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Policier/Noir/Thriller
Yakamoz : Son amour est mort
 Publié le 01/08/24  -  8 commentaires  -  8407 caractères  -  55 lectures    Autres textes du même auteur

Les histoires d'amour finissent mal… en général.


Son amour est mort


Cassis, calanque de Port-Miou, samedi 24 avril 2021, après-midi.


Une belle journée de printemps. Après la pluie battante de la veille, le mistral a balayé le ciel. Au début de l'après-midi, il est bleu indigo, presque noir. La lumière dense agresse les yeux, elle découpe les reliefs et fait briller la mer, le vent froid violente la peau, il écorche l'espace et installe une ambiance hostile.


– Assure-moi !


Accrochée à la paroi, elle ne le voit plus, il est masqué par un pli de la falaise, il ne parle pas, elle ne l'entend plus. La corde au-dessus d'elle se balance mollement, agitée par le vent. Elle sent les muscles de ses membres se contracter, ses mains et ses pieds tiennent sur de minuscules aspérités, elle pourrait lâcher prise. Elle regarde vers le bas, au moins cent mètres, pas d'arbustes, pas de végétation, rien pour amortir sa chute. Que du calcaire blanc, plat et lisse comme une dalle de béton. Son esprit s'égare, elle pense à ceux qui se sont jetés des tours jumelles en flammes, des témoins affirmèrent que les corps s'écrasaient au sol avec le bruit mat d'une pastèque qui éclate. Alors soudain elle panique, sa respiration s'emballe, une chaleur intense l'envahit, la sueur inonde son dos.


– Assure-moi, merde !


La corde se tend, elle reprend son souffle et son ascension.


Ils se sont connus sur les bancs de la faculté de Luminy, étudiants en Lettres modernes, attirés l'un vers l'autre par l'amour de la montagne et de l'escalade, puis par l'amour tout court. Alice et Romain s'installent alors dans un petit appartement sous les toits, dans une rue populaire près du vieux port de Marseille, deux pièces défraîchies, le ciel du sud à travers les velux et la pluie d'hiver qui tambourine sur les tuiles. Ils l’aménagent sobrement, un lit, une grande table et quelques chaises, deux fauteuils fatigués chinés aux puces. Ils sont jeunes, tous les deux issus de milieux modestes, ont peu de moyens, financent leurs études avec des petits boulots mal payés et précaires. Les fins de mois sont souvent difficiles, ils sortent peu, un cinéma ou un restaurant de temps en temps, leur budget nourriture est serré, ils sont passés maîtres dans l'art d'accommoder les pâtes. Mais Romain et Alice sont heureux, cette vie simple suffit à leur bonheur, ils sont peu attachés aux choses matérielles, ils aiment par-dessus tout vivre en harmonie avec la nature. Ils passent tout leur temps libre à gravir des montagnes, escalader des falaises, défiant la gravité suspendus à des cordes, scotchés aux rochers comme des lézards. Les jours s'ajoutent les uns aux autres, ponctués de ces dizaines de choses minuscules qui font une vie, quand soudain…


Un matin banal comme les autres, au réveil, Romain est tout à coup saisi par une sorte d'évidence qui lui noue le cœur, il réalise qu'il n'aime plus Alice. Il y a bien eu quelques signes avant-coureurs auxquels il n'a pas prêté attention, mais en ce jour particulier, dans la tiédeur du lit, allongé auprès d'elle qui dort encore, le constat est sans appel. Il tente de se raisonner, ne comprend pas pourquoi, elle est toujours attirante comme au premier regard, mais cette funeste réalité revient en boucle et s'impose à lui. Il cherche en vain une explication rationnelle, serait-ce la routine qui a éteint la passion ? C'est le genre de cliché qu'on lit dans les romans de gare, mais jamais il n’aurait imaginé que cela le concernerait un jour. Romain ne se sent pas le courage de lui avouer que son amour est mort, d'affronter son regard perdu et ses larmes de douleur. Alice ne se doute de rien, elle n'imagine pas qu'il puisse la quitter, sa surprise sera totale et sa peine immense. Il veut la préserver, lui épargner des souffrances qu'il imagine infinies. Il cherche la solution, pendant de longues semaines son esprit le torture, la folie le guette, puis un jour lui vient cette idée singulière, la seule issue possible est qu'Alice meure, ainsi elle ne saura jamais qu'il ne l'aimait plus. Il ne va pas la tuer de ses propres mains, il ne pourrait pas, il imagine alors le scénario d'une disparition dissimulée en accident. Sa raison bouleversée par l'altération du discernement, à aucun moment Romain ne se pensera en assassin. Un jour d'avril, dans les calanques près de Cassis, il a été à deux doigts de passer à l'acte, mais il a finalement renoncé.


Un dimanche matin de décembre, ils partent pour une randonnée en montagne dans le massif du Mercantour, le sentier des lacs. Romain connaît cette course par cœur, il l'a faite à de multiples reprises, ce sera une première pour Alice. Les prévisions météorologiques ne sont pas très engageantes, mais qu'importe, après tout ils se trompent souvent, dit Romain pour la rassurer. Lorsqu'ils laissent la voiture au parking, le ciel est uniformément gris, la température basse, l'air sent la neige. Ils commencent leur ascension sur le sentier escarpé, ils montent vite, ont de l’entraînement, ils seront au lac d'Allos avant midi. Vers dix heures, les premiers flocons voltigent.


– Ce serait plus prudent de faire demi-tour, dit Alice.

– Non, répond Romain, ce n'est rien, regarde, ça va s’arranger.


Il lui montre un coin de ciel plus clair entre deux cimes. Ils continuent la montée, mais cela ne s'arrange pas, bien au contraire. Une demi-heure plus tard la neige tombe en abondance, un vent glacial se lève, il fait tourbillonner les flocons mordants en vagues rageuses qui déferlent sur eux, brouillent les yeux et agressent la peau. La visibilité soudain se réduit, on ne discerne plus rien au-delà de quelques mètres, ils sont comme immergés dans la neige en furie, peinent à respirer, ils vont couler à pic et se noyer dans cet océan blanc. La tempête redouble de violence, en quelques minutes la couche de neige atteint une telle épaisseur qu'ils peinent à avancer, le rugissement du blizzard couvre maintenant leurs paroles, le froid commence à mordre leurs doigts et à tétaniser leurs muscles. Alice panique, hurle de terreur, quand tout à coup elle est déséquilibrée par une rafale plus violente qui l'abat, elle jure et tombe lourdement face dans la neige, s'y enfonce et ne peut pas se relever. Romain est juste devant, il se retourne et la voit immobile, comme pétrifiée, les flocons saupoudrent déjà le rouge de sa doudoune. Ça y est, c'est le moment, il va l’abandonner, elle ne pourra pas s'extraire de la neige, et quand bien même, elle ne retrouvera pas son chemin et va mourir de froid. On dit que c'est une mort douce ; on s’endort et on ne se réveille jamais. Il se persuade qu'Alice ne souffrira pas.


Romain s'éloigne, elle l'appelle, il l'entend mais ne répond plus, il fuit. Malgré les conditions extrêmes, sa connaissance des lieux lui permet de se repérer. Non sans difficulté, il retrouve la trace du sentier, redescend dans la vallée comme un somnambule, des larmes plein les joues. Il va rejoindre la ville et alerter les secours, leur expliquer qu'ils se sont perdus dans la tempête, jouer le désespoir et feindre l'angoisse. Avec ce mauvais temps et la nuit qui va tomber, l'hélicoptère ne pourra pas décoller, demain les sauveteurs arriveront trop tard, elle sera morte à coup sûr.


Plus tard, plus bas, un faux pas, un juron, il tombe. La pente est raide à cet endroit, Romain commence à glisser sur la neige fraîche. Il garde son sang-froid, se raisonne, un arbuste ou un ressaut va stopper sa chute. Mais non, aucun obstacle, il prend de la vitesse, ses mains cherchent en vain quelque chose à agripper, sa tête frappe lourdement sur les rochers, il ne distingue plus le bas du haut, puis soudain la falaise. Un long cri, son corps désarticulé rebondit plusieurs fois, le bruit mat des chairs qui éclatent et le craquement sec des os qui se brisent, puis le silence. Il est mort.


Breil-sur-Roya, mercredi 22 décembre 2021, matin.


Il pleut sur le petit cimetière niché au creux de la vallée près d'un torrent tumultueux. À travers un léger voile de brume, on distingue un petit groupe de personnes, noir et ruisselant autour d'une tombe en marbre blanc. Si l'on s'approche un peu, on verra le père et la mère de Romain qui se soutiennent au bord du caveau ouvert. Penchés sur un cercueil en bois verni, couvert de gouttes rondes et luisantes comme des billes de mercure, ils pleurent la mort de leur fils. Alice est un peu en retrait, seule sous un parapluie, le regard perdu, elle pleure son amour disparu.


 
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   Cyrill   
21/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai lu d'un trait cette histoire, le côté thriller fonctionne bien je trouve.
Même si on connaît les intentions de Romain, la lecture reste haletante, du moins dans sa partie centrale, et à juste titre puisqu'il y a un retournement de situation, auquel on pouvait néanmoins s'attendre mais on a le plaisir de se dire, en tant que lecteur, qu’on est perspicace.
Je remarque cependant, en le regrettant, que c'est une histoire très morale, puisque Romain est puni par la mort qu'il voulait infliger. C’est très personnel mais je préfère dans ce genre de récit que les méchants soient gagnants ou du moins non rattrapés par la une certaine volonté divine, ici la nature souveraine.
J’ai trouvé le curriculum vitae du couple assez cliché. La passion qui s'éteint est pour ainsi dire bâclée par une pirouette, l'auteur s'exonérant d’une explication en faisant dire à son personnage : "C'est le genre de cliché qu'on lit dans les romans de gare". Rassurez-vous, j’ai déjà lu ça chez bon nombre d’auteur ayant pignon sur rue et ça me désole.
Étant donné ces raccourcis, on a du mal à comprendre comment le gars en arrive à cette extrémité. Il aurait été intéressant de fouiller son personnage et d’approfondir la déréliction du sentiment amoureux qui amène le protagoniste présenté somme toute comme un bon gars à cette solution macabre. C'est la grosse faiblesse de ce récit que je trouve trop condensé et trop centré sur la partie thriller.

Ou alors il aurait fallu carrément concentrer toute la narration sur la tentative de meurtre par non assistance, puis sur la mort de romain et le sauvetage d’Alice, sans rien dire des protagonistes, de leur motivations. Une idée, hein... peut-être que la nouvelle, ainsi, aurait gagné en densité dramatique et recelé une part plus importante de mystère.

Un mot également sur la qualité de l'écriture : des phrases bien construites, des formules claires, le décor planté avec efficacité et en termes choisis. À n’en pas douter, une maîtrise littéraire très appréciable.

Merci en tout cas pour la lecture. Moi qui en général ne suis pas fan de thriller, j'ai aimé.

   jeanphi   
1/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

N'avez-vous pas honte de faire pleurer les gens comme ça ?
Une très belle nouvelle au scénario très original, racontée de la manière la plus juste.
Je repense à une nouvelle de la très regrettée autrice Julie M. , très exhaustive sur le sujet de l'alpinisme, que je vous conseille chaleureusement, bien que la comparaison s'arrête là.
Merci pour cette lecteur qui sait habilement toucher sa cible.

   Cox   
1/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour Yakamoz

Dans l'ensemble, j'ai trouvé que le scénario pouvait être intéressant mais que la réalisation laissait à désirer.

Au début par exemple, le résumé de leur vie et de leur passion en un paragraphe m'a paru assez maladroit. Pourquoi faire, finalement? Le récit s'en passerait bien, il y a d'autre moyens plus digestes de faire comprendre qu'ils sont en couple. Le condensé, tel qu'il nous est présenté, n'est pas non plus spécialement immersif et ne suffit pas en soi à créer un attachement particulier pour les personnages et leur histoire, un peu trop générique. Je ne comprends donc pas le rôle qu'il sert.

Le revirement du personnage vers des pulsions meurtrières n'est guère convaincant pour moi, vraiment pas assez développé pour être crédible. Ça m'a paru être un prétexte un peu artificiel pour raconter une histoire.
Encore une fois: je pense que l'histoire se passerait bien du passage "explicatif" et taperait plus fort sans ça! Pas la peine de dire à l'avance qu'il a pris sa résolution; il suffirait de le montrer et de parsemer quelques indices pour suggérer les potentielles raisons. C'est une direction possible (qui marcherait mieux mais ce n'est que mon avis). Une autre direction consisterait à fournir une histoire plus crédible pour pousser le personnage au meurtre (mais il faudrait développer beaucoup je pense). Une autre solution encore serait de plutôt centrer le texte sur le caractère dérangé de Romain, en parsemant quelques indices à l'avance qui nous aideraient à gober que Romain est just un psychopathe qui n'a finalement pas besoin de plus qu'une vague excuse pour assouvir ses pulsions. Mais en l'état, pas convaincu: les ressorts narratifs son trop évidents. Je sens trop fort que le personnage fait des choix uniquement parce que l'histoire le nécessite et non parce qu'ils sont cohérents ou naturels.

En gros, à mon avis le texte se trouve dans un entre-deux qui manque d'élégance et de force. Soit il aurait fallu détailler beaucoup plus la psychologie des personnages dans un récit plus long et creusé, soit il aurait fallu au contraire jouer sur le mystère dans les intentions en étant moins explicatif, en restant dans la suggestion énigmatique. On pourrait ainsi gagner en effet de surprise et en impact.

Bref, une story qui pourrait avoir du potentiel, mais un storytelling à revoir.
Le style en revanche est bon, et aide le lecteur à suivre le texte sans problème. Je l'ai parcouru avec un bon rythme et une certaine curiosité, même si je suis au final légérement déçu par les ficelles un peu trop grosses de cette histoire.

   Cornelius   
2/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Voilà un texte qui réunit tous les ingrédients d'une bonne nouvelle et dont la chute ... est une chute.
Le style est alerte et l'histoire nous tient en haleine jusqu'à la fin même si elle est quelque peu prévisible.
C'est vrai que les histoires d'amour finissent mal en général mais heureusement pas toujours de manière aussi dramatique.
Merci pour ce bon moment de lecture.

   Ynterr   
3/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une histoire simple, réduite à son plus simple appareil. J'imagine bien une version longue, dans laquelle plus de scènes de vies, et conflits psychologiques et autres nœuds pourraient être développés. Mais pour quoi faire? Un texte simple, rapide, efficace qui ne se perds justement pas dans des nœuds. J'ai beaucoup aimé et j'aimerai bien savoir écrire de manière si concise et efficace, chapeau

   Cristale   
4/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Encore une preuve que ça ne porte pas chance de souhaiter la mort de quelqu'un. Le destin fait que ça se retourne toujours contre soi ou ses proches bien-aimés.

Un récit fluide d'une lecture agréable. J'aime bien la mise en page.

Le narrateur a l'excuse d'être fort sympathique dans l'explication de ses raisons qui le poussent à l'inéluctable. On le comprendrait presque mais quand même, faut pas pousser. Sa lâcheté face à l'aveu de la vérité - il ne l'aime plus - est inexcusable.

Le retour cruel du sort contre lui n'est que justice si je puis dire.

"Elle pleure" ... si elle savait... à moins qu'elle ait déjà compris, là-haut, sous la neige...

Belle écriture. Bravo !

   Cleamolettre   
4/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Merci pour cette lecture, très agréable, ça se lit comme du petit lait ! Et bon titre à double sens.
C'est bien tel quel déjà, mais pour chipoter un peu, malgré un rebondissement final, j'ai un peu manqué d'effet surprise.
Je m'explique : j'ai assez vite compris ce qui allait se passer et qui allait mourir, sans doute parce que j'ai déjà pas mal lu ce genre d'histoire "d'arroseur arrosé". Il y a dons eu à la fois un "je le savais" de ma part, et une petite déception de ne pas avoir été dupée et étonnée par une autre fin. C'est assez moral, ce qui ne me dérange pas forcément, mais j'aurai aimé être un peu plus bousculée, je crois.
Ce qui n'enlève rien au style, limpide, efficace, sobre comme j'aime.

   papipoete   
11/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Yakamoz
Quelle histoire ( à rebondissements ) si j'ose dire !
Comment dire à l'aimée, qu'on ne l'aime plus ? ah, oui si elle meurt elle ne saura jamais que je ne l'aimais plus !
vite, trouvons le scénario le meilleur... cette falaise, d'où malencontreusement, elle va glisser et " emballé, c'est pesé !"
pas de pot pour l'assassin en herbe ; c'est lui qui se piégera, qu'au cimetière on pleurera !
NB je n'y connais rien en Nouvelle, mais je vois là un récit où le suspens se déroule comme une bobine, sans noeud jusqu'à cet imprévu pas banal !
la chute de l'histoire en quelque sorte !
enfant, j'aurai dit
- c'est bien fait pour lui ! il n'aurait pas pensé à ça !
et derrière sa Veuve, je regarde descendre en terre ce cercueil, en souriant...
j'ai bien aimé vous lire !


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