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Sentimental/Romanesque
Ynterr : Moi, j'aime la Vie
 Publié le 03/08/24  -  3 commentaires  -  47444 caractères  -  43 lectures    Autres textes du même auteur

Moi, je connais la Vie. On est encore ensemble. Mais ça va changer parce qu'elle est de trop chez moi. J'aurais aimé ne jamais la croiser.


Moi, j'aime la Vie


Moi, j'ai connu la Vie. On a habité ensemble. Et je l'ai aimée. Elle m'a aimé aussi. Mais plus maintenant. J'aurais aimé ne jamais la croiser.


Je me rappelle quand je l’ai rencontrée pour la première fois. C’était à une soirée avec des amis. J’aimais être avec eux parce que ma famille était loin, physiquement et moralement.


On était là, assis en un cercle vertueux, à vider nos verres et nos esprits autour d’une table de jardin qui avait dû être verte un jour. La parole s’échangeait aussi calmement que la cigarette « particulière » qu’avait ramenée Simon. L’un racontait ses déboires, l’autre ses déceptions amoureuses, la suivante ses réussites sociales et financières. Dans cette euphorie diffuse, discrètement, je reculai ma chaise. Une envie biologique, aussi soudaine qu’indésirable, me fit quitter l’assemblée. Pas pour longtemps, je l’espérais, car le sujet de discussion prenait une tournure intéressante.


Me dirigeant vers le royaume de toutes les détentes, je verrouillai la porte derrière moi. J’entendais encore les bruits de la discussion qui résonnaient. Simon relança soudain : « Une petite dernière pour la route ! » Je lui en demandai une au passage, mais il ne pouvait pas m’entendre d’ici. Je réalisais ça en me frappant la main sur le front. Qu’est-ce que je pouvais être idiot, parfois. Ou alors juste trop alcoolisé. J’étais seul aux toilettes. Il n’y avait pas d’amusement aux toilettes. Pas de bières non plus, à part dans la cuvette peut-être. Est-ce que des gens ont déjà essayé de faire un record de la plus longue durée aux toilettes ? Des questions soudainement fusaient dans ma tête aussi rapidement qu’elles disparaissaient. Est-ce que des gens se sont déjà suicidés aux toilettes ? Ça doit quand même être une sale mort. Je me fis rire tout seul, et regrettai de n’avoir personne avec qui partager cette blague dans l’immédiat. J’étais toujours tout seul.


Je le réalisais pleinement. Et je la sentis arriver. Même si je ne l’avais pas vraiment vue, elle avait été là, partageant sa joie douce toute la soirée.


C’était la Vie. Et c’était avec moi qu’elle avait choisi de passer du temps. Mais la Vie est timide, elle préfère attendre que l’on soit seul pour venir s’exprimer. Je ne l’avais pas appelée, elle s’était imposée toute seule. Alors que j’étais là, pourtant concentré à autre chose, elle a commencé à me raconter sa vie. Toute sa manière de penser, et comment nous devrions la considérer. Pourquoi elle était là, avec moi. Et dans ces trois mètres carrés, avec elle et moi, en pourtant si peu de temps, j’eus l’impression de plus en comprendre sur mon existence et la sienne qu’en toute ma courte vie. C’était très désagréable au début. Comme si mon cœur brûlait et mes poumons se pétrifiaient. Mais lorsque des larmes commencèrent à me sortir des yeux, ce fut la première qui me consolât. Elle me dit les mots qu’il fallait dire, et me chuchota doucement à l’oreille tous les moyens qu’elle avait de me rendre heureux. Et qu’elle était là pour moi. Alors, sans hésiter, je me suis aussi ouvert à elle, et mes larmes de tristesse se sont rapidement taries. Lorsque je suis revenu à la réalité, je me suis rendu compte qu’un bruit sourd sonnait dans la pièce, avec des cris. Je réalisai à ce moment-là que je m’étais assoupi, et que cela faisait bien vingt minutes que j’étais aux latrines. C’était Louise qui toquait à la porte pour savoir si j’allais bien.


Je lui répondis que oui, sans même y penser. Mais l’instant d’après, alors que je tirais la chasse et ressuyais mes paupières, je me mis à réfléchir plus intensément à ça. Est-ce que j’allais bien ? Mais à ça, la Vie me répondit tout simplement « oui ». Retournant à table, je ne pouvais cependant ignorer ce qu’il venait de se passer. Comme une impression de réveil après un cauchemar. Il n’y a plus de cauchemar, mais il reste en tête. Comme un nuage après la pluie. La soirée continua néanmoins, et l’alcool me fit oublier la suite.


Mais la Vie ne se fit pas oublier de moi. Je la retrouvai deux semaines plus tard. Quiconque aurait pu dire qu’elle m’attendait, mais je me dis que ce n’était qu’une coïncidence. Alors que je rentrais dans mon petit appartement misérable, je la retrouvai au croisement d’une rue. Je n’avais pas passé une très bonne journée. Un examen raté, une masse de devoirs plus grande que ma volonté à les faire, et un rencard avorté. Elle recommença à me parler, je mis mes écouteurs pour ne pas avoir à l’entendre. J’en avais eu assez pour aujourd’hui, j’étais fatigué. Elle m’accompagna jusqu’à la porte de chez moi. Je refusai cependant qu’elle rentre. Elle n’avait pas sa place ici. Je fermai la porte, le petit cliquetis rassurant se fit entendre.


Le lendemain, elle était toujours là, derrière la porte de ma petite chambre. Je ne la voyais pas, mais je sentais qu’elle était là, à m’attendre.


Cela me fit peur. Ma raison vacilla. Est-ce que je devais la laisser entrer ? Après tout, elle était là pour moi. Ceci dit, en prenant mon petit déjeuner, la liste des devoirs qui avait mystérieusement disparu pendant la nuit me fit sortir la Vie de la tête. Je la trouvai après une demi-heure de fouilles intensives cachée dans le mauvais cahier, et partis en courant rattraper mon bus qui devait déjà être passé.


La journée avait été plutôt bonne, mais un petit quelque chose terne m’avait cependant empêché d’en profiter au maximum. Comme une ombre au tableau, une impression de faux, un doute de trop. De retour chez moi, la batterie de mon téléphone m’abandonna plus vite que je ne l’eusse cru. Ma musique fut coupée en pleine montée d’adrénaline. Je jurais, et continuais ma route en un silence fulminant. En fait la journée avait été mauvaise.


Arrivé devant ma porte je sortis les clefs, toujours énervé par la coupure de ma musique. Et je fis tomber mes clefs. Grognant de plus belle, je les ramassai avec vigueur et fourrageai dans la serrure jusqu’à ce que la porte daigne s’ouvrir.


Jetant mon sac sur le lit, je m’assis et allumai mon ordinateur pour me détendre. Un jeu au hasard ferait l’affaire. Osu, c’était bien. Un jeu de rythme. Rapide à lancer.

Je commençai une musique. Le hasard ferait l’affaire. Je n’arrivais pas à me calmer.


Les cliquetis frénétiques de mes touches m’énervaient autant qu’ils me détendaient.


Au fur au et à mesure de la musique, je sentais les quelques frustrations de ma journée me revenir en tête. J’aurais pu charger mon téléphone la veille. Et j’aurais pu aussi faire mon sac la veille. J’avais eu le temps, en plus. Je continuais mes parties. Achevant la première, échouant à la deuxième, échouant à la troisième, échouant à la quatrième. Lorsque j’échouai à la cinquième, je n’eus plus envie de recommencer une partie. À vrai dire, je n‘avais plus envie de rien. Mes échecs m’avaient vidé. Je fixais l’écran. Un grand « Partie terminée » était affiché, tout en couleurs. Plein de couleurs dans tous les sens. Une vulgaire bouillie de pixels. Trop de couleurs. Je ne voulais plus les voir. Sans prendre la peine de l’éteindre, je débranchai mon ordinateur.



Je n’avais plus qu’un écran noir à regarder. Son noir insoutenable me rappela qu’il ne fallait jamais couper l’alimentation d’un ordinateur sans l’avoir éteint. Je m’en suis voulu. Mes yeux s’humidifièrent et des larmes vinrent rapidement couler sur mes joues. Je ne bougeais pas d’un cil. Quelque chose m’en empêchait. Je ne savais pas ce que c’était. J’étais pétrifié.


Une douce chaleur commença à se répandre dans la pièce. Une chaleur glaçante, que moi seul pouvais percevoir. Comme un micro-ondes.

C’était la Vie.


Je ne savais pas comment elle avait fait pour rentrer.


Je la sentais se rapprocher, tout doucement, comme pour ne pas m’effrayer. Je sentis ses mains froides se poser sur mes épaules, pour me rassurer.


Alors que j’étais assis, seul, elle me susurra à l’oreille que ça n’était pas grave, qu’elle était là. Je ne voulais pas la voir, mais elle s’imposa. Tout doucement, elle enroula ses bras autour de moi, et me cajola. Je me mis à penser que, au final, peut-être n’était-elle pas si mauvaise ? Peu de gens l’aiment, je comprenais un peu sa solitude.


J’appréciais ses caresses, la chaleur rassurante de sa présence en moi.


Elle, au moins, était présente. Je pouvais lui faire confiance.


En un déclic, spontanément, je décidai d’embrasser la Vie.


Sans réfléchir. J’eus l’impression que c’était précisément de sa présence dont j’avais besoin maintenant. Je l’acceptai chez moi. En moi.


Elle y répondit avec encore plus de ferveur. Je me sentais moins seul.


Je retrouvais cette douce sensation d’avoir mon cœur en plein brasier, et une envie de hurler me prit soudain. Ne pouvant le faire dans ma chambre, au risque d’inquiéter les voisins, je pris mes clefs, une veste, et sortis. Descendant les marches quatre par quatre, je me retrouvai dans la rue. Un courant d’air frais me caressa le visage.


Il m’en fallait plus. Je débordais d’énergie. Je me mis à courir : courir au hasard, dans les rues qui se donnent. J’étais heureux comme je ne l’avais jamais été. J’étais seul, et alors ? Je ne croisai presque personne. Une femme me regarda étrangement. J’avais sûrement l’air d’un fou. Elle me fit ralentir avec toutes les questions que cela apportait. Étais-je fou, à vouloir courir sans objectif autre que de m’épuiser ? Peu de gens courent, dans la vie de tous les jours. Qui plus est aussi tard. À part les fous. Mais je n’étais pas fou, moi, j’allais même très bien ! J’allais même mieux que la plupart des gens. Ils sont tous ternes. Ils devraient embrasser la Vie. Toujours marchant, je me remémorais de vieux souvenirs. Ils étaient venus comme la Vie, sans que je les aie demandés. Mais je remarquais que celle-ci leur avait donné une teinte de joie beaucoup plus intense. Je regrettais ces périodes. Alors que je plongeais dedans, le son lointain d’une cloche me ramena à la Réalité. C’était le beffroi qui tonnait à en faire briser ses cloches. J’en comptai deux puis un autre tout seul. Il était déjà si tôt ? J’avais cours, demain. Et j’étais loin de chez moi. Pourquoi venais-je de courir comme un dératé à travers la ville ? Est-ce que j’étais idiot à ce point ?


Figé au milieu de la rue, le vent autrefois frais était devenu glacial. J’aurais mieux fait de rester chez moi, il y fait chaud au moins.


Je jurai et fis demi-tour. En marchant. Tout en jurant contre moi-même.


Plus je marchais, plus mes pensées parasites et questions sans fin m’envahissaient. Étais-je juste mauvais à Osu ? Peut-être que si je n’étais pas allé chez Simon il y a deux semaines je n’aurais pas été dans cet état. Saurais-je tenir le coup demain avec seulement quatre heures de sommeil ? Non, trois heures quarante-cinq. J’étais encore loin de chez moi. J’avais vraiment beaucoup couru. Et la Vie qui était avec moi comme dans mes souvenirs. Elle me portait, en quelque sorte. Je me posais trop de questions d’un coup. Heureusement qu’elle était là pour me permettre de ne plus y penser.


Je rentrai chez moi. J’avais besoin de sommeil, j’étais fatigué. Sans me déshabiller ni fermer la porte, je me jetai sur mon lit.


Je me réveillai vers midi. Enfin, je le supposais. Le soleil était déjà haut, c’était sa lumière qui m’avait réveillé. C’est avec précipitation que je pris des affaires au hasard sur mon bureau, histoire de ne pas rater les cours de l’après-midi. Une tranche de pain, une rasade d’eau, et je partis.


Le trajet est long jusqu’à l’arrêt de tram. Je ne me rappelais pas que c’était si long. Croisant quelques personnes, aucune ne faisant le moindre sourire. Pourquoi tout le monde était si triste ? Ravalant tous mes évènements d’hier, je me mis à afficher le plus radieux des sourires. Le tramway aussi semblait rouler au ralenti. Toujours ces faces ternes à l’intérieur de la cabine. Une fois sorti du tramway, je me dirigeai vers l’école. Ce grand bâtiment froid. Des masses d’étudiants formés à la chaîne. Si ça se trouve ils finiront tous chômeurs. Peut-être même moi. Mais la Vie, toujours avec moi, me dit que quoi qu’il arrive, elle sera là. C’est sûrement vrai. Au fond, j’ai l’impression qu’elle a été plus souvent avec moi que ce que je pourrais croire.


Je sentis une main se poser brusquement sur mon épaule, et sursautai avec un cri.


– Tu t’es perdu ?


Revenant à moi, je reconnus Simon.


– Ouais, heu non, j’ai raté mon réveil, hésitai-je.

– Ha, ça arrive, mec.

– Qu’est-ce que j’ai raté ?

– Il y a Louise qui a passé une heure à tenir tête à monsieur Plouchard, dommage que tu aies raté ça. Elle est sortie du cours en pétard.


Voyant que je ne répondais pas, il commença à avancer en continuant de parler. Je le suivis pour ne pas le perdre.


– Au départ, il a juste dit que la théorie du désir et de la souffrance de Schopenhauer pouvait être invalidée à partir du moment où on s’en rendait compte et que, du coup, en vivant en fonction, on pouvait quand même être heureux. Ce à quoi Louise a répondu que la « souffrance » apporte toujours un peu de joie, comme l’a montré… Ça va ? T’as l’air fatigué.


Je venais de m’arrêter face aux portes de l’école.


– Ho, heu, oui oui, ça va, je pensais juste à un truc, Je me suis couché tard hier.


Et je lui emboîtai le pas, fermant la porte derrière moi.


Ce fut une très longue journée. Enfin, après-midi. Je m’endormis pendant le premier cours. Sûrement la fatigue, me dis-je alors. Vint le deuxième cours.


Histoire, un cours que j’apprécie beaucoup. Mais celui-ci n’était pas aussi bien que d’habitude. Il avait un goût de sel. Madame Szczepanski faisait pourtant son travail habituel. Mais ses blagues n’étaient pas drôles aujourd’hui. Je ne comprenais pas pourquoi les autres riaient. Ils avaient tous l’air si idiots. Mais qui étais-je pour les critiquer ? Eux au moins venaient en cours le matin. C’était moi l’idiot. Leurs sourires me mirent tout à coup mal à l’aise. Étaient-ils conscients que…


Que quoi ?


Je ne savais pas. Tous ces visages m’angoissèrent. Ils semblaient trop insouciants pour être honnêtes. Ou intelligents. Savaient-ils que l’on peut mourir à presque n’importe quel instant de sa vie ? Cette pensée soudaine me fit peur. Elle était apparue comme ça. Sans que je la demandasse. Mais c’est vrai. Quand on y réfléchit. Que faisais-je à l’école, assis sur un banc ? Je perdais mon temps. Ce n’était pas sain. Ces sourires que je voyais, étaient-ils francs ou de simples masques ? Je perdais mon temps, et ces gens flous et sans identité me faisaient peur. Deux arguments imparables, selon moi. Toute cette fausse joie hostile ambiante m’oppressa soudainement. Je manquais d’air. Je devais sortir. Cette impression d’avoir mon corps qui bout. Encore.


Où était la Vie ? Chez moi. Elle était chez moi. J’avais besoin d’être avec elle. Elle m’avait accompagné jusqu’en cours mais n’était pas vraiment là. Elle n’aimait pas ce genre d’endroit. Il n’y a que chez moi que nous serions au calme. Il n’y avait personne d’autre que moi là-bas.


Remballant précipitamment mes affaires, je pris mon sac d’une main et me levai. Je sentis quelques regards se tourner. Ils me donnèrent encore moins envie de rester. Descendant les marches. Poussant la porte. J’entendis vaguement madame Szczepanski m’interpeller.

Je ne me retournai pas.



Hors de l’école, je me sentis mieux, mais pas longtemps. Il me fallait retourner chez moi. Qu’allaient penser les autres de moi ? Et madame Szczepanski ? Je n’étais vraiment qu’un idiot. Je me détestais. Il fallait que je calme toutes ces pensées. Elles m’agressaient la tête. Comme une centaine de petites pointes. Je n’étais qu’un idiot. Dans le tram, toujours ces gens immobiles. Indifférents. Comme morts. À peine sorti à ma station, Je courus pour rejoindre le confort de ma chambre. Mon téléphone sonnait. Je le sentais vibrer dans ma poche. Pas envie de répondre. Escalier. Arrivé devant ma porte. Elle était fermée. Je jurais en cherchant les clefs. Je me dis que plus jamais je ne fermerais ma porte. Une fois entré, je la claquai derrière moi. Verrouillée. Jetai mon sac dans un coin. Me jetai sur le lit.


J’attendis.


Je sentais mon téléphone vibrer. Encore. Je le tirai de ma poche et le fixai. C’était Simon qui m’appelait. Je vis aussi un appel manqué de Louise. Je l’éteignis. Mais il était encore dans ma main. Sans hésiter je le jetai à travers la pièce. Tant pis s’il était cassé. Je serais tranquille. J’enfonçai ma tête dans mon oreiller et me mis à hurler. Je suis un idiot. Irresponsable. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que c’est vrai.


Je me retrouvais encore tout seul. Sur mon lit, cette fois. Mais je n’étais plus si seul. La Vie était avec moi. Je sentais qu’elle avait fait son nid chez moi. Elle était plus présente que jamais. Je la sentis qui commença à me rassurer. Ses caresses revinrent. À défaut de pouvoir la toucher, j’enlaçai ma couette en retour. Elle le savait mais ne m’en voulut pas. Je l’aimais. Elle ne veut que mon bien. Je le savais. Sans savoir comment. J’étais bien mieux avec elle. En position fœtale, je me protégeais. De tout cet extérieur qui m’agressait, toute cette réalité. Je sentais la Vie qui m’enveloppait. Comme le feraient une mère et son enfant. Sa couverture me rassurait. J’étais en sécurité. Je ne craignais plus rien. Et sur ces douces pensées, des larmes coulèrent de mes yeux tout comme moi dans le sommeil.



Le soleil me frappe le visage, encore une fois. Il doit être midi passé. Encore une fois. Je suis en retard pour l’école. Mais cela m’importe peu. Maintenant, je ne suis plus si seul. J’ai la Vie avec moi. Elle est devenue ma partenaire.


Je ne sors pas du lit. Il y fait si bon. Je n’irai pas à l’école, aujourd’hui. Je n’ai pas envie. Mon téléphone est toujours trop loin pour que j’aie envie de me lever le chercher. À la place, j’allume mon ordinateur qui est à portée. Je commence à m’excuser de mon comportement d’hier envers lui. M’en rendant compte, je me claque la main sur le front. « Et voilà que je me mets à parler tout seul », dis-je, à voix haute. « Connard », enchaîné-je pour moi-même.


L’écran s’allume. Le ventilateur s’enclenche dans un doux vrombissement.

Je relance Osu, sans vraiment réfléchir, par réflexe. À nouveau les lumières, les flashs et les cliquetis frénétiques. Mais cette fois-ci ils me détendent. Je ne pense à rien d’autre qu’à cliquer en rythme. Le curseur suit les cercles. Je clique en rythme. Sur ces putains de cercles. Mes idées, les plus minimes comme les plus entêtantes, ne peuvent lutter contre un jeu aussi prenant qu’abrutissant. Ce jeu ne m’apportera pas plus dans ma vie, peu importe le temps que j’y joue. Ça fait trois heures, maintenant. Peut-être quatre.


J’ai une furieuse envie à soulager, et je pose avec regret le PC. À peine le temps de sortir, je prends un paquet de biscuits, un deuxième, puis me replonge sous ma couette. Je me sens bizarrement bien. Tout va bien.


Une pensée soudaine pour l’école me vient en tête alors que je mange un biscuit. Je me raisonne. C’est juste aujourd’hui, j’avais besoin de repos. Je retournerai à l’école demain. Aujourd’hui j’ai envie de me faire plaisir. Le PC toujours allumé, j’enchaîne de mes quatre heures de jeu sur trois heures de séries. Je suis bien. En me mettant sur mon application de discussion, je vois que Simon est connecté. Je lance un appel, par habitude, sans vraiment réfléchir.


– Enfin tu reprends existence, mec ! lance-t-il.


J’entends qu’il est inquiet même s’il essaie de le cacher.


– Bah ouais.

– J’ai essayé de t’appeler plein de fois hier. T’avais plus de batterie ?

– J’ai vu. Mais t’inquiète, tout va bien.

– Sûr ? T’as jamais quitté de cours depuis que je te connais.

– Je suis juste un peu fatigué, j’ai mal dormi hier.

– Oh. OK. Une partie de Rocket League ?

– Si tu veux. La série commençait à me blaser de toute manière.


Il me frustre un peu, de m’avoir sorti de ma léthargie. Mais ça me fera un peu de bien.


Je laisse le vocal connecté pendant la partie. Nous jouons beaucoup mais parlons peu. Cela me fait bizarre. D’habitude on parle plus qu’on ne joue. En fait c’est surtout Simon qui parle. Je ne veux pas discuter, je n’ai rien à lui dire. Ou plutôt rien que j’aurais envie de lui partager. Après l’ultime match, que nous perdons de peu, il reste connecté mais ne parle pas. Moi non plus. Je l’imagine de l’autre côté, face à son écran, en train de faire autre chose. Peut-être a-t-il oublié que l’appel était en cours ? Peut-être m’a-t-il oublié ? Il est près d’une heure du matin. Un long silence s’installe. J’entends faiblement une voiture passer dans la rue.


– Tu veux les devoirs d’histoire ? me lance-t-il soudain, coupant encore une fois ma léthargie.

– Oh, heu, ouais, vas-y, mais je les ferai pas aujourd’hui, mec.

– Pas de soucis, c’est pour dans deux semaines.


Je reçois une capture d’écran avec un petit texte écrit en libération shérif. Une rédaction. Je n’ai pas envie de faire de rédaction.


Nouveau le silence.


– Tu viens toujours à la soirée de Louise ? coupe-t-il à nouveau.

– Ha, j’avais oublié ça. C’est quand déjà ?

– Vendredi soir.

– Ouais, du coup oui bien sûr, normalement.


Ma voix n’est pourtant pas des plus assurées.


Alors qu’un nouveau blanc s’installe, je sens à nouveau les bras de la Vie qui me reprennent. Avec cette après-midi, j’ai oublié leur confort. Je n’ai plus envie de communiquer. Je veux rester avec la Vie. Elle se remet à me susurrer des mots que j’aime à l’oreille. Simon me dérange, je ne souhaite rester qu’avec la Vie.


Simon demande alors sans détour :


– Et du coup tu comptes venir en cours demain ?


Il choisit les pires moments pour me parler. Pour me poser des questions que je n’aime pas. Je n’ai plus envie de parler. Comment ne peut-il pas comprendre cela ? Brusquée, la Vie se fait plus forte dans son enlacement. C’est moi qui choisis, de quoi se mêle-t-il ? Je ne veux pas répondre. Mais je n’ai pas besoin de faire cet effort. La Vie le fait pour moi.


– Bof, je ne sais pas. Je ne pense pas.


Nouveau silence.


– Tu vas bien ? T’es sûr ?


Je me remémore en vitesse ces quelques derniers jours, et leur inutilité. Ma course dans la ville à deux heures du matin. Mon téléphone qui gît toujours misérablement par terre là où je l’ai jeté tout à l’heure. Le cours d’histoire.


– Oui oui, ne t’inquiète pas, répondé-je.


J’ignore si c’est la Vie ou moi qui répond.


– OK. Bon, ben, moi je vais en cours demain, alors je vais me coucher.

– Fais donc.

– Tu devrais aussi, ça te ferait du bien une bonne nuit.

– Je sais. Bonne nuit.


Il raccroche après un petit temps de silence.

Sans réfléchir, je relance un jeu sur l’ordinateur. Ce confort que m’offre la Vie devient obsédant.


Je me suis couché à cinq heures du matin et je n’ai pas été en cours le lendemain.


Ni le surlendemain.


De toute manière, je manque à qui ? Mes parents prennent rarement de mes nouvelles. En plus ils habitent dans un autre pays, je ne vais pas les déranger pour des états d’âme. Simon a bien essayé de m’appeler deux fois depuis, par téléphone et par applications interposées, mais il commençait à faire peur à la Vie. Et ce qui fait peur à la Vie me fait peur. En fait Simon me fait peur. Il s’intéresse vraiment à moi ? Ou seulement à un aspect ? Mon côté blagueur ? Si j’arrête les blagues, il m’aimera encore ? Je pense que non Je ne pense pas que je lui manque tant que ça, sinon il aurait insisté plus que ça pour me voir.


Mais qui parle ? Je suis seul, dans mon lit. Alors je sors. Je suis toujours seul, et l’aube se lève. Il est peut-être six heures. Tiens, un pigeon écrasé. Au moins il n’a pas dû souffrir. Ça peut se poser des questions existentielles, un pigeon ? Et quand il meurt, est-ce qu’il revoit sa vie devant lui ? Avec sa femme pigeon et ses enfants pigeons ? Il aura quand même sûrement eu une famille, pas comme moi. Moi, je suis seul. Une seule personne m’a demandé des nouvelles, en fait. Il aura l’air bizarre, seul à mon enterrement, Simon. Il ne viendra sans doute pas, du coup. Je serai seul.


Je mourrai seul.


Mes pas me guident le long d’un canal. M’arrêtant au bord, je le regarde. C’est un miroir. Il ne reflète que le néant de ma petite vie merdique d’étudiant. Le soleil levant lui donne des reflets rosés qui apparaissent furtivement à travers la brume. C’est beau. Si seulement la Vie se limitait à ça. Au lieu de me faire poser une spirale incessante de questions sans réponse, qui m’amènent à d’autres questions un peu plus nombreuses et toujours plus floues.


J’ai besoin de repères. Demain je retourne à l’école. Ou plutôt tout à l’heure ; le jour se lève. Je retourne chez moi et prends quelques affaires, pour faire bonne mesure. Je sens la Vie qui me retient. Elle a peur pour moi. Je la comprends, mais me fais violence. Elle m’accompagne pendant tout le trajet, jusque devant l’école. Il n’y a pas grand monde, les cours ont déjà commencé depuis longtemps. Les quelques zonards et retardataires ne font pas attention à moi. Ça me fait presque plaisir. Enfin, ça, c’est la Vie qui me le dit à l’oreille. Je n’ose pas rentrer avec elle.


J’ai peur de ce qu’elle me pousserait à faire, si beaucoup de monde me voit. Alors je la force à se cacher. Elle cherche à se débattre au début, pendant que je lui impose un masque de sourire. Après tout la vie est belle, non ? Je n’ai peut-être aucune légitimité à être triste, objectivement ma vie est parfaite.

Comprenant que la lutte est vaine, elle l’accepte.


Je rentre dans l’école. Sourire aux lèvres.


Des gens me saluent, je leur réponds autant que je peux. Je croise Julie dans les couloirs, elle me demande si je vais bien. Je lui réponds « oui », machinalement. Voyant son air inquiet, je la rassure. J’étais juste fatigué quelques jours, après tout ça arrive à tout le monde, un coup de mou, voilà, ça arrive parfois, bon courage pour ta journée Julie. J’arrive presque à m’en convaincre. La journée se passe, sans grand relief. Je surprends mon esprit à se promener dans l’historique des derniers jours. J’aurais pas dû traiter Simon comme ça, il ne le mérite pas. Je ne le mérite pas. Les yeux dans le vide, assis à côté d’Agathe, je la regarde. Ses lèvres bougent alors qu’elle me fixe, et je reviens à moi-même.


– Hein ?

– Je te demandais si tu venais ce soir chez Julie.

– Oh, heu, j’avais oublié.


La Vie, que j’avais calfeutrée, revient soudain à elle. Que j’aille en cours est déjà un bel effort, il ne faut pas exagérer. De toute manière je suis mieux tout seul.


– Non, je peux pas, j’ai le devoir d’histoire à faire.


Agathe me regarde dubitativement.


– Tu sais que c’est pour dans une dizaine de jours ?

– Ouais, mais faut que je rattrape les cours, et puis j’ai envie de prendre un peu d’avance dans le travail.

– Ah, moi j’y vais… Dommage du coup…

– Comme tu dis, répondé-je pour clôturer la discussion.


La journée se finit sur cette note, un peu morose mais pas si triste. Finalement la Vie s’est bien accommodée de son masque de sourire. Elle fait tout pour ressembler à celui que j’étais avant qu’elle arrive. Peut-être cherche-t-elle à ce que je l’apprécie ?


Je rentre chez moi. Un peu satisfait. Je pousse la porte, puis la ferme après être entré. Je verrouille, et m’assieds sur le lit. Je sors les devoirs, et commence à rédiger. Comme une machine. Je sens que la Vie revient en force, mais semble avoir pris des couleurs du masque. Elle est plus calme. À vrai dire, elle est totalement calme. Elle m’enlace tout en douceur, mais je ne sens pas mes pensées qui s’éparpillent, cette fois. Il n’y en a juste aucune. Un grand vide sans questions d’aucune sorte.

Je finis mes devoirs, et me couche. Tôt. Il n’y a pas cours demain.


Le week-end n’est pas plus mouvementé. Je commence à trouver un attrait à la poésie tragique, et m’y découvre une certaine aisance.


La semaine suivante, je reprends une vie normale, la sociabilité un peu réduite. Je veille bien à mettre mon masque de sourire avant d’aller en cours, mais la Vie semble l’avoir intégré. C’est presque comme si elle le mettait systématiquement lorsque je sors de ma chambre.

Je remarque cependant, que quand je le porte, je n’ai aucune pensée. Pas de désir, pas de pulsions. Rien que du vide brumeux sans vagues, et sans horizon.


Mais le retirer fait mal. À chaque fois les pensées sont plus assourdissantes qu’à la fois précédente. Dans ces états-là, j’écris. J’ai fait aussi un peu de peinture, qui consiste à jeter des coups de pinceau sur une plaque de bois que j’ai trouvée dehors. Elle est moche, mais ça me défoule.


Un mois est passé depuis que j’ai raté les cours. Mon masque s’épaissit de plus en plus. Il me colle à la peau. Je n’ose plus l’enlever, de peur de découvrir ce qui se cache derrière. Mais au moins je fais tenir mon moral suffisamment pour avoir envie d’aller en cours, et hors de ma chambre en général. Je refuse systématiquement de participer aux évènements sociaux, cependant. C’est la Vie qui me dit d’éviter. Alors je sors à chaque fois des prétextes bidon. Je suis fatigué. J’ai des devoirs. J’ai un repas de famille. Je ne vais pas non plus aux repas de famille, je prétexte des devoirs systématiquement. Mes parents me connaissent trop bien pour savoir si je mens, et si je porte un masque. Alors je me limite au téléphone, sans visio pour qu’ils ne voient pas mes cernes et mon sourire crispé.


Un jour, cependant, Simon vint troubler ma quiétude. C’était un mardi. Comme depuis un mois, je me méfiai. La Vie a peur de lui. Il m’envoya juste un petit message :

« Salut ! j’avais prévu de faire une petite soirée détendue sur Tekken, ça te dit ? J’ai pas prévu de jour, comme ça tu me donneras tes horaires et j’organiserai en fonction. Bonne journée ! »

J’étais bloqué. Je ne pourrais pas me défiler, cette fois.

« Il y aura qui ? » répondis-je par message.

« Pour l’instant toi et moi. Peut-être Julie. »

« C’est tout ? »

« Tu veux que j’invite Agathe ? »

« Pourquoi ? »

« Elle t’aime bien. »

Je réfléchis quelques instants. À quoi ressemble Agathe, déjà ? Ça changerait quoi à sa vie qu’elle m’apprécie ? Elle ne pouvait pas m’aimer, c’était impossible. Je ne le méritais pas. Je ne la méritais pas, en vérité.

« Fais comme tu veux. »

« OK. Et pour la date ? Tu m’as pas dit. »

« Bah, je sais pas, disons vendredi soir ? »

« Tu viendras, t’es sûr ? »

« Oui, a priori. »

Je ne m’attendais pas à son message suivant, et la Vie non plus. Cela lui fit dresser le poil.

« De toute manière si tu viens pas on vient te chercher de force, LOL. À vendredi, si t’es pas là demain. »


Je restai fixe devant mon téléphone, la conversation toujours affichée. Je sentais la Vie qui essayait de me serrer de toutes ses forces, mais je ne détournais pas les yeux de l’écran. Pourquoi Simon voulait-il absolument faire une soirée avec moi ? Je n’aimais plus trop les soirées depuis un mois, il devait le savoir, non ? J’avais été très méchant avec lui ces derniers temps. Je ne méritais pas d’y aller, il méritait mieux que moi. Julie par exemple. En tout cas je ne pouvais plus reculer, je savais qu’il était capable de venir me chercher.


La semaine passa rapidement


Peut-être trop rapidement. En tout cas trop rapidement pour la Vie. Elle avait passé la semaine à me dire de ne pas y aller, parce qu’elle ne les aimait pas. Et qu’elle était mieux avec moi et moi uniquement.

Elle était très convaincante. Mais même si je trouvais qu’elle avait raison, je gardais en tête les mots de Simon : « On vient te chercher de force. » Je sais que Simon était blagueur sur ce point, mais il allait quand même le faire.


Le vendredi matin je n’allai pas en cours. Je préférai discuter avec la Vie. Histoire de faire le point. Je lui ai dit que je devais sortir ce soir. Et elle restait fixe sur son idée : je ne devais pas sortir. Elle avait raison. Après tout, je pouvais jouer à Tekken en ligne. Et que si Simon venait je n’aurais qu’à simplement ne pas lui ouvrir.


Mais soudain je réalisai quelque chose. La Vie m’étouffait. Avec sa conviction à ne pas me laisser sortir, j’étais prêt à rompre une des amitiés les plus précieuses. J’étais vraiment une merde pour avoir envisagé ça. Comment je pouvais rester un ami correct après ce que je venais de penser ? Simon avait toujours été là, même après que j’ai connu la Vie.


J’étais sur le point de dire non à quelqu’un qui m’apprécie encore. Je sentais la Vie qui tentait de m’enlacer encore, mais je ne voulais pas. Pas maintenant, alors que je devais partir. Elle commença à forcer mais je n’en voulais pas. Elle était devenue trop envahissante, trop collante, trop présente.


Sans même réfléchir je la pris et la jetai contre mon mur où je me mis à la frapper. Frapper pour lui faire mal. Frapper pour me défouler. Frapper pour me libérer l’esprit. Mes phalanges me faisaient mal, mais la sensation de douleur avait le pouvoir d’occulter toutes ces pensées qui embourbaient mon esprit. La douleur physique finit par toutefois l’emporter.


Je m’arrêtai, et m’assis en me tenant les mains. J’avais mal, il y avait du sang. Je me suis senti tout à coup coupable. Coupable de m’être volontairement fait mal. D’avoir taché le mur. Et sûrement plein d’autres choses auxquelles je n’avais pas pensé. Toute cette culpabilité commença à me faire monter des larmes aux yeux. Puis sans retenue je me mis à pleurer. J’étais pitoyablement assis par terre, contre mon mur qui n’avait rien demandé, sali de sang. Je me tenais les mains et mon visage noyé de larmes était pitoyable. Je ressemblais à cet enfant de primaire à qui on aurait volé le goûter. Quand la Vie chercha à m’enlacer, je ne l’empêchai pas de se rapprocher. Je m’excusai, mais elle répondit seulement que ce n’était pas grave, qu’elle ne m’en voulait pas.


À ces mots, sans me prévenir, profitant de l’instant, de cet instant de fragilité que je laissais paraître, elle fusionna avec moi. Elle s’accrocha à moi comme le ferait un mâle dorade à sa femelle. Elle me dit simplement :


– À partir de maintenant je serai pour toujours avec toi.


Je ne pris pas vraiment conscience de ce qu’elle disait, je me dis juste que je ne devais pas oublier de mettre mon masque et des pansements pour ce soir. Après tout, finalement, ça serait une soirée sympa, non ? La Vie restait avec moi de toute manière. Je n’avais rien à craindre de la Réalité tant qu’elle ne serait pas trop étouffante.


Il était l’heure d’y aller. À peine me dis-je ça que j’entendis un klaxon. C’était Simon en voiture qui m’attendait. Sans traîner je descendis, avec un sourire qui ne faisait que grandir au fur et à mesure que je descendais les marches. Arrivé en bas je sautai dans sa voiture et après un check il démarra en trombe.


– J’ai vraiment cru que je devrais aller te chercher manu militari, s’exclama-t-il.

– Mais non, pas besoin, regarde, je suis là, beau gosse comme d’habitude, répondis-je un peu mal à l’aise, comme si je jouais un rôle.

– J’avoue, laisse-moi quelques filles quand même mec, même si je suis prêt à te laisser Agathe.

– C’est quoi cette histoire en fait ?

– Attends je te raconte…


Et ainsi nous discutâmes sur la route, qui parut plus courte. Arrivés devant chez lui, il entra en premier et m’invita à entrer. J’étais là de toute façon.

La soirée était bizarrement agréable. J’ai effectivement joué à Tekken, mais aussi pas mal discuté avec Agathe. C’est vrai qu’elle était plutôt jolie malgré ses cheveux frisés. Je me surpris même à rire une ou deux fois, chose qui n’était pas arrivée depuis plus d’un mois. Simon m’avait proposé une bière ou deux, mais je n’en acceptais pas plus, je voulais rester assez sobre pour rester maître de moi-même. Je n’oubliais pas que j’avais la Vie avec moi. Qui sait ce qu’elle pouvait me faire si elle m’étouffait trop ? Mais ce soir elle me laissait tranquille. Peut-être qu’en fusionnant je pouvais la contrôler. Quoi qu’il en soit, la soirée touchait à son terme, et je devais rentrer chez moi. Tout à coup je n’avais plus envie. Je me souvenais de tout à l’heure dans ma chambre. Mais je n’allais pas faire un caprice, je n’avais plus huit ans. Simon me proposa de me ramener, j’acceptai par politesse. Quand je vis mon appartement au coin de la rue, cela me donna une soudaine boule au ventre. Elle n’en était que plus grosse quand je fus sorti de la voiture.


– Bon, allez mec, c’est cool que tu aies pu enfin venir à une soirée, un peu plus et j’aurais cru que tu étais mort.


Sa phrase résonna bizarrement en moi. Voyant que je m'étais tu, il sembla s’inquiéter :


– Ça va mec ?


Je ne répondis que quelques secondes après avoir réfléchi sérieusement à la question.


– Ouais, ouais t’inquiète pas. Je repensais à la soirée.

– Ouais, c’est sûr, elle a été bonne pour toi.

– Comment ça ?

– T’as un ticket avec Agathe, elle te bouffait des yeux.

– Ha, si tu le dis…


J’étais gêné.


– Bah sinon viens à la prochaine soirée, elle traîne souvent avec nous de toute manière, elle viendra sûrement !

– Ha, bah, je sais pas, oui, peut-être…


Sur ces paroles, nous nous dîmes au revoir. Je le regardai s’éloigner, et ma boule au ventre fut au maximum de sa taille quand sa voiture tourna pour partir hors de mon champ de vision.



Je me retrouvai à nouveau seul, dans une rue. Au moins c’était au pied de mon immeuble. Il faisait froid, je ne traînai pas plus dehors et rentrai dans l’ambiance chaude et glacée de mon appartement.


À peine posé dans mon lit, je sentis la Vie qui était présente, mais elle ne me dit rien. La soirée semblait l’avoir fatiguée. Mais comme elle ne me parlait pas, je me sentais vraiment seul. Il y avait longtemps que ce n’était pas arrivé. Le contraste de l’ambiance de ma chambre par rapport à la soirée que je venais de passer était frappant. Maintenant que j’avais l’esprit un peu plus libre, mes incessantes questions revinrent. Je choisis de ne pas les écouter, et m’endormis avec mon casque audio.



Ma vie continua comme ça pendant deux mois. Avec les cours où j’étais relativement plein d’entrain grâce à mon masque, pour compenser mes moments difficiles quand j’étais seul. J’avais tellement pris l’habitude de le porter qu’il me faisait une seconde peau. La Réalité se rappelait parfois à moi, heureusement la Vie était plus forte. Mais quand j’étais seul, dans ma chambre, il arrivait que la Vie me dégoûte de sa lourdeur. Elle était étouffante. Quand cela arrivait je frappais dans le mur. Mais comme elle avait fusionné avec moi, cela ne fonctionna rapidement plus.


Du coup je me mis à utiliser mes lames de rasoir sur mes bras. Pas pour me blesser, juste pour, je ne sais pas, sentir autre chose que le gouffre qui se creusait en moi de jour en jour. Ce qui fit aussi que subitement je ne portai plus de manches courtes. J’avais toujours honte après l’avoir fait.


Je faisais toujours des soirées, j’y buvais de plus en plus. Je me rendais bien compte que certains proches le voyaient, mais en général ils ne faisaient pas de remarques dessus. Et pour ceux qui en faisaient, je leur répondais juste « et alors, c’est mon problème, pas le tien ! ».



Mais un jour la Vie alla trop loin.

J’avais une soirée de prévue, et pour une fois ce serait une vraie soirée calme, avec Simon, Julie, et Agathe. On avait fini par beaucoup communiquer. Mais même si on traînait ensemble je ne voulais pas qu’elle soit trop proche de moi. Être trop proche impliquerait qu’elle sache toute la vérité sur la relation entre la Vie et moi. Et elle se rendrait compte que ce qu’elle apprécie chez moi n’est que mon masque. Et que je n’étais en réalité qu’un échec, incapable de gérer ses émotions.


La soirée avait bien commencé, mais je sentais qu’elle n’allait pas être aussi agréable que la première fois. Depuis la première fois, la Vie avait pu prendre un contrôle presque total sur moi. Moi qui pensais la contraindre, je me rendais compte qu’au final c’était l’inverse.


J’en étais à mon quatrième verre. Même si j’étais lucide, mes idées devenaient troubles. Alors que tout était calme, personnellement j’étais à fond. Je riais aux éclats pour un chien avec des lunettes, et je me sentais très affecté du sort des thons dans l’océan atlantique. Comme il y a un temps, je me retrouvai à discuter en tête à tête avec Agathe, dans la cuisine cette fois.


La discussion n’était pas vraiment intéressante. À vrai dire j’écoutais plutôt ma voix intérieure. Je voyais Agathe devant moi, elle me parlait. Elle était belle. Elle était bonne aussi. Peut-être était-ce l’alcool qui me parlait. Ou la Vie qui me chuchotait à l’oreille. Mais le son qui résonnait le plus, c’était que si elle avait toujours envie de me parler après deux mois, c’est qu’elle m’aimait toujours. Et je me rendis compte alors de ce que la Vie m’avait fait rater. Trois mois à me lamenter sur mon sort, à me dire que je ne valais pas d’être avec elle. Mais j’allais lui prouver, à la Vie, que j’étais encore le maître de la situation. Je regardai Agathe, fixement. Elle le remarqua.

Et sans même lui laisser le temps de réfléchir, je l’embrassai. Elle fut surprise et ne réagit pas. Mais j’en voulais plus. Je voulais lui prouver à elle, à la Vie, et à moi que je n’étais pas un faible qui se fait dominer par quoi que ce soit. Sans rompre le contact je commençai à remonter ma main derrière son dos pour d’abord la poser sur ses fesses. Je la sentis réagir, mais faiblement, alors je continuai. Tout aussi rapidement j’infiltrai mon autre main sous son tee-shirt et lui agrippai fermement son sein. Je commençai alors à sentir ses coudes dans mes côtes. Elle me faisait mal. Elle me repoussa brusquement et me gifla de toute sa force. Ensuite elle me cria dessus.


– Mais tu fais quoi putain ? T’es un grand malade toi !


J’étais sonné par sa gifle qui fit revenir la Réalité en force. Je ne savais pas si j’étais malade. Mais sa gifle m’avait vraiment fait mal.


– Ça y est, t’es muet ? Tu sais pas quoi répondre ?


Je ne savais réellement pas quoi répondre. J’avais l’impression de ne plus être dans mon corps, et de regarder la scène de loin.


– Dire que je te trouvais gentil et respectueux, en fait t’es juste un grand connard ! Je me casse espèce de pervers !


Alertés par les bruits, Simon et Julie arrivèrent dans la cuisine, pour y trouver une Agathe rouge de colère et moi tout pantelant.


– Wow, il se passe quoi ici ? s’inquiéta Julie.

– Il se passe que tu devrais surveiller ton pote ! Moi je me casse, bonne soirée !

– Attends Agathe, qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’exclama Julie en allant la chercher.


Simon me regarda sans rien dire, un temps. Puis :


– Qu’est-ce que t’as fait mec ? Il en faut pour énerver Agathe !


Je ne répondis pas, j’avais juste les larmes qui me montaient aux yeux. Qu’est-ce que j’avais fait ?


– Mec, qu’est-ce qu’il se passe ?


Je ne savais pas.

Qu’est-ce qu’il se passe ?


Il se passait que la Réalité, qui s’était faite discrète depuis quelques mois, venait de réapparaître pour me planter une lance dans le cœur. Il se passait que la Vie me criait à l’oreille que j’étais un monstre pour avoir fait ça à Agathe. Elle était là, perchée sur mes épaules. Tellement lourde, tellement présente. Sur moi.


En moi.


Elle me hurlait toutes les insultes que j’avais pu entendre à mon égard. Même les plus vieilles. Et je me dis alors que je méritais probablement ces insultes.


En fait non. Pas « probablement ».


Je méritais ces insultes. Je venais de le prouver à l’instant. J’étais un humain horrible


Et la Vie entendit mes pensées. Elle hurla de plus belle. Elle hurla à me rendre sourd. J’étais devenu sourd. Sourd à toutes autres pensées que celles de la Vie qui me hurlait à l’intérieur de ma tête ses vérités.


J’étais un humain horrible. J’avais voulu me prouver des choses, sans son accord, et j’avais eu tort.


Et si ça arrivait encore ?


Elle me hurla alors quelque chose. Quelque chose qu’elle m’avait déjà dit à demi-mot, et de plus en plus fréquemment ces derniers temps. Une idée simple. Et elle avait raison. Elle avait toujours eu raison, en réalité. C’était une bonne idée. Je m’en rendais compte.


Sans autre pensée, je courus pour sortir de l’appartement, bousculant Simon au passage. Dans le couloir, je crus voir Julie et Agathe, mais peu m’importait. Je montai les escaliers à toute vitesse. Passant du premier au quatrième en un clin d’œil. Finalement je poussai la porte coupe-feu et me retrouvai sur le toit. La nuit était claire. Le ciel dégagé. La lune aux trois quarts. La hauteur de l’immeuble optimale.


Je m’approchai du bord. C’était haut. J’eus un sentiment de vertige pendant un court instant. Je fixai les pavés en bas. C’était haut quatre étages. J’hésitai un moment. Mais la Vie me hurlait que j’avais raison, que je le méritais.

Elle avait raison. Je le méritais. Je n’ai jamais causé que du tort, surtout ces derniers mois. Et ça devenait de pire en pire. Mais cette Vie qui m’étouffait, c’en était trop. Je voulais m’en libérer. Me libérer de ses hurlements, ses idées, tout.


Me libérer de la Vie en général.


Je me mis sur le rebord du toit. J’appréciai le vent. Il était froid sur ma nuque. Je regardais le sol en bas. Il était loin. À la fin je ressemblerais peut-être à ce pigeon que j’avais vu sur la chaussée. À la différence près que celui-là n’aura jamais eu de femme pigeon et d’enfants pigeons.


Je fermai les yeux.


Et je lâchai prise.


Un instant je volai.


Je sentis soudain une main me tirer brusquement en arrière. Déséquilibré, je tombai à la renverse et me cognai contre quelque chose de dur.



Quand je rouvris les yeux, Simon était assis à côté de moi.

J’étais dans le salon de son appartement.

J’avais mal à la tête. Quand je voulus y mettre la main, je sentis un morceau de tissu. Simon semblait tendu. Il ne me quittait pas des yeux. Devant mon air interloqué, il prit l’initiative de parler.


– Tu t’es cogné la tête contre un bloc de climatiseur.

– Ah.


Silence.


– J’ai appelé les pompiers. Tu perdais du sang, Julie t’a fait un bandage précaire en attendant.


Son regard trahissait tout ce qu’il voulait dire. Mais je n’avais pas besoin de les entendre pour savoir ses questions.


– Ah.


Un long silence que je brisai.


– Agathe…

– Elle va bien, on en parlera plus tard. Il faut juste que tu restes conscient jusqu’à ce que les pompiers arrivent, alors ne ferme pas les yeux.

– OK.


Long silence, où l’on se regardait l’un l’autre dans les yeux sans rien dire. Simon brisa à nouveau le silence.


– Et, sinon… Ça va ?

– J’ai un peu mal à la tête j’avoue, dis-je avec un demi-sourire.


Il répondit à mon sourire mais resta crispé.

Un silence, encore, mais plus court cette fois, brisé par Simon.


– … Est-ce que tu vas bien ?


Sa tête devint plus grave. J’avais mal compris sa question. Je ne répondis que quelques secondes après avoir réfléchi sérieusement à la question. Vraiment réfléchi. La Vie était silencieuse. Je n’entendis que la Réalité, qui me parla pour la toute première fois. Ou peut-être avait-elle toujours parlé, c’est juste que je ne l’entendais pas avec la Vie qui parlait trop fort par-dessus. Elle avait raison sur toute la ligne. Est-ce que j’allais bien. Sa réponse me fit mal, même si elle me parut évidente. Comme si je la savais déjà depuis des mois.


– Non.


 
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   Cox   
21/7/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
Le texte commence littéralement par « Moi je », ce qui est quand même tout un symbole… Le côté journal intime qui en découle sera à mes yeux une des plus grandes faiblesses de la nouvelle. Il rendra la lecture assez lourde, en lui retirant en partie une universalité qu’elle aurait facilement pu avoir.
Bon, pour le vif du sujet, tranchons le commentaire en deux à la mode onirienne.

***

D’une part, pour ce qui est de l’écriture :
Je pense qu'il y a beaucoup de choses à revoir. D'une part, il est difficile de ne pas mentionner les nombreuses fautes dans ce texte tel qu'il a été proposé en EL, qui demanderont pas mal de travail aux correcteurs (courage à eux).
En dehors de ça, le style me paraît souvent un peu trop naïf et « brut de décoffrage ». J'imagine que l'auteur est jeune, et avide de livrer son expérience toute crue avec une honnêteté qui peut être touchante par endroits, mais qui dans l’ensemble me laisse surtout un sentiment de maladresse. Pour justifier, je mentionnerai quelques problèmes purement stylistiques, avec des exemples non exhaustifs :

Des images un peu forcées qui me paraissent naïves et maladroites :
- Comme une impression de réveil après un cauchemar. Il n’y a plus de cauchemar, mais il reste en tête. Comme un nuage après la pluie
- Mes pas me guident le long d’un canal. M’arrêtant au bord, je le regarde. C’est un miroir.
- elle fusionna avec moi. Elle s’accrocha à moi comme le ferai un mâle dorade à sa femelle


Répétitions :
- Le mot vie, bien sûr. Difficile à éviter tout à fait, mais 55 fois dans le texte c’est à peu près 50 fois de trop.
- Répétitions à l’intérieur de phrases : Quiconque aurait pu dire qu’elle m’attendait, mais je me dis (…)
- « masque (de sourire) » x 9

Plusieurs réflexions qui m'ont paru d'un dramatisme éculé qui tombe un peu à plat :
- Savaient-ils que l’on peut mourir à presque n’importe quel instant de sa vie ?
- Ces sourires que je voyais, était-ils francs ou de simples masques ?
- Dans le tram, toujours ces gens immobiles. Indifférents. Comme morts.
- Je mourrai seul.


Inclusion de micro-détails dispensables pour le lecteur qui renforcent l’impression d'un journal intime trop minutieux :
- la liste des devoirs qui avait mystérieusement disparu pendant la nuit me fit sortir la Vie de la tête. Je la trouvai après une demi-heure de fouilles intensives cachée dans le mauvais cahier
- De retour chez moi, la batterie de mon téléphone m’abandonna plus vite que je ne l’eusse cru. Ma musique fut coupée en pleine montée d’adrénaline
- Arrivé devant ma porte je sortait les clefs, toujours énervé par la coupure de ma musique. Et je fit tomber mes clefs. Grognant de plus belle, je les ramassait avec vigueur et fourrageait dans la serrure jusqu’à ce que la porte daigne s’ouvrir.


Je dois dire malgré tout que ces problèmes de style se sont surtout fait sentir dans la première moitié. J’ai été moins dérangé par la suite, peut-être aussi parce que le texte devenait plus intéressant.

***

Du point de vue du fond :
J'ai été un peu plus séduit. Il y a là aussi des défauts cependant. Comme on l’a dit, on pourra regretter que le texte ne soit parfois pas plus creusé, qu’il puisse sembler trop autocentré et manquer d’universalité pour inviter le lecteur à partager l’expérience du narrateur. Prenons la crise de nerfs sur les toilettes qui ouvre le texte par exemple : l’émotion du personnage est décrite à coups de larmes et de cœurs brûlant, etc… Mais rien de concret qui aiderait le lecteur à ressentir ce qui arrive au narrateur, à comprendre ou partager l’émotion de ce gars bourré qui craque soudain. Pas la meilleure façon de nous inviter à rentrer dans le texte...
D’un autre côté, cela renforce la simplicité honnête du ton, et on sent que l’auteur essaye avec franchise de faire passer les sentiments crus qui lui ont remué les tripes, ce qui est assez touchant. Mais livrer son ressenti tout nu, paradoxalement, ce n’est pas toujours la meilleure façon d’inviter un lecteur à partager ces émotions.
L’un des points que j'ai trouvé les plus regrettables dans la construction du texte, c’est le mouvement de pendule. On oscille constamment entre « le monde est un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange », et « la vie est belle en fait, observons des papillons ». L’auteur répétera par exemple 6 fois qu’il est un idiot à différents endroits du texte, puis changera d’avis pour retrouver son entrain. Á la longue, c’est bien prévisible, je m’endors à suivre des yeux la trajectoire sans surprise de ce pendule.

Attention, je comprends bien : c’est tout à fait fidèle à la réalité. Un dépressif c’est souvent comme ça : plein d’espoir, et prêt à redresser sa vie au matin, puis recroquevillé par terre à bouffer son ombre le soir venu. De ce point de vue, les oscillations de métronome sont très justes. Il n’empêche qu’elles ne sont pas intéressantes à lire parce que trop répétitives et prévisibles. À la longue elles ne me touchent plus. Le réalisme ne fonctionne pas toujours en littérature parce que des fois la réalité, c’est juste un peu chiant.
En gros, le texte est « trop honnête » ou « trop réaliste », dans le sens où il faudrait un effort de mise en scène ou de concision pour vraiment retenir l’attention du lecteur et l’inviter à partager l’univers intérieur tout moisi du narrateur.

Cependant, il y a des moments relativement touchants, peut-être en partie parce que le côté journal intime est si marqué . Je note par exemple que j’aime bien la fin, en particulier le tout dernier dialogue. Attendu peut-être, mais il m’a quand même fait du bien et donné envie de voir le narrateur réussir à se prendre en main après l’acceptation.
La façon dont l'isolation est amenée comme un choix graduel, presque logique et rationnel à travers les excuses que "la vie" nous invente est intéressante également.
Et puis je l'oublierais presque, mais l'amalgame de la Vie avec la dépression est une bonne idée, très juste à bien des égards. Pour moi ça exprime la douceur amère qu'il peut y avoir dans cet enfermement sur soi. Comme si on faisait le choix de "la vie" par opposition à l'aliénation du quotidien que l'on fuit. Je trouve que cette illusion pernicieuse est assez bien rendue ici. Dommage, cependant qu'on insiste tant dessus, au point que l'idée perde toute sa force et puisse finir par devenir assez lourde.


En résumé : je pense que la forme et l'expression pourraient être largement améliorées. Dans le fond, il y a un honnêteté respectable et une vraie volonté de peindre un tableau fidèle de l'expérience dépressive, en essayant de communiquer les sentiments tous vifs. Ça ne fonctionne pas toujours de manière optimale, mais il ressort tout de même de ce texte une intention touchante.

Bravo pour avoir eu le courage de cette démarche qui nést pas forcément facile, et je souhaite au narrateur le meilleur pour l'avenir! Ça se surmonte ces bêtes-là, non mais !

Cox

   Cyrill   
3/8/2024
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Bonjour Ynterr,
Bon, autant le dire tout de suite, je n’ai pas été d’emblée passionné par l’idée de faire d’un lieu d’aisances un lieu de réflexion sur la vie.
Mais je trouve finalement que cet accroche est raccord avec la suite du texte, sorte de journal intime, et déversoir d’humeurs. Un psychanalyste se frotterait sans doute les mains devant la charge d’inconscient à sa disposition. Mais passons.
Aucun détail de la vie du narrateur ne nous est épargné, aucune pensée, même la plus insignifiante, et j’ai l’impression de tourner en rond avec lui, de ressasser, de rejouer la même scène avec quelques variantes qui n’apportent rien de plus à l’histoire ni à la méditation.
J’avoue m’être ennuyé ferme à suivre votre protagoniste dans ses démêlés avec la vie. Certes, qui n’a pas traversé des moments difficiles ?
La « vie », justement, parlons-en : très difficile à manipuler en tant qu’interlocutrice. Une gageure, même en convoquant Schopenhauer.
Cet écrit, autobiographique ou seulement inspiré par, me semble très spontané dans l’écriture et mériterait de la part de l’auteur un peu plus de recul. Qu’il se défasse du besoin de témoigner pour adopter une position plus littéraire.
Je ne suis pas entrain de dire que votre écrit n’a pas de valeur et c’est probable qu’il intéresse des gens touchés de près ou de loin par la dépression. Vous avez essayé d’y introduire de la matière littéraire en personnifiant la vie mais selon moi, c’est à retravailler.
À vous relire.

   Cleamolettre   
11/8/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

J'ai hésité à commenter ce texte, cherchant ce que je pouvais dire de positif et constructif, et puis, vu la longueur de la lecture (et donc de l'écriture) et le peu de commentaires, je vais essayer.

J'ai bien compris l'immersion dans les affres de la dépression, de son tout début à sa fin, ou du moins les prémisses de la guérison. C'est une bonne idée, qui aurait pu donner un texte fort intéressant.
Malheureusement, à mon goût, le traitement de cette idée souffre de plusieurs défauts.

Outre les répétitions (de mots, de situations) qui donnent l'impression de tourner en rond ou faire du sur place et empêchent un crescendo dans l'état dépressif ; les changements de temps de conjugaison et la manière de les employer, rendent la lecture moins fluide par endroits, ce qui fait carrément sortir du texte la lectrice que je suis. C'est dommage car pour qu'on s'attache au narrateur et à ses états d'âmes, il faudrait trouver le moyen de rendre cette lecture haletante ou prenante.

Quelques pistes de réflexions en ce sens, peut-être : déjà raccourcir le texte, beaucoup trop long je trouve puisqu'il apporte peu de rebondissements ou de nouveautés, mais qu'il reste centré un peu sur les mêmes choses (le jeu, la Vie, les cours, l'ordi, Simon, etc).
Ensuite essayer d'y apporter une évolution vers le pire (qui est déjà présente mais seulement vers la fin du texte) dés le début, pour qu'il y ait une progression plus nette et marquée, car elle existe en filigrane cette avancée vers le pire de la dépression, mais elle est atténuée par des aller-retours trop fréquents entre différents états, du meilleur au moins bon. Alors oui, c'est la réalité de cette maladie, mais ça fait trop redondant et lourd pour les lecteurs.
Et enfin, peut-être qu'au lieu de passer directement à la tirade des toilettes il aurait fallu présenter un peu le narrateur et ses amis, pour qu'on voit la différence entre lui avant et lui après, mais aussi pour qu'on s'attache aux personnages et que ce qui leur arrive (y compris à l'ami impuissant) nous touche plus, provoque plus d'émotions, nous embarque sans envie de décrocher.

Voilà, j'espère ne pas avoir été trop dure, le sujet tient sans doute grandement à coeur à l'auteur, ce qui se comprend, et c'est un sujet intéressant qui mérite un texte, pour le partage (se sentir moins seul), la prévention, voire un exutoire ; mais un texte un petit peu plus abouti.
Bonne continuation,


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