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Policier/Noir/Thriller
Yakamoz : Lucy
 Publié le 01/07/24  -  5 commentaires  -  9802 caractères  -  52 lectures    Autres textes du même auteur

Sur fond de forêts vosgiennes, une sombre histoire de rencontres qui vont mal finir.


Lucy


Il avait dans les cinquante ans, vivait seul dans une petite maison nichée à la lisière d'une sombre forêt vosgienne. Le climat était rude, décembre infini noyait la vallée dans le brouillard et le froid. Le printemps fugace dispensait une pâle lumière sur les sommets. Juillet chaud et moite, ponctué d'orages dévastateurs. L’automne précoce et pluvieux annonçait déjà le retour de l’hiver.


Il était employé depuis toujours dans une petite scierie, à quelques kilomètres de chez lui, au bout d'un chemin coupant une prairie en deux, proche d'un torrent aux eaux tumultueuses. Il s'occupait de l’abattage et du débardage dans les sous-bois obscurs et humides des forêts de résineux. Sous un appentis vétuste, le patron dirigeait le concert des scies circulaires qui montaient haut dans les aigus, crachant des nuages de sciure qui emplissaient l'espace d'une chaleureuse odeur de bois. Lui aimait passer des heures seul en forêt, sa journée rythmée par le vrombissement de la tronçonneuse et la chute des arbres dans un fracas de branches brisées. La vie solitaire au grand air lui convenait, observer la nature et les animaux sauvages, renifler l'humus et les champignons, contempler le silence du ciel et des nuages suffisait à son bonheur.


Il vivait seul donc, ni famille ni amis, son air ombrageux et son physique difficile n'accrochaient pas le regard des femmes. Il avait bien eu quelques aventures sans lendemain mais n’avait pas, comme on disait encore dans ce pays reculé, trouvé chaussure à son pied. Il s'était résolu à cet esseulement, cette vie de vieux garçon, mais gardait encore le secret espoir d’une rencontre, confiant dans la possibilité du hasard.


Un mardi du mois d'avril, il la vit, il sut que c'était elle. Un vent frais avait dégagé les nuages, le soleil ombrait les reliefs sur la place du village. Jour de marché, elle était seule dans un coin, près de l'église, comme perdue au milieu de la foule. Il fut séduit par sa beauté, ses yeux doux et bienveillants, leurs regards se croisèrent, ce fut un coup de foudre mutique et réciproque, et comme une évidence, ils s’adoptèrent.


Elle ne parlait pas, ainsi elle ne dévoila rien de son passé. Jules lui parlait, racontait sa vie d'avant, elle comprenait mais ne lui répondait jamais. Tous deux inventèrent un langage corporel, à base de gestes et de messages tactiles. Ils décidèrent qu'elle s’appellerait désormais Lucy, ma nouvelle compagne comme il la présentait à ses rares connaissances. Elle s’installa chez lui sans tarder, aima tout de suite cette petite maison isolée avec son grand jardin, ouvert sur la prairie et les bois, apprécia l’espace et la liberté sans limites. Lucy restait seule pendant que Jules travaillait dans les bois, elle avait voulu un temps l'accompagner, mais il avait refusé à cause des risques d'accident. Elle s’ennuyait parfois, mais si la journée était belle, elle faisait de longues randonnées dans la forêt jusqu’au sommet des montagnes. Elle humait toutes les odeurs de la nature, aimait la chaleur du soleil et la caresse du vent. Elle rentrait le soir fourbue, retrouvait Jules avant le repas du soir et tour à tour ils se racontaient leur journée. Une vie simple et heureuse, à l’abri du bruit et de la fureur du monde, jusqu’à ce jour funeste où tout a basculé.


C’était, il s’en souvient, un lundi, vers la mi-août. La nuit d'avant, un orage d'une rare violence avait déversé des trombes d'eau dans la vallée. Au petit matin, la nature encore choquée peinait à s'ébrouer. Une vapeur poisseuse imbibait l'air, des gouttes épaisses tombaient lourdement des frondaisons, l'eau suintait des sols saturés pour s'étaler en larges flaques.


Lorsqu’il arriva à la scierie vers dix heures, des nappes de brouillard stagnaient encore au-dessus des herbes humides. De loin, il distingua à travers le voile de brume les gyrophares des pompiers et la voiture bleue de la gendarmerie. Son patron venait d’avoir un accident. Une machine aux dents acérées avait happé son bras, déchiqueté la moitié de son thorax dans le sens de la longueur, avant de s'arrêter en hoquetant, enrayée par cette matière molle inconnue. Au passage, sa tête tranchée, expulsée comme un corps étranger, avait roulé au sol dans la sciure. Ses yeux exorbités exprimaient à la fois la terreur et l'étonnement, sa bouche figée dans un rictus de douleur semblait encore vomir des hurlements, couvrant le fracas de la machine. Des grumeaux de chair hachée, mêlée à des bouts de tendons arrachés et des brisures d'os, maculaient le sol et les murs. L'odeur métallique du sang flottait dans l'air et se mélangeait aux effluves de bois et de résine.


Le patron n'avait ni héritier, ni repreneur, Jules se retrouva sans emploi du jour au lendemain, n'eut pas droit au chômage, il n'avait jamais été déclaré. Il tenta en vain de proposer ses bras dans les autres scieries de la vallée, mais la crise était là, du bois de qualité médiocre était importé à bas prix de l’autre bout du monde, elles fermaient toutes les unes après les autres. Reconversion, formation, auto-entrepreneur, rebondir, ces mots à la mode n’avaient pas cours dans cette vallée reculée. Il eut bien quelques petits boulots dans le village pour aider les vieux, du jardinage ou du bricolage, mais cela ne suffisait pas à les faire vivre, lui et Lucy. Ses maigres économies fondaient à vue d’œil, l'avenir s'annonçait sombre et menaçant.


Finalement, jour après jour, il s’abîma dans une profonde dépression et se mit à fréquenter assidûment le café du village. Il s’y fit, l’alcool aidant, quelques amis peu recommandables qui partageaient son infortune. L’un d’entre eux était un marginal aux bras tatoués, qui avait échoué on ne sait comment dans ce coin paumé des Vosges où il vivotait de petits larcins. Il l’entraîna avec lui dans la délinquance, Jules se laissa faire, Robert était le seul qui lui avait tendu la main quand il était prêt à sombrer, agrippé au bord du précipice. Semaine après semaine, il continua à s'adonner à la boisson, délaissant Lucy, rentrait tard au milieu de nuit, la démarche hésitante, et sombrait dans un lourd sommeil. Elle ne comprenait pas ce qu'il faisait avec Robert, ses virées nocturnes, ses soirées sans fin au bar du village. Jules était taiseux, pas du genre à s'épancher sur ses problèmes, Lucy ne savait pas comment l’aider et le soutenir. Puis un jour, pris d'alcool, il commença à la battre, sans raison, une petite tape, pas de douleur, plutôt de la surprise. Cela devint plus fréquent, plus violent, elle ne se rebellait pas, elle avait pourtant les moyens de se défendre et de le tenir à distance. Elle préférait la fuite, tentait de se cacher dans les recoins de la maison pour éviter les coups. Lucy n’avait personne pour parler, se confier. Partir ? Elle ne savait où aller, pas de famille, pas de relations, et par-dessus tout la peur de se retrouver seule à nouveau. Elle gardait son amour, sa fidélité et sa loyauté indéfectibles envers Jules comme au premier jour.


Robert et Jules cambriolaient des résidences secondaires, écrans plats, appareils électro-ménagers, Smartphones, bricoles diverses, maigre butin qu'ils revendaient sur Internet. C’était peu risqué mais pas très lucratif. Il fallut passer à la vitesse supérieure. Robert avait dans ses fréquentations une connaissance qui leur procura des armes de seconde main qui faisaient encore illusion. Ils s’entraînaient au tir sur des boîtes de conserve, dans la forêt, discrètement loin des habitations. Lucy les accompagnait parfois mais elle n'aimait pas ça, le bruit des détonations la faisait tressaillir et lui rappelait des souvenirs douloureux. Ils passèrent donc à la vitesse supérieure, attaques à main armée de commerces variés, bureaux de poste et agences bancaires. Robert et Jules portaient des gants et des cagoules noires comme dans les mauvais films de série B des années soixante, menaçaient les braves gens apeurés avec leurs flingues et repartaient à pied avec leur butin dans des grands sacs de toile de jute, tels des bandits de grand chemin, semant la terreur dans toute la vallée. C'était facile et grisant à la fois, rien ne semblait pouvoir les arrêter.


Mais par une belle journée de juillet, juste avant midi, un employé plus zélé ou plus courageux que les autres appuya discrètement sur le bouton de l'alarme. Les gendarmes arrivèrent en quelques minutes, Jules et Robert étaient encore à l'intérieur de la banque. Aucune issue possible, pris au piège comme des animaux traqués par une meute de chasseurs. L'aventure était finie.


Jules poussa la lourde porte de verre, sortit dans la rue, leva les yeux vers le ciel. Le soleil au zénith ramassait les ombres, l'air chauffé à blanc vibrait au ras du bitume, attisé par des ondes brûlantes et sèches. Il pensa à Lucy, se dit qu'il ne la reverrait pas, regarda une dernière fois la cime des épicéas noirs qui se découpaient sur un fond céruléen. Il fut tué de trois balles dans le ventre, dont une mortelle, comme mentionné dans le rapport de la gendarmerie, qui conclut sans surprise à la légitime défense. L'enquête fut rapidement bouclée, les habitants du village interrogés signalèrent qu'il vivait avec une compagne, là-haut, dans une maison en lisière des forêts, qu'ils feraient bien d'aller jeter un œil.


Assise devant la porte, elle voit une estafette bleue monter en cahotant la petite route en lacets. Le vent apporte par bribes le ronronnement d'un moteur fatigué. Elle dresse les oreilles, ses narines frémissent pour tenter d'évaluer le danger. La voiture grossit au fil des virages, le bruit se fait plus présent et plus régulier. Puis il cesse, deux portes claquent.


Lucy fut capturée sans opposer de résistance, ne tenta pas de mordre et se laissa faire lorsqu'on lui passa un collier au cou pour l'emmener à la fourrière.


 
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   Cox   
21/6/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
Bonjour!

Tout d'abord, j'ai apprécié l'écriture de ce texte. La narration est relativement imagée sans pour autant se perdre en figures de styles. Cela participe à créer une vraie atmosphère, mais la narration reste claire et efficace. Le style sait trouver un équilibre délicat en n'étant ni trop sec ni trop cotonneux et c'est un très bon point.


Du point de vue de l'histoire cependant, je suis plus mitigé. Je ne vois pas le lien entre la rencontre de Lucy et toute l'histoire de banditisme. On dirait en fait qu'il y a deux éléments narratifs distincts: d'une part Lucy et d'autre part la spirale vers le bas de Jules. Ces deux points semblent à peu près indépendants, ce qui fait que la nouvelle boite un peu sur ses appuis. Sur un texte court, se disperser ainsi sur deux fronts pénalise beaucoup l'efficacité du récit. Mon intérêt se dilue au point que je ne suis tout à fait passioné ni par la rencontre, ni par la vie de Jules. J'attendais qu'on vienne révéler un lien plus évident et organique entre les 2 facettes du texte.

Pour le revirement, le problème c'est qu'il est trop voyant. À partir du moment où Lucy est muette et Jules lui donne un nom, on se doute bien qu'il y a un truc qui cloche et que ce n'est sans doute pas une femme. Je n'avais pas spécialement pensé à un chien même si c'est vrai que c'est logique, mais bon j'attendais tout de même une chute de cette forme, ce qui l'affaiblit grandement. Du coup mon ressenti final me laisse sur "ah d'accord, c'était un chien, mais qu'est-ce que ça apporte à l'histoire?". La vie de Jules aurait sans doute été la même sans Lucy qui n'occupe finalement pas une place narrative importante malgré le titre de la nouvelle. Cette conclusion le souligne puisque finalement, chienne ou non ça ne change pas grand chose. Le dénouement, au lieu d'amener l'effet coup de poing recherché, affaiblit le texte en soulignant ce point regrettable

Pour un petit détail supplémentaire, je n'ai pas compris le passage gore sur le patron charcuté qui semble dispensable. Il n'y a aucun investissement émotionnel envers ce personnage secondaire. Je me suis donc un peu ennuyé pendant ce passage, ne comprenant pas l'intérêt de passer autant de temps dessus; la surenchère facile de détails sanglants peu paraître un peu masturbatoire.
Mais bon, ce n'est qu'un passage mineur, ça n'affecte pas tellement le ressenti global.

En résumé des points qui me laissent dubitatifs: je trouve qu'il y a un problème d'équilibre. Le texte se disperse sur deux fronts et peine à démontrer une véritable unité pour justifier ses sujets. Lucy semble être présente uniquement pour offrir une chute, mais comme c'est déconnecté du reste, ça paraît assez gratuit et ça n'a pas beaucoup d'impact. D'autre part l'effet de surprise n'a pas fonctionné pour moi.
Cependant, ma lecture est restée fluide et agréable grâce à une écriture propre et une histoire qui tient la route. La précision du style a su m'emporter, et si je reste sur ma faim en sortie de lecture, je salue cependant une narration rondement menée.

Cox

   jeanphi   
2/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Yakamoz,

Ce texte particulièrement émouvant et lapidaire ne m'a convaincu en tant que nouvelle brève qu'une fois seulement arrivé à la chute. Jusque-là, je me disais qu'il gagnerait à faire le sujet d'un court roman ou encore d'une fort longue nouvelle. Passé l'accident de l'employeur, votre sujet aussi simple soit-il (et c'est là une de ses grandes forces) mériterait de s'étendre sur quelque pages, voir sur quelques chapitres.
Paradoxalement, l'idée même de cette histoire, aussi rebattue puisse-t-elle être, tient du scénario du haute volée. Cela ne s'explique pas !
Dans le mille en ce qui me concerne.

   Perle-Hingaud   
3/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour et bienvenue sur le site, Yakamoz.
J'ai lu votre nouvelle avec plaisir. J'ai trouvé l'écriture agréable. Vous instaurez une atmosphère calme qui colle bien avec votre personnage de Jules. Sa déchéance progressive est intéressante, je pense qu'il y avait moyen de la rendre plus vivante avec le récit d'un épisode ou deux plutôt que cette explication. En rallongeant ainsi un peu le texte, vous apporteriez aussi de la profondeur aux personnages et renforceriez l'empathie du lecteur. Finalement, le petit "mystère" de Lucy n'est pas le plus intéressant selon moi. Il faut dire que j'ai trouvé l'anthropomorphisme parfois excessif, par exemple: " Lucy n’avait personne pour parler, se confier. Partir ? elle ne savait où aller, pas de famille, pas de relations, et par dessus tout la peur de se retrouver seule à nouveau." Là en particulier, c'est typiquement fait pour tromper le lecteur. Et comme ça se voit, car ça ne fonctionne pas en deuxième lecture, c'est un peu irritant.
Mais ce ne sont que des remarques mineures: j'ai aimé cette histoire bien écrite et j'espère lire un autre texte bientôt !

   plumette   
5/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Un récit que j'ai lu avec plaisir jusqu'au 2/3, le personnage de Jules est attachant , les descriptions sont efficaces et imagées, j'ai bien aimé le contexte de la forêt vosgienne, avant que votre personnage ne sombre dans la dépression, l'alcool et la délinquance.
J'ai trouvé la scène de l'accident très remarquable et terrifiante.
puis, les choses s'accélèrent considérablement et j'avoue avoir moins accroché avec le récit qui conduit au pire.
A aucun moment je ne me suis doutée que Lucy n'était pas une femme. En ce sens votre démarche d'auteur visant à surprendre le lecteur est réussie mais en ce qui me concerne , je n'ai pas aimé être menée en bateau ! Disons que ce n'est pas ce que j'ai apprécié dans la nouvelle à laquelle je trouve par ailleurs d'indéniables qualités narratives

je vois que c'est votre premier texte publié ici, alors bienvenue en Onirie et j'espère que vous poursuivrez votre expérience de partage avec nous.

   MarieL   
14/10/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est un récit touchant et la suprise finale est totale.

Des personnages peints avec réalisme et beaucoup d'habileté. On y croit jusqu'au bout.

Ce portrait d'un perdant est très vraisemblable et ajoute à la crédibilité de l'ensemble.


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