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Sentimental/Romanesque
Yannblev : Chronique d’un lundi ordinaire
 Publié le 07/09/24  -  4 commentaires  -  5323 caractères  -  49 lectures    Autres textes du même auteur

« Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
(Albert Camus)


Chronique d’un lundi ordinaire


Il lui suffit de tourner un peu, dans le sens qu’on visse, la petite clef en métal plantée sur le côté du socle ; elle bute vite au bout. Alors il lève le chapiteau du kiosque, lentement jusqu’au clic et en le reposant comme il faut sur les antes en bambou… ça démarre.


La musique égrène « j’ai du bon tabac » sur des notes argentines et Elle commence. Elle tient, tendus et immobiles, ses bras fins voûtés au-dessus de sa tête, reliés par les mains, et sa jambe droite, relevée vers l’extérieur, la pointe fine de son petit pied sur son genou gauche. Puis Elle monte doucement et, sans quitter la pose, s’énerve dans un tourbillon rapide… Elle redescend, doucement aussi, pour remonter aussitôt et repartir dans la même toupie mais en sens inverse.

Deux ou trois… ça ne dure pas plus de trois minutes et les notes s’espacent avec mélancolie et chacune laisse pressentir la prochaine « dans-ma-ta-ba-tiè-re… tu-n’en-au-ras-pas ». Elle a un mal de chien à se hisser à présent, ses vrilles sont de plus en plus lentes. Elle n’achève jamais la dernière.


Il pleut toujours… il pleut depuis lundi dernier. Le lundi est un jour exactement comme les autres que rien ne peut vraiment différencier d’un mercredi ou d’un samedi. Hiver-été, d’accord ! janvier-mai à la limite ! Mais lundi ou mardi, quelle importance. Et pourtant lundi est redoutable. Est-ce parce qu’il suit dimanche ? Surtout parce qu’il croit recommencer quelque chose alors qu’il ne fait que le poursuivre en continuant.


Lui est né un lundi. Est-ce la raison pour laquelle jamais comme le lundi ne lui apparaît l’incertitude des jours à suivre ? La ténacité de la paresse qui le scotche alors dans une atonie est prodigieuse. Pour s’épanouir elle exige une telle énergie, une telle force à déployer qu’elle lui semble bien plus pénible, même physiquement, que les travaux les plus rudes qu’il pourrait entreprendre. Retourner quelques ares de jardin, remuer quelques quintaux de ciment, ne l’ont jamais exténué comme un lundi matin où il se préoccupe de ne pouvoir ni ne devoir rien faire précisément.

L’art de ne rien faire est bien plus fatigant que les autres. La danse qui suit la musique ou la sculpture qui tape du marteau et du burin sur un bloc de marbre c’est déjà aller mécaniquement quelque part, vers un point précis, traverser l’ébauche avec ni plus ni moins de risque, plus d’angoisse ou d’émotion, qu’en naviguant au compas dans la brume. On a toutes les chances d’arriver quelque part et si ce n’est pas la côte espérée on peut repartir en changeant de cap. Mais bon sang ! l’art de ne rien faire c’est toujours un brouillard ourdi et serré à trois cent soixante degrés. Plus de compas, aucun amer, juste le sentiment permanent qu’une terre existe peut-être bien encore quelque part… peut-être bien !


À ces lundis aucun art ne résiste, pas même celui de ne rien faire. Ces matins-là, dans une sorte de somnambulisme incontrôlable, tous les rêves de terre promise ou d’artefact lui sont radicalement impossibles. Sauf peut-être en essayant de dépasser l’extrême limite du présent.


Ça fait déjà un moment que la danseuse a fini son dernier manège. Figée à présent dans sa position dérisoire Elle le dévisage avec les deux minuscules points bleus qui lui servent d’yeux. Le fin trait vermillon de la bouche ne s’est ni relevé ni affaissé dans les coins et le tutu de tulle ne s’est pas accidentellement ou intentionnellement décroché de sa taille. De la jambe galbée le mollet n’a pas même molli.


Comme tous les lundis matin il a de nouveau remonté la boîte à musique et le petit rat, derviche en celluloïd, est reparti en entrechats. Le tabac était toujours bon dans la tabatière et il savait très bien qu’il n’en aurait pas.


Donc comme tous les lundis matin il a posé le paquet emballé de velours pourpre sur le sous-main maculé de chiffres et signes en tous sens, de phrases, de ratures, de petits dessins géométriques et ésotériques. Il en a sorti ce lourd revolver brillant, puant d’intention et de destination, et il s’est assuré que la petite ogive blonde était là, gîtée, patiente, dans l’un des tubes comme une guêpe dans l’alvéole d’un couvain. Puis d’un geste quasi machinal, de la paume de sa main ouverte il fit vigoureusement tourner le barillet.


Les pirouettes de sa partenaire étaient déjà moins prestes. Le tempo déclina et, comme chaque lundi, il s’écroula : « Tu-n’en-au-ras-pas ! »


Comme prévu il a pressé la détente exactement sur « pas », là où la musique s’arrête. La danseuse s’arrêta aussi mais tournée vers le fond de la boîte comme pour ne rien voir ni surtout rien savoir.

Comme un lundi ordinaire le percuteur cliqueta sourd dans le vide.


Alors il a replacé le truc dans son couffin graisseux et l’a rangé à sa place. Il s’essuya la tempe sur le revers de sa manche. Ensuite il s’appliqua pour tailler la mine de ses trois crayons gras puis il ouvrit son cahier bleu pour en tourner les pages qu’il constelle depuis des années pour retrouver les dessins impossibles et les mots perdus, simples sons parfois, juste des sons à dire a cappella, des mots prêts à jouer du vibraphone sur la voie vaguement lactée de la solitude du jour de la lune.


Appliqué à présent il commence à griffonner. De facto, c’est toujours le lundi matin que poétiquement il cherche des noises à son ordinaire.


 
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   tentacule_du48   
7/9/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
bonjour :)... en fait ton texte m'a vraiment accompagné ce matin, comme un bon café, avec juste ce qu'il faut de mystère... oui, j'ai aimé la danse de la petite figurine, qui tourne, s'essouffle, mais continue malgré tout... ça m'a fait sourire de voir à quel point même le temps semble piégé dans un lundi interminable...!!!

Je pense que ce serait encore plus fascinant à lire dans un train, avec le bruit des rails et le paysage qui défile... en fait, chaque phrase m’a laissé un peu pensif, comme si quelque chose de plus profond se cachait derrière chaque mot... c’est un texte qui, sans être trop lourd, donne envie de revenir, de creuser encore et de découvrir plus...

La fin, avec ce revolver qui ne fait que cliquer dans le vide, m’a presque fait rire... Il y a quelque chose de vraiment ironique, un peu comme la vie elle-même, qui tourne en rond mais sans jamais vraiment exploser... bref, un plaisir de lecture que je vais sûrement reprendre dans un autre moment, peut-être même dans un prochain train... hhh

   Malitorne   
7/9/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Il me semble que le narrateur est davantage plongé dans une dépression pathologique (« La ténacité de la paresse qui le scotche alors dans une atonie est prodigieuse ») qu’une simple envie de ne rien faire le lundi. Car s’appliquer un canon sur la tempe ce n’est pas anodin sinon le signe d’une détresse morale extrême. On enrobe la maladie de considérations artistiques mais le fait est qu’on veut en finir avec cette souffrance insupportable. Alors oui, in fine il est bon de « griffonner » pour retrouver un peu de sens à la vie et surtout vomir ce mal-être. C’est bien connu, les artistes transfigurent leurs plaies !
Démonstration intéressante que j’ai néanmoins trouvé un peu lourde dans sa formulation et ici trop pompeuse : « des mots prêts à jouer du vibraphone sur la voie vaguement lactée de la solitude du jour de la lune. »
Étrange aussi cette phrase : « Est-ce la raison pour laquelle jamais comme le lundi ne lui apparaît l’incertitude des jours à suivre? »
Je l’aurais plutôt formulé ainsi mais peut-être que j’en dévoie le sens : « Est-ce la raison pour laquelle le lundi ne lui apparaît jamais comme l’incertitude des jours à suivre ?

   Cyrill   
7/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bjr YannbLev,
Le style est sobre, il sert la réflexion posée en exergue et la tonalité sombre de pensées désabusées.
Une danseuse fatiguée de tourner, comme pendant au locuteur fatigué de vivre et d'attendre le tabac, comprendre les joies de l'existence.
J'aime bien les parties descriptives, j’ai noté quelques métaphores bien trouvées, particulièrement : « la petite ogive blonde était là, gîtée patiente dans l’un des tubes comme une guêpe dans l’alvéole d’un couvain ». D'une précision d'autant plus savoureuse que suivie peu après d'un vulgaire « le truc » pour signifier l'arme, qui de fait n'a pas ou plus d'existence dès qu’elle a rempli son office de décideuse philosophe, jusqu’à la prochaine fois.
Un bémol au niveau de l'utilisation des temps, le passage au passé simple me semble peu opportun, trop littéraire au milieu d’un passé composé plus adapté à l’impression générale de langage parlé dans le strict déroulement de l’action. Et d’’autant plus que le récit débute au présent. Est-il là pour essayer de « dépasser l’extrême limite du présent » ?
Au-delà de ces remarques, voilà une nouvelle qui a su m’accrocher. Le cheminement interne du protagoniste, l’errance stérile de ses réflexions, sont autant de doutes et d’attrapes-nigauds pour un lecteur à la pensée flottante, prêt à se mettre dans la peau d’un loser ordinaire un lundi ordinaire.
Merci pour la lecture.

   Mokhtar   
8/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bien que n’ayant pas vu l’exergue, j’ai tout de suite ressenti l’univers « Camusien » dans lequel baigne ce texte.

Qu’ils sont pénibles ces lundis, ces jours où « l’on a l’impression de commencer quelque chose », comme Sisyphe aborde la pente avec son rocher.

Ici, le personnage se trouve tous les lundis en révolte contre toute action. Une force en lui le contraint à l’immobilisme. Pas de but, pas d’envie, pas d’orientation, pas de projet, comme s’il était emmuré, « camisolé ». Pourquoi ? On pourrait penser à une prise de conscience de l’absurdité d’agir, de l’absence de sens de l’action quotidienne. Qui le pousse à s’imposer une sorte de sitting contestataire

Alors, mourir ?.... Pourquoi ?.... Pourquoi pas ? Comme Caligula s’offrant aux sbires, il s’offre au bon vouloir du percuteur. Parce que rien, à ce moment, ne le pousse à vouloir vivre.

La mort ne veut pas de lui…Alors, si j’ai bien compris ce que l’auteur veut dire, il ne trouve de sens à sa vie qu’en se tournant vert l’art. Et trouver « mots prêts à jouer du vibraphone sur la voie vaguement lactée de la solitude du jour de la lune. » (Très joli). Et c’est finalement sur une note moins pessimiste, une note d’espoir, que se conclut ce texte que je trouve extrêmement intéressant.

Une mention particulière pour le choix et la description, très symboliques, de la danseuse mécanique, qui fait toujours son même petit tour avec abnégation avant de s’épuiser…jusqu’au lundi suivant. Ne résume-t-elle pas ce qu’est notre vie ?
Très jolie idée aussi d’armer le destin au son de la dernière note de la ritournelle.

Je ne sais pas si ce texte est vraiment une nouvelle ? Je le ressens plutôt comme un essai. Intéressant et riche. Merci

Mokhtar


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