqué. Mais peut-être que je vous ennuie avec mon histoire...

- Non, pas du tout, déclara Gillem, qui l'avait écoutée avec attention.

- Excusez-moi, les livres sont ma passion. Quand je commence à en parler, il m'est difficile de m'arrêter... Vous m'avez dit que vous avez fréquenté la Bibliothèque Nationale ?

- Oui, je m'y rendais régulièrement pour préparer mon mémoire de maîtrise en lettres modernes, sur la parenté des textes de Bobin et de Rilke. Quelle beauté chez ces deux auteurs... Quel dommage qu’ils soient quasiment tombés dans l’oubli...


À cet instant, Gillem eut de nouveau cet étrange regard violet, qui quelques instants plus tôt avait déconcerté la jeune femme. Cette fois pourtant, elle ne détourna pas les yeux. Elle avait compris que cette expression devait refléter le feu intérieur qui agitait son interlocuteur et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. C'est pourquoi elle lui adressa un franc sourire qui plut au jeune homme.


- Je ne connais Rilke que de nom... Ce devait être un sujet de mémoire passionnant... Vous n’êtes peut-être pas encore informé de notre nouvelle signalétique, par code de couleurs ? La littérature du XIXe siècle pour Rilke est ainsi reconnaissable à sa couleur vert pelouse, celle du XXe siècle à sa teinte rose pâle.

- Vous n’indiquez plus les cotes des ouvrages ?

- Non. En effet la plupart des gens, surtout les jeunes, avaient des difficultés à les déchiffrer. C'est pourquoi depuis l'hiver dernier nous avons mis en place une signalétique colorée.


Même la Bibliothèque Nationale, le fleuron de l'Hexagone, avait fini par emboîter le pas à celui des autres bibliothèques... Les images, les couleurs, ne cessaient de grignoter du terrain sur l'écrit... Il lui semblait que ce monde n'était pas fait pour lui, du moins pour sa perception particulière de la réalité. Seul, il aurait été en effet bien en peine d'identifier cette signalétique rose dont venait de lui mentionner la bibliothécaire... Se sentant en confiance, Gillem se risqua à ajouter :


- Voyez-vous, je ne saurais reconnaître avec certitude des couleurs telles que le rose, le vert ou le brun...


La jeune bibliothécaire le regarda l'air surpris. Gillem poursuivit et prononça le mot que bien souvent il préférait taire :


- Je suis atteint de colorisme...

- J'imagine que ce ne doit pas être commode pour vous... On recourt aujourd'hui de plus en plus aux couleurs, notamment au travail...


Sensible à la réaction de la jeune femme, Gillem poursuivit :


- Oui, cela me gêne parfois... Sous l'effet d'une forte émotion, mon iris prend une teinte violette, qui inquiète les gens... Ma perception des couleurs change selon mon humeur. Par exemple je ne sais pas si la porte de votre étage est brune ou verte... Mais en général, je me débrouille.

- La porte d'entrée est brune. (l’air pensif) Votre vision des couleurs et le changement de teinte de votre regard sont étonnants... Je croyais que le colorisme causait simplement une inversion dans la perception du prisme chromatique...

- C'est plus complexe que cela en réalité... (après un instant de silence) Vous avez raison, on utilise de plus en plus les couleurs au travail. Cela a failli me poser problème dans mon poste actuel – je dois vérifier des catalogues au ministère des loisirs. Heureusement on ne m'a pas demandé de traiter les couleurs...

- J'imagine que cela vous aurait posé problème... Vous travaillez au ministère des Loisirs ? Il paraît que c'est un bon ministère pour y faire carrière...

- J'y suis Adjoint vérificateur. En fait, cela dépend dans quel service du ministère on se situe... Mais vous me parliez de la nouvelle signalétique colorée de la Bibliothèque Nationale... Je reconnais que lorsqu'on voit le nombre croissant d'adultes qui ne possèdent même pas mille mots à leur vocabulaire, je comprends que votre établissement ait adopté cette mesure... La langue française est bien mal en point. Il ne se passe pas un jour sans que je sursaute, tant elle est malmenée...


Entendant ces paroles, le visage de la jeune bibliothécaire s'éclaira. Gillem prit le temps de mieux la regarder. C'était une jeune femme ravissante se disait-il. Elle était manifestement comme lui une passionnée des livres. Lorsqu'elle évoquait ses lectures, son visage tranquille de madone s'animait de manière surprenante. Par instants le jeune homme s'était demandé, tellement elle semblait émue par son sujet, si elle n'oubliait sa présence...


- Oui, vous avez raison, le nombre de personnes qui ne maîtrisent plus la langue française est effarant... Il y a si peu de lecteurs qui viennent jusqu'à cet étage... Et des jeunes comme vous, encore moins... Les gens aujourd'hui – pour ceux qui lisent encore – se contentent des trois premiers étages, ceux la littérature élémentaire : littérature jeunesse, romans à l'eau de rose, policiers et ouvrages de cet acabit. Christian Bobin, c'est quand même autre chose ! J'ai découvert cet auteur récemment, ses textes m'ont beaucoup plu. Vous le connaissez bien ?

- Un peu... Je suis très sensible à la poésie de ses textes. Malheureusement, on ne les trouve plus dans les bibliothèques municipales ni sur Internet. Je conserve de cet écrivain deux ouvrages papier ainsi qu'un recueil manuscrit de citations du début du siècle qui me viennent de mon arrière-grand-mère.

- Un recueil de citations de Christian Bobin ? Vous possédez certainement un texte rare et intéressant à découvrir...

- Si vous voulez, je vous l'apporterai samedi prochain lors de mon passage.

- J'apprécierais de le lire... Excusez-moi... Je n'ai pas vu le temps filer... Je vais vous conduire vers la section de la littérature spécialisée du XXe siècle.


Les deux jeunes gens passèrent, à bonne allure, devant des travées en grand nombre, toutes différenciées par une couleur. Que de nuances à distinguer... C'en était effarant, songea Gillem. Un peu plus tard, la jeune femme annonça :


- Voilà les ouvrages de Bobin : "Le Très bas", "Ressusciter" et "Geai". Ils sont en format papier comme la plupart des documents antérieurs aux années 2050. Dommage que les éditions papier aient quasiment disparu depuis... Mes parents m'ont donné petite le goût des livres papier. J'aime beaucoup leur odeur et je n'arrive toujours pas à me faire aux ouvrages électroniques... Pourtant, vu la politique drastique du gouvernement européen, pour réduire au maximum l'usage du papier, il ne faut pas rêver : les publications papier appartiennent déjà au passé...

- Je suis d'accord avec vous, Mademoiselle...


Après un léger silence, Gillem demanda à la jeune femme en lui adressant un franc sourire :


- Comment vous appelez-vous ?

- Laura Weiss.

- Vous avez un joli prénom. Je m'appelle Gillem Etxeberri.

- Vous êtes d'origine basque ?

- Oui, et d'un peu partout en Europe... Je me sens plus citoyen européen que français...

- C'est une chance d'avoir plusieurs cultures... Ma famille, du côté de mon père, est originaire de l’Alsace... Excusez-moi... Il faut que je revienne à mon poste... Voulez-vous emprunter ces trois livres de Bobin ?

- Oui, j'aimerais les lire tous les trois. Je m'excuse si je vous ai pris trop de temps... J'ai été enchanté de discuter avec vous... (changeant de ton) Pouvez-vous me dire quels genres d'ouvrages trouve-t-on au septième étage ?

- Je travaille ici depuis un an comme bibliothécaire vacataire. Je me suis déjà posé comme vous cette question. Mais je n'ai pas accès au septième étage et personne parmi le personnel de la bibliothèque n'a su ou voulu me répondre... Je me suis demandé s'il contenait des textes anciens trop fragiles pour être consultés du public. À moins que cet étage ne soit réservé à une élite très sélecte ? Qui sait ?

- Merci pour votre réponse, Laura. Vous m'intriguez... J'aime connaître la vérité. C'est curieux qu'on ne puisse pas savoir ce que contient le dernier étage de la Bibliothèque Nationale... Je vous souhaite un bon week-end, à bientôt sans doute...

- Merci, bon week-end à vous aussi, Gillem. Si vous venez jusqu'à cet étage, vous êtes le bienvenu.


Ses trois précieux livres sous le bras, Gillem revint à son domicile. Charmante jeune femme... songea-t-il. Avec elle, il n'avait pas vu le temps passer... Pourtant, se souvenant de sa démarche un peu gauche et de l'expression gênée qu'elle lui avait renvoyée par moments, il avait le sentiment qu'elle ne se trouvait pas belle. Curieuse jeune femme... Un mélange de timidité et de passion, dès lors qu'elle abordait un sujet qui lui était cher... Une personne sensible à la beauté des textes de Christian Bobin de plus... Elle avait paru très intéressée par son recueil de citations de Bobin... Pourquoi effectivement ne pas le lui remettre samedi prochain ? Plus encore, elle s'était montrée sensible à sa particularité, sa perception si singulière des couleurs... Combien de gens, en cette année 2073, ne réagissaient pas par une attitude de rejet en présence d’un "colorien" ? La récente quasi-éradication des maladies génétiques était peut-être un progrès pour la science. Par contre, les individus qui, comme lui, en naissaient atteints étaient souvent rejetés par les personnes dites "normales". Gillem était bien placé pour en parler. Durant le week-end, Laura revint souvent dans les pensées du jeune homme tel un timide feu follet blond dansant devant ses yeux brun vert.


3. Envol du Scribe d’Or


Le samedi suivant, Gillem revint à la Bibliothèque Nationale. Pour étayer les thèses de son roman. Mais tout autant pour retrouver la jeune bibliothécaire. La semaine lui avait paru bien longue... Entre deux pages de catalogues à vérifier, il revoyait le beau visage de Laura, son expression tantôt timide tantôt passionnée... Les bibliothèques de la capitale fermant en semaine à 18 heures – heure règlementaire d'été des administrations – il lui fallait néanmoins attendre le samedi pour revoir la jeune femme. En ce samedi de début août, réjoui à l'idée de revoir Laura, cette fois Gillem gravit d'un pas alerte les six étages qui la séparaient de lui. Six étages, six portes de couleurs distinctes et six univers littéraires différents. Ce jour-là, sans hésitation, Gillem dirigea ses pas vers le sixième...


Le jeune homme poussa la lourde porte – brune et non verte il le savait à présent – du sixième étage. À l'accueil, à quelques pas de lui, Laura était bien là, en train de lire un magazine. Entendant un visiteur arriver, elle s'interrompit dans sa lecture et se prépara à l'accueillir. Reconnaissant Gillem Etxeberri, son visage s'illumina aussitôt. Le jeune homme répondit à son sourire et vint vers elle.


- Bonjour Gillem, je suis heureuse de vous voir. Comment allez-vous ? Avez-vous avancé la lecture de Bobin ?

- Bonjour Laura, je vais bien, merci, lui répondit-il d'une voix chaleureuse. J'ai commencé "Le Très bas", le texte me paraît très beau... En fait, je m'occupe surtout à l'écriture d'un roman...

- Vous écrivez ? Qu'écrivez-vous ?

- Le texte n'en est qu'à ses débuts... C'est en quelques mots l'histoire d'une quête, d'un personnage rejeté par la société, à la recherche de son être véritable et de la vérité.

- Ces thèmes m'intéressent... Vous avez certainement de quoi faire un bon roman !

- Je l'espère... (sortant un document de son sac à dos) Tenez, voici le recueil manuscrit de citations de Bobin dont je vous parlais samedi dernier. Il contient des extraits de l'ensemble de son œuvre.

- Je peux le feuilleter ?

- Oui, bien sûr... Vous pouvez le garder, il s'agit d'une copie.

- Merci beaucoup. Je ne sais pas quoi vous dire...

- J'ai pensé que cela pouvait vous plaire...


Les deux jeunes gens continuèrent à discuter un bon moment, jusqu'à ce qu'un visiteur, un vieil homme au visage sec, vienne interrompre leur conversation.


- Je vais devoir vous laisser, Gillem... Si vous avez besoin de moi pour vous orienter dans la bibliothèque, n'hésitez pas à faire appel à moi. Vous pouvez repasser quand vous le voulez...

- Avec plaisir, Laura... Tu peux me tutoyer si tu veux...

- OK. À bientôt, Gillem !


Le jeune homme partit, tâchant de s'orienter seul à travers les travées aux innombrables couleurs. Une vraie jungle... Heureusement, il se souvint du parcours que lui avait montré la jeune bibliothécaire le samedi précédent. Un peu tard, il retrouva la section « Littérature spécialisée du XXe siècle » et prit des notes sur son petit ordinateur portable pour enrichir l'argumentation de son roman. À la fin de l'après-midi, Gillem revint voir Laura. Elle avait abandonné la lecture de son magazine féminin et était plongée dans celle du recueil de citations de Bobin. Le jeune homme, touché, discuta avec elle un moment. Puis il regagna son domicile, content d'avoir revu Laura et trouvé de nouveaux éléments pour son roman.


Gillem prit l'habitude de se rendre au sixième étage de la Bibliothèque nationale tous les samedis après-midi. À chaque fois, il avait plaisir à discuter avec Laura. Elle aussi semblait apprécier ces moments passés en sa compagnie. Elle avait appris à reconnaître son pas alerte, avant même qu'il ne pousse la porte de l'étage. Peu à peu, le roman de Gillem s’étoffait. De temps en temps la jeune femme, à l'instar de son vieil ami Olivier, lui demandait si son texte avançait. Gillem lui répondait le plus souvent de manière évasive, tout en lui promettant de le lui montrer quand il serait suffisamment avancé.


Laura, le jeune homme l'avait vite compris, était sous une apparence réservée une personne passionnée. Des mots, des livres, mais aussi de la vie tout entière. Elle voulait vivre l'instant présent, sans trop se poser de questions. Un rien suffisait à la combler : un rayon de soleil matinal, un sourire amical, une fleur à la couleur singulière ou familière...


Lors d'une discussion avec la jeune femme, Gillem comprit à quel point elle souffrait elle aussi du regard que lui renvoyait la société. Une vision en miroir pour les deux jeunes gens : on le rejetait du fait de l'étrangeté inquiétante de son regard, on ne la voyait pas tant elle était transparente... À vingt-cinq ans, Laura avait le sentiment pénible d'être invisible, aucun homme ne l'avait encore remarquée...


La jeune femme, s'aperçut Gillem, avait la particularité d'accueillir les gens tels qu'ils étaient, sans a priori. Elle semblait avoir un don particulier pour faire sortir d'eux la quintessence de leur être. Tandis qu'elle-même restait discrète sur sa personne, tant le sentiment de son insignifiance était grand... En sa présence, Gillem se sentit immédiatement accepté, apprécié pour ce qu'il était vraiment... Laura s’ouvrit rapidement à son univers de couleurs, si étrange au premier abord et pourtant, pensait-elle, porteur d’une richesse extraordinaire. Voir les couleurs du monde fluctuer selon ses humeurs, lui dit-elle un jour, n’était-ce pas une chance, accordée à bien peu d’individus sur cette Terre ? De même, le passage de son regard du brun vert au violet sous l’effet d’une forte émotion, n’était-ce pas charmant, l’équivalent du rougissement chez les personnes émotives comme elle ? Gillem, au contact de la jeune femme, se mit à reconsidérer sa particularité visuelle et se montra à son tour curieux de mieux comprendre l’univers dans lequel évoluait Laura. Elle lui faisait retrouver la fraîcheur de l’enfance, avant que la société ne stigmatise son particularisme... À présent, il ne craignait plus de laisser échapper ce regard violet qui effrayait tant les gens. Laura, il le savait, avait trouvé une beauté à cette singularité, dans la mesure où celui-ci reflétait une facette de sa personnalité, son feu intérieur.


Gillem poursuivait sa quête, au travers de l'écriture de son roman, "À la recherche du Scribe d’Or". Une quête de soi, de vérité... À vrai dire, parfois il n'était pas certain de ce qu'il recherchait... Mais le besoin de chercher quelque chose qui le dépassait était ancré en lui, depuis des années. À présent, il sentait que le moment était venu d’en débattre dans un roman. Un jour, Laura lui avait demandé le sens du titre de son roman. Il lui avait répondu que le Scribe d'Or était un grand sage oriental méconnu, détenteur de la Vérité universelle. C'était aussi un état, où une personne atteignait la Vérité ultime. Cet état, Gillem le recherchait depuis les prémices de l'adolescence. Les traits du Scribe d’Or longtemps lui étaient restés mystérieux : étaient-ce ceux d'un homme, ceux d'une femme ? Soudain, une vision s'était imposée à lui : Laura était devenue son Scribe d'Or... Peu à peu, sans qu'elle ne le sache, la jeune femme était entrée dans son histoire, dans celle de son roman. Sous les yeux agréablement surpris de Gillem, Laura se métamorphosait. Elle devenait plus féminine, plus séduisante encore... La terne chrysalide devenait papillon...


Les semaines passaient. Un mystère, demeuré entier, tracassait Gillem : que recelait le septième et dernier étage de la Bibliothèque nationale ? À plusieurs reprises, il pressa Laura de trouver un moyen pour accéder à cet étage interdit. Un jour, la curiosité fut la plus forte. Le jeune homme parvint à crocheter la porte de cet étage, avec une facilité qui le surprit. Les trésors qui devaient se cacher derrière cette porte étaient bien mal protégés... songea-t-il. La porte, de couleur dorée, s'ouvrit avec un bruit de grincement. Derrière, il y avait... il n’y avait rien, strictement rien... Une vaste salle en forme de rotonde, éclairée par une lumière tamisée, aux murs et moquette blancs, sans aucun mobilier, étonnamment nue. Déconcerté par ce qu'il venait de découvrir – une totale absence de livres – Gillem s'avança dans la pièce. Après quelques instants, il dut se rendre à l'évidence : il n'y avait rien de tangible à chercher dans ce lieu. Pourtant, si l'existence de cet étage était indiquée au public, il devait bien y avoir une raison... Peu après, décidé à trouver la clé du mystère, il s'assit en tailleur au milieu de la pièce et laissa ses pensées vagabonder. D'abord précipitées, elles devinrent plus tranquilles. Le jeune homme se laissa gagner par la tranquillité du lieu. Une sorte de torpeur s'empara de lui.


Il était seul. Perdu dans le désert. À la recherche du Scribe d’Or. Il avançait péniblement, ne sachant vers où diriger ses pas. Qui était véritablement le Scribe d’Or et où, comment le trouver ? Au loin, ses yeux fatigués par la lumière aveuglante du soleil à son zénith reconnurent une haute porte de couleur dorée. Intrigué, il s'en approcha. Arrivé devant la porte, d'un or éblouissant, il actionna la serrure. Un paysage d'une incroyable beauté s'offrit à ses yeux : une oasis remplie de vie – perroquets aux couleurs vives, élégants oryx, girafes, zèbres, éléphants, fennecs aux longues oreilles, tous rassemblés autour du point d'eau. Aucun être humain. Une vision du paradis terrestre, avant la venue de l'homme sur terre... songea le jeune homme. Comment l’homme avait-il pu en arriver à transformer la majeure partie de la planète en un vaste désert ? Tiré de ses pensées par une soif grandissante, il s'approcha de l'eau. À l'instant où il allait joindre ses mains en guise d'écuelle, il fut tenté de se regarder dans le miroir de l'onde. Un jeune homme brun, au déconcertant regard oscillant selon son humeur entre une teinte brun vert et une inquiétante couleur violette, s’y reflétait. C'était donc cette étrange transformation de regard qui faisait que les gens se détournaient sur son passage et que les filles qu'il aimait s'enfuyaient vite, épouvantées... L'instant d'après, un autre regard, bien différent celui-là, séduisant et ouvert sur l'extérieur, s'offrit à lui. Il se sentait beau pourtant, riche de cette dualité singulière qui n'appartenait qu'à lui. Qui saurait comprendre cela ? La soif pourtant lui revint à l'esprit. Il tendit ses mains vers l'eau mais elles ne rencontrèrent que du vide... L'oasis avait disparu comme par enchantement. Levant les yeux, à deux pas de lui, il vit Laura, non plus dans sa stricte tenue mauve de bibliothécaire mais vêtue d'une robe légère aux couleurs irisées et changeantes, un livre de philosophie à la main. L'apercevant, elle laissa tomber son ouvrage sur le sable et se précipita à sa rencontre, en lui offrant son plus beau sourire. Elle lui dit : "Ta quête s'arrête là, Gillem. Regarde autour de toi, ouvre-toi à la beauté de la vie..."


- Je suis là, Gillem... Tu m'entends ? La bibliothèque va fermer dans quelques instants... Je commençais à m'inquiéter de ne pas te voir redescendre...


Ne comprenant pas ce qui se passait, le jeune homme resta un moment silencieux. Reprenant ses esprits, il finit par répondre :


- Excuse-moi, Laura, si j'ai pu t'inquiéter... J'ai dû partir dans un rêve éveillé... Tu as remarqué ? Il n'y a rien à cet étage...

- Ton expression m'a fait peur quand je suis entrée dans la pièce... Tu semblais me regarder et pourtant j'avais l'impression que pour toi aussi j'étais transparente... C'est seulement après que la nudité du lieu m’a frappée...

- Crois-tu aux rêves, Laura ?

- Je n'y attache en général que peu d'importance. Pourquoi cette question ?

- Le songe que je viens de faire me fait réfléchir... Il me semble qu'il contient une clé de ma vie et la conclusion de mon roman... Cette rêverie m'amène à penser que ma quête de vérité telle que je la menais me coupait du monde et que je devrais m'ouvrir davantage à la beauté de l’existence...

- Ton rêve m’intéresse... Carpe diem est mon expression favorite, tu le sais... Tu n'es pas trop déçu de n'avoir rien trouvé d'intéressant dans cette salle ?

- En fait, Laura, j'ai trouvé ici le plus beau des trésors : toi. Cela faisait un moment que je voulais te le dire... Je t'aime, lui déclara Gillem dont le regard prit une teinte violet magnétique.

- Moi aussi je t'aime, Gillem... Je n'osais pas te le dire...

- C'est promis, bientôt je te ferai lire mon roman "À la recherche du Scribe d’Or". Tu verras, tu y occupes une place importante... J'espère qu'il te plaira...


Plus tard, une sonnerie de montre retentit dans le silence de la salle. Les deux jeunes gens sursautèrent. Partis dans une discussion passionnée, grisés par le sentiment qu'ils savaient à présent partager, ils avaient oublié l'heure qui passait... .

- La bibliothèque est fermée depuis une demi-heure... Il est trop tard pour sortir, Gillem, les portes ne rouvriront que lundi matin...

- Je ne suis pas pressé de quitter ce lieu... L'important est que tu sois là, Laura, et de savoir que tu m'aimes... Le monde pourra bien se passer de nous pendant ce temps... Carpe diem, comme tu le dis si bien...


La jeune femme lui répondit par un sourire complice. Oubliée la beauté des livres qui l'avaient accompagnée dans sa vie solitaire. En cet instant, seule comptait la beauté du regard aimant qui se posait sur elle...


Le Scribe d’Or – être invisible aux yeux des humains – planait dans la vaste rotonde de la Bibliothèque Nationale où le jour baissait graduellement. Il frôla les corps enlacés des deux amoureux, qui un instant frissonnèrent, avant de répondre à l'appel d'autres hommes en devenir.



18 avril - 29 avril 2007


 
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   Sebastien   
30/7/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai bien aimé, mais les changements de rythme m'ont un petit peu gêné, surtout quand le personnage principal écrit son roman, au début ça n'avance pas, et puis d'un coup *pouf* il a presque fini... Mais sinon j'ai bien aimé (comment ça je l'ai déjà dit ?).

   Anonyme   
30/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
50 000 signes, tu as dû aimé l'écrire, c'est sûr... Je ne suis pas fan de SF, bon en vérité je suis juste fan d'autofictions et je n'en propose pas en ligne remarque, je sais c'est du Scribe d'or qu'il s'agit :)

C'est un texte bien élaboré, fouillé, pensé. Mesuré. Trop mesuré ce sera son défaut. Parfois l'émotion peut-être aura manqué. J'ai aimé le rapport étroit du texte aux livres. J'aime pas trop la SF mais je reconnaît que le texte est soigné :) L'écriture est fine.

50 000 signes, tu pousserais trois fois plus loin, t'aurais un petit roman...

   Melenea   
30/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai lu d'une traite... et j'ai aimé cette quête...
Certaines longueurs certes, dans la 3ème partie, quand ils sont passés au tutoiemetn, le OK m'a un peu surprise par la familiarité qui tranchait sur le récit...
j'aurai sans doute aimé aussi un petit aperçu plus grand du monde futur imaginé, sans papier, économie d'énergie... sans s'y apesantir mais un peu plus...

Mais c'est juste un ressenti de lecture tout à fait personnel

Mél

   studyvox   
2/8/2008
J'ai trouvé ce texte "bien plus"
J'ai apprécié le choix du thème et l'intérêt des 2 personnages pour une certaine littérature qui tranche avec la "littérature à l'estomac", que l'on rencontre trop souvent, jusque dans les prix littéraires.
Le classement de votre texte dans la série "science-fiction" a failli me faire passer à côté de votre nouvelle.
En fait, à part la chronologie et l'incendie de la BNF, tout aurait pu se passer de nos jours, avec "Christian Bobin" remplacé par un auteur intimiste du 19 ème Siècle, mais cela vous a permis de citer cet auteur discret que vous appréciez et qui mérite d'être connu.
L'idée d'associer votre héroïne au roman du jeune homme est intéressante et aurait pu être développée.
On retrouve ici encore l'importance que vous accordez au regard, comme dans "l'auberge de la balance", pour découvrir des sentiments que d'autres ne ressentent pas, bien qu'ils ne soient pas daltoniens.
Toutes mes félicitations

   Doumia   
23/8/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je vous ai lu avec grand plaisir (enfin) J'adore votre façon d'entremêler les choses y compris celles que l'on devine ainsi que votre regard sur les regards. Votre amour de l'écriture est bien présent et vos dialogues sont parfaits.
Je suis fan. Merci pour ma belle lecture.

   Azurelle   
10/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien
La troisième partie génial très sympa l'idée du rêve et de la chambre vide mais pleine de vérité =). C'est par le vide que parfois naît l'inspiration c'est par une page blanche qu'elle se décrit, un voyage sympathique. Par compte, je ne sais pas pourquoi mais la deuxième partie j'ai arrêté ma lecture là je viens de reprendre, très satisfaite pour la fin. L'idée que deux êtres partagent leurs troubles pour finalement s'entendre m'a charmé ^^

   leon   
19/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien
C'est une gentille histoire d'amour, bien écrite et qui ne plonge pas dans le piège de la mièvrerie... mais ça n'est guère original, en l'état.

En développant les particularités de cet univers de 2073 et la vie passée du héros (pourquoi a-t-il des difficultés, hors son colorisme ?), en racontant peut-être les états d'âmes successifs de Laura et du héros, vous tenez certainement là la trame d'un bon roman.

Je trouve donc ça bien, mais je reste sur ma faim...

   Flupke   
22/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Xuanvincent,
Il y a quelque chose d’attachant dans l’univers de cette nouvelle et dans cette dialectique du colorisme et de la transparence.

J’aime bien :
Le colorisme (semble presque crédible)
Uniforme arlequin
les hôtesses de terre
plus d’ascenseurs, faut monter à pied.
7ème étage / 7ème ciel

Je n’aime pas trop :
« la journée A passé à toute vitesse »
la classification des étages, quel étage pour la science, beaux-arts etc. ?
je t’aime/moi aussi je t’aime, ça fait un peu Roméo et Juliette. (J’imagine les agents en uniforme arlequin rigoler). C’est mon point de vue personnel, mais je pense qu’il faut faire la distinction entre l’état amoureux et le fait d’aimer. Comme dans Lucky Luke « on le pend d’abord on discute après ».
Comment peut-on penser aimer quelqu’un avec qui on n’est pas sorti faire un tour, partager des moments intimes, voyager etc. ? Bon être amoureux, d’accord.
A part ce côté Arlequin/eau de rose des ces deux lignes 17ème siècle, confusion entre l’amour et l’état amoureux, la fin est plutôt réussie.
Deux citations au début. Je préfèrerais une seule. Deux je trouve que ça surcharge (là encore point de vue perso/subjectif).

Le couvre-feu de juillet, pourquoi juillet ? l’été ? Couvre-feu économique ou martial ? Quelle en est la raison s’il est martial ? Peut-être serait-il intéressant de développer pour ne pas que l’on reste sur sa faim.

Globalement agréable à lire cette quête initiatique, à travers l’écriture et la découverte de l’autre.
Amicalement, Flupke

   marogne   
4/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J’étais passé à coté de ce texte que je découvre au hasard d’une promenade dans des zones d’oniris où je vais peu souvent, peut être sa parution estivale ?

Je suis resté un peu sur ma faim quant à la description de ce monde du futur – sans doute parce que j’aime assez les univers de science fiction. Ici il y a plus des évocations qui donnent envie d’en savoir plus, qu’un monde décrit et que l’on peut visualiser – ce qui fait que l’histoire pourrait très bien se passer de nos jours.

Comme dans plusieurs autres textes, on retrouve l’intérêt de l’auteur pour les histoires d’amour simples et, je dirais presque naïves, en tout cas bien sympathiques.

J’attendais aussi de savoir ce qu’il y avait dans ce septième étage, avant de comprendre, à la fin, que c’était, outre la métaphore du désert qui pousse à la méditation et à la vérité, ce pouvait être l’endroit où on montait au septième ciel pour un week-end entier !

Ps : et seulement pour le titiller, elle est bien souvent « intéressée » cette Laura….

   Menvussa   
18/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Une belle histoire dans un monde qui semble un peu déshumanisé. Rien ne peut remplacer le livre papier il est vrai. Le texte m'a plu, simple mais vrai. Et cette sincérité en fait la beauté.

Sur la forme, je reprocherais toutes ces précisions qui me semble inutiles pour montrer la succession des évènements... bon, je n'ai pas pris de notes.

Je pense aussi que la première partie aurait pu être écourtée, elle ne présente pas un intérêt primordial pour la suite du récit, cela aurait pu permettre de développer un peu plus les rencontres avec Laura.

mais j'ai pris du plaisir à lire ce texte. Merci


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